70 Musique - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 17 février 2025

Elsa, le chant funambule


S'il n'est jamais simple pour un artiste d'être relaté à ses parents, il est toujours agréable d'être reconnus pour les géniteurs de son enfant (de la balle). J'étais un peu mal à l'aise d'être le fils de mon père quand il me présentait à ses anciennes connaissances comme Jeanne Moreau, France Roche ou Pierre Dac, mais j'étais ému de le voir si heureux sur son lit d'hôpital lorsqu'il expliquait à un infirmier qui n'en avait rien à faire que j'étais compositeur, et d'ajouter "d'opéra" pour tenter d'amadouer le type qui refaisait son lit. Aujourd'hui ma fille Elsa est en couverture de Citizen Jazz (belle photo de Jeff Humbert) avec un entretien où je reconnais ses aspirations comme ses respirations. On m'a souvent demandé si j'étais fier de ce qu'était devenue Elsa. Je répondais chaque fois que j'en étais heureux, mais que la fierté elle ne la devait qu'à elle-même et à son travail. Quand elle se contorsionnait sur son trapèze, perchée au centre du Cabaret Sauvage plein à craquer, qu'elle décroche le Grand Prix de l'Académie Charles Cros dont j'ai longtemps rêvé pour l'avoir lu, enfant, sur une étiquette de mon disque de La Marque Jaune ou qu'elle s'épanouisse dans son art vocal me comble de joie. Ses choix artistiques sont loin des miens et c'est tant mieux pour elle. Sa mère et moi n'y sommes évidemment pas pour rien, mais son art ne tient qu'à elle, et aux rencontres qu'elle fait depuis qu'elle vole de ses propres ailes. Sur la couve notre nom est en énorme, mais c'est son prénom qui devrait l'être. Et c'est certainement sa maman qui lui a légué le goût des belles mélodies. Ne sommes-nous pas tous et toutes faits de ce mélange ou de ce tri, n'acceptant ou ne rejetant jamais totalement notre héritage, y picorant ça et là ce qui permettra de nous construire, parce que nous ne sommes pas ce qu'ils furent, que nous sommes nous, mais qu'avec le temps nous finissons pas identifier ce qu'ils nous ont laissé. Ils ont fait ce qu'ils pouvaient. Dans une chanson j'avais écrit : "on n'a jamais de bons parents, on a parfois de bons enfants". J'entendais par là que la névrose est toujours familiale, merci papa, merci maman, mais qu'il y a des enfants qui nous inquiètent moins que d'autres. Je n'ai qu'une fille, elle est franchement ravissante, entendre qu'elle me ravit, et son entretien mené par Franpi Barriaux lui ressemble bien.


P.S.: dans le même numéro de Citizen Jazz vous pouvez lire une chronique de son dernier disque, Il pleut, avec le groupe Odeia, disque ÉLU, ainsi qu'une autre, de mon propre Animal Opera, ÉLU lui aussi, j'y reviendrai plus tard.

vendredi 14 février 2025

L'argent de M. L'Herbier par Un d.m.i. (1988)


Rien n'a changé depuis le krach de l'Union Générale de 1882 et le scandale de Panama de 1888 qui inspirèrent Émile Zola pour L'argent. Rien n'a changé des mécanismes boursiers depuis que l'écrivain les décrivit dans son roman publié en 1891, dix-huitième volume de la série des Rougon-Macquart. Rien n'a changé depuis l'adaptation sublime que Marcel L'Herbier en fit pour le cinématographe en 1928 à la veille du krach boursier. Rien n'a changé depuis celui d'octobre 1987 lorsque nous travaillions sur la musique du film de L'Herbier pour le centenaire du cinéaste. Rien n'a changé, si ce n'est le peu d'audace du cinéma actuel en comparaison des inventions de ce qu'il est aujourd'hui coutume d'appeler la Première Vague à laquelle appartenaient aussi Jean Epstein, Germaine Dulac, Louis Delluc... L'argent est un chef d'œuvre de 3h14, durée bollywoodienne qu'à ma grande surprise YouTube accepta sans rechigner. Si Un Drame Musical Instantané interpréta beaucoup plus souvent Le cabinet du Docteur Caligari, La glace à trois faces ou La Passion de Jeanne d'Arc, des 26 films que nous mîmes en musique depuis 1976 c'est probablement, avec L'homme à la caméra, le plus réussi de nos ciné-concerts.


Composée par Bernard Vitet (trompette, bugle, violon, trompette à anche, piano, percussion), Francis Gorgé (guitare électrique, synthétiseur, échantillonneur, valse, percussion) et moi-même (synthétiseur, échantillonneur, harmoniser, reportages, flûte, voix, inanga, percussion), la musique sait jouer des silences, évitant la logorrhée des versions du Napoléon de Gance dues à Carmine Coppola ou à Carl Davis. Comme avec L'homme à la caméra composée pour un orchestre de 15 musiciens, la partition de L'argent pour notre trio évite toute nostalgie pour propulser le chef d'œuvre de L'Herbier à notre époque, en soulignant ainsi l'actualité tant formelle que narrative. Enregistré par mes soins au Studio GRRR à Paris le 2 mars 1988, la création eut lieu les 21 et 22 janvier précédents au Théâtre À Déjazet. Avant de mettre le film en ligne j'en avais édité les meilleurs extraits pour constituer un disque qui resta également dans nos cartons jusqu'à sa publication virtuelle, gratuite en écoute et téléchargement sur drame.org ou Bandcamp.

