70 Humeurs & opinions - octobre 2007 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 26 octobre 2007

Bien timbré


Piégé sur une des ces portions d'autoroute ne présentant aucun danger si ce n'est celui d'être propice à l'installation d'un radar, je colle un timbre approprié à ma contravention pour avoir roulé à 105 au lieu de 90 km/h. Cela ne me redonnera pas un point au permis, mais on se soulage comme on peut.
Je trouve plus sympa ou rigolo d'affranchir toutes mes lettres et cartes postales avec des timbres de collection qui collent au contenu de mes missives. Ainsi, dans le tiroir de mon bureau, j'ai le choix pour mes enveloppes ne dépassant pas vingt grammes : Spirou ou Fantasio pour les gens pressés, Le Professeur Tournesol pour les savants qui travaillent du chapeau, Cubitus pour les stressés à déstresser, Le Chat de Geluck pour toutes sortes de raisons bien précises (il y a le choix, c'est une bande de dix timbres différents), un grand merci ou un cœur... L'année du cochon aurait pu aussi bien convenir pour accompagner mon chèque au Trésor Public, mais j'aurais risqué la censure qui a déjà touché Placid. Il reste encore les poulets, mais la Poste n'a édité aucun timbre à leur effigie, du moins ces derniers temps. Pour les plis plus chers, je possède une collection d'animaux et de plantes, le Parc de la Tête d'or, un Nicolas de Staël, une halle Baltard et je fais l'appoint avec des jeux vidéo et les éternels Marianne. Il me reste encore une bande à dix francs reproduisant la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, mais je n'arrive pas à m'en dessaisir. Il est important de savoir que l'on peut affranchir ses envois avec tous les timbres présents, passés et à venir, exceptés ceux imprimés par le gouvernement de Vichy, encore une bien maigre consolation.

vendredi 19 octobre 2007

Les requins du 20 heures


La peur est mauvaise conseillère. Mathilde me signale ce petit mode d'emploi pour formater l'audience du 20 heures sur TF1 en composant un plagiat des ''Dents de la mer'' ! C'est avec ce genre de détails que l'on forge l'opinion. Du "cerveau humain disponible" ne se fabrique pas du jour ou lendemain. Le stress infantilise le spectateur en dramatisant l'information, mais de façon la plus anecdotique possible. Heureusement, la pub qui enchaîne derrière constitue une bouffée d'air dont il aura besoin pour se détendre. C'est simple, habile, efficace. La tension fragilise le téléspectateur (le 20 heures), la détente favorise sa disponibilité à ce qui suit (la pub), l'ensemble anesthésie toute faculté critique. L'abonné en redemande, il finira même par aller voter pour ses bourreaux. C'est un vieux programme que l'on servait déjà avant l'invention de l'électricité. La peur est complice de toutes les manipulations.

mardi 16 octobre 2007

Gens de sac et de corde


Il faut parfois du temps pour que les informations nous parviennent. Hier s'amoncellaient dans ma boîte un paquet de mails concernant la visite de policiers à la Librairie Le Thé Troc, rue Jean-Pierre Timbaud dans le 11ème arrondissement de Paris, accusée d'avoir exposé un dessin les représentant arrêtant un type qui a peint sa maison en couleur alors que les autres de la rue sont grises. La chose est inquiétante après l'interdiction du livre de Placid, après la confiscation à la Librairie du Monte-en-l'air d'une affichette de soutien à Lamine Dieng mort dans un fourgon de police, après le scandaleux procès à La Rumeur et autres bavures culturelles qui rappellent les premiers indices d'une époque sinistre que certains croyaient, à tort, définitivement révolue. La moindre critique satirique portant atteinte à l'image de la police transforme ses auteurs en gibier de potence.
Au-delà de la sinistre farce jouée par les pandores, on peut s'interroger sur le fait que l'information en question fut publiée le 6 juillet dernier sur le site d'indymedia et qu'elle est présentée comme si cela s'était produit aujourd'hui. Si les résistants qui relaient ce genre d'annonce ne vérifient pas leurs sources, ils risquent de décrédibiliser l'outil que représente Internet pour lutter contre toute censure. Ce n'est pas la première fois que cela se produit, on se souvient des fausses déclarations de Le Pen qui aurait cité Hitler, par exemple. La presse professionnelle (qui oublie vite les panneaux dans lesquels elle tombe régulièrement) et le pouvoir (qui les a souvent commandités) sont trop heureux de montrer que ce n'est que rumeur pour étouffer la concurrence ou l'opposition sur un terrain qu'ils ne maîtrisent pas. Alors, vérifiez scrupuleusement les informations, faites des recoupements, avant de sonner l'alarme. Rappelez-vous ce que l'on nous répétait enfants : la prochaine fois, on ne te croira pas. C'est plus grave que cela n'en a l'air. Les affaires sont sérieuses. Et moi qui espérais repeindre ma maison en orange sanguine, j'entends déjà se dresser les gibets.

