vendredi 27 avril 2018
Les catacombes avec les yeux de l'enfance
Par Jean-Jacques Birgé,
vendredi 27 avril 2018 à 00:26 :: Expositions
Hier jeudi je suis retourné visiter les catacombes Place Denfert-Rochereau, mais cette fois avec une petite fille de 10 ans qui a le nez dans Harry Potter chaque instant qu'elle peut y consacrer. La semaine dernière avec ses grands-parents elle avait vu le London Dungeon à Londres, sorte de musée de l'horreur appartenant au même groupe que Madame Tussauds. Mais cette fois-ci les squelettes sont réels ! Pensez-vous que cela fasse la moindre différence lorsque le monde est encore onirique et que l'on se souvient de ses rêves avec une précision de scénariste ? L. a donc vécu l'expérience en aventurière, comme si le royaume des morts s'appelaient ici catacombes... J'ai emprunté ses mots pour raconter notre visite.
La cascade des 130 marches qui mènent 20 mètres sous l'avenue Montsouris donne le tournis. Dans le tunnel étroit le sol est parfois boueux, suite aux ruissellements de la surface, mais plus loin un puits indique que l'on est probablement proches d'une nappe phréatique. Ailleurs il est sec avec de petits cailloux. Une trace de peinture noire servant jadis à se repérer dans le labyrinthe suit le plafond martelé comme des vagues. Des portes grillagées empêchent de s'évader du parcours et de se perdre comme cela est arrivé dans le passé. Les galeries où sont enterrés les restes des parisiens exhumés des cimetières de la capitale, détruits pour insalubrité, mais aussi pour faire place à la spéculation immobilière et aux travaux du Baron Haussmann, sont souvent tortueuses. Des briques écartées semblent s'ouvrir sur quelque endroit secret. Dans une salle où sont accrochés des panneaux explicatifs, L. scrute la maquette d'un ancien cimetière avec des petits squelettes empilés. Au-dessus de la porte qui mène à l'ossuaire est inscrit : "Arrête, c'est ici l'empire de la mort." Des extraits de textes et de poèmes en français ou en latin ponctuent le chemin qui mène à la lumière après ce voyage au royaume des ombres. L., n'appréciant guère que des visiteurs écrivent des tags au feutre noir sur certains crânes, trouve que c'est aussi déplacé que si on le faisait sur mon propre front ! Dieu est souvent évoqué. Les nombreuses victimes des combats de la Révolution Française sont regroupées. Les dates gravées dans la pierre indiquent l'année où l'ossuaire de tel ou tel cimetière a été déménagé dans ces anciennes carrières, de la fin du XVIIIe jusqu'au milieu du XIXe siècle. Les milliers d'os et de crânes agencés les uns sur les autres forment des dessins, cœurs et croix. Les crânes semblent avoir les joues qui tombent. C'est très mystérieux, un grand cimetière artistique, dit-elle, qui lui donne l'envie d'aller fouiller...
Après quelques pauses pour souffler pendant la remontée, nous débouchons sur une boutique qui n'existait pas avant la nouvelle sortie avenue René Coty. Les marchands du temple ne ratent pas une occasion, d'autant que le choix de livres et de gadgets est plutôt sympathique. Les crânes mexicains peints ou recouverts de perles rappellent à L. Coco, l'excellent film d'animation sorti récemment et dont le sujet est justement la mort, mais du point de vue mexicain. Aucune morbidité, mais une fête aux couleurs explosives, sentiment qu'elle perçoit dans les catacombes comme un acte plus artistique que social. L'immersion tient donc ici plus de l'aventure que du recueillement. Cela explique la fréquentation touristique délirante, en augmentation constante, occasionnant souvent des attentes de trois heures avant de pouvoir s'enfoncer. De mon côté je pense au Trou de Jacques Becker, récit d'une évasion de la prison de la Santé qui est à deux pas, un film d'une modernité incroyable, et j'ai envie de me replonger dans l'Atlas du Paris souterrain et dans le catalogue de l'exposition de Jean-Hubert Martin, La mort n'en saura rien, sur les reliquaires d'Europe et d'Océanie. Une certaine euphorie se dégage du temps qui passe. L. se projette des milliers d'années dans le futur, imaginant que des touristes passent un jour devant ses restes sans connaître son nom, ni son histoire. Nous ne faisons que passer.