Photo d'Un d.m.i. © Jean-Jacques Henry

27 février 2013

jeudi 13 février 2025

Dents de lait de Nougaro


Frémeaux continue son travail patrimonial en publiant des CD de chansons, musiques et textes rares ou oubliés. Ainsi sont sortis des albums de Serge Gainsbourg, Boris Vian, Claude Nougaro et leurs interprètes. Possédant déjà l'inusable et fabuleux coffret de 6 disques de Boris Vian paru chez Polygram en 1991 j'évite les doublons malgré quelques chansons figurant sur les 3 CD qui excitent ma curiosité. Idem pour Gainsbourg bien que Frémeaux se soit attelé à une intégrale depuis 1957 avec déjà deux triples volumes. La surprise vient donc des débuts de Claude Nougaro, par lui-même avant qu'il se mette à rouler les r et surtout des interprètes qui l'ont chanté lorsqu'il n'était encore qu'auteur. Très influencé par Boris Vian, sur les pas rock 'n roll d'Henry Cording alias Salvador, le jeune Nougaro va rapidement s'enticher du jazz et ne plus arrêter de swinguer. Charles Trenet avait montré la voie dès les années 30. Le feutre taupé de Roche et Aznavour date de 1948... Comme je l'interrogeais en 1998, Nougaro répondit : "C'est dans ce miroir noir que j'ai reconnu une partie de mon âme. À ce sujet-là, mon front n'est pas une frontière..."
L'intérêt du double album réside dans les interprétations de Philippe Clay, Jean Constantin, Lucienne Delyle, Richard Antony, Marcel Amont, Pierrette Bruno et d'inconnus telle Simone Alma dont le cri dans Vise la poupée est inoubliable. La gouaille de Clay très présent, la version de Bobino des Pantoufles à papa par Constantin, la mélodie de Serge et Nathalie par Colette Renard sont enthousiasmants. Comme pour tous les artistes cités plus haut les paroles sont de petites dramaturgies qui leur confèrent un statut de court métrage. La pop anglo-saxonne a laminé le texte au profit de la musique et des arrangements. Comment écouter les chansons de Prévert et Kosma en faisant la vaisselle ? Même légères et frivoles les paroles réclament de l'attention pour en savourer tout le suc. Ça se comprend. (à suivre)

Article du 15 janvier 2013

lundi 10 février 2025

Jack White bousculait les sillons


Le 10 juin 2014 Third Man Records publia un drôle de vinyle qui bousculait le pressage habituel. Ce n'est pas un hasard si les disques furent un temps appelés microsillon, car normalement il n'y en a qu'un seul qui débute au bord, sa spirale se terminant au centre. Or la face A de Lazaretto commence au centre et se termine par une boucle sans fin au bord du disque ! Mais Jack White, son auteur, ne s'est pas contenté de ce renversement facétieux : un morceau fantôme, la voix d'un enfant (Jack petit ?), est gravé sur l'étiquette centrale en 78 tours ! Je n'en ai pas fini avec les points d'exclamation. Sur la cire vierge entre les cinq chansons et le macaron, sous un certain angle et lorsque le disque tourne, on peut apercevoir un hologramme de Tristan Duke ! Ancien chanteur et guitariste des White Stripes, Jack White produit ici une sorte de garage rock excentrique, avec des réminiscences dylanesques ou ledzepesques, à l'époque un succès considérable. Pour l'occasion, il a retravaillé des paroles écrites à l'adolescence, fanfaronnades frimeuses rappelant certains artistes de hip-hop ou la naïveté arrogante de la jeunesse. La face B est gravée dans le "bon sens", mais la première chanson comporte deux introductions différentes selon l'endroit précis où l'on pose le diamant ! Après un dernier sillon fermé, un nouveau morceau fantôme est caché sur l'étiquette mate (l'autre côté est brillant) et il se lit en 45 tours. Toutes les platines ne délivrent pas trois vitesses de lecture !
Ce disque étonnant, acquis sur le conseil de Jean-Brice Godet dont j'ai chroniqué le vinyle et les trois cassettes infinies du quartet WATT vendredi dernier, rejoint d'autres bizarreries de ma collection, comme de You're The Guy I Want To Share My Money With de Laurie Anderson/William Burroughs/John Giorno avec ses trois sillons concentriques, Footsteps le vinyle piétiné de Christian Marclay, Sounds of Silence de Caillet-David-Saladin, chaque exemplaire unique aux dégoulinades noires et blanches d'Avant-Toute de Birgé-Gorgé (!), nombreux disques souples comme celui de Salvador Dali et divers picture-discs dont certains imprimés sur des cartes postales ou l'enveloppe transparente, etc. En 2010, avec Vincent Segal, j'en avais présenté quelques uns à l'exposition Vinyl de la Maison Rouge. Mis à part les pochettes qui peuvent être aussi fameuses, je sais qu'existent des vinyles parfumés (berk, pas qu'à la rose), des disques en chocolat qu'on peut croquer, le RRR500 aux 500 sillons fermés...

→ Jack White, Lazaretto, Ultra LP Third Man Records

vendredi 7 février 2025

Coral de Watt, un mirage


Watt récidive et pas qu'un peu. La musique de drone est à la mode, mais tout le monde ne sort pas un lapin de son chapeau claque. Je me souviens de l'émotion ressentie en 1970 lorsque j'ai entendu La Monte Young et Marian Zazeela à la Fondation Maeght. Depuis, en général, les drones me barbent, comme si la pédale ostinato était un truc paresseux. Or tenir la note à quatre clarinettes est une sacrée paire de manches (c'était certainement là qu'ils cachaient le lapin). Jean Dousteyssier, Antonin-Tri Hoang, Jean-Brice Godet, Julien Pontvianne jouent en carré, mais ils tiennent la ligne et ça tourne rond. J'ignore comment leur musique me fait planer, pourquoi cela produit rarement cet effet chez moi avec les disques de drone que je reçois régulièrement. Alors ? Je ne sais pas, mais ça marche. Je m'y suis moi-même essayé l'été dernier en Amazonie, cherchant un point de vue personnel avec l'enregistrement L'aube à Shimiyacu pour l'album Animal Opera !
Coral est le troisième disque de WATT après un vinyle et un CD. Or cette fois les quatre coquins sont allés jusqu'à boucler le dernier sillon, sur les deux faces, impossible de savoir laquelle est la première, c'est sans fin. Je dis sans fin, comme on dit que ça se mange sans faim. Mais ils ont poussé le bouchon encore plus loin...


En plus de ce second vinyle, ils publient un coffret de trois cassettes infinies. Sur le lecteur la bande tourne en boucle ! Objet rare, comme les trois sillons concentriques de Laurie Anderson/William Burroughs/John Giorno, Footsteps le vinyle piétiné de Christian Marclay ou l'ultra-lp Lazaretto de Jack White (commandé aussitôt sur les conseils de Jean-Brice Godet, j'y reviendrai quand je l'aurai reçu). J'ai fait une bêtise avec la première cassette, je vais devoir l'ouvrir et opérer, mais tout s'est bien passé avec les deux autres. Pour chacune le quatuor de clarinettes a commandé une pièce sans fin à un compositeur ou une compositrice, Arbres de Léo Dupleix en lents accords mineurs et dissonances aiguës, For 4 clarinets de Karl Naegelen avec ses harmoniques et sons soufflés, et OlimCaroline Marçot ne se cantonne pas à un seul mode, mais inventorie différentes techniques propres aux anches. Coral, composé par le carré d'as, occupe les deux faces du vinyle, peut-être la pièce la plus magique, apparemment la plus simple, mais seulement en apparence. Tout le travail de WATT se joue justement des apparences, comme si l'on pouvait voir leurs ondes traverser l'espace. Un mirage.

