70 Musique - juin 2006 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 26 juin 2006

Bat Chain Puller, disque exhumé de Beefheart


En 1976, le label Virgin en conflit avec le Capitaine, à cause de sa collaboration avec Zappa pour Apostrophe (Warner), retient le LP Bat Chain Puller qui ne sortira jamais. Le Magic Band réenregistre la plupart des morceaux pour Warner sous le titre Shiny Beast, mais de l'aveu même des musiciens, démoralisés de devoir tout reprendre, le nouvel album sera loin d'être à la hauteur de la première version. À l'écoute, on se rend compte que Bat Chain Puller aurait marqué un nouveau départ pour le groupe de Don Van Vliet qui avait décliné avec Unconditionally Guaranteed et Bluejeans and Moonbeams. Les deux derniers albums marquants, The Spotlight Kid et Clear Spot, datent de 72. L'enregistrement de 76 rappelle plutôt Lick my Decals Off, Baby, plus déjanté que les derniers qui l'ont précédé et certainement que ceux qui suivront. Rien ne vaudra évidemment Stricly Personal et surtout l'inégalable double album Trout Mask Replica produit par Zappa sur Straight.
Les musiciens de Bat Chain Puller sont Van Vliet, dit Captain Beefheart (chant, sax soprano et ténor, clarinette basse), Denny Walley et Jeff Moris Tepper (guitare et slide guitare), John Thomas (claviers) et John French (batterie et guitare). La pochette est de Van Vliet (Bromboline Frenzy, 1985), qui abandonna définitivement la musique pour la peinture en 1986. Le disque, dont les droits semblent être entre les mains de la famille Zappa, n'est jamais sorti et ce billet n'a été rendu possible que grâce à la communauté du Net et du site Dimeadozen sur lequel j'ai découvert ce bel enregistrement maudit.
Sur Beefheart, voir les billets du 25 décembre 2005 et du 23 mars 2006.

mercredi 21 juin 2006

Fête de la Musique : Elsa fait la une du supplément du Parisien, son père joue les dièses et les bémols...


Comme la Fête du Travail pour les travailleurs, la Fête de la Musique est un jour chômé pour les musiciens. C'est du moins comme ceci que je l'entends chaque année depuis 1983. Les professionnels devraient ranger leurs instruments en s'effaçant devant les pratiques amateurs et spontanées, plutôt que jouer la foire d'empoigne pour s'installer à la meilleure place. Je suis injuste, ce n'est pas que ça, la fête bat son plein et tout le monde peut s'épanouir en dansant !
Pourtant, jamais aucune Fête de la Musique n'égala celle de 1982 à sa création par Jack Lang. Je me souviens que nous avions affrété la vieille 2CV de ma copine Brigitte Dornès avec une sono et des micros, ouvert entièrement la capote et joué debout en roulant. Hélène chantait, je jouais d'un instrument à anche double qui se pratique d'habitude à dos d'éléphant, et nous improvisions au gré des rencontres, un batteur à sa fenêtre, des Africains sur le trottoir... Prévue jusqu'à 21h30, le peuple s'appropria la rue jusque tard dans la nuit.
Je ne voudrais pas jouer les rabat-joie, c'est un jour merveilleux si l'on se lance dans les débordements les plus délirants, fête des fous, des fous de musique, des bruiteurs déments, des laisser aller à se produire enfin ! Ce n'est pas seulement jour de marché où les jeunes artistes s'affichent comme à la Fiac, tremplin gratoche ou showcase de quartier. Les professionnels pourraient encadrer les initiatives les plus délirantes ou les plus sages en leur donnant un petit coup de main, mais aucune star ne devrait s'avancer sur le devant de la scène, s'en servant comme un support de pub de plus en faisant de l'ombre aux si nombreux amateurs qui peuplent l'hexagone. Que dis-je l'Hexagone ? Il paraît que la Fête s'étend à la planète, que le langage sans paroles unit les hommes et les femmes de partout sans traducteurs, et que la paix règne enfin dans la joie et l'allégresse ! On peut toujours rêver... Sans récupération marchande, sans intrigue de palais, mais avec seulement le plaisir de hurler à tue-tête qu'enfin v'là l'été et que nous allons profiter merveilleusement de cette belle journée. Tapez sur vos gamelles, soufflez dans vos tuyaux, chantez des hymnes vengeurs, criez votre colère, n'oubliez surtout pas dans quel monde nous vivons, on nous donne des os à ronger pour mieux nous exploiter le reste de l'année. Alors citoyens, citoyennes, faisons preuve d'imagination plutôt que singer les pratiques dominantes, prenons le pouvoir, manifestons notre joie, crions des slogans utopiques, en avant la musique !
Pas différent des autres, je me rejouis pour ma fifille dont une photo incandescente, prise par William Beaucardet, orne la une du supplément du Parisien. L'instantané est tiré du Vrai-faux Mariage qui se jouera vendredi au Cabaret Sauvage avec La Caravane Passe et La Clique de Pléchti, dernière représentation avant la rentrée (voir Billet du 28 avril).

