70 Humeurs & opinions - juin 2024 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 20 juin 2024

OTOS de Félicie Bazelaire


[...] Félicie Bazelaire qualifie sa musique de minimaliste (c'est aussi le terme dont j'ai affublé celle de Paul Jarret). Tendance actuelle. J'entends une sorte de drone pulsionnel. C'est très beau, quasi méditatif. Le sang circule dans les ventricules. Ça bat comme une reine, des abeilles en harmoniques. Elle décrit très bien son album : "Félicie Bazelaire a tiré de son monde sonore intérieur un paysage doux-amer. Atteinte d’otospongiose, maladie des os de l’oreille, Félicie Bazelaire capte en elle des sonorités intra-corporelles : les battements de son cœur, sa fréquence artérielle, des acouphènes pulsatiles et des bourdonnements. Félicie Bazelaire a apprivoisé cette maladie bénigne mais gênante en considérant ces sonorités comme des sons musicaux. Après les avoir écoutés, retranscrits puis adaptés à la contrebasse, elle les a organisés en une musique polyphonique contemplative où rythmiques organiques et harmonies perçantes cohabitent." Ce Voyage fantastique dans le corps humain est digne de Richard Fleischer. Mais si je me fis aux capitales du titre, le programme OTOS (Observation de la Terre Optique Super-résolue) prépare les satellites spatiaux de future génération pour l’observation de la Terre et la Défense. In Out. Proche et loin. Une maladie bénigne ? Question de repères. Nous vibrons fondamentalement en sympathie sur les deux faces du vinyle. J'écoute fort. Les murs de la maison tremblent comme au départ d'une fusée, un cocon nous enveloppe jusqu'à ce que l'aiguille arrive au bout du sillon. Nous sommes vivants.

→ Félicie Bazelaire, OTOS, LP nunc 20€ (10€ en numérique)

vendredi 7 juin 2024

With a little help from my friends


Suite à mon article de mercredi intitulé Maraboutage des questions ont été posées en ce qui me concerne directement. La réponse se trouve in extenso sur la page Crédits du site drame.org. J'espère n'avoir oublié personne. Quelques uns, rares heureusement, ont hélas viré de bord, se comportant comme des gougnafiers : s'ils sont encore vivants ils le savent et se reconnaîtront. Mais je suis gré à tous et toutes de la solidarité et de la bienveillance qui furent les leurs à notre égard. Ils sont près de six cents !
Comme ma mémoire fait défaut, j'ai constitué cette liste au fur et à mesure depuis 1995, création de la première version du site, et 2010 lorsque Jacques Perconte m'aida à sa refonte. Hélas parfois le nom de certains ou certaines ne me dit plus rien et je dois faire des recherches compliquées pour raviver ma mémoire. L'important c'est qu'il ou elle soit là, y compris celles et ceux qui nous ont quittés et qui nous manquent souvent cruellement. Musiciens, cinéastes, plasticiens, comédiens, chorégraphes, écrivains, ingénieurs du son, techniciens, journalistes, illustrateurs, maquettistes, producteurs, organisateurs de spectacles, développeurs, scénographes, gens de radio ou de télévision, commissaires d'exposition, disquaires, photographes, assistants, je ne serais pas là sans elles et sans eux.