→ WATT, LP Coral + 3 K7 infinies Arbres/For 4 clarinets/Olim, GMEA, 18€ le vinyle, 40€ le coffret de 3 cassettes (tirage à 30 ex.), et sur Bandcamp

mercredi 5 février 2025

GRRR salué par BANDCAMP


Après avoir nommé l'album TITRES du trio Jean-Jacques Birgé-Helene Duret- Alexandre Saada "The Best Experimental Music on Bandcamp, October 2024", Bandcamp nomme l'album ALBUM de Jean-Jacques Birgé-Catherine Delaunay-Roberto Negro parmi "The Best Jazz on Bandcamp, January 2025".
"In mid-October, French musicians Jean-Jacques Birgé, Alexandre Saada, and Hélène Duret met at a studio with an audience present and improvised, asking attendees to propose themes based on book titles. The results were posted to Bandcamp the next day as Titres (French for “titles”), with seven tracks of respectful but active musical conversation. Birgé’s keyboard and electronics supply a wealth of textures, including an underwater-sounding dance beat near the beginning of “París no se acaba nunca,” while Saada and Duret add busy note clusters that lean toward jazz but aren’t constrained by genre. Saada’s piano playing is particularly expressive, finding sharp moments inside halting rhythms, while Duret’s bass clarinet keeps the trio grounded even when it sounds like it wants to fly away. Other instruments—guitar, reed trumpet, music boxes—pass in and out of the mix, but things never get overcrowded."
(Marc Masters)
"This trio session from keyboardist Jean-Jacques Birgé, clarinetist Catherine Delaunay, and pianist-keyboardist Roberto Negro is not anything one would call normal, but this is a normal quality for a recording Roberto Negro contributes to."
(Dave Summer)

Une histoire naturelle des sons: Notes sur l'audible


Certains auteurs aux contributions scientifiques ou historiques ont l'indécence de ne pas citer leurs sources. On ne pourra pas reprocher cela au journaliste Caspar Henderson, traduit de l'anglais par Lucien d'Azay. Trente-huit pages de références et lectures complémentaires suivies d'un index de vingt-huit pages closent les trois cents quatre vingt que compte l'ouvrage. C'est aussi honnête qu'utile tant cette histoire naturelle des sons comporte d'informations, anecdotes et digressions sur les sons de l'espace, de la Terre, de la vie et de l'humanité. Il en va de l'infiniment petit à l'infiniment grand, là encore pour les sujets autant que dans leur importance. Si j'ai toujours eu des doutes sur les signes sonores du cosmos dont l'interprétation obéit à des projections trop proches de ce que nous connaissons, ils n'en existent pas moins. Nous vivons ceux de la Terre chaque fois que la météo s'en mêle et nous cherchons toujours à comprendre les autres animaux qui peuplent la planète. La seconde moitié de ce livre étonnant aborde les sons que nous produisons, de la musique (même celle des sphères !) au silence en passant par le langage, la pollution sonore, les bruits du changement climatique et les diverses thérapies associées au son. Comme le suggère l'auteur, on peut dévorer l'objet de A à Z ou picorer les courts chapitres au gré de son appétit pour tel ou tel sujet de cette culture générale, à mon avis fondamentale, qui a tendance à se diluer et se perdre dans le flux des nouvelles technologies de la communication et de l'information. Cette approche œcuménique, qui relate aussi bien d'étranges instruments de musique que les vers d'oreille et se réfère à tous les champs musicaux sans ostracisme aucun, tient de l'encyclopédie de poche. Elle se plaira aux côtés de l'indispensable Acoustique et musique d'Émile Leipp, du Traité des objets musicaux de Pierre Schaeffer, de Qu'est-ce que la musique ? de David Byrne, Les cloches d'Atlantis de Philippe Langlois, The Rest is Noise d'Alex Ross, Ocean of Sound de David Toop, Les fous du son de Laurent de Wilde. Je n'oublie évidemment pas les traités de Hindemith ou Koechlin, ni les écrits de Varèse, Schönberg, Webern, Cage, Boulez, Slonimsky, Partch, Reich, etc., car nous sommes ici à cheval entre la science et la poésie.

→ Caspar Henderson, Une histoire naturelle des sons: Notes sur l'audible, ed. Les Belles lettres, 27,90€

mardi 4 février 2025

Les Incendiaires sont À l'ouest


Pour n'importe quel musicien la tentation est forte de singer, voire d'adapter, les musiques d'Ennio Morricone. L'hommage que John Zorn lui rendit en 1985 avec The Big Gundown est le plus notoire, probablement un des albums les plus réussis du compositeur new-yorkais. Dix ans plus tard, Francis Gorgé et moi-même y ayant succombé (sous les pseudonymes Frank Bugs et Mellow Marx !) avec le CD Western paru chez Auvidis, je m'étais fait remonter les bretelles par Irvin Kershner venu dîner à la maison (réalisateur de La Revanche d'un homme nommé Cheval, Les yeux de Laura Mars, Star Wars: L'Empire contre-attaque, Jamais plus jamais...) ; pour Kersh les westerns italiens et la musique qui les accompagnait n'avaient rien à voir avec le Grand Ouest et nos parodies sonnaient d'autant plus iconoclastes. Dans cette série Musiques d'ambiance, notre CD Science-Fiction n'était évidemment pas mieux passé, mais la soirée s'acheva néanmoins de manière très conviviale !
La version des Incendiaires, trio lyonnais lié à l'ARFI, porte bien son titre, À l'ouest. Olivier Bost (trombone, banjo, percussions), Guillaume Grenard (trompette, euphonium, percussions) et Eric Vagnon (saxophones, percussions) le sont carrément dans leur arrangement brut de décoffrage, minimaliste, sans effets de réverbération, avec un humour digne de la série B. Leur adaptation sincère et sans fioritures de Pour une poignée de dollars, Mon nom est Personne, Il était une fois la révolution, Il était une fois en Amérique, Il était une fois dans l'Ouest, Le bon la brute et le truand éclaire les musiques de Morricone d'un jour nouveau, poésie de fanfare ou spectacle de tréteaux, soulignant le soleil harassant, le sable qui pique les yeux en gros plan, la mort qui rôde, et nous rappelant évidemment les films de Sergio Leone, la vanité de la vie et son prix dérisoire.