lundi 19 juin 2006

Sun Rings, spectacle cosmique de Terry Riley avec le Quatuor Kronos


Toujours sur Dimeadozen, j'ai pu trouver ce week-end quelques pépites dont l'enregistrement audio d'un spectacle multimédia composé de sons de l'espace, du Kronos String Quartet et du Sirin Choir. Sun Rings est le fruit de la collaboration de Don Gurnett, professeur à l'Université de l'Iowa, du compositeur Terry Riley, du premier violon du Kronos, David Harrington, qui tient le rôle de directeur artistique, et du designer graphique Willie Williams. Les passages les plus beaux sont probablement ceux où le choeur et le quatuor jouent ensemble, les sons enregistrés autour de la planète Jupiter venant se superposer aux musiciens vivants. C'est une commande de la NASA. Il s'agit ici du concert donné le 30 mai dernier à Moscou, quatre ans après la création. En France, n'ont été joués que quelques extraits sortis de leur contexte. Cela fait déjà très longtemps que Riley compose presque exclusivement pour le Kronos : Cadenza on the Night Plain, Sunrise of the Planetary Dream Collector, Mythic Birds waltz, Salome Dances for Peace, Cortejo Fùnebre en el Monte Diablo, Requiem for Adam...
Malgré son imposante discographie (dont je possède la quasi intégralité, près d'une cinquantaine d'albums, ce qui montre encore une fois que l'on peut acheter les disques et télécharger) le quatuor Kronos a créé beaucoup plus d'œuvres qu'il n'en a enregistrées. Grâce au miracle (encore possible) du Net, on peut entendre des pièces inédites en CD de Frank Zappa, Michael Gordon, Sigur Ros, Getatchew Mekurya, Alexandra du Bois, Jimi Hendrix, Michael Daugherty, Hyo-shin Na, Dick Dale, et même des concerts entiers avec Tom Waits ou Rabih Abou-Khalil. Il en existe quantité d'autres. Je sais seulement que le quatuor a passé commande à d'autres artistes comme Steve Lacy ou Kimmo Pohjonen, et interprété des arrangements de jazzmen comme Charlie Mingus.
Recherchant des vidéos de Sun Rings, j'ai réussi à en trouver sur le blog du réalisateur Mark Logue et à les regarder en les téléchargeant, puis en supprimant le suffixe .txt pour ne garder que .mp4 ; le son est complètement saturé, mais ça permet de se faire une petite idée du spectacle. Le son de l'enregistrement moscovite est quant à lui tout à fait décent.
Récemment, j'avais acheté plusieurs CD de Terry Riley dont différentes versions de In C et l'album qui nous avait révélé la musique répétitive en 1969, A Rainbow in Curved Air, avec Poppy Nogood en face B. Je me souviens que les échos du time lag accumulator, au travers duquel passaient ses claviers, agaçaient mon père à qui cela rappelait Radio Londres ! Soft Machine enfoncera le clou, et la réunion de Riley et John Cale, qui venait d'être viré du Velvet Underground, donnera Church of Anthrax, un autre album qui influencera mon jeu à mes débuts sur l'orgue Farfisa Profesional, le même que Pink Floyd et Sun Ra. L'ensemble servira de bande-son à nos expérimentations les plus variées.

jeudi 15 juin 2006

Flash, musique et Lindenmayer


Melka, qui est étudiant à l'École des Gobelins, a ouvert un blog très intéressant, Computaing, sur la musique générative. Il cherche des programmeurs et des musiciens avec qui discuter de son projet.

mercredi 14 juin 2006

Le vrai-faux mariage à la une


Coup de fil d'Elsa ce matin, toute fière de faire la une du Petit Journal de Télérama avec Le Vrai-Faux Mariage ! Sur la photo, elle ne fait pas de la contorsion sur son trapèze, elle est de profil à gauche derrière le fiscorn (saxhorn utilisé dans les Coblas catalanes). La Clique de Pléchti et La Caravane Passe seront samedi prochain au Festival Les Arborescences en Mayenne, et de retour à Paris vendredi 23 à 20h30 au Cabaret Sauvage. Attention, réservez vos places, le spectacle qui dure plus de deux heures se joue chaque fois à guichets fermés. C'est hyper festif !
Voir le billet du 28 avril.

