70 Humeurs & opinions - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 8 avril 2025

La fièvre des riches (Rich Flu)


Rich Flu est un film surprenant dont il vaut mieux taire le pitch pour ne pas déflorer où l'on va atterrir après une série incroyable de twists virtuoses pendant la première demi-heure. La suite est aussi politiquement passionnante, mais la fin tire hélas en longueur, peut-être pour rompre avec le rythme infernal de la première partie. Donc pas question de vous raconter pourquoi c'est un film à voir, mais il renverse habilement les rapports de force, questionnant notre avenir de plus en plus incertain avec les fous furieux qui sont en train de bouleverser le fragile équilibre du monde actuel. Les références à Trump, au capitalisme, aux réfugiés de la Méditerranée, aux mystérieuses épidémies sont explicites dans cette comédie satirique qui tient du thriller et de la science-fiction. Le réalisateur Galder Gaztelu-Urrutia, fan de Buñuel, de ce film espagnol avec des acteurs anglo-saxons avait déjà signé le dystopique The Platform en 2019 en s'inspirant de La divine comédie. Je me disais aussi que je connaissais la comédienne Mary Elizabeth Winstead, qui avait en effet le rôle principal d'une de mes séries préférées, Braindead, autre scénario délirant et épatant du même acabit.

mercredi 2 avril 2025

L'Intercommunal Free Dance Music Orchestra, deux nouvelles rééditions


Il y a moins d'un an le Souffle Continu rééditait deux disques de l'Intercommunal Free Dance Music Orchestra, L'inter communal et Le Musichien, enregistrés à partir de 1976 pour le premier et en 1981-82 pour le second. Les deux nouvelles rééditions de l'orchestre du pianiste François Tusques se situent dans cet espace : Vers une nouvelle musique bretonne date de 1978 tandis que le Volume 4 dédié à Jo Maka s'échelonne entre 1980 et 1983. Or les deux vinyles sont extrêmement différents.
Alors que le second tient d'une sorte de fanfare aux accents africains, le premier possède une énergie folle entre free jazz et musique bretonne. C'est aussi un geste fort d'alliance révolutionnaire, de minorités dont la culture et en particulier la musique ont participé à différentes époques à la résistance contre la colonisation. Et ces musiques du monde se croisent sans qu'aucune phagocyte l'autre. Les trois sonneurs sont exceptionnels : Jean-Louis Le Vallégant et Gaby Kerdoncuff aux bombardes, Philippe Le Strat à la bombarde et au biniou koz. Un quatrième Breton mène la danse, le bassiste Tanguy Ledoré. C'est une musique qui s'écoute fort, une musique de plein air, une musique qui va des Monts d'Arrée aux grandes marées océaniques. La force de Tusques est d'avoir réussi à mêler le fest-noz à la voix du Catalan Carlos Andreu, à la trompette de l'Occitan Michel Marre, plus quatre musiciens africains, le Togolais Ramadolf au trombone, le Guinéen Jo Maka au soprano, le percussionniste camerounais Sam Ateba et le percussionniste Kilikus dont je ne connais pas le pays d'origine. L'intercommunal Free Dance Music Orchestra n'a jamais si bien porté son nom. Intercommunal, libre, dansant, merveilleusement musical, orchestral.
Sur l'autre vinyle, dédié à Jo Maka disparu alors avant qu'il ne paraisse, l'orchestre est à géométrie variable. En plus de François Tusques, Jo Maka, Adolf Wincker (Ramadolf), Michel Marre, Sam Ateba, Kilikus, Carlos Andreu, on reconnaît Sylvain Kassap au ténor et à l'alto, Jean-Jacques Avenel à la contrebasse, Jacques Thollot à la batterie, Bernard Vitet à la trompette, du beau monde évidemment, solidaires de la démarche du pianiste. À côté des pièces composées par Tusques en hommage à la Commune ou à L'Internationale, l'Intercommunal interprète un Fables of Faubus de Charles Mingus de seize minutes, "portrait d'un gouverneur raciste américain".

→ Intercommunal Free Dance Music Orchestra, Vers une musique bretonne nouvelle, LP ou CD Souffle Continu Records, sortie le 4 avril 2025
→ Intercommunal Free Dance Music Orchestra, Vol. 4 Jo Maka, LP ou CD Souffle Continu Records, sortie le 4 avril 2025

samedi 29 mars 2025

NEWSLETTER de mars-avril 2025


La Newsletter de mars-avril fête le 50e anniversaire du label GRRR en annonçant les sorties des CD Les déments avec Denis Lavant et Lionel Martin, Pique-nique au labo 4 avec Léa Ciechelski, Catherine Delaunay, Maëlle Desbrosses, Matthieu Donarier, Bruno Ducret, Helene Duret, Antonin Trí Hoàng, Emmanuelle Legros, Mathias Lévy, Fanny Meteier, Roberto Negro, Rafaelle Rinaudo, Alexandre Saada, Olivia Scemama, Isabel Sörling, Fabiana Striffler et ma pomme évidemment, ainsi que les albums en ligne Album avec Catherine Delaunay et Roberto Negro et Le violon dingue avec Fabiana Striffler, plus le podcast Les chroniques du bulbe de Sonia Cruchon. Ajoutez les CD Animal Opera, Tchak et les 3 premiers volumes de Pique-nique au labo, enfin Radio Drame qui est passée à plus de 200 heures non-stop de musique aléatoirement choisie.