→ Trio Les Incendiaires, À l'Ouest, CD ARFI, dist. L'autre distribution, sortie le 7 février 2025

lundi 3 février 2025

Honey from a Winter Stone d'Ambrose Akinmusire


En 2018 j'avais adoré l'album Origami Harvest qui mêlait la trompette d'Ambrose Akinmusire, des slameurs, piano, batterie et un quatuor à cordes. Un peu déçu qu'il n'y ait ce mélange des genres dans ses autres disques, je suis ravi de retrouver cette veine inventive dans le nouveau Honey from a Winter Stone, même si la surprise est évidemment moins grande. Pour cette saison 2 le compositeur est entouré du chanteur Kokayi, du pianiste Sam Harris, Chiquita Magic aux synthétiseurs, la batteur Justin Brown et le Mivos Quartet (Olivia Deprato, Maya Bennardo, Victor Lowrie Tafoya, Tyler Borden). Sa musique résolument contemporaine, cross-over de jazz, hip hop, tradition classique du quatuor à cordes, fait référence au compositeur Julius Eastman à qui Akinmusire rend ce très bel hommage. D'autres jazzmen afro-américains avaient auparavant pris le risque de mettre un pied dans la porte, comme Freddie Hubbard, Ornette Coleman, Anthony Braxton, Roscoe Mitchell, John Tchicai, George Lewis ou Muhal Richard Abrams, et chaque fois je suis aux anges, parce qu'il n'y a rien qui me plaise plus que de quitter les rails d'un style pour brouiller les pistes qu'impose le marché et les habitudes. Composer pour ou avec un quatuor à cordes est aussi une constante chez les jazzmen et c'est souvent passionnant. En 1995, avec Bernard Vitet nous nous y étions délicieusement frottés avec Dee Dee Bridgewater et le Quatuor Balanescu pour Sarajevo Suite. Le nouvel album d'Ambrose Akinmusire possède une poésie unique où l'on semble flotter en état de lévitation, vertige imputable à des repères mouvants au gré de notre culture, de nos passions et de notre capacité à accepter les glissements qui s'y opèrent.

→ Ambrose Akinmusire, Honey from a Winter Stone, CD Nonesuch (sur Bandcamp)

vendredi 31 janvier 2025

Birgé - Hoang - Segal, dans tous les sens du terme


[Douze ans déjà.] Les Allumés du Jazz [avaient proposé] à ses labels adhérents de leur produire trois albums sur le thème de la REPRISE, nous [avions] aussitôt envoyé une [proposition de Prises] intitulée "dans tous les sens du terme" [Je n'attends jamais, la procrastination et moi, ça fait deux]. Je rédigeai donc un programme que je fis suivre à mes camarades, le violoncelliste Vincent Segal et le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang. [Je crois me souvenir que cette initiative des Allumés ne fut suivie d'aucun effet, restant lettre morte, probablement faute de subventions espérées.]

1. de contact : 30 ans après l'écoute d'Un Drame Musical Instantané par Vincent aux Musiques de Traverses de Reims / 23 ans après la naissance d'Antonin-Tri, nourrisson voisin de Jean-Jacques / 13 ans après le dernier album de celui-ci avec Un Drame Musical Instantané / facile et agréable)
2. (signes de) : musique répétitive et évolutive s'appuyant sur la programmation en temps réel d'un Tenori-on
3. de risque : improvisation avec des instruments qui ne sont pas ceux des musiciens habituellement
4. (manque de) : drône / encéphalogramme plat
5. après le gong : sportif
6. de bec : jeu sur les anches
7. d'otages : citations dévoyées comme base de dialogue
8. de sang : citations assumées comme base à l'invention
9. de courant : transformation du son du violoncelle et du saxophone alto au travers d'effets électroniques en temps réel
10. des hostilités : affirmation brutale de chaque individu et du groupe face au formatage
11. des négociations : sur la pointe des pieds
12. du travail : enthousiasme
13. d'une entreprise en difficulté par ses salariés : solidarité et jeu d'ensemble

Puisque nous avions choisi d'enregistrer le 23 décembre [2012], autant commencer par là, pensèrent Antonin et Vincent. Et nous voilà lancés dans toute une série d'improvisations sans autre concertation que les notes que je leur avais e-mailées !
À la réécoute je supprimai les deux derniers morceaux qui réfléchissaient surtout notre extrême fatigue et réordonnai ceux qui semblaient mériter de figurer dans ce premier jet. Mixage terminé, ambiance très cool, 43 minutes en accès libre, écoute et téléchargement gratuits sur le site drame.org, comme les [aujourd'hui 190] autres heures dont chacun/e peut profiter, soit aléatoirement sur Radio Drame, soit en choisissant parmi les [aujourd'hui 105] albums inédits offerts par le label GRRR. Les fichiers sont en mp3, leur version audiophile (44.1/16) étant réservée à une éventuelle production physique ou payante [ou sur Bandcamp]. Pour celles et ceux qui préfèrent tenir entre leurs mains de belles pochettes et d'astucieux livrets, quantité de vinyles et CD sont d'ailleurs toujours en vente sur le site ou sur Bandcamp.

