70 Musique - juillet 2007 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 30 juillet 2007

Plagieurs de plages


Lorsque j'étais petit, j'écoutais chaque dimanche Francis Blanche démasquer les plagieurs dans son émission Marions-les. Les auditeurs appelaient pour débusquer les chansons originales des copies. Aujourd'hui, le site vinylmaniaque.com donne une liste de chansons "à marier" et un forum d'Audiofanzine.com traque d'étranges coïncidences.
Il y a deux jours, Franck Vigroux me montrait le blog samples.fr qui recense les plagiats musicaux, compare des morceaux à la mode avec d'anciennes versions et, surtout, recherche les morceaux d'où sont issus les samples de nos tubes du jour. Daft Punk ou Justice, par exemple, s'en trouvent démasqués. Ce sont carrément des passages entiers qui sont pompés. Mais boostés avec quel talent, ah, les beaux compresseurs à lampes ! Cela me rappelle un musicien "électronique" très en vue qui jouait de ses machines sans qu'elles soient branchées pendant que ses sbires jouaient les parties en fond de scène ou qu'une bande défilait en playback. Ces commerçants ont fait du vol un art de l'esbroufe, mais est-il possible de les appeler des musiciens ? Quand on pense que ça fait la couve de Télérama...
Il ne faut pas confondre plagiat et démarquage. Il n'y a pas de génération spontanée. Chaque créateur s'inspire, consciemment ou in consciemment, des œuvres qui l'ont précédé. Patrimoine et culture sont le terreau des créations les plus révolutionnaires. Mais la copie ou l'utilisation d'un passage pour produire les mêmes effets que l'original s'apparente à un délit.
En termes légaux, un plagieur s'en sortira pourtant sans problème s'il peut prouver que l'œuvre dont il s'est "inspiré" est elle-même issue d'un précédent morceau. La loi favorise donc les nids ! Un plagiat non dénoncé ouvrirait la porte à tous les abus ? Mais attention tout de même, le sampleur n'est pas sans reproche : si copier Gainsbourg n'est ainsi souvent pas trop risqué, le sampler (le terme "échantillonner" n'est pas passé dans les mœurs des pays colonisés) est une autre paire de manches, car l'enregistrement appartient à l'éditeur qui est alors beaucoup mieux protégé par la législation sur le droit d'auteurs que le compositeur mort depuis des décennies. En d'autres termes, même lorsque la musique est passée dans le domaine public, l'enregistrement est souvent encore protégé.
S'il y a des coïncidences troublantes, il y a aussi des récidivistes dont le métier est de voler, parce qu'ensuite ils seront mieux équipés pour vendre le fruit de leur larcin que les auteurs réels n'auront été capables de défendre leurs œuvres. Drôle d'histoire, l'histoire de l'art !

samedi 28 juillet 2007

Le cabinet des docteurs Caligari


Les quatre jours de laboratoire nous ont permis de faire connaissance, d'apprécier nos similitudes et nos différences. Chacun repart avec une copie des enregistrements, libre de découper, monter, ajouter ce qui deviendra le premier mouvement d'une collaboration originale entre deux compositeurs. Notre prochaine rencontre sera certainement plus dirigée pour s'approcher de quelque chose que nous pressentons. Nous pensons à des voix, à des chansons, des guitares (cette fois, Franck Vigroux était venu sans), des documents sonores, reportages, événements dramatiques...
J'ai sorti mes synthétiseurs vintage comme le PPG et le DX7 que je n'avais pas utilisés depuis près de quinze ans. La première surprise est qu'ils fonctionnent encore. Je vais faire réparer le PPG dont les touches se bloquent et dont la mémoire est volatile. Heureusement, j'ai sauvé mes programmes sur un cd que je peux recharger à chaque rallumage. Le DX7 est équipé d'une carte Supermax qui multiplie incroyablement ses possibilités, le rendant, entre autres, multitimbral et lui adjoignant un puissant arpéggiateur. Franck détruit systématiquement leurs timbres avec ses filtres diaboliques. J'en ai commandé un en Allemagne. C'est une manière de leur donner un sacré coup de jeune. Le son crado, hard core, ne m'empêche pas de continuer à aimer la transparence du PPG, ses perspectives et ses lignes de fuite, mais ce n'est pas le style de la création que nous avons entamée. J'ai d'ailleurs utilisé des bandes que j'avais enregistrées entre 1965 et 1968, parmi mes premières œuvres électroniques, en les retraitant avec mon Eventide H3000.
Franck, qui de son côté voudrait recréer un orchestre symphonique, m'a demandé de souffler dans des instruments que j'ai également délaissés depuis trop longtemps : trompette, cornet, saxhorn, trombone, cor d'harmonie, hélicon, toute une section de cuivres. Même démarche avec les cordes, nous frottons violon, alto, violoncelle et contrebasse. La section de cordes est composée essentiellement d'instruments de la lutherie Vitet : le frein est une sorte de contrebasse à tension variable, l'alto est en laiton et plexiglas avec un manche à sillets, le violoncelle est un huitième, il n'y a que mon violon qui soit "normal" ! Je fais ce que je peux. Le montage fera le reste !
Nos voies sont enregistrées sur des canaux séparés. C'est une pâte sonore extrêmement riche, avec des distorsions si importantes que l'électronique retrouve une matière palpable. Des alliages inouïs, que nous n'aurions pas imaginés sans nous rencontrer, naissent de ce travail alchimique. J'attendrai quelques jours pour réécouter les trois heures (nous avons été raisonnables !) que nous avons mises de côté. Nous connaissons déjà le titre de l'œuvre à venir, mais chut ! Nous pourrions réveiller les démons qui dorment en chacun de nous... Une manière discrète de parler de "vous".