lundi 10 mars 2025

From Ground Zero - Stories from Gaza


Dans les années 90 j'entretenais une petite correspondance avec John Zorn. Mais le jour où je lui ai exprimé mon point de vue sur le sionisme et la politique du gouvernement israélien, je reçus en retour un fax (oui à l'époque c'est ainsi que l'on correspondait) où il avait simplement dessiné une tête de mort. Là s'arrêtèrent nos échanges. Plus tard, comme il faisait la manche pour sauver son club The Stone à New York, je m'étonnais qu'un musicien aussi en vue, avec des cachets faramineux (du moins à l'étranger), capable de produire autant sur son label Tzadik, adopte un système qui me paraissait plus adapté à de jeunes musiciens ou véritablement dans le besoin. Le crossfunding (financement participatif) d'Agnès Varda et JR pour leur film Visages, villages m'apparut aussi choquant. Aussitôt Fred Frith, avec qui j'avais toujours entretenu d'excellents rapports, me raya de ses amis. Il avait choisi son camp. J'avoue avoir ressenti quelque tristesse, comme lorsqu'un vieil ami ou comparse vous trahit, sentiment qu'ils ont probablement partagé de leur côté.
J'ai repensé à cette histoire de tête de mort en regardant le film From Ground Zero réalisé par 22 réalisateurs et réalisatrices. Ce puzzle de documentaires, fictions, films d’animation et films expérimentaux réalisés par des Palestiniens qui ont tout perdu après les bombardements qui ont rasé leurs villages, m'a évidemment rappelé la série Chaque jour pour Sarajevo à laquelle j'avais participé en 1993. Pas le moindre mouvement de haine, les Israéliens ne sont même pas nommés, juste la peur et la tristesse qu'engendre la guerre avec ses milliers de morts civils. On y voit simplement les Palestiniens vivre, ou plutôt survivre, au jour le jour, dans la débrouille du rien qui reste. Comment les survivants pourront-ils se remettre d'une telle catastrophe ? Le film ne livre pas une seule pensée politique, ce qui a pu choquer les plus radicaux. Il nous touche parce que nous voyons des gens comme nous, sur qui le ciel est tombé jusqu'à transformer le paysage comme celui de Dresde après les bombardements alliés. Évidemment cela ne vient pas d'hier. Plusieurs témoins évoquent 1948, comparaison évidente avec la Nakba, fuite ou exil forcé de 750 000 habitants de la Palestine mandataire, ou la guerre de 2014 que les Israéliens nommèrent "bordure protectrice" !


Ce génocide, parce qu'il faut bien le nommer, même si le film évite habilement toute polémique, fait honte à mes origines, à ma culture. Soixante quinze ans de brimades, de spoliations, de crimes contre l'humanité. La colonisation engendre la terreur, de tous côtés, peu importe que ce ne soit pas à armes égales. Il est évident que le Hamas et le Likoud sont des alliés objectifs, les populations en assumant les conséquences. J'avoue avoir en horreur tout repli communautaire, et la collusion de l'église et de l'État en fait partie. Peut-être alors John Zorn a-t-il compris que je ne pouvais pas adhérer à sa revendication de "Radical Jewish Culture". Je me demande ce qu'il en pense aujourd'hui ? Se rend-il compte des conséquences d'un tel concept ?
Quelles que soient vos opinions il faut voir ce film, qui montre simplement la vie quotidienne au travers de petites anecdotes, bien filmées, car ce n'est pas du reportage, mais un documentaire digne, humble, profond et puissant. Y témoignent ou s'y mettent en scène des enfants, des adolescents, des mères de famille, un coiffeur, un maître d'école, des artistes, ce qui constitue une humanité.

mardi 28 janvier 2025

D'un tamalou


Les Tamalous, c'est une des façons d'appeler les vieux, du moins c'est ainsi qu'ils se reconnaissent. On peut être vieux très jeune. Il suffit de se plaindre tout le temps des petits maux qui nous accablent. Mon médecin disait que c'est aussi comme cela que l'on reconnaît les vivants. Il est vrai que certains jours de grande souffrance il m'est arrivé d'imaginer que ce ne serait pas un mal si je ne me réveillais pas le lendemain. Et puis j'ai pensé à celles et ceux qui m'aiment et j'ai rangé cette idée pour plus tard, me souvenant que, sauf accident, l'on mourrait le plus souvent lorsqu'on en avait vraiment marre. Aux jeunes que cela angoisse je réponds toujours que ce n'est pas le moment, c'est largement prématuré, ils auront le temps de l'apprivoiser. C'est que la vie peut être courte et longue à la fois. On sent bien qu'ils n'ont pas conscience de la mort en les regardant traverser la rue n'importe comment. Les vieux font pareil, mais parce qu'ils s'en fichent ou qu'ils préfèrent ne pas y penser. La soif de vivre repousse la Faucheuse vers d'autres rivages.
Mais revenons à "t'as mal où ?". Un petit orteil cassé, le cancer de la thyroïde, une méchante grippe, hémorragie des cordes vocales, torticolis, tord ti coula, atchoum, qui dit mieux ? Il est évident que le corps se déglingue très tôt. On en prend en général conscience après 40 ans. Cela fait des lustres que les nuits blanches sont devenues fatales. Bien avant, les cellules se reproduisent plus lentement, les télomères raccourcissent, la production de collagène, la masse musculaire et la densité osseuse diminuent, les vaisseaux sanguins perdent en élasticité, le métabolisme ralentit, heureusement la perte neuronale n'est pas encore perceptible ! On dirait une chanson du comique troupier Ouvrard...


Il est formidable de constater qu'on oublie facilement les misères qu'on a subies. À partir d'un "certain âge", un clou chasse l'autre. Mais si le corps humain dégénère progressivement, en vieillissant on peut apprendre à mieux le gérer. J'ai par exemple souffert de lumbagos dès mes 31 ans, avec hernie discale à la clef. C'était la conséquence d'efforts débiles à transporter mon imposant système de sonorisation lorsque j'en avais 18, sauf qu'à cet âge on s'en remet très vite, c'est plus tard que ça lâche. À force d'exercices quotidiens j'ai réussi à faire disparaître la hernie discale, puis je me suis gainé avec le vélo d'appartement et quarante ans plus tard je n'ai presque plus jamais mal au dos. En période de crise, je me sentais comme si j'avais plus de 90 ans. Aurais-je rajeuni avec l'âge ? C'est la même chose avec les douleurs morales, on peut apprendre à s'en ficher, on évite les contrariétés en slalomant sur la piste noire, de plus en plus rapide. Tout schuss. Si l'on représente le cycle de la vie par une courbe oscillant entre bonnes et mauvaises nouvelles, il suffit de limiter la durée des creux et de prolonger celle des crêtes ! Je ne m'énerve plus jamais, ce qui ne m'empêche nullement de me révolter ! Je ne peux pas en dire autant de mes plaintes. C'est peut-être culturel ? Ma blague juive préférée, que ne comprennent pas toujours les goys, refait surface lorsque ma mère m'appelait au téléphone pour me demander si j'allais bien. Si je répondais que oui, elle rétorquait : "ah tu n'es pas tout seul, je te rappelle plus tard !".