Article du 9 janvier 2013

jeudi 30 janvier 2025

Les oreilles en vrille et la petite cuisine


L'exposé qui suit tient du patois de laboratoire. Cela peut se lire sans comprendre, comme de la poésie sous semi-conducteur ou, pour les aficionados, tenter de saisir en quoi cela consiste, ce qui ne les différenciera pas pour autant des néophytes, faute de ma lamentable expérience en la matière !
La pédale de distorsion Harvezi Hazze était fort attendue, pour se muer en forte entendue. Après les premiers tests qui me plonge dans un état ressemblant à une prise de quelque nouveau psychotrope, un silence s'impose avant que je n'explose. Donc me voilà et me revoilà, comme dirait le chat de Schrödinger, plus facétieux que jamais. Le premier intérêt de l'Harvezi Hazze (brouillage du signal en géorgien !) est de remonter le niveau de la shahi baaja ou, du moins, le régler plus finement. Fan des machines "organismiques" fabriquées par Soma, je ne savais pas exactement à quoi m'attendre, mais l'ajouter en amont des effets délirants de la H9 d'Eventide et de la réverbération infinie Nightsky de Strymon me semblait une bonne idée si je comptais marcher sur les traces des grands guitaristes qui avaient marqué ma jeunesse, avec le côté trash de la noise actuelle en bonus. Basé sur un vieux transistor unijonction, sorte d'hybride entre diode et transistor, dégotté sur un marché aux puces de Tbilissi, capitale de la Géorgie, cette distorsion permet de glisser manuellement et sans à-coups d'un timbre à un autre. Les boutons de contrôle n'ont pas la même fonction selon que l'on désire fuzz, distorsion, limiteur, waveshapper ou générateur. Cet aspect est typique des instruments somesques, parfaitement intuitifs, sans écran ni mémoire. Dans tous les cas c'est plutôt méchant. Ça vrombit, ça buzze, ça hennit, ça crispe, ça craque ! Passionnant, pas forcément amusant, mais dramatique et tellurique, aussi utile qu'une perceuse électrique. Un jour ou l'autre on y vient. La séquence de ces trois pédales me sert aussi bien à transformer le son de cette cythare à touches pakistanaise que celui du Tenori-on, du Kaossilator, du kazoo amplifié ou des sons d'ambiance diffusés par un vieil iPad.
Il y a plus de quarante ans j'ai revendu toutes mes pédales d'effets, wah-wah, disto, modulateur en anneau, etc., lorsque je me suis bêtement débarrassé de mon orgue Farfisa Profesional. Il ne me reste que le M-Resonator de Jomox que m'avait conseillé Franck Vigroux, et surtout la H90 d'Eventide dont je me sers sur tous mes instruments principaux, de même que le rack H3000 qui ne me quitte pas depuis 1986 ou le Cosmos, délai aléatoire de chez Soma ! Toute cette artillerie n'intervient strictement que lors du jeu en direct, dit en live. Lorsque je traite et mixe les fichiers son sur le logiciel Cubase, j'utilise essentiellement les plug-ins barjos d'Eventide, les réverbérations en convolution de l'AltiVerb, les traitements techniques d'iZotope et, de temps en temps, les GRM Tools. Il est difficile d'imaginer à quel point le doux bruit des touches de mon clavier textuel me fait du bien après la fantastique séance de test où je me suis vrillé les tympans. Pour redescendre complètement je pense que je vais même m'allonger maintenant avec un bouquin.

P.S.: le lendemain j'enregistrai un long solo qui me servirait pour le prochain album d'Un Drame Musical Instantané.

mercredi 29 janvier 2025

Pour en finir avec le travail


Quand Debord, Vaneigem et les situs écrivaient des chansons...

(...) à l'avant-première de La fiancée du danger, film dont j'avais composé la musique, la réalisatrice Michèle Larue me présenta Jacques Le Glou. Distributeur de films français à l'étranger, il est aussi connu pour avoir réalisé un disque-culte avec ses copains situationnistes, Pour en finir avec le travail.

"Chansons du prolétariat révolutionnaire" écrites par Guy Debord, sa compagne Alice Becker-Ho, Raoul Vaneigem, Étienne Roda-Gil, détournements de Le Glou de chansons fameuses (Il est cinq heures d'après Dutronc-Lanzman, La bicyclette de Barouh-Lai devenue La mitraillette, Les bureaucrates se ramassent à la pelle d'après Prévert-Kosma, etc.), l'ensemble est évidemment jubilatoire, et magnifiquement réalisé selon les codes de la variété de l'époque avec des musiciens de l'Opéra. Seule chanson historique, L'bon dieu dans la merde, est célèbre pour avoir été chantée par Ravachol en montant sur la guillotine. Les voix sont celles de Jacques Marchais, Jacqueline Danno (sous le pseudonyme de Vanessa Hachloum, Hachloum comme HLM !) et Michel Devy. Le 33 tours, épuisé en quatre mois, a été réédité en 1998 par EPM, et à nouveau en 2008 sous le titre Les Chansons Radicales de Mai 68.

Le Glou m'en apprit de belles sur les droits d'auteur. En 1974, Brassens, Ferré et Moustaki avaient refusé que leurs chansons soient détournées par cette bande d'anarchistes. Aujourd'hui la législation a "évolué". On peut changer les paroles d'une chanson sans avoir besoin d'en demander l'autorisation ni aux ayants droit ni à la Sacem, mais ce sont les auteurs de l'original qui touchent les droits ! Les chansonniers ont de beaux jours devant eux.

Je termine ce billet en ne résistant pas à vous livrer les premiers vers de La java des bons enfants écrits par l'auteur de La société du spectacle, définitivement politiquement incorrect :

'' Dans la rue des Bons Enfants
On vend tout au plus offrant,
Y avait un commissariat
Et maintenant il n'est plus là.
Une explosion fantastique
N'en a pas laissé une brique,
On crut que c'était Fantômas
Mais c'était la lutte des classes...
Sache que ta meilleure amie
Prolétaire, c'est la chimie...''

P.S. : les véritables auteurs s'étaient amusés à attribuer les chansons à des auteurs "imaginaires". Ainsi, dans le 33 tours original, La java des bons enfants était signée Raymond Callemin, dit Raymond-La-Science, membre de la Bande à Bonnot, et datée de 1912. En réalité il s'agissait pour celle-ci de Guy Debord et Francis Lemonnier (saxophoniste de Red Noise et Komintern !).

