70 Humeurs & opinions - juillet 2009 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 29 juillet 2009

Les souris font la loi chez les ostréiculteurs


On finirait par culpabiliser d'être partis une semaine. Déjouons donc les piques de certains de mes camarades à mon évocation de vacances alors que tant de compatriotes sont dans l'incapacité financière d'en prendre. Agiter la crise à tout bout de champ est dangereux tant le capital s'en sert pour licencier à tour de bras et les instances gouvernementales pour réduire ou supprimer les aides indispensables à maints secteurs d'activité, santé, éducation, culture, etc. Même si elles empirent, la misère, les inégalités ne sont hélas pas phénomènes nouveaux. Pour autant, mes bienveillants contradicteurs doivent assumer leurs choix, prises de risques, comportements inconséquents, accidents qu'il serait douteux de comparer à la catastrophe touchant les SDF ou les toujours trop nombreuses familles vivant sous le seuil de pauvreté. Rappelons que, plus loin, sous d'autres tropiques, cette pauvreté pourrait être chose enviable, considérée comme une richesse. La famine qui sévit sur la planète justifie-t-elle que l'on n'ose plus parler cuisine, salaire ou chômage ?


Passé cet avertissement, me voici libre d'attaquer mes huîtres à 5 euros la douzaine, rien de scandaleux, j'espère, si ce n'est l'interdiction préfectorale faite aux ostréiculteurs du Bassin d'Arcachon d'en faire commerce tant que la mort rôde autour des coquillages. Le test fatal consiste à injecter mollusque sur mollusque à une souris jusqu'à ce qu'elle en crève. Si j'imagine qu'une vingtaine d'huîtres puisse avoir parfois raison du petit rongeur, combien de douzaines devrais-je en ingurgiter pour aboutir au même résultat ? Il est des allergiques au sein de toutes les familles de mammifères, me semble-t-il. Les ostréiculteurs en colère bravent l'interdiction, demandent de remplacer les souris par des rats et continuent de ravir nos papilles, qu'on savoure les huîtres nature, avec un filet de citron, au vinaigre-échalote, avec ou sans pain beurré. Certains recommandent néanmoins d'accompagner prudemment la dégustation d'un verre de vin blanc.
Au moment de publier ce billet, nous avons déjà regagné nos pénates. Les vacances furent courtes, mais délicieuses. Nous goûtâmes pour la première fois filets de vive et de baliste en regardant s'ébattre pinsons, rouge-gorge, geais et mésanges... Je ne fus hélas jamais assez prompt à saisir mon appareil pour photographier les écureuils fous qui dévorent méticuleusement les pommes de pin sans nous laisser un seul pignon à nous mettre sous la dent.