vendredi 24 janvier 2025

Lettre à un jeune artiste interviewé


Salut,

Est-il encore d'usage de commencer une lettre par cette exclamation de bienvenue ? Déjà mon titre au masculin est d'une autre époque. Les temps changent, les rapports évoluent ou régressent, mais tout, absolument tout ce qui est vivant, obéit toujours à la loi des cycles, et pour accrocher le lecteur il faut y mettre du sien. Du sien, c'est de soi qu'il s'agit. S'agiter, c'est secouer l'arbre pour que tombent les branches mortes et les fruits trop mûrs. Faire le mur pour échapper aux propos convenus. Les conventions sont fondamentalement soporifiques. On s'endort devant la répétition des justifications partagées par tous. Les revendications possèdent au moins l'avantage de mettre les pieds dans le plat. Alors on évitera la platitude du politiquement correct, sans trop la ramener, mais avec l'aplomb d'assumer que l'on pense par soi-même. La soie sauvage constitue le plus doux de mes ensembles. Ensemble, parce qu'on ne s'en sort jamais seul, du moins sur la distance. En d'autres termes, le temps. C'était l'idée. Afficher à l'écran des propos cent fois tenus, une fois pour toutes, puisqu'on ne couche plus sur le papier, même par consentement mutuel, pour éviter la répétition et ressasser inlassablement. Passer à autre chose, tourner la page. Alors pour vous, taper quelques conseils pour que vos propos nous réveillent quelle que soit la qualité de celle ou celui qui vous interroge.

Commencez par noter trois idées directrices auxquelles vous tenez particulièrement et débrouillez-vous pour les placer coûte que coûte dans le cours de la conversation, peu importent les questions. Au pire ou au mieux, c'est la qualité du "oui, mais". Sans cette gymnastique vous risquez de rentrer chez vous en vous mortifiant de ne pas avoir dit l'essentiel. Trois, c'est un bon chiffre. Rappelez-vous les meilleures dissertations, fussent-elles scolaires. Introduction, trois parties, conclusion. Un artiste doit savoir commencer et terminer. L'attaque est l'accroche. Le fondu au noir constitue une facilité vous privant du plaisir de la coda. Cela ne vous interdit pas les ouvertures à tiroirs et les fausses fins. Le plaisir de surprendre. Quant aux trois parties, elles vous obligent à trouver trois bonnes raisons d'être là. Une ou deux, viennent toutes seules, mais c'est la troisième qui valorise l'ensemble. Et puis, selon qui vous avez en face, vous pourrez être complice ou impertinent... En tout cas soyez vous-même, c'est le plus simple et le plus confortable !

Développez. Forcez-vous. Faites marcher votre mémoire. Les anecdotes donnent du corps aux intentions. Elles font passer la théorie à la pratique. Le lecteur aime qu'on lui raconte des histoires. Si elles peuvent alimenter son sommeil, elles ne l'endormiront pas, bien au contraire. On s'y projette. Le phénomène d'identification n'est pas seulement le nerf du cinématographe, c'est la clef de toute la littérature, peut-être même de la vie tout court. Pour qu'elles tiennent debout ces anecdotes doivent faire sens, aller dans celui de votre propos. Relisez le paragraphe précédent ! Idem pour les détails. Rester vague est du domaine de la banalité. Le discours de la méthode est passionnant... À condition de bien expliquer en restant autant que possible à la portée de tous.

Nommez celles et ceux avec qui vous partagez le chemin. Comme les remerciements, cela ne coûte rien et c'est une juste reconnaissance. Vous éviterez des rancœurs, stupidement générées par votre maladresse. Comme vos références historiques, ce sont autant d'entrées vers qui vous êtes, vers votre travail. N'oubliez jamais que "toute œuvre est une morale". Pour citer encore Jean Cocteau, pensez "ne pas être admiré, être cru". Plus jeune, je voulais toujours être original et Bernard Vitet me reprenait : "pas original, mais personnel". Chaque individu devrait pouvoir le revendiquer, un artiste a fortiori. La sincérité devrait représenter l'étalon de votre art. Oubliez les marchands. Je m'écarte du sujet de cette lettre, mais pensez à dire que vous les aimez à celles et ceux que vous adulez. Et lorsque c'est vous qui posez des questions, choisissez les bonnes.

Donc tout cela se prépare. On n'y va pas les mains dans les poches et l'on ne confie pas à un quidam le soin de faire l'article. C'est comme le reste, comme les vers, les notes, les couleurs... Que ce soit inné ou mûrement réfléchi, il faut donner du grain à moudre à votre interlocuteur, et par extension à celles et ceux qui vous liront ou vous écouteront.

Je ne sais pas si je dois vous souhaiter bonne chance ou vous dire merde. Dans le premier vinyle d'Un Drame Musical Instantané, en 1977, pour la coda de notre improvisation Au pied de la lettre basée sur un texte inédit de Jean Vigo, tandis que je scandais "tout homme détient dans ses mains son destin" Bernard Vitet clamait "un coup de dés jamais n'abolira le hasard", sans que nous nous soyons concertés et absolument ensemble.

Salut et fraternité

jeudi 16 janvier 2025

Foin de l'IA


Plus d'un CD sur deux que je reçois, près d'un spectacle sur trois, se réclament de l'IA (intelligence artificielle). Cette tarte à la crème dessert plus ces projets qu'elle ne les rend actuels. On est forcément déçus de n'y entendre rien, rien de différent de d'habitude. L'annonce fait paravent aux autres aspects de la création. Dans ces secteurs artistiques, l'IA n'est qu'un outil parmi d'autres. Est-il utile de revendiquer d'utiliser telle ou telle application ? C'est franchement ridicule, à moins de vouloir séduire les subventionneurs patentés. Les plus aguerris en rigolent, se souvenant qu'ils utilisaient depuis près d'un demi-siècle la MAO (musique assistée par ordinateur), avec des logiciels basés sur des calculs de probabilité ou sur les réseaux neuronaux. Pour l'instant, seule la banalité y trouve son compte, au mieux clonant l'existant. Par contre, l'IA s'ajoute à la panoplie des outils amusants dès lors qu'on la pervertit, comme il est nécessaire de le faire avec tous les outils commercialisés si l'on désire les adapter à ses projets personnels. Je m'interdis donc désormais de revendiquer l'IA dans mes compositions, comme pour mes autres instruments, tous toujours conçus à l'origine pour un certain type de musique, mais certainement pas pour celle que j'ai en tête ! Est-il utile ou nécessaire de clamer que j'utilise des samples enregistrés par d'autres, des machines aux fonctions aléatoires, des applications transformant les sons, des pédales d'effets incroyables, ou que je tripatouille des fichiers midi ? Cette petite cuisine peut être intéressante pour quelques spécialistes, mais mettre l'IA en avant n'est qu'une esbroufe revenant à prononcer des mots compliqués pour camoufler le plus souvent la banalité formatée des musiques dites actuelles. Cela n'empêche pas de s'y intéresser et d'y avoir recours lorsqu'on en a besoin. En en discutant avec Étienne Mineur, nous convenions que ce que j'avance pour la musique s'applique parfaitement au graphisme. Quant à son usage devenu largement répandu dans la fabrication de textes, on évite en général avec précaution de le signaler !
L'autre tarte à la crème inlassablement de plus en plus courante dans les feuillets accompagnant les disques que je reçois est la notion de musique pour un film qui n'existe pas. Le problème avec ces annonces est que la plupart du temps ces musiques ne m'évoquent aucune image ! Il est dangereux de produire des œuvres qui ne correspondent pas aux intentions proclamées. On risque d'être déçus et de passer à côté des véritables qualités de ces créations.

jeudi 9 janvier 2025

Le chaînon manquant


C'est une histoire que j'aime bien rappeler, même si vous la connaissez probablement déjà. Il y a très longtemps j'ai entendu Yves Coppens la raconter à la radio. Avec son ami Jean-Jacques Petter, directeur du zoo de Vincennes, le paléoanthropologue avait eu l'idée de tester l'intelligence d'un chimpanzé. À l'époque ils ne disposaient ni de caméra de surveillance ni d'autre moyen sophistiqué que de surveiller l'animal par un trou de serrure. Dans une salle du Museum d’Histoire Naturelle ils pendent donc un régime de bananes au plafond et disposent une table et une chaise à l'autre bout de la pièce. Le singe serait-il capable de se servir de ces outils ? Déplacerait-il les meubles et les empilerait-il pour atteindre le fruit convoité ? Les deux savants attendent patiemment derrière la porte. Pas un bruit ne se fait entendre. Plus étrange, Coppens collant son œil pour voir ce qui se passe ne voit absolument rien alors qu'il fait jour et que les fenêtres n'ont pas de volets. Ils ouvrent la porte pour vérifier que la serrure n'est pas bouchée. Non, tout est normal. Le chimpanzé est tranquille dans son coin. Ils referment la porte et Petter s'y colle à son tour. Et là, il voit. Devinez quoi ? L'œil du chimpanzé ! Les deux amis ont terminé la journée dans la plus grande euphorie. Coppens a décroché les bananes pour les offrir à leur sujet d'expérience, habitué qu'on le serve. J'adore cette histoire qui me rappelle la découverte du chaînon manquant entre le singe et l'homme : c'est nous, tout simplement...

Illustration : détail du tableau de Rémy Cogghe, Madame reçoit (1908) exposé à La Piscine, Roubaix.

Article du 8 janvier 2013

jeudi 2 janvier 2025

Comment analysez-vous cette image ?


Ça fait froid dans le dos. Profil sur X : https://x.com/BrunoRetailleau

samedi 28 décembre 2024

La fin de Facebook ?


J'ignore si le réseau social est complice ou victime de sa récente dérive. Mon mur, probablement le votre, est depuis quelques semaines vampirisé par des annonces encyclopédiques qui noient les communications de mes "amis". Je bloque à tour de bras, mais deux mains n'y suffisent pas. Ce pourrait être de la publicité, mais ce sont des infos se voulant tantôt sensationnelles, tantôt informatives, plus ou moins en relation avec mes centres d'intérêt, sauf que je n'en ai rien à faire, me servant de Facebook essentiellement professionnellement. J'y recopie certes mon blog, drame.org/blog, mais ce n'est même pas son miroir qui se trouve dans les faits sur Mediapart.
Dans un premier temps je vais continuer à l'y afficher, en vous suggérant de me lire sur mon site comme le font de nombreux amis (sans guillemets cette fois) ou sur Mediapart (où je pense rassembler plus de lecteurs et lectrices). Dans les deux cas c'est toujours gratuit, sans avoir besoin de s'abonner. Plus tard je prévois de quitter FaceBook, voire Instagram (où je place aussi une autre copie de mes articles), le temps que vous changiez vos habitudes. Si, comme moi, vous êtes gavés par la dérive de FB, vous serez soulagés par cette mutation. Drame.org et Mediapart ont de plus l'immense avantage de proposer des hyperliens et de placer les illustrations aux bons endroits à l'intérieur du texte.
J'ignore quel moyen de communication vous choisirez pour nous tenir informés à votre tour, mais je ne vois plus vos informations sur mon mur, totalement noyées par ce flux gigantesque, probablement généré robotiquement. A moins que FaceBook réagisse en filtrant tout ce que nous n'avons pas demandé à voir, mais c'est de pire en pire.
Instagram ne vaut guère mieux, les stories sont éphémères, les mails sont également perdus parmi la pub et les spams. LE SYSTÈME S'ÉTOUFFE DE LUI-MÊME. C'était prévisible si l'on connaît les lois de l'entropie. Sans bouleversement les jours de Facebook sont comptés. Que pouvons-nous inventer pour nous y retrouver ?