Article du 12 décembre 2012

mercredi 22 janvier 2025

Shabda, sextet d'Yves Rousseau


Pour chroniquer un disque j'ai d'abord besoin d'en avoir une approche personnelle. Des albums que j'aime beaucoup me laissent parfois muet. Je ne cite par contre jamais ceux qui me déplaisent et vous n'en saurez rien, à moins d'en parler ensemble de vive voix. Ainsi je n'avais pas la moindre idée de comment aborder Shabda, le sextet du contrebassiste Yves Rousseau. Mais au milieu de tous les machins argentés reçus ces derniers temps je me suis surpris à le remettre plusieurs fois sur la platine. De là à penser que c'est un vice platiné, il n'y a pas loin. Le rupteur, autrefois appelé vis platinées, est un élément de l'allumage d'un moteur à allumage commandé, qui coupe périodiquement le courant du primaire de la bobine d'induction afin de déclencher une forte tension électrique au secondaire de la bobine, produisant une étincelle dans la bougie alimentée par le Delco. Il aura suffi d'un jeu de mots pour que l'étincelle jaillisse de mon cerveau embué par le front polaire ou les embruns de la photo de couverture due à Jeff Humbert. L'idée du rupteur me semble tellement plus juste que le laïus ãyurvédique de la pochette, même si "akasha (un album de 2015 !), l'espace ou l'éther, est caractérisé par le son" et que shabda "désigne en sankrit le son de la parole, du mot et de la vibration originelle". Surtout que des paroles il n'y en a pas une dans ce très beau sextet formé de trois saxophonistes, Géraldine Laurent à l'alto, Jean-Marc Larché au soprano et Jean-Charles Richard aux soprano et baryton, du violoniste Clément Janinet, du batteur Christophe Marguet et du compositeur à la contrebasse. Par contre, des étincelles, Shabda en est largement pourvu, musique d'ensemble, pleine et harmonieusement arrangée, rappelant Carla Bley, avec ses tensions générant autant de détentes, dans la lumière (dīpād en sanskrit !) des bougies de cette merveilleuse machine humaine, capable des plus beaux accords.

→ Yves Rousseau, Shabda, CD Alla Luna, dist. L'autre distribution, sortie le 7 mars 2025

lundi 20 janvier 2025

L'instanté de Martial Bort


Pour son premier album le guitariste Martial Bort fonde un power trio où la basse est tenue par Tom Caudelle aux saxhorn et flugabone, sorte de petit tuba et de trombone à pistons. C'est le genre de pas de côté qui me plaît, un peu comme le groupe Sons of Kemet où le saxophoniste Shabaka Hutchings était accompagné par un tuba et deux batteurs. Ici le percussionniste est Olivier Hestin, mais la musique est évidemment différente des Anglais. Sur une base de ritournelles, de tourneries, jouées souvent à deux, le troisième s'accroche en toute liberté, ce que Bernard Vitet appelait la corde à linge. Avec le timbre de la guitare souvent saturée, l'ensemble sonne plutôt rock, du genre "progressif" à cause des tutti rythmiques, mais comme si le passé était relu avec des lunettes toutes neuves. Si mes propos laissent penser à du réchauffé, rappelez-vous que les plats mijotés sont toujours meilleurs le lendemain. Ce trio ne ronronne pas pour autant, les roues de leur véhicule donnant la sensation d'être carrées. Imaginez les sursauts et les courbatures !

→ Martial Bort, L'instanté, CD Label Mon slip, dist. L'autre distribution, sortie le 7 février 2025

mercredi 15 janvier 2025

Rencontre avec John Cage


En mai 2006 [date de cet article], Jonathan, défendant l'importance de John Cage, me rappelait que j'avais écrit à propos de l'héritage d'Edgard Varèse "Toute organisation de sons pouvait être considérée comme de la musique !" C'est ce sens qui m'a fait penser à Cage, surtout 4'33", ajoutait mon ami américain. [Depuis, je me suis rendu compte à quel point la pensée de John Cage influence tant d'artistes et de philosophes, alors que sa musique est beaucoup moins bien perçue.]

Au début d'Un Drame Musical Instantané, nous nous posions toutes ces questions, surpris par l'immensité du champ des possibles. En 1979, j'avais téléphoné à John Cage et l'avais rencontré à l'Ircam alors qu'il préparait Roaratorio, une des plus grandes émotions de ma vie de spectateur. Nous étions au centre du dispositif multiphonique. Cage lisait Finnegan's Wake, il y avait un sonneur de cornemuse et un joueur de bodran parmi les haut-parleurs qui nous entouraient. Cage avait enregistré les sons des lieux évoqués par Joyce. On baignait dans le son... Un après-midi, je lui avais apporté notre premier album Trop d'adrénaline nuit pour discuter des transformations récentes des modes de composition grâce à l'apport de l'improvisation, nous l'appelions alors composition instantanée, l'opposant à composition préalable... Cage était un personne adorable, attentive et prévenante. Heures exquises. J'étais également préoccupé par la qualité des concerts lorsqu'il y participait ou non. C'était le jour et la nuit. Nous avions parlé des difficultés de transmission par le biais exclusif de la partition, de la nécessité de participer à l'élaboration des représentations... En 1982, le Drame avait joué une pièce sur les indications du compositeur. C'était pour l'émission d'une télé privée, Antène 1, réalisée par Emmanuelle K. Je me souviens que nous réfutions l'entière paternité de l'œuvre à Cage ! Nous nous insurgions contre les partitions littéraires de Stockhausen qui signait les improvisations (vraiment peu) dirigées, que des musiciens de jazz ou assimilés interprétaient, ou plutôt créaient sur un prétexte très vague. Fais voile vers le soleil... Cela me rappelle les relevés que faisait Heiner Goebbels des improvisations d'Yves Robert ou de René Lussier ; ensuite il réécrivait tout ça et leur demandait de rejouer ce qu'ils avaient improvisé, sauf que cette fois c'était figé et c'était lui qui signait. Arnaque et torture ! J'aime pourtant énormément les compositions de Goebbels.


Pour le film d'Antène 1, l'une des deux caméras était une paluche, un prototype fabriqué par Jean-Pierre Beauviala d'Aäton, qu'on tenait au bout des doigts comme un micro, l'ancêtre de bien des petites cams. J'ai réalisé Remember my forgotten man avec celle que Jean-André Fieschi m'avait prêtée en 1975. Sur la première photo où Bernard joue du cor de poste, on aperçoit à droite la paluche tenue par Gonzalo Arijon. Sur la deuxième, il filme Francis... La séance se déroulait dans ma cave du 7 rue de l'Espérance. Nous enregistrions quotidiennement dans cette pièce dont l'escalier débouchait sur la cuisine de la petite maison en surface corrigée que je louais sur la Butte aux Cailles. C'est un des rares témoignages vidéographiques de la période "instantanée" du Drame.