dimanche 19 juillet 2009

La sexualité au fil des générations



La conversation dévie rapidement vers le machisme et l'homophobie dans les milieux musiciens et dans la société actuelle. À table, je fais face à Caroline et Sophie. Les deux filles se trouvent peu représentatives des nouvelles générations où l'on se marie à 18 ans et où la bisexualité n'est pas très courante. Curieuses de savoir comment la mienne vivait la chose, elle me posent une foule de questions auxquelles j'essaie de répondre sans ne jamais porter aucun jugement.
Les relations sexuelles semblaient plus faciles, même si cela ne changeait pas grand chose aux rapports amoureux. Nous faisions parfois l'amour comme on dit bonjour, sans que cela implique quoi que ce soit d'autre qu'un moment agréable. La syphilis incarnait le passé, le Sida allait marquer notre avenir. Entre les deux, la pilule, le stérilet ou le diaphragme avaient donné aux femmes une liberté dont les hommes partageaient la jouissance. Ce présent n'excluait pas d'attraper des saloperies, mais elles n'étaient pas mortelles. J'en ai tant collectionnées que j'aurais pu écrire tout un poème avec des rimes en "oque". Nous nous racontions nos fredaines, incartades hors du couple, ce qui nous rendait évidemment très malheureux. La liberté sexuelle ne nous empêcha certainement pas de souffrir, mais elle donnait un parfum de légèreté à nos échanges. On n'en faisait simplement pas une histoire.
Ne pas confondre avec l'insatisfaction chronique qui peut pousser un individu à multiplier les rencontres. Même si nous étions très expérimentaux, nous cherchions l'âme sœur. Bernard Vitet m'avait raconté qu'une des Clodettes qui venait de passer la nuit avec Jimi Hendrix était réapparue le matin en clamant "I've been experienced !" Comme tous les jeunes gens depuis que l'on ne se marie plus par intérêt, nous étions tout de même à la recherche de l'amour. Nous pensions déjà posséder la jouissance, ignorant ce que la maturité nous apporterait plus tard. Au début du film de Denys Arcand, Le déclin de l'empire américain, un des personnages, professeur d'histoire, associe l'exigence amoureuse aux sociétés décadentes où les individus privilégient leurs propres intérêts à ceux du groupe et de son équilibre. Dans Žižek!, film passionnant d'Astra Taylor sur Slavoj Žižek, le philosophe slovène avance l'amour comme réponse à l'erreur du monde. Si la création est un accident dans l'histoire du cosmos, il choisit d'assumer le déséquilibre en invoquant l'amour, sans tomber dans l'écueil de l'amour universel qui le dégoûte, mais en l'associant à la notion du mal : "Love is Evil". L'amour, le manque à soi, il y aurait tant à développer...
Idem pour la bisexualité. C'était une découverte. Nombre de copains avaient été convertis par Bernard Mollerat qui revendiquait haut et fort son homosexualité sans tous ses atours caricaturaux. La plupart d'entre eux finirent par faire des choix, revenant à une hétérosexualité plus facile à vivre socialement ou affirmant leur refus d'une prétendue normalité. Peu continuèrent à être "bi". Les couples de filles étaient souvent plus stables que les garçons entre eux, le modèle dominant restant évidemment représenté par les hétéros. J'esquisse ici vaguement une réponse, mais il faudrait se pencher plus sérieusement sur le sujet pour ne pas dire trop de bêtises... Nous avions beaucoup d'imagination, et celles et ceux qui surent en préserver quelques traces lui substituèrent la fantaisie. Car, dans ce domaine comme dans tout ce qui nous anime et nous garde vivants, rien n'est jamais gagné, le cœur devant se reconquérir chaque jour comme si c'était le premier.

jeudi 16 juillet 2009

Il est d'autres brasiers


Les détonations ayant attiré notre oreille, nous avons mis le film en pause. Le feu d'artifice nous changeait du ballet des hélicoptères qui semblaient faire des allées et venues au-dessus de Montreuil. Là-bas ça chauffait. Queue de manif. La police tire dans le dos, flashballs à hauteur du visage. Ne pas se retourner. Joachim Gatti, fils de Stéphane Gatti et petit-fils d'Armand Gatti, y laissera son œil de cameraman. Déploiement de forces pour faire évacuer le squat de La Clinique. Un journaliste du Monde se fait embarquer. Sarkozy a lâché ses chiens. Le pouvoir montre son vrai visage en défigurant un jeune réalisateur. Rappel des faits. Pétition.
Tombée de la nuit. Le feu d'artifice de Bagnolet est très chouette. Ce n'est pas la Tour Eiffel, mais au moins il n'y a pas de musique grandiloquente pourrie pour abîmer le spectacle. Le son des fourmis lumineuses est épatant et les échos rebondissant partout à la fois constituent une pièce pour percussion remarquable. Nous apprécions moins le ballet des moustiques qui nous dévorent tandis que nous sommes assis sur les tuiles du toit. Encerclés par les flammes qui crachent aux lointains, nous grelotons sous la brise. Quand le ciel changera-t-il enfin de couleur pour passer du tricolore au rouge et noir de la révolte ? Une question d'heures ? J'entends des enfants qui rugissent quand on les gronde...