lundi 25 novembre 2024

La vie, ce qu'il en reste


Si les fakes générés par l'intelligence artificielle abondent sur le Net, proposant des images incroyables, elles peuvent faire rêver parfois aussi bien que les merveilles réelles de la nature ou les créations humaines. Que tel oiseau existe ou pas, nous n'aurons de toute manière aucune chance de le croiser. S'il est mis en ligne, offert à l'ébahissement du public, qu'importe qu'il soit vrai ou faux, né de l'imagination d'un fantaisiste falsificateur. Il rappelle les tours de magie auxquels peuvent croire certains naïfs, les veinards ! Les fakes sont alors de l'ordre de la prestidigitation.
Évidemment ce n'est plus du tout amusant lorsqu'il s'agit de manipulation médiatique, en particulier lorsque cela touche à la vie politique. Plus personne ne pourra croire quoi que ce soit. À moins que la majorité des peuples, perdue dans ce maelström d'informations assourdissantes, se replie encore un peu plus vers des croyances religieuses ou transhumanistes qui tiennent tout d'un dangereux surréalisme de bénitier. La Terre pourra être plate, la Vierge accouchera d'un prophète, les écritures deviendront le saint des saints, la paranoïa multipliera les crimes contre l'humanité et le profit contre toutes les autres espèces. Ainsi, si l'IA m'apparaît comme un outil formidable dans le cadre de la fiction, elle devient une arme redoutable dans le réel. Peut-être est-elle à double tranchant ? Les scénarios les plus improbables sont à craindre. Il y a quelque temps j'évoquais IA le monstre, son utilisation par l'artiste irlandaise Jennifer Walshe ou la mise à mort boomerang de l'IA astucieusement réalisée par un ingénieur facétieux.
Pour en revenir aux images séduisantes sur les réseaux sociaux, dans le même temps, de récents robots les colonisent avec des sujets dont nous n'avons rien à faire, phagocytant par exemple mon mur FaceBook et noyant les articles qui m'intéressent au milieu d'un fatras de natures luxuriantes, d'architectures renversantes et autres billevesées me donnant forte envie de quitter ce lieu essentiellement utilisé professionnellement et que rien n'a pour l'instant réussi à remplacer, malgré sa programmation exécrable, sa censure automatique d'une absurdité consternante et son filtrage idéologique épouvantable. Je les bloque, mais j'en bloque tant que je finis par débloquer ! Les robots tuent le désir. Pour d'autres raisons, comme beaucoup de camarades, je ne publie plus rien sur Twitter, mis sous coupe réglée par Elon Musk, son propriétaire. Les "jeunes" ont élu Instagram, qui dépend de FaceBook comme Threads (les trois appartiennent à Meta, soit Zuckerberg). Je m'y débats avec le côté télégraphique des posts. J'allonge la sauce en terminant mes articles avec un "suite en commentaire". Comment taire ? D'autres l'ont souligné avant moi. Mon problème, c'est plutôt comment diffuser mes écrits (que certains jugeront utopiques) en respectant leur longueur nécessaire, et ce n'est pas Mastodon qui réglera la question. On peut s'énerver contre Wikipedia et ses contrôleurs incompétents abusant de leur petit pouvoir de censure, mais il reste un media participatif. Car pour la plupart des médias, nouveaux ou anciens, ce sont des milliardaires, des banquiers et des financiers qui mènent le jeu. Nous voilà bien ! Je repense au film La grande lessive de Jean-Pierre Mocky où Bourvil jouait un instituteur qui sabotait les antennes de télévision du quartier parce que cela abrutissait ses élèves...
Conclusion : dans ce monde de faux-semblants, si une chose est certaine c'est que la vraie vie est ailleurs.

lundi 21 octobre 2024

Les premiers jours de Stéphane Breton


En 2011 j'avais adoré les premiers films de Stéphane Breton tournés en Nouvelle-Guinée dix ans plus tôt. Ethnologue, il avait fondé et dirigé au musée du quai Branly une collection de films documentaires intitulée L'Usage du monde, produite par Les Films d'ici et Arte. Je l'avais revu aux Rencontres d'Arles alors que j'étais directeur musical des Soirées. Avant mon départ au Pérou cet été, le cinéaste m'écrivit en insistant pour que je regarde son troisième long métrage intitulé Les premiers jours. Depuis mon retour, j'avoue être un peu débordé par mon propre travail. Les films et les disques s'empilent sans que j'ai le temps de tout écouter ou regarder. Un après-midi pluvieux, je m'y colle enfin et dès les premières images, comme il y a treize ans, je suis saisi et je pense instantanément à Jean Epstein, un de mes cinéastes préférés, inventeur de la "lyrosophie". Peut-être est-ce à cause du son des rochers que je sens retravaillés, ou bien ce sont les chiens qui me surprennent à marcher au ralenti lorsqu'ils se soulèvent ?


Comme au cirque les spectacles de clowns, comme les films de Jacques Tati, j'aime les documentaires sans paroles, ou du moins sans commentaire. Stéphane Breton laisse s'insinuer la poésie du réel, quitte même à le gauchir. Le cinéma-vérité est une arnaque. Dès lors qu'on choisit un cadre, qu'on monte des images, qu'on les sonorise, on impose une vision fondamentalement subjective. Le cinéaste filme l'effort d'un homme qui ramasse des algues au milieu des vagues. Des squelettes de bovins et des métaux rouillés jonchent le sable de cette plage déserte chilienne. On ne sait rien. Du moins si l'on n'a pas lu le pitch dans la presse ou le communiqué du festival où passe le film. Les hommes parlent probablement espagnol. Les carcasses automobiles leur servent d'abris. Comment sont-elles arrivées là ? Par les dunes ou la mer ? Il n'y a pas de route. Breton choisit toujours des no man's lands, des bouts du monde où l'on est forcé de vivre autrement. La partition sonore inventive de Jean-Christophe Desnoux participe à la magie de l'instant. Sons ralentis, renversés, orchestre symphonique virtuel, percussions décalées, font rimer les images.


Stéphane Breton a failli intituler son film Les derniers jours, mais il trouvait cela trop triste. "Les premiers jours" suggère le début de quelque chose, le début d'autre chose. Je retrouve le propos de mes propres Perspectives du XXIIe siècle, dont le CD a été produit par le Musée d'ethnographie de Genève (MEG) et dont l'adaptation cinématographique y sera diffusée le 31 octobre prochain pour le 80ème anniversaire des Archives internationales de musique populaire (AIMP). J'y interpréterai également en direct avec Amandine Casadamont une nouvelle version de cette reconstruction nécessaire après l'inévitable catastrophe. Sur quoi s'appuyer ? Quels seront les moyens du bord ? Les glaneurs que filme Breton n'ont pas grand chose à se mettre sous la dent, mais ils vivent, sans tout le fatras qui nous encombre et nous avale. Ils vivent autrement, et c'est ce qui le fascine.