Bernard Vitet y joue d'un cor de poste, Francis Gorgé est à la guitare classique et au frein, une contrebasse à tension variable inventée par Bernard. Nous jouons tous des trompes qu'il a fabriquées avec des tuyaux en PVC et des entonnoirs ! Je programme mon ARP2600 et souffle dans une trompette à anche et une flûte basse, toutes deux conçues par Bernard.
Je me souviens encore de Merce Cunningham traversant au ralenti la scène où nous avions joué comme un grand et vieux bonzaï. J'aimais le synchronisme accidentel qui régnait entre la danse et la musique. Un jour où l'on demanda à Cage qu'elle était exactement sa relation avec le chorégraphe il répondit malicieusement : "je fais la cuisine et lui la vaisselle !".

mardi 14 janvier 2025

C’mon Tigre Instrumental Ensemble


Je reçois toutes sortes de disques me permettant d'alimenter mon blog solidaire et militant. Si certains font fausse route, leur banalité servant de repoussoir, il en est d'autres qui me surprennent. Il en est ainsi d'un drôle de groupe italien nommé C'Mon Tigre dont je n'arrive pas à savoir si c'est un duo comme l'annonce le feuillet qui accompagne le CD ou un ensemble plus important comme le montre leur site avec ses extraits de concerts filmés. Les musiciens sont anonymes, l'instrumentation énigmatique. Polyinstrumentistes, ils semblent utiliser néanmoins pas mal de samples. Comme beaucoup de musiciens actuels ils revendiquent de composer "une bande originale pour un film qui n'existe pas". Au travers de leurs maigres explications on a également le droit à la tarte à la crème de l'utilisation de l'intelligence artificielle, ce qui n'a rien de nouveau, mais qu'il est à la mode de revendiquer. Les titres de 23 pièces ne donnent aucune information sur les histoires qu'ils sont supposés raconter et les musiques, d'une très grande variété, ne sont pas particulièrement évocatrices d'images ou de récits cinématographiques. Et pourtant ! Pourtant cette version instrumentale de leur travail (sur leur site on constate l'importance des chansons), puisque le disque, leur septième, s'intitule Instrumental Ensemble - Soundtrack for imaginary Movie Vol 1, est d'une grande richesse de timbres, de styles et d'influences, sans que ce soit facilement identifiable ou étiquetable. En cela je reconnais des cousins vivant quelque part vers Bologne, un creuset d'inventeurs musicaux très libres, possédant à la fois un lyrisme romantique, un goût pour les rythmes envoûtants, prêts à arpenter toutes sortes de paysages sonores, aussi expérimentaux que référentiels. Leurs bases sont plutôt américaines, jazz ou rock, brésiliennes ou funky. En tous cas on part en voyage, incapables de prévoir l'ambiance d'un morceau sur le suivant. Mes recherches sur la Toile me suggèrent qu'il s'agit probablement de Mirko Cisilino et Marco Frattini, épaulés par Pasquale Mirra, Beppe Scardino, Lorenzo Caperchi, Valeria Sturba, Alessandro Trabace et Daniela Savoldi, mais je peux me tromper. Leur anonymat revendiqué indique avec certitude qu'ils mettent la musique en avant plutôt que leurs individualités.

→ C’mon Tigre, Instrumental Ensemble - Soundtrack for imaginary Movie Vol 1, CD/LP CMT, Dumbo/Open Event, dist. Believe, Modulor

lundi 13 janvier 2025

Rock Pop Underground


Mon cousin Michel Bouvet est un tout petit peu plus jeune que moi, mais je partage sa fascination pour l'époque psychédélique de notre adolescence. Peace & Love ! Tous deux figurons les artistes de la famille, moutons noirs tempérés par l'explosion de couleurs qui nous anime. J'ai la chance d'être devenu musicien tandis que Michel optait pour le graphisme, ses affiches contemporaines portant la trace vive de l'arc-en-ciel lysergique de nos émois d'éternels jeunes hommes.
Le nouveau livre qu'il a concocté et qui sort le 7 février s'intitule Rock Pop Underground. Pochettes d'albums, affiches de concerts, flyers, logos de groupes de musique, comics, livres, fanzines, photographies, soit plus de 1300 œuvres, réfléchissent les tendances, les révolutions et les contre-cultures qui ont marqué les décennies depuis les années 60. Les Français appelaient alors pop le rock américain alors que pour les Anglo-Saxons la pop était synonyme de variétés. Quant à l'underground nous y baignons tous les deux. J'ai d'ailleurs la chance d'occuper 7 pages de la formidable bande dessinée éponyme Underground d'Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog, parue en français et en anglais !


En même temps que sort le livre Rock Pop Underground (384 pages, 17x23cm, impression nanographique Landa 7 couleurs, trilingue FR-EN-HU, Éditions du Limonaire), Michel Bouvet et Fanny Laffitte, commissaires de l'exposition présentée à Pécs en Hongrie, pas la porte à côté, en ont conçu une version monumentale, au format 70x100cm. Ensemble, ils avaient déjà signé Un manuel du graphiste.
Ce nouvel ouvrage est une belle occasion d'admirer les œuvres de Jorge Alderete (Mexique), Martin Andersen (UK), Jonathan Barnbrook (UK), Frank Bettencourt (USA), Big Active (UK), Chris Bigg (UK), Michel Bouvet (France), Anthony Burrill (UK), Peter Chadwick (UK) - Art Chantry (USA), Emek (USA), Laurent Fétis (France), Form (UK), Fury (France), Anita Gallego (France), Mono Grinbaum (Argentine), Igor Gurovich (Arménie), Jianping He (Allemagne), Gary Houston (USA), Melchior Imboden (Suisse), Pedro Inoue (Brésil), Dennis Larkins (USA), Alain Le Quernec (France), Yann Legendre (France), Lisa Lotito (USA), Alejandro Magallanes (Mexique), Mike Mcinnerney (UK), Stanley Mouse (USA), Vaughan Oliver (UK), Étienne Robial (France), Studio Boot (Pays-Bas), Stylorouge (UK), John Van Hamersveld (USA), Garth Walker (Afrique du Sud), Zip Design (UK)... On y trouve aussi des affiches politiques et sociales de la collection de Maurice Ronai, un entretien avec Philippe di Folco, une chronologie année par année jusqu'à nos jours... Ça part dans tous les sens, parce que rien n'arrête l'imagination des graphistes ! Alors on savoure le style de chacun/e en prenant son temps, comme avec le précédent Pop Music 1967-2017 Graphisme & musique qui était, quant à lui, axé sur près de 600 groupes et leurs pochettes de disques...