lundi 15 octobre 2007

Vue d'une chambre de bonne


Il n'y a plus de bonnes, rien que des familles d'immigrés, avec ou sans papiers. Ils vivent souvent nombreux dans une petite pièce. On ne sait pas qui est le frère, qui est le père, qui est la tante ou la voisine. Les liens du sang sont élastiques, on peut être cousins à la mode de Bretagne. On dit "mon frère" en parlant à un ami, "ma sœur" à une fille que l'on drague. Mon père me dit un jour que la famille n'est rien, qu'il faut choisir ses proches en fonction de leurs idées et de leurs actes. Dans Mischka, Jean-François Stévenin raconte qu'il y a la famille que l'on a et celle que l'on se choisit. L'une subit le passé, l'autre prépare l'avenir. Sans amour, c'est un concept vide. Le reste concerne les gènes, mais là nous sommes hors du coup, réduits à jouer notre rôle de véhicule, un point c'est tout. Les tests ADN peuvent répondre à une question intime, mais aucune loi ne peut les justifier. Le secret est une bombe à retardement avec laquelle chacun peut jouer au risque d'y perdre son âme. Si l'État s'en mêle en ajoutant des quotas, c'est l'horreur la plus abjecte qui se dévoile. Combien de nègres tiennent dans un wagon à bestiaux ? Combien de Boings pour faire le vide ? Combien d'envols assassins pour que les voisins se réveillent ? Combien de temps avant que cela soit mon tour ?
Du haut de la chambre de bonne, on peut admirer le Sacré-Cœur, monument élevé pour célébrer la chute de la Commune. Thiers aurait aimé Sarkozy. Au premier plan, un autre siège, celui d'une banque. On continue le pano vers le bas. Hors-champ, Barbès. L'arc-en-ciel des peuples laisse espérer des lendemains colorés qui nous feront peut-être oublier notre époque grise, couleur de l'argent. Comble du goût poulbot, le soleil laisse traîner quelques rayons d'or sur la basilique de merde qui continue de jouer les immaculées. "Ah ça non... Tout de même !" s'exclame Brialy dans Le fantôme de la liberté. Si j'avais tourné la tête à gauche, j'aurais vu la Tour Eiffel et mon billet aurait été tout autre.

mercredi 10 octobre 2007

Le droit de rêve


Hier, dans les pages Rebonds du quotidien Libération, Franz Vasseur, avocat au Barreau de Paris, spécialiste en droit de la propriété intellectuelle et en droit des affaires, titrait Vive la grève par gratuité !. Il révèle une solution astucieuse, suggérée et espérée depuis des lustres, pour faire pression sur le patronat sans ennuyer les usagers, à savoir la gratuité des services les jours de grève. Ou comment redonner aux mouvements sociaux leur popularité perdue sous les coups de butoir du Capital qui a réussi à faire oublier ce qu'était la solidarité interprofessionnelle ? Jusqu'ici, il m'avait été répondu que la grève par gratuité était interdite pour des raisons de sécurité et d'assurances. L'arrêté de la Cour Européenne du 17 juillet dernier est le camouflet le plus cinglant au service minimum de Sarkozy qu'il enterre ipso facto. Service complet donc, sans avoir besoin de débourser un sou pour les usagers des transports en commun. Les détenteurs de la carte orange n'y verront que du feu, mais les autres apprécieront la forme de cette nouvelle grève. Quant à la SNCF, c'est le droit de rêve qui retrouve sa place : tous à la mer et à la campagne, à moins qu'on aille simplement manifester sa solidarité avec les guichetiers et les contrôleurs ! "Les conditions édictées par la Cour pour la grève par gratuité semblent être les suivantes : 1) une action collective relevant de l’exercice des droits syndicaux, 2) décidée et organisée par un syndicat et 3) avec l’information préalable des autorités (et, en France, préavis à l’employeur)." Ces jours-là, plus de "chtonk le billet", si ce n'est ceux du patronat...