lundi 13 juillet 2009

Perspective du vide


En éclairant la scène d'une lumière insoupçonnée, l'envers du décor découvre des angles magiques qui retournent nos convictions. Le contrechamp interroge la réalité comme si elle n'était qu'un théâtre où se joue une pièce dont nous ignorons si nous en sommes les auteurs ou les acteurs. Les fils qui pendent des cintres sont autant de leurres auxquels nous sommes prêts à mordre au moindre signal. Pas un bruit, pas un mouvement. Par un petit trou dans le rideau rouge, on aperçoit les spectateurs, mais le moindre courant d'air pourrait révéler notre présence. Sur les coursives, les cellules abritent des travailleurs de l'ombre. Sous les corbeilles, pour peu que l'on s'y penche, on devine le silence des galeries. Les lustres sont ceux du soleil, ils réfléchissent un océan de gaz vital, une perspective d'avenir qui plonge dans la nuit des temps. Leur nombre érige la surprise en système. Il donne le vertige pour nous éloigner des bords. La photographie tendrait à prouver qu'il ne s'agit pas d'un rêve, mais d'une élucubration.

lundi 6 juillet 2009

Vrais mensonges et faux nez


Henri adore envoyer des messages amusants glanés sur la Toile à sa liste d'amis. Ces petits films, diaporamas ou textes incisifs font le tour du monde en ponctuant nos journées d'un clin d'œil souriant, aussi efficace et certainement plus sain que la pause clope dans l'escalier ou sur le trottoir. Mélangés dans la boîte aux lettres, les coups de gueule sont aussi salutaires et les sonnettes d'alarme nous rappellent à la réalité.
Ainsi Alain Garrigou, professeur de science politique à l’université de Paris X Nanterre, a pu pénétrer sans peine dans les archives universitaires. Son enquête portant sur les diplômes de notre Président nous éclairerait sur sa hargne et son mépris envers le milieu de l'enseignement. La supercherie ayant déjà été dénoncée quant aux diplômes de son ex garde des Sots, on peut se demander si ce genre de mensonge est pratique courante chez les intrigants.
" Avant l’élection présidentielle de 2007, les sites officiels (ministère de l’Intérieur, Conseil Général des Hauts de Seine), partisan (UMP) ou professionnel (Cabinet d’avocats Arnaud Claude – Nicolas Sarkozy) indiquaient que Nicolas Sarkozy avait une maîtrise de droit privé, un certificat d’aptitude à la profession d’avocat, un DEA de sciences politiques et fait des études à l’Institut d’Etudes politiques de Paris. Quelques uns étaient plus précis comme le Ministère de l’Intérieur et de l’Aménagement du Territoire indiquant un « DEA de sciences politiques avec mention (mémoire sur le référendum du 27 avril 1969 » ainsi que celui du Conseil Général des Hauts de Seine qui assurait que « Nicolas Sarkozy décroche un DEA de sciences politiques avec mention, lors de la soutenance d’un mémoire sur le référendum du 27 avril 1969 ».
La mention des Etudes à l’IEP de Paris est problématique puisque Nicolas Sarkozy n’y a pas poursuivi ses études jusqu’au bout comme il est aisé de le vérifier dans l’annuaire des anciens élèves. Or, selon les usages, le titre d’ancien élève ne vaut que pour les diplômés. Il fut donc abandonné. Toutefois, le site de l’Elysée porte toujours cette indication lapidaire : Institut d’Etudes Politiques de Paris (1979-1981). Quant à l’expression « avec mention » accolée à un diplôme, elle indique cette propension à « gonfler » son CV caractéristique des candidatures aux emplois d’aujourd’hui. Si les universitaires savent que tous les diplômés ont au moins la mention « passable », tous les Français ne le savent peut-être pas. L’ensemble des CV est flou à d’autres égards puisqu’on ignore où les diplômes ont été obtenus. Seul le site professionnel du cabinet d’avocats des Hauts de Seine indiquait que Nicolas Sarkozy « est diplômé de droit privé et d’un DEA de sciences politiques de l’Université de Paris X Nanterre ».
C’est en effet là que Nicolas Sarkozy a fait ses études. Faute d’annuaire d’anciens élèves, il était plus difficile de vérifier ce curriculum vitae. Le certificat d’aptitude à la profession d’avocat a bien été obtenu en 1980 avec la note de 10/20 (cf. doc. 1 en annexe). Il y a par contre un problème pour le DEA. Sauf la même défaillance de mémoire des professeurs exerçant en 1979 dans le DEA de sciences politiques de Paris X Nanterre, Nicolas Sarkozy n’a pas obtenu son diplôme. Une petite enquête se heurte à la page noire du réseau intranet de l’université. L’auteur de ces lignes a alors adressé une demande écrite à la présidence de l’université qui a confirmé que le service de scolarité disposait bien d’un document certifiant l’obtention du DEA. Il restait à vérifier avec la pièce qui fait foi en la matière, à savoir le procès verbal de délibération, document autographe au format A3, difficile à contrefaire. Le candidat apparaît bien dans le procès verbal de la première session : il est « ajourné » car absent de l’épreuve écrite terminale et n’ayant pas rendu son mémoire (cf. doc. 2). Il restait à consulter le procès verbal de la deuxième session. Or, le procès verbal a disparu des archives de l’université. Il est même le seul procès verbal manquant de toute l’existence du DEA."