Rock Pop Underground, le pop-up store
Livres disponibles samedi 8 février, et du lundi 10 au jeudi 13 février 2025, de 14h à 19h, à la Galerie des Ateliers de Paris - 30 rue du Faubourg Saint-Antoine, 75012 Paris - Métro Bastille

vendredi 10 janvier 2025

Animal Opera + Tchak sur Jazz`Halo


Le multi-instrumentiste, concepteur sonore, réalisateur et omnivore musical français Jean-Jacques Birgé est de loin l'artiste qui plonge le plus loin et le plus profondément dans le « terrier du lapin » [comment traduire le « rabbit hole » ? Labyrinthe ? Monde étrange ?]. Son dernier enregistrement, « Animal Opera », n'en est qu'un aspect.
En 2006, Jean-Jacques Birgé a créé un « opéra » avec Antoine Schmitt. Une histoire impossible à résumer, celle d'une centaine (!) de « lapins » Nabaztag communicants et dotés d'une volonté « individuelle », dont deux versions sont reprises ici, « NABAZ'MOB des V2 » et « NABAZ'MOB des V1 ». Chacune délivre une musique ambient minimaliste avec des tonalités sombres et un climax apocalyptique pour la V2.
Il y a aussi 'L'Aube à Shimiyacu/Dawn at Shimiyacu', enregistré dans la forêt tropicale péruvienne selon les « liner notes ». Vingt-deux minutes d'enregistrements de terrain avec des sons de la nature et un minimum d'ajouts personnels [aucun ajout personnel, note de JJB]
Emballé dans un digipack rose vif et doublement dépliable (des lapins à foison sur la couverture) avec un livret de douze pages dans lequel Birgé explique son univers et ses méthodes de travail.
Nous mentionnons également ici 'Tchak' (Klanggalerie) avec des enregistrements de 1998-2000 réalisés par Birgé en compagnie du trompettiste Bernard Vitet. Ce dernier faisait également partie de l'imposant Un Drame Musical Instantané. D'autres « usual suspects » sont également présents.
En 2024 le CD sonne contemporain et surtout inclassable. Une « zone crépusculaire » contenant des rythmes de danse baroques à la Devo, les bleeps et effets les plus bizarres, de l'ambient imprégnée d'atmosphères orientales, des morceaux de transe répétitifs, du trip-hop loungy et de l'électro-jazz trash. S'agit-il de jazz, de rock, d'avant-garde, de pop ou d'un sous-genre alternatif ? C'est tout cela et bien plus encore. Un programme dérangeant à tous points de vue, avec l'attitude des Monty Python et de Jimi Tenor, mais aussi celle de Telex et du duo Suicide.
2025 marque le 50e anniversaire du label de Jean-Jacques Birgé. Curieux de voir ce qu'il nous réserve à cette occasion. Pour ceux qui ne le connaissent pas, le catalogue de GRRR est à découvrir en priorité.

Georges Tonla Briquet sur Jazz`Halo, traduit du néerlandais

BANDCAMP Animal Opera
GRRR Records
Tchak
Jazz’halo récent Jean-Jacques Birgé – Pique-Nique Au Labo
Jazz’halo récent Jean-Jacques Birgé – Pique-Nique Au Labo 3

Court-circuit, en duo avec Ravi Shardja


Court-circuit, [...] album enregistré au Studio GRRR, est un duo improvisé avec Ravi Shardja, pseudo de Xavier Roux. Écoute et téléchargement gratuits. [...] Ravi avait apporté sa mandoline électrique et un mélodica. La musique du groupe Gol, dont il fait partie, me ramène aux premières années d'Un Drame Musical Instantané, bricolage inventif un peu destroy. En enregistrant je pense au jeu du roman de Cocteau, Les enfants terribles, dont Jean-Pierre Melville tourna l'adaptation. À la fois tendre et cruel. La photo de la pochette prise au garage me soufflera le titre des cinq morceaux : Monocycle, Deux roues, Sur trois pattes, Déviation, Ex Aequo. La progression est évidente. Si ce 20 avril 2012 est électrique j'ai l'impression d'entendre deux écureuils galopant imperturbablement chacun dans sa roue motrice. Et ça roule !

Extrait d'un article du 23 octobre 2012
Treize ans plus tard, jeudi 16 Janvier 2025 à 18h30 au Souffle Continu à Paris, show-case de Ravi Shardja pour la sortie de Quatre soliloques sur le label L’Eau des fleurs.

mercredi 8 janvier 2025

Georgette Dee, "plus grande diseuse vivante allemande"


Mes copines, évidemment germanophones, étaient étonnées que je ne connaisse pas Georgette Dee. Il est certain qu'adorant les voix graves de certaines chanteuses allemandes telles Marlene Dietrich, Zarah Leander ou Ute Lemper, j'aurais probablement dû ! Je me souviens qu'en discutant avec Hanna Schygulla, qui avait accepté le rôle principal du long métrage L'astre qu'en 1996 je n'ai pas réussi à tourner, j'étais liquéfié par l'envoûtant velouté de sa voix, un peu comme en France celle de Delphine Seyrig. J'ai conservé précieusement les interviews en français de Marlene où elle évoque le violon qui lui a fait mal ou ses magiques apparitions sur scène sous le feu des projecteurs. Voix encore plus grave, la suédoise Zarah Leander ne jouit pas du même prestige pour avoir été la "chanteuse préférée du Führer", même si elle n'a jamais adhéré au parti nazi. De la génération suivante, Ingrid Caven, Georgette Dee ou Ute Lemper perpétuent un répertoire de cabaret berlinois.


Icône gay comme Zarah Leander, Georgette Dee serait probablement un iel aujourd'hui, son site se référant à un homme alors qu'elle incarne une femme. Pour son répertoire composé de classiques (Brecht-Weill, Heine-Schumann, Porter, etc.) et de nouveautés qu'iel aime agrémenter de petites histoires drôles et provocantes iel chante en allemand et en anglais. À Paris iel était passée à Chaillot et à l'Odéon. Pour Myschtisch..., enregistré en public en 1994, Georgette Dee est accompagnée par Terry Truck qu'iel a rencontré à Londres en 1981 et avec qui iel se produira pendant trente ans, bouteille de Bordeaux et cigarettes incluses. Iel jouera au théâtre plus qu'au cinéma, poursuivant la tradition que Marlene Dietrich a popularisé dans le monde entier, femme fatale succombant à sa fatalité.