vendredi 20 septembre 2024

IA le monstre


Depuis quelque temps je m'intéresse au serpent de mer qui pourrait bien dévorer le monde. Il est évidemment engendré par le capitalisme qui est déjà à l'origine du réchauffement climatique, mais ce Jörmungandr se nomme l'intelligence artificielle, IA son abrégé français, AI en anglais. Avec le développement d'Internet l'anglais est devenu le nouvel esperanto qu'on apprend dès le cours préparatoire, soit l'âge de 6 ans. N'ayant jamais craint les inventions scientifiques, mais ce qu'on en fait, en tant que créateur artistique j'appréhende cette technologie comme un nouvel outil qu'il est amusant d'ajouter à ma panoplie d'homme-orchestre. Dans les faits j'utilise son ancêtre, la MAO (musique assistée par ordinateur), depuis la fin des années 70, avec des logiciels aux paramètres aléatoires, basés sur des calculs de probabilité ou des réseaux neuronaux. Les dernières avancées dans le domaine de l'IA donnent pourtant le vertige et font froid dans le dos. Hier justement, la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) envoyait un questionnaire à ses membres pour réfléchir à comment rémunérer les auteurs dont le travail serait utilisé par l'IA. Mais c'est l'ensemble du savoir humain que cible l'IA !
Pour commencer, mes questions à ChatGPT produisirent des réponses beaucoup plus précises que mes googlisations et recours à Wikipedia. S'instaure même un dialogue avec la machine permettant d'affiner ma recherche. Parallèlement à cet outil encyclopédique, j'admirais le travail graphique d'Étienne Mineur devenu spécialiste du genre. Je restais néanmoins dubitatif quant à ses applications musicales jusqu'à mes tests récents où j'ai demandé à l'IA de mettre en musique un de mes poèmes dans des styles variés. Ayant utilisé la norme MIDI (Musical Instrument Digital Interface) dès ses débuts et pratiquant l'orchestre virtuel des samples (échantillonnage) il m'était devenu facile de faire illusion dans de nombreux cas de figures instrumentaux, mais j'avais des doutes sur la synthèse vocale sur laquelle même l'IRCAM s'était longuement cassé les dents.
Or j'en suis resté comme deux ronds de flan. À l'aide de prompts savamment accumulés, soit une suite de mots, je testais l'opéra, le rock, le jazz, le punk, le folk, la musique électroacoustique, etc., pervertissant les résultats pour échapper à la banalité en demandant un chorus free jazz au trombone ou même "un drame musical instantané". Non seulement toutes les voix sont crédibles, mais elles sont parfaitement articulées en fonction de chaque style, y compris dans mes demandes les plus abracadabrantes. Et elles sont justes, ce qui n'est pas si courant dans la vraie vie ! Je décidais donc de me saisir de la question à bras le corps et d'utiliser ces nouvelles ressources lors de mes prochaines créations.
Il y a un an exactement j'avais évoqué les risques et dommages causés dans mon article L'IA ? le diable probablement !, mais j'étais loin du compte tant les choses bougent à une vitesse V. La qualité de mes premiers essais est bouleversante. Ils donnent le vertige, parce qu'il est difficile d'anticiper les effets psychologiques engendrés. Si l'on peut prévoir les pertes d'emploi et de nouveaux métiers, il est absolument impossible d'imaginer le futur. Les créateurs inventifs qui pervertiront l'objet n'ont rien à craindre, mais ils représentent une infime partie du monde artistique et culturel.
J'en étais là, me servant de l'IA pour résumer automatiquement un projet et provoquer les questions qui s'y rapportent, lorsque j'ai donné le texte de présentation de mon prochain disque à la machine, sans aucune musique pour l'accompagner. Après l'avoir traduit en anglais avec l'aide de DeepL et quelques rares corrections de Jonathan Buchsbaum qui vit à New York, j'ai cliqué sur le bouton Discussion. Trois minutes plus tard, j'écoutais deux journalistes virtuels encenser mon travail avec un à-propos sidérant. La nature hagiographique est certes bonne pour l'ego, mais leur échange a des allures personnelles, voire instructives lorsqu'ils imaginent des qualificatifs que je leur piquerai sans vergogne. Leur échange est vivant, punchy, astucieux, pertinent. L'IA apprend l'empathie, ou du moins nous le laisse croire. C'est absolument époustouflant, mais cela fait aussi terriblement peur.
Nous avions compris que plus personne ne croira une photo. L'arène politique est déjà touchée. La fiction l'emporte totalement sur le réel. Capable de traiter des millions d'informations à la seconde, la machine nous connaît mieux que nous-même. Nous nous savions le jouet des médias et des réseaux sociaux, l'expansion pourrait nous manipuler totalement, sans que nous puissions faire la différence entre vérités et mensonges, nos propres vérités, nos propres mensonges. Ne plus croire à soi-même ! Ce n'est plus qu'une question de puissance. La seule réponse consiste-t-elle à couper les ponts, à se marginaliser face au monde connecté ? Cela semble quasiment impossible à une époque où sans téléphone portable on ne pourra plus du tout se déplacer, faire ses courses, être soigné, etc. Les irréductibles seront condamnés comme les autres. Condamnés à quoi ? Franchement je n'en sais rien. C'est même toute la question. Nous allons dans le mur, il est plus proche que nous le pensons, mais nous ne savons pas dans quelle direction il se trouve. La seule solution que j'entrevois est de ne rien négliger, surtout ne pas fermer les yeux, apprendre comment cela fonctionne, analyser le système, fut-ce à notre vitesse d'escargot. N'oublions jamais que ce sont des êtres humains qui ont créé la Matrix, avec leurs qualités et leurs défauts, avec leurs visions du monde, leurs peurs et leur avidité.

Quelques exemples pour apprécier l'ampleur de la chose :
Un air d'opéra : https://soundcloud.com/jjbirge/linceul-du-passe
Une chanson jazz : https://soundcloud.com/jjbirge/la-moisson-sauvage
Avec trombone free : https://soundcloud.com/jjbirge/wild-berries-and-storms
Dialogue à propos du futur album Tchak d'Un Drame Musical Instantané et de Bernard Vitet : https://soundcloud.com/jjbirge/ai-dialogue-about-tchak-and-bernard-vitet
Dialogue à propos de Jean-Jacques Birgé : https://soundcloud.com/jjbirge/ai-dialogue-about-jean-jacques-birge

lundi 9 septembre 2024

La SDRM en question


Il y a trois mois le compositeur Denis Levaillant, par l'entremise de la Fédération de la Composition Musiques de Création (FCMC), réclamait qu'une production portée par un créateur à la fois producteur et éditeur de ses propres œuvres soit exemptée des droits de reproduction mécanique. Lorsqu'un producteur sort un disque il doit payer ce qui peut être assimilé à une taxe, œuvre par œuvre publiée. Cette somme est reversée aux ayant-droits l'année suivante, minorée d'un pourcentage conservé par la SDRM (Société pour l'administration du droit de reproduction mécanique des auteurs, compositeurs et éditeurs, société civile dont les associés sont la SACEM, la SACD, la SCAM, la SGDL et l'AEEDRM), sous réserve que l'œuvre ait fait l'objet d'un dépôt à l'une de ces sociétés. Matériellement, la SDRM est hébergée par la SACEM dans des locaux communs et utilise son personnel et ses moyens techniques. Denis Levaillant avance le pourcentage de 14%, peut-être revu à la baisse depuis mon souvenir qui se montait à 18%, pour des frais de fonctionnement consistant à délivrer l'autorisation, depuis de nombreuses années automatisée informatiquement, mais pas réévaluée à la baisse pour autant ! En France les presseurs de disques sont sommés de ne pas honorer de commandes sans que les droits en question aient été payés. Denis Levaillant souligne que le marché du disque ayant gravement plongé, ce sont souvent aujourd'hui les créateurs qui auto-produisent leurs œuvres et que cette somme équivaut pour eux à une taxe illégitime. Ce système avait néanmoins été intelligemment instauré pour protéger les auteurs contre les producteurs indélicats publiant des disques sans payer les auteurs. Si je me réfère à mon prochain disque, ces droits SDRM équivalent à 36% du prix du pressage, ce qui est énorme, disproportionné et parfaitement injuste en effet. Le délai pour que les ayant-droits, soit dans ce cas les payeurs eux-mêmes, perçoivent leur dû (moins le pourcentage cité plus haut) n'arrange pas les choses.
Or il y a un autre aspect, à mon avis beaucoup plus grave, que Denis Levaillant ne précise pas et pour lequel je me suis vainement battu pendant des décennies. Les majors paient la SDRM en fonction des disques vendus, donc après, tandis que les petits producteurs indépendants paient en avance sur l'intégralité des disques pressés. Cette décision statutaire vient de l'hypothèse que les petits sont moins honnêtes ou du moins moins fiables que les gros. Ce qui, par expérience, est un comble. Mais cela revient surtout à ce que nos invendus soient taxés ! Lorsque je m'en suis offusqué, la SACEM m'a répondu que je pouvais récupérer la SDRM sur les invendus à condition de les détruire devant huissier. Si j'en juge par mes stocks, en un demi-siècle d'activité, mon label a payé une somme colossale qu'un gros producteur a légalement évitée.
S'il est toujours nécessaire de protéger les ayant-droits contre les producteurs, les statuts actuels méritent sérieusement d'être reconsidérés devant l'iniquité qu'ils représentent aujourd'hui plus que jamais.

mercredi 10 juillet 2024

Errare humanum est


[Depuis cette] discussion passionnée, rapportée le 8 octobre 2012, avec Valéry Faidherbe sur le rôle capital de l'artefact dans la création artistique, il a, entre autres, réalisé le magnifique chapitre Les champs les plus beaux de mon film Perspectives du XXIIe siècle qui sera projeté le 31 octobre au Musée d'Ethnographie de Genève (MEG) suivi d'un concert avec Amandine Casadamont.

Nous avions assisté la semaine dernière à la projection d'Impressions de Jacques Perconte au Couvent des Bernardins. Le vidéaste compresse ses plans en abîme pour faire surgir des formes et des couleurs incroyables dont les mouvements acquièrent une puissance poétique époustouflante. Je me suis carrément envolé avec les oiseaux qui laissent une trace rémanente dans le ciel de Normandie ou j'ai cru rêver en symbiose avec la tendresse des deux vaches psychédéliques qui se confondent avec l'herbe qu'elles broutent. Jacques a aussi réalisé MEG 2152, un autre merveilleux chapitre de Perspectives du XXIIe siècle, avec des truites cette fois !

Continuant dans la métaphore animalière Valéry cite l'opéra Nabaz'mob que j'ai composé avec Antoine Schmitt pour cent lapins communicants. L'erreur dans le système produit des variations infinies de l'œuvre et lui donne son sens, réflexion sur l'ordre et le chaos, sur la velléité de vivre ensemble sans y parvenir. S'il s'agit de cent robots interprétant musique et ballet il n'en reste pas moins qu'ils sont programmés par des humains et que l'imperfection est le propre de l'homme. Errare humanum est.

Chez tous les grands artistes c'est l'erreur ou la maladresse qui fait le style. Le reste n'est qu'académisme (le caca des mîmes). En poussant les machines dans leurs derniers retranchements l'artiste s'approprie la technique en la dévoyant de son propos initial. Lorsque je programme des sons sur un synthétiseur les plus intéressants sont ceux que son fabricant n'a pas prévus. Nous nous jouons de ces erreurs pour créer, cette perversion nous permettant de retrouver plusieurs travers qui caractérisent à la fois les artistes, mais aussi les humains dans leur nature dénaturée (je pense au magnifique roman de Vercors, Les animaux dénaturés) : l'imperfection poussée jusqu'au sublime, la maîtrise et son impossibilité, la vanité, vanité de faire et, plus encore, de défaire.

Et Bernard Vitet de me rappeler la fin de la citation latine : sed perseverare diabolicum ! Et Bernard de casser sa pipe l'année suivante.

P.S.: il en est de même avec l'IA qui produit du banal à base de banal à moins de se saisir de l'outil et de pervertir les processus pour aboutir à des œuvres qui nous ressemblent.

lundi 8 juillet 2024

Entrée à volonté


On entre. On sort. Par la porte. Par la fenêtre. On entre. On sort. Par le col ou le bistouri. Les pieds devant. La tête la première. On entre. On sort. La tête haute. Les épaules rentrées. On entre. On sort. Comme un hareng ou en ermite. En rang d'oignons ou avec un drapeau. On entre. On sort. La glace explose en mille morceaux. Le vent s'engouffre. Les tapis volent. On entre. On sort. Question de volonté. Ou d'appétit. Mais question sans réponse. On entre. On sort. Sur la pointe des pieds. En fanfare. Comme si de rien n'était. Avec les honneurs. On entre. On sort. Au delà du seuil rien d'autre n'existe. C'est si court. Que l'on marche ou que l'on courre. Pas le temps de dire ouf. On entre. On sort. D'un pied sur l'autre. Une hésitation. Mine d'entrer. Semblant de sortir. Plus vite cette fois. Une vibration. On y entre. Encore plus vite. Encore. Encore. On ne s'en sort pas.