jeudi 26 juillet 2007

Tous les temps se conjuguent au présent


J'enregistre en laboratoire avec Franck Vigroux. Comme le Studio GRRR est déjà conçu pour que je puisse instantanément réaliser tout ce qui me passe par la tête, le premier jour Franck commence par installer son matériel. À chaque projet, il cherche une nouvelle configuration pour ses instruments, ici essentiellement une platine tourne-disques et des petites machines électroniques le plus analogique possible. Il les branche ensemble comme j'avais l'habitude de connecter les modules de l'ARP2600 acquis en 1973, l'année de sa naissance ! Il échantillonne les précieux 45 tours que j'ai descendus de ma discothèque, les filtre, les distord, pour fabriquer une pâte qui devrait constituer l'orchestre improbable de ses rêves.
Ces jours-ci, je fais des cauchemars gore et je ne sais pas pourquoi. Dans la journée je suis serein, intéressé d'apprendre comment un musicien que j'apprécie s'approche des mêmes objectifs avec des outils actuels. Il retrouve à sa manière ce que Bernard fabriquait en manipulant des bandes magnétiques ou ce que je compose avec mes machines, synthés, échantillonneurs, et surtout en traitant des objets acoustiques par l'entremise de mon bardas digital, la plupart du temps en temps réel, j'insiste. Mon système me permet de réduire le temps de latence entre l'idée et l'acte. Je suis extrêmement attaché au geste instrumental, particulièrement lorsqu'autant de machines sont mises à contribution. À nos trois générations séparées chacune de vingt ans correspondent trois méthodes pour arriver à des résultats très proches, la recherche d'une pâte dramatique qui, remodelée, composera sa propre histoire, que j'espère suffisamment ouverte pour que l'auditeur puisse se l'approprier.
En fin de journée, nous avons hier rendu visite à Igor Juget, de la revue Sextant, qui a réalisé l'authoring du nouveau dvd de Franck. Igor nous pose la question du montage qui est déterminante. Qui s'y colle ? Mon camarade s'imagine mal abandonnant la phase 2 de nos compositions ! Je le comprends trop bien et lui confirme ma confiance. La confiance est l'élément essentiel de ma démarche de créateur. Je pourrais toujours lui exprimer mon opinion, mes critiques, tant qu'elles seront constructives, et réciproquement. Je ne me vois pas interdire telle ou telle manipe, car c'est de la liberté de création dont il est question, d'autant que notre investissement est partagé. À l'issue de nos quatre jours de jeu et de bidouillage, je ferai une copie de tous nos enregistrements pour que Franck les emporte dans sa Lozère et continue le travail de son côté. Du mien, je réfléchirai à comment les utiliser également. Le projet prend enfin tout son sens. Nous nous retrouverons probablement pour de nouvelles séances. Il est passionnant d'imaginer comment deux compositeurs travailleront à partir du même matériau, confrontant le résultat dans une forme de production qui reste à définir.

vendredi 20 juillet 2007

Retrouver la raison


Je ne sais plus comment écrire sur la musique, comment faire partager mes coups de cœur, comment transmettre ce qui m'a été légué, comment me distinguer du vacarme ambiant. Aurais-je perdu le rythme des mots, à parler sur au lieu de versifier sûr ? Dois-je chanter les louanges pour qu'elles soient entendues ? La culture est-elle devenue une simple marchandise qu'on la relooke aux couleurs de la mode, faux-semblant faisant croire aux artistes en herbe qu'ils inventent lorsqu'ils ne font que répéter sans le savoir ce qui les constitue ? Les idées se rencontrent, mais que reste-t-il du style ? Je m'y perds, parce que je n'ai jamais voulu pondre un morceau de plus, ajouter mes sornettes au concert de klaxons, urinant dans cet océan d'informations dans lequel nous nous noyons tous. Je tape trop souvent plus de lignes que je ne frappe de touches, comme la justification d'une vie passée à produire, comme si c'était fini, comme si j'avais tout dit et qu'il fallait encore enfoncer le clou. À viser l'efficace, on se dilue. Retrouver la simplicité du cœur, participer à la chorale, la vacance est là pour remettre le compteur à zéro.

La raison, déjà un mauvais terