70 Cinéma & DVD - octobre 2025 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 27 octobre 2025

Le Locataire de Roman Polanski


Contrairement à ce qui était annoncé, Le locataire est un film comique, du moins jusqu'à ce que la folie prenne le dessus. C'est son côté kafkaïen. Max Brod raconte qu’en lisant des passages du Procès à ses proches, Kafka, perché sur un tabouret, riait aux larmes. Logique aussi lorsqu'on connaît l'humour, certes noir, de Roland Topor qui avait écrit le livre d'où est tiré le scénario. Dernier volet de sa « Trilogie des appartements maudits », après Répulsion et Rosemary’s Baby, le film de Roman Polanski traite évidemment de la folie, celle d'une schizophrénie paranoïaque.
Longtemps mésestimé pour des raisons absurdes, boudé à Cannes en 1976, Le locataire est un film à découvrir. Les comédiens sont excellents, que ce soient les Américains (Mervyn Leroy, Shelly Winters, Jo Van Fleet...) qui incarnent les habitants (il y a aussi Claude Piéplu, Florence Blot...) de l'immeuble construit méticuleusement au Studio d'Épinay ou les Français qui évoluent dans les décors réels de Paris (Bernard Fresson, Jacques Monod, Romain Bouteille, Rufus, Gérard Jugnot, Josiane Balasko, Michel Blanc, Bernard-Pierre Donnadieu, Claude Dauphin.... ) dont la rudesse réputée des Parisiens est inénarrable. Le rôle tenu par Isabelle Adjani est aussi épisodique que tous les autres, sauf Polanski dans le rôle titre. Le film est connu pour avoir été le premier à utiliser une Louma, caméra sur grue commandée à distance, et pour le plan où la perspective est inversée grâce à la construction du décor. La lumière du chef opérateur Sven Nykvist qui a œuvré sur presque tous les Bergman, la musique très réussie de Philippe Sarde, la précision de Polanski participent au cauchemar du locataire. La chute est également mémorable, mais je ne veux pas divulgâcher le film.
Les suppléments sont comme d'habitude passionnants : entretien récent avec le réalisateur, avec François Catonné qui n'était alors qu'assistant-opérateur, avec la scripte Sylvette Baudrot, avec Topor et le coscénariste du film Gérard Brach, etc. Le coffret Prestige ajoute de nombreux memorabilia (fac-similé du dossier de presse avec toutes les bios, photos, marque-page, affiche) qui raviront les fétichistes et qui constituent toujours de beaux cadeaux quand Noël approche

→ Roman Polanski, Le Locataire, ed. Carlotta Blu-Ray 20€ / 4K UHD 25€ / Édition Prestige Limitée Blu-ray 4K Ultra HD inclus Blu-ray et Memorabilia 34,99€

mardi 21 octobre 2025

Hong Kong 1941 de Po-chih Leong


N'étant pas particulièrement fan de kung-fu ou de pochades graveleuses, j'y vais parfois à reculons avec le cinéma chinois lorsqu'il s'agit de films d'action ou de comédies burlesques. Comme j'essaie de tout voir en mettant mes préjugés de côté, j'ai regardé Hong Kong 1941, un film de Po-chih Leong, réalisateur, né en 1939, qui a abordé un peu tous les genres (drame, action, comédie, épouvante, satire, documentaire, etc.) et méconnu en France si on le compare à ses camarades Ann Hui, Tsui Hark ou John Woo qui ont marqué la Nouvelle vague hongkongaise. Ce n'est pas un hasard si Po-chih Leong mélange les genres, comme cela se pratique souvent en Chine, car il est en fait britannique, certes de parents originaires de Taishan, mais de plus marié à une anglaise, ce qui ne plut d'ailleurs à aucune des deux familles !
En 1967 il part pour Hong-Kong encore sous domination britannique. Or son film, qui se passe en 1941 au moment de l'invasion japonaise juste après Pearl Harbour, sort en 1984, date où Margaret Thatcher annonce justement sa rétrocession à la Chine qui adviendra définitivement en 1997. L'analogie est claire. La même année que le film de Po-chih Leong, sur la même toile de fond historique, Ann Hui vient de réaliser Love in a Fallen City avec également l'acteur charismatique Chow Yun-fat, l'un des trois rôles de Hong Kong 1941 avec les tout aussi irrésistibles Cecilia Yip et Alex Man. Commencé comme une comédie avec un trio d'amis où les deux garçons aiment la même jeune fille, le film devient une évocation de la guerre sino-japonaise où s'opposent collaborateurs et résistants. Si certaines scènes peuvent paraître brutales, l'ensemble garde un parfum de comédie d'aventure qui m'a fait penser à un mélange entre Jules et Jim et Viva Maria ! La mise en scène est enlevée et les autres acteurs sont aussi excellents (Wu Ma, Shih Kien, Paul Chun, Ku Feng, etc.). Ce genre de Blu-Ray, comme le pratique souvent l'éditeur Carlotta, est particulièrement intéressant par ses bonus, des entretiens récents avec Po-chih Leong ou l'historien Tony Rains, et d'autres plus anciens avec des comédiens du film. Cela permet de comprendre les conditions et les méthodes de filmer, de replonger l'intrigue et le tournage dans les conditions historiques, de mieux comprendre une culture éloignée de la nôtre.

