mardi 16 février 2010
L'institution du mariage
Par Jean-Jacques Birgé,
mardi 16 février 2010 à 04:51 :: Humeurs & opinions
Lorsque nous fûmes en âge d'y être confrontés, ma génération trouva le mariage complètement has been. Comme si nous avions besoin de l'assentiment social pour valider notre amour ! Nul besoin de rendre officielle une histoire qui ne concernait que deux amants. Les choses se sont corsées dès lors que nous avons procréé ou acquis des biens, que ce soit le fruit d'un labeur ou par héritage. On est toujours rattrapés par la famille et la cohorte de névroses qu'elle traîne à sa suite.
Je me suis marié alors que ma fille avait déjà trois ans, à une époque où la loi était différente d'aujourd'hui, essentiellement pour obtenir l'autorité parentale s'il arrivait quelque chose à sa mère. L'affaire fut expédiée en cinq minutes ; devant courir chercher Elsa à la crèche, nous n'avons même pas eu le temps d'offrir un coup à boire à nos deux témoins. Le divorce est toujours à l'image du mariage. Treize ans plus tard, le nôtre fut simple, prononcé en consentement mutuel avec une avocate commune. La charge symbolique que l'on place dans le mariage explose forcément dans les mêmes proportions si une séparation doit avoir lieu.
Avec des enfants parvenus à l'âge adulte, les enjeux ne sont plus les mêmes. Le mariage répond alors en général au souci de protéger le survivant en cas de décès de l'un des conjoints. Là encore il s'agit plus d'un contrat pratique que d'une histoire d'amour. L'amour n'a rien à voir avec les petits arrangements et les grandes cérémonies, surtout lorsque l'on a su apprendre à vivre ensemble depuis bon nombre d'années. Quand à le fêter c'est d'un morbide achevé. Il y a des raisons plus joyeuses d'inviter celles et ceux que l'on aime qu'à l'occasion d'un contrat envisageant la mort d'un des deux hôtes.
Reste que l'institution du mariage abrite, quoi qu'il arrive, de lourds réflexes symboliques qui interrogent la famille et la place qu'on lui donne souvent inconsciemment. Comme le service militaire obligatoire permettait à certains garçons d'échapper à leur milieu social, le mariage permet de s'affranchir partiellement de "la loi du sang" en exerçant une coupure avec son passé dans une perspective de construction de l'avenir. Si l'on subit inéluctablement ses antécédents génétiques, allant même pour beaucoup jusqu'à les reproduire, se marier peut représenter un choix personnel pour décider de ce que nous voulons garder ou laisser de notre héritage familial, entendre là ce qui tient de la névrose ô combien reproductible autant que des valeurs intellectuelles prodiguées. Pour s'en affranchir, le mariage n'est nullement indispensable, mais il a le mérite, sans évoquer les avantages fiscaux, de mettre les choses au point en affirmant ses propres choix face au pouvoir des siens et d'entériner le métissage en faisant entrer l'un et l'autre conjoints dans un système complexe et forcément réactionnaire, la famille, agrandissant même le cercle puisque la symétrie implique le doublé. Avec cette nouvelle cellule on perpétue la coutume en la régénérant, mais on assume aussi son passé en privilégiant l'avenir. Car la véritable famille n'est pas celle qui nous fit, que nous subissons sans n'avoir rien demandé, mais celle que nous nous choisissons, sans nécessairement recourir aux exclusions pour autant. Le qui-vive s'impose pourtant, car il restera à quotidiennement inventer sa vie, et ce en la partageant autant que possible avec toutes celles et ceux que nous aimons.