Article du 2 octobre 2012

mercredi 3 juillet 2024

À la découverte du patrimoine méconnu d'Île-de-France - Épisode 2


Après le premier épisode consacré à La Maison Fournaise, celui-ci évoque le canotage sportif en exposant une périssoire, deux skiffs, un canoë et deux paires d'aviron. Le sujet proposé par la DRAC rime évidemment avec les prochains Jeux Olympiques. J'avoue avoir eu un peu de mal à trouver le ton musical jusqu'à ce que me vienne l'idée du bois, du bois dont sont faits les avirons ! Comme dans le premier épisode, j'ai utilisé le piano pour des parties plus convenues, mais c'est le marimba qui m'a donné la solution. C'est un xylophone grave aux larges lames de padouk ou de palissandre avec des résonateurs en métal. L'aspect répétitif des séquences musicales évoque évidemment les rameurs et ma manière d'agencer les timbres a quelque chose d'aquatique. J'ai juste ajouté quelques coups d'avirons au début, un train à vapeur avec sa sirène et le bruit des pages. Je n'ai aucune idée du prochain épisode, mais chaque partition sonore est très excitante à réaliser.



Étonnant Patrimoine ! - #2 Les sports nautiques d'autrefois

lundi 1 juillet 2024

Quand sonne le glas


À tou/te/s les ami/e/s qui sont catastrophé/e/s par les résultats du premier tour des élections législatives, je réponds que la résistance sera à la taille de l'agression. Face au dézingage du public (santé, éducation, culture, information, etc.), si le RN devient majoritaire, nous nous organiserons. Pour celles et ceux qui voient la Bête se réveiller, je leur rappellerai que les résistants n'étaient pas nombreux à s'y affronter. Certes, les ravages risquent d'être considérables auprès de certaines populations ou secteurs professionnels, mais cela n'aura qu'un temps. La vie n'est pas faite que de bonnes nouvelles, mais elles succèdent toujours aux mauvaises. La réciproque est vraie aussi hélas. L'histoire est faite de fosses et de crêtes. Je suis plus inquiet par l'état de la planète que par la politique des nazes qui risquent d'arriver au pouvoir si nous n'arrivons pas à mobiliser le maximum de citoyens. Évidemment les choses sont plus complexes qu'exposées par ces quelques mots. Ici aujourd'hui les fachos sont plus dangereux que les stals ! Quel est l'intérêt des banques ? De quoi le Capital se contentera-t-il le mieux ? Quelle union est possible quand les élections ressemblent surtout au marché de l'emploi ? La problème n'est-il pas constitutionnel et sociétal ? Quelle démocratie cautionnons-nous ? Jusqu'où porte notre altruisme ? Quelles sont les limites de nos frontières, de nos frontières mentales car ce sont elles qui brident notre analyse ? La boule de cristal reste opaque. Tout est possible, le pire comme le meilleur, mais ne baissons jamais les bras face à l'imbécilité criminelle et suicidaire que génèrent le profit et la manipulation de masse.

Illustration de Jannis Kounellis

jeudi 20 juin 2024

OTOS de Félicie Bazelaire


[...] Félicie Bazelaire qualifie sa musique de minimaliste (c'est aussi le terme dont j'ai affublé celle de Paul Jarret). Tendance actuelle. J'entends une sorte de drone pulsionnel. C'est très beau, quasi méditatif. Le sang circule dans les ventricules. Ça bat comme une reine, des abeilles en harmoniques. Elle décrit très bien son album : "Félicie Bazelaire a tiré de son monde sonore intérieur un paysage doux-amer. Atteinte d’otospongiose, maladie des os de l’oreille, Félicie Bazelaire capte en elle des sonorités intra-corporelles : les battements de son cœur, sa fréquence artérielle, des acouphènes pulsatiles et des bourdonnements. Félicie Bazelaire a apprivoisé cette maladie bénigne mais gênante en considérant ces sonorités comme des sons musicaux. Après les avoir écoutés, retranscrits puis adaptés à la contrebasse, elle les a organisés en une musique polyphonique contemplative où rythmiques organiques et harmonies perçantes cohabitent." Ce Voyage fantastique dans le corps humain est digne de Richard Fleischer. Mais si je me fis aux capitales du titre, le programme OTOS (Observation de la Terre Optique Super-résolue) prépare les satellites spatiaux de future génération pour l’observation de la Terre et la Défense. In Out. Proche et loin. Une maladie bénigne ? Question de repères. Nous vibrons fondamentalement en sympathie sur les deux faces du vinyle. J'écoute fort. Les murs de la maison tremblent comme au départ d'une fusée, un cocon nous enveloppe jusqu'à ce que l'aiguille arrive au bout du sillon. Nous sommes vivants.

→ Félicie Bazelaire, OTOS, LP nunc 20€ (10€ en numérique)

vendredi 7 juin 2024

With a little help from my friends


Suite à mon article de mercredi intitulé Maraboutage des questions ont été posées en ce qui me concerne directement. La réponse se trouve in extenso sur la page Crédits du site drame.org. J'espère n'avoir oublié personne. Quelques uns, rares heureusement, ont hélas viré de bord, se comportant comme des gougnafiers : s'ils sont encore vivants ils le savent et se reconnaîtront. Mais je suis gré à tous et toutes de la solidarité et de la bienveillance qui furent les leurs à notre égard. Ils sont près de six cents !
Comme ma mémoire fait défaut, j'ai constitué cette liste au fur et à mesure depuis 1995, création de la première version du site, et 2010 lorsque Jacques Perconte m'aida à sa refonte. Hélas parfois le nom de certains ou certaines ne me dit plus rien et je dois faire des recherches compliquées pour raviver ma mémoire. L'important c'est qu'il ou elle soit là, y compris celles et ceux qui nous ont quittés et qui nous manquent souvent cruellement. Musiciens, cinéastes, plasticiens, comédiens, chorégraphes, écrivains, ingénieurs du son, techniciens, journalistes, illustrateurs, maquettistes, producteurs, organisateurs de spectacles, développeurs, scénographes, gens de radio ou de télévision, commissaires d'exposition, disquaires, photographes, assistants, je ne serais pas là sans elles et sans eux.