Repassons du coq à l'âne et de l'âne à d'autres oiseaux. Comme on ne remarque pas toujours l'airbag qui écrabouille les lunettes du bellâtre sur son nez, les sous-titres qui détournent La chute, séquence que Mark me recommande à son tour, méritent qu'on rejoue la séquence une seconde fois. Désolé pour les lecteurs qui comprennent l'allemand du sud, ceux qui n'auront pas le temps de déchiffrer les sous-titres anglais et enfin ceux qui ignorent encore tout de Michael Jackson ! J'avais bien besoin de ces bêtises pour oublier ma peine et mes courbatures. Je sens que ça va déjà mieux.

jeudi 2 juillet 2009

La grosse tête


Il y a peu je fustigeais les mauvaises manières des jeunes musiciens de jazz. C'était injuste à plus d'un titre. Ni les jeunes, ni les musiciens, ni les jazzmen n'en ont l'exclusivité. De plus, les conditions de tension et d'épuisement avaient fragilisé les membres de l'ONJ dont les consignes manquaient probablement de jugeote et de tact.
Lorsque l'on est artiste, "avoir la grosse tête" est somme toute assez courant, voire logique. Le plus important est de savoir séparer le privé du public, l'humain du monstre, fut-il sacré. Devenir professionnel, sortir du lot, exigent pour certains une résistance à l'adversité, une écoute sélective des critiques, entendre une surdité choisie qui permette de poursuivre sa course d'obstacles, incompatible avec une politesse civique et un échange équilibré. L'alternative à la grosse tête serait la dénégation, la dépression, allant souvent de paire avec une descente aux enfers que l'alcool ou la drogue n'arrangent guère, encore que cela revienne au même.
Dans une soirée, il est courant de s'intéresser aux autres sans que personne ne vous demande ce que vous-même devenez. Tandis que je retournais la phrase "et toi, comment vas-tu ?", le musicien pourtant bien en vue à qui je m'adressais me répondit : "Merci, voilà trois semaines que personne ne m'avait posé cette question !" Ce n'est pas que mon ego soit différent des autres, loin de là, mais j'essaie de faire attention à mes interlocuteurs, je me force à ne pas entretenir un rapport unilatéral. Ce n'est pas toujours facile tant la passion et l'enthousiasme nous animent. Il n'est pourtant de relation équilibrée que dans l'échange et le partage. De plus, ce petit exercice, qui peut paraître d'abord de simple politesse, est profitable à quiconque sur scène espère passer la rampe. Dans tous les cas, l'écoute des autres est instructive, même si l'on pense déjà connaître la réponse ou que l'on s'en fiche royalement. Cette politesse recèle plus d'une surprise, tant cette pratique est peu courante. La plupart des individus ont la fâcheuse tendance à développer des discours à sens unique sans s'intéresser à qui ils ont affaire. Le retour alimente pourtant notre perception du monde et nous nourrit.
Dès lors qu'il s'agit d'artistes qui font profession de se montrer devant des spectateurs, l'échange inégal se fait particulièrement sentir. La fascination qu'ils exercent sur leur public camoufle souvent ce rapport boiteux. Il n'est reste pas moins honteux et stupide, voire stérile et manqué. S'enquérir de son voisin avec la plus grande attention est une démarche salutaire qui, si elle ne fait pas dégonfler la tête, a le mérite de transformer les monstres en gentilles bêtes.