mercredi 5 juin 2024

Maraboutage


Un de mes amis musiciens que j'admire énormément maugréait contre les hommes de pouvoir et autres apparatchiks qui l'ont souvent snobé et ont longtemps boycotté son travail. Sa rogne contre les directeurs de festivals, les programmateurs de salles, les journalistes spécialisés, les responsables du Ministère et tous ceux qui tournent autour de la musique sans la pratiquer, le rendait amer, pour ne pas dire qu'il frôlait l'aigreur. Il fustigeait leur médiocrité ou leur inaptitude à la pratique musicale qui les avaient poussés vers des carrières de juges ou d'employeurs. J'essayai d'abord de lui remonter le moral en l'assurant de mon estime qu'il savait indéfectible. Comme il tournait en boucle, je lui rappelai qu'il était toujours en activité malgré son grand âge, mais que la plupart de ceux qui l'avaient brocardé avaient pris leur retraite, une retraite là bien réelle, terriblement fatale, où leur pouvoir s'était volatilisé du jour au lendemain. Il pouvait quant à lui se targuer de continuer à faire ce qu'il aimait alors que tout le monde avait déjà oublié ces donneurs de bons ou mauvais points. Nous convînmes aussi que parmi ses partenaires historiques quelques uns avaient tout de même été de fidèles compagnons de voyage. Les autres avaient choisi de programmer ou de défendre toujours les mêmes copains année après année, sans la moindre curiosité, animés d'une arrogance égale à leur médiocrité.
J'avais du mal à le contredire, d'autant que dès mes vingt ans j'avais compris que je ne devrai mon salut qu'à ma force de travail et à mes initiatives, et surtout à la persévérance et à la solidarité. Je créai ainsi dès 1975 le label de disques GRRR et mon propre studio d'enregistrement, et l'année suivante le collectif Un Drame Musical Instantané avec mes camarades Francis Gorgé et Bernard Vitet. Assez vite je décidai de ne plus œuvrer qu'avec des gens gentils, ignorant les opportunistes et les malveillants dont je trouvais la vue courte et les oreilles sales. J'arrivai à faire rire mon ami en lui racontant qu'un soir j'avais lancé à un plumitif "si je travaillais comme vous, vous n'auriez rien à écrire !". Si j'admirais quelques journalistes, de ceux qu'on appelle des "plumes" pour souligner qu'ils ont un style, ou même du style, c'est bien la pénurie qui me fit créer mon blog solidaire et militant, comme j'avais choisi l'indépendance pour exercer mon art. Je devrai dire "mes arts" tant la question s'est posée chaque fois que j'attaquais un nouveau médium.
Le pire, ou peut-être la meilleure, c'est que mon ami est très prisé dans le métier. Or les artistes, quel que soit leur niveau de notoriété, ont toujours un problème avec la reconnaissance. Miles Davis, par exemple, souhaitait celle du "great black people", mais c'était James Brown qui en profitait alors que son public à lui était majoritairement blanc. C'est probablement la raison pour laquelle il avait contractuellement exigé un chauffeur blanc ! Il y a autant d'anecdotes comme celle-ci qu'il y a d'artistes. J'ai moi-même mis du temps à me faire à l'idée que je n'obtiendrai pas la reconnaissance de ceux dont je l'espérais et à accepter qu'elle vienne d'autres auxquels je ne m'attendais pas.
En m'écoutant parler de moi, ce qui aurait pu l'énerver bien que ce soit une façon de me mettre à la place de mon interlocuteur, mon ami se calma, sans pour autant retirer un mot de ses opprobres. Les artistes qui n'ont connu la gloire que posthume n'arrangent pas nos périodes dépressives. Il me rappela les difficultés de Varèse, Ives ou Bartók, Kafka ou Vian, Van Gogh ou Gauguin, plus récemment Goliarda Sapienza, des tartes à la crème dont je me repais quotidiennement. Il est rassurant de constater que nous avons totalement oublié ceux qui les avaient négligés... Et puis nous sommes allés boire un coup en bas de chez lui et nous avons recommencé à refaire le monde, un monde comme celui dont nous rêvons et dont nos œuvres se rapprochent, autant d'autoportraits en creux qui ne semblent là que pour nous rassurer.

dimanche 2 juin 2024

Guide-chant tout en fonte du Sergent Puçon L'inhumain


Je cherche souvent des instruments ou des trucs qui font du bruit dans les vide-greniers. Ce matin à Balipa j’ai acheté un guide-chant. Lourd et lent, caisse en métal oblige. On peut le porter autour du cou, mais il faut être plus costaud que je ne le suis. C'est chouette que ce Kasriel ne nécessite pas d’électricité ; il faut pomper comme un shadok sur une tirette de la main gauche pendant qu'on joue de la main droite. C’est surtout pratique pour des mélodies. Les plus récents ont été électrifiés dans les années 40 permettant de jouer à deux mains, mais la soufflerie faisait un bruit d'enfer. Il y en avait un comme cela au Lycée Claude Bernard. J'ai toujours pensé que j'étais nul en classe de musique jusqu'à ce que je retrouve un second prix dans un des livres offerts à la fin de l'année. Le prix d'honneur et le prix d'excellence, de grands et beaux bouquins, étaient payés par l'association des parents d'élèves. La distribution des prix a cessé en 1968. Le seul souvenir de mes cours de musique est d'avoir chanté dans les chœurs de La Grande Duchesse de Gérolstein d'Offenbach, et régulièrement me revient le grand air "J'ai mis le sabre à mon côté...". Le titre est un clin d'œil à Erik Satie, comprenne qui pourra.