→ Po-chih Leong, Hong Kong 1941, Blu-Ray Carlotta, 20€

mardi 7 octobre 2025

Ken Jacobs a passé la caméra à gauche


Ken Jacobs, dont le film expérimental Tom, Tom, The Piper's Son (1969) m'avait tant marqué pour son processus analytique dans une perspective de création, a passé la caméra à gauche à 92 ans.
En 2006 j'écrivis :
J'avais découvert Ken Jacobs en 1976 au CNAC rue Berryer avec Tom Tom The Piper's Son, film muet en noir et blanc de près de deux heures réalisé en 69-71 et édité en VHS par Re:Voir avec un livre bilingue de 214 pages, hors série d'Exploding. Tom Tom présente d'abord un petit film de dix minutes, poursuite burlesque tournée à Hollywood en 1905 par un futur technicien de D.W. Griffith, mais Jacobs recadre ensuite le film dans le détail allant jusqu'au grain de la pellicule. Il joue d'effets de cache et offre une des plus extraordinaires anlyses de film de l'histoire du cinéma. À la fin, le cinéaste montre à nouveau le petit film tel la première fois. Sa vision en est transformée, ce n'est plus le même film !

lundi 6 octobre 2025

Présentation de 200 Motels à Lille mercredi soir


J'avais été un fan, me voilà propulsé conférencier ! La découverte des Mothers of Invention à l'été 68 lors de mon voyage initiatique aux États-Unis me donna l'envie de faire de la musique. Frank Zappa était devenu mon nouveau gourou. J'avais 15 ans. Après le concert de l'Olympia quelques mois plus tard, j'enjambai les barrières du Festival d'Amougies pour l'abreuver de questions et enregistrai sa participation aux groupes avec lesquels il improvisa. Je lui donnerai ensuite un coup de main au Festival de Biot-Valbonne et le retrouverai au Gaumont-Palace cette fois avec les Mothers et de nouveau Jean-Luc Ponty. Zappa n'avait pas la réputation d'être facile d'accès, mais ma jeunesse enthousiaste avait raison des résistances de tous les musiciens que je rencontrais, sauf Captain Beefheart qui me traversa comme un ectoplasme et sans que je comprenne comment il avait réussi à m'éviter. Je possède l'intégralité de la discographie (augmentée) de Zappa, les films de lui ou sur lui, les livres qui le concernent, etc., même si la période qui suivit m'intéresse moins, mais je m'y replongeai avec délectation à la fin de sa vie. Je traçai donc mon propre chemin, en particulier grâce aux pistes qu'il avait suggérées dès Freak Out !, son premier album. Rares étaient les camarades qui partageaient mon engouement pour cette musique "de fous". Avec le temps, Zappa a acquis ses lettres de noblesse, et dans certains pays il est carrément adulé. En tant que compositeur, je n'ai jamais tenté de l'imiter, mais je suis resté fasciné par l'originalité de son œuvre, fut-elle influencée par Varèse, Stravinski, Webern, Bartók, le blues, le doo-wop, le jazz, le rock, et tutti quanti. Si j'étais épaté par son travail d'arrangeur et la complexité rythmique, j'avais du mal avec le côté potache des paroles qui correspondent à mon avis au niveau intellectuel de la plupart des ados américains. Par contre, en France on connaît mal ses implications politiques qui l'occupèrent dans son pays, contre la censure ou pour inciter les jeunes à voter. En 1993, j'ai failli réussir à tourner une émission de télévision avec lui, mais "La 7 sur la 2" répondit la phrase célèbre qu'il inscrit sur nombreuses de ses pochettes : "no commercial potential". Quoi qu'il en soit Frank Zappa représente ma référence absolue, avec Charles Ives, Edgard Varèse et John Cage (que j'eus la chance de rencontrer également).


Ayant souvent chroniqué les livres qui lui sont consacrés, et certaines rééditions augmentées de nombreux inédits, je suis resté malgré tout un spécialiste de son œuvre. Mes articles récents sur le livre de sa fille Moon Unit et il y a quelques semaines celui de Pauline Butcher, sa secrétaire particulière de 1968 à 1971, ont donné l'idée aux organisateurs du Festival Muzzix & Associés de m'inviter à Lille pour présenter son film 200 Motels au cinéma L'Univers mercredi soir 8 octobre à 20h. Pour me rafraîchir la mémoire j'ai revu le film ainsi que The True Story of Frank Zappa's 200 Motels que Zappa sortit en 1987 et des entretiens, j'ai repris le somptueux coffret de 6 CD publié en 2021, relu les passages des livres de Christophe Delbrouck et Guy Darol qui s'y connaissent certainement mieux que moi, et de Zappa lui-même. Je suis d'une part très honoré de cette invitation et d'autre part passionné par 200 Motels qui représente à mes yeux et mes oreilles l'apothéose de la première partie de son œuvre.

La seconde illustration est une petite pépite découverte au hasard de ma cinéphilie, l’affiche de 200 Motels dans une séquence de Un pigeon mort dans Beethovenstrasse (Tote Taube in der Beethovenstrasse) de Samuel Fuller en 1972, l’année suivant la sortie du film de Zappa et Tony Palmer. Et il se trouve que je suis aussi un fan des films de Fuller !