Comment jeter l'opprobre sur les camarades dont les comportements dérivent gravement lorsque le pouvoir montre le pire exemple ? Lâcheté, égoïsme, cynisme sont assumés sans honte par le patronat et les gouvernements. Doués d'un orgueil démesuré, d'un désir d'enrichissement personnel, d'un mépris profond pour les "inutiles" ou d'une amnésie caractéristique, nombreux individus montrent sans fard des comportements absurdes, stupides et ingrats, criminels ou suicidaires. Ça passe ou ça casse ! Là ça passe, ici ça casse.
L'affaire n'est pas nouvelle, mais en période de crise elle s'étend dangereusement et devient remarquable. Lorsque j'avais vingt ans, vivant en communauté, une quinzaine de personnes passaient quotidiennement à la maison nous rendre visite ; comme je soupçonnais la raison d'un tel engouement, du jour au lendemain j'annonçai ne plus rien avoir à fumer ; du coup je conservai peu d'amis, mais ils le sont encore. Chaque fois que nous changeons de milieu ou de position sociale, la question ne manque pas de se rappeler à notre bon souvenir. Tel camarade journaliste licencié perd tant de faux amis qu'il ne lui en reste plus que deux ou trois, fidèles au delà de sa fonction et de son utilité. Tel responsable de label discographique, également licencié, ne reçoit qu'un seul témoignage de solidarité sur la masse des gens rencontrés au cours de projets des plus admirables où sa correction fut légendaire. Tel jeune retraité voit son environnement soudainement transformé en désert. J'en ai moi-même fait l'expérience douloureuse lors d'une récente démission du milieu associatif ; rares sont les camarades à continuer de me donner des nouvelles ou à m'en demander (voire simplement répondre à mes courriels), réciprocité des plus rares dans les sphères artistiques où chacun a l'habitude de parler de soi sans s'intéresser aucunement aux activités de ses interlocuteurs. Rien de vraiment anormal, pensez-vous, c'est ainsi que l'on apprend à identifier ses amis.
Il y a pire et c'est là que je voudrais en venir. Le succès, fût-il dérisoire au regard de la réalité, pousse certains énergumènes à se comporter comme si les amis d'hier n'avaient jamais existé. Le comble est le refus d'entendre toute critique en pratiquant la politique de l'autruche. La méthode est simple, il suffit de ne plus répondre à aucune sollicitation et d'éviter la rencontre, pour ne pas se retrouver acculé à rendre des comptes sur des agissements plus que douteux. La lâcheté vient au secours de l'oubli, le révisionnisme pouvant ainsi s'exercer librement. Si de tels comportements nous attristent, ils ont le mérite de faire le tri entre vrais et faux amis. La fête peut reprendre, les cris de joie partagée perdurer au-delà des épreuves. Mais il est dommage qu'en période de disette et de crise grave, la solidarité ne soit pas le maître d'œuvre. La vie n'est pas juste et nul n'est à l'abri d'un revers de fortune. En ces temps incertains, la solidarité est une qualité infaillible qui permettra à chacun de s'en sortir quand tout semble s'effondrer.
J'ai déjà évoqué la dette qui empêche les bénéficiaires de s'en acquitter lorsque la note est trop lourde. Ne donnez jamais sans laisser vos amis vous rendre la pareille, du moins qu'ils puissent faire un geste à leur tour envers vous. Ils vous en voudraient d'avoir été trop généreux. Laissez les renégats et les traîtres s'enferrer si bon leur semble, ils seront un jour ou l'autre confrontés au désert qu'ils auront créé et celui-ci sera sans limites. Regardez autour de vous, rappelez-vous, il est des millions de bienveillants qui ne demandent qu'à partager au lieu d'adopter, de manière stupide et immature, l'égoïsme et la lâcheté de ceux qui nous gouvernent et nous exploitent.
Anticipant les questions de mes camarades, je répondrai que oui, bien évidemment, ce billet m'a été soufflé par des expériences récentes malheureuses, mais que si l'une d'elles m'a particulièrement choqué de la part d'un musicien que j'ai souvent accueilli, recommandé et défendu, il s'agit essentiellement de plusieurs histoires qui m'ont été rapportées récemment par des amis qui, passé la déconvenue, ont su retrouver le sourire en partageant leur désir de se comporter surtout autrement.
En ces temps de débâcle et de "struggle for life" resserrons les rangs et dansons la Carmagnole ! Les tambours du gwo ka donnent l'exemple.