70 Cinéma & DVD - avril 2025 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 30 avril 2025

La Passion selon Béatrice


Je ne m'y attendais pas, n'étant ni spécialement fan de Béatrice Dalle ni amateur de ce genre de documentaire, mais je regarde tout, du moins j'essaie, la quantité de disques et de films à écouter et regarder ne doit pas m'empêcher de travailler à mes propres œuvres. Fabrice du Welz, dépité de ne pouvoir réaliser un film de fiction avec la comédienne faute de budget conséquent, transforme son projet en un documentaire où elle marche sur les traces de son héros, Pier Paolo Pasolini. Le noir et blanc, les effets de pellicule propres au cinéma d'avant-garde, les longs plans sur le visage en larmes de Béatrice Dalle, le choix de ne pas sous-titrer les intervenants parlant anglais ou italien, mais d'en laisser le soin à Clément Roussier qui traduit au fur et à mesure à l'image, les extraits de films, en font un objet extraordinairement poétique et probablement l'un des plus beaux films sur le cinéaste assassiné. Radicalement différent, je le mettrai sur un pied d'égalité avec Pasolini l'enragé qu'avait tourné Jean-André Fieschi en 1966 pour la série Cinéastes de notre temps où Pasolini s'exprime en français. Soixante ans plus tard, Fabrice du Welz accompagne Béatrice Dalle sur les traces de L'Évangile selon saint Matthieu, à la rencontre des lieux, Bologne, Venise, Matera, Ginosa, Ostia, et de personnes qui ont connu Pasolini, un restaurateur, le gardien d'une ville désertée ou Abel Ferrara. Au travers du portrait de la comédienne, trash et sans fioriture, nature et pleine d'humour, La Passion selon Béatrice dessine celui du cinéaste martyr, insufflant un sens du sacré qui me surprend.


Dans les bonus, dont l'éditeur Carlotta est toujours maître, Fabrice du Welz donne quelques clefs de ce mystère, plus un long podcast exalté consacré à Pasolini en compagnie de l'historien du cinéma Fathi Beddiar et Béatrice Dalle. Il y a aussi la bande-annonce, mais il faut se méfier de bandes-annonces, comme des critiques !

→ Fabrice du Welz, La Passion selon Béatrice, Blu-Ray Carlotta, sortie le 6 mai 2025

mardi 15 avril 2025

Le cinquième plan de La Jetée de Dominique Cabrera


En réalisant Le cinquième plan de La Jetée Dominique Cabrera signe un film réellement markerien. Le réel n'est pourtant pas ce qui a jamais passionné Chris Marker ou s'il s'appuie dessus c'est toujours pour le projeter dans une dimension poétique où le faux-semblant lui donne sa véritable dimension documentaire. Marker est un transpositeur, un illusionniste qui révèle ses tours de passe-passe sans baisser le masque. On sait bien que lors de la projection de son film le plus célèbre, La jetée, filmé en 1962, de nombreux spectateurs ne s'aperçoivent pas que c'est un montage de vues fixes, à un plan près. Cette science-fiction dystopique, qui joue sur le temps et la mémoire, est emblématique de tout son cinéma. Le faisceau d'accidents que certains appelleraient des coïncidences a touché Dominique Cabrera, comme un effet de contagion féérique. La phrase de Marker « Le hasard a des intuitions qu’il ne faut pas prendre pour des coïncidences » a contaminé Cabrera lorsqu'elle apprend que son cousin se reconnaît enfant dans le cinquième plan de La jetée alors qu'il est allé voir le film avec sa fille à la Cinémathèque. La réalisatrice enquête. Cette année-là, une année fatale pour la famille Cabrera, le jeune Jean-Henri accompagne souvent ses parents le dimanche à Orly pour tenter de reconnaître d'autres pieds noirs débarquant d'une Algérie qui vient de conquérir son indépendance.


Cabrera jongle entre la mémoire du film de Marker et les souvenirs de sa propre famille, construisant un écheveau étonnant, chaîne et trame, où le passé est construit par le futur. Elle fouille, fait rejouer la scène, interroge les témoins des deux histoires, le tournage de Marker qu'elle a croisé dans les locaux de la société de production Iskra et l'histoire douloureuse des rapatriés qu'elle avait abordée dès 1996 avec L’Autre Côté de la mer. Quatre ans plus tôt j'avais composé la musique de son Chroniques d'une banlieue ordinaire dont on retrouve la mélodie dans son court métrage Traverser le jardin. Le cinquième plan de La jetée est à la fois une fiction et un documentaire, un thriller et une comédie dramatique, le reflet de plusieurs époques qui se télescopent tandis qu'elle déroule son fil d'Ariane.

→ Dominique Cabrera, Le cinquième plan de La Jetée, en accès libre sur Arte.tv