mardi 13 juin 2006

Tandis qu'Hilton Ruiz est retrouvé assassiné, György Ligeti rejoint le cosmos


Les jazzmen finissent parfois dans de sombres circonstances : Albert Ayler dans l'East River, Oliver Johnson sur un banc à Paris... Cette fois, le pianiste Hilton Ruiz, compagnon, entre autres, de Roland Kirk, a été retrouvé le crâne défoncé dans une ruelle de la Nouvelle Orleans. Il avait 54 ans... C'est la réédition d'un disque de Ruiz qui avait valu à Gérard Terronès son procès contre le photographe Yves Carrère, procès honteux quelle que soit la responsabilité du producteur du label Futura/Marge. Pendant que ceux-ci s'écharpent, les musiciens crèvent dans le noir.
Disparu à 83 ans dans des conditions moins dramatiques, György Ligeti était un des derniers grands compositeurs du XXième siècle. Indépendant, sans lien avec aucune école, Ligeti avait su renouveler son inspiration au cours d'une vie musicale bien remplie. Je l'avais découvert à New York en 1968 lors de la sortie de 2001, l'Odysée de l'espace du cinéaste Stanley Kubrick qui avait utilisé des extraits d'Atmospheres, Lux Aeterna, Aventures et Requiem. La remarquable intégrale publiée par Sony montre toutes les facettes de cet esprit ouvert au jazz comme aux musiques africaines. Je me souviens ainsi d'une magnifique soirée au Théâtre du Chatelet où étaient programmées ses œuvres avec les chants pygmées et les trompes centrafricaines. Si ses œuvres dramatiques peuvent donner l'impression de baroque contemporain, Ligeti conserve l'image d'un compositeur qui flirta avec la musique des sphères, et avec les étoiles.

La photo de Ruiz est de Dennis C. Owsley, mais j'ignore qui a pris celle de Ligeti.

samedi 10 juin 2006

"Music for Airports" dans le cadre approprié


J'étais fatigué. Je cherchais une musique calme. J'ai pensé à la graine (seed) récoltée sur Dimeadozen hier matin, une des œuvres de Brian Eno qui avaient annoncé le style Ambient à la fin des années 70. Elle est interprétée ici par un véritable orchestre, celui de Bang on a Can, et dans le cadre approprié, l'Aéroport de Schiphol à Amsterdam, en juin 1999. C'est la première fois que je l'écoute vraiment. La musique se mêle merveilleusement aux voix des passagers que l'on peut parfois entendre échanger des remarques sur leurs bagages et aux bruits des salles d'embarquement. C'est parfait, très Cagien dans le concept. On sent l'espace, il y a de l'air autour des musiciens rassemblés par Michael Gordon, David Lang et Julia Wolfe. Ça fait passer le temps agréablement. Lorsque je pense aux aéroports, je me souviens de prendre des lunettes de soleil pour atténuer leur éclairage éblouissant. Ou bien est-ce l'arrivée imminente d'Helsinki de mon amie Marita Liulia qui m'a inconsciemment aiguillé vers le ciel ? La musique d'ameublement n'a rien d'un papier peint insipide, c'est choisi avec goût. Aux quatre parties de Music for Airports succèdent Everything Merges with the Night et Burning Airlines give you so much more. J'ignore qui est l'auteur des photos récupérées avec la musique.
Eno cherchait une troisième voie à côté des représentations de concert et de la muzak des supermarchés et des ascenseurs. Peut-être que les prochaines années verront pousser des fleurs musicales sur des terreaux inattendus. Nous traversons tant d'endroits inhumains, froids, austères, des lieux où l'on ne fait pas toujours que passer, qu'il serait agréable de transposer leur univers sonore vers des zones plus douces, plus tendres, en jouant avec la transparence ou bien à cache-cache, accordant l'ambiance sonore avec l'espace public. Il en deviendrait agréable grâce à cette métamorphose réfléchie en fonction des besoins d'évasion de la communauté. Trouver le son de chaque place, selon la sensation que l'on souhaite produire. Il y a de la musique partout, c'est insupportable, je fuis les restaurants et les bars où la pollution musicale nous oblige à monter le ton. Le choix de l'ambiance sonore n'est pas neutre, il y a de quoi faire pour les rares designers sonores ! En 1981 à Naples, nous avions rendu à l'illusion le Parc della Remembranza en camouflant des dizaines de haut-parleurs dans les arbres, transformant la nuit en plein jour. Vous connaissez pourtant mon goût pour le dérangement, pour la critique brechtienne des mises en scène ou des mises en ondes, pour la révolte... Mais il y a un temps pour tout, pour vivre debout comme pour aller se coucher. Le tout est de choisir la bonne attitude au bon moment ! Nous avons décollé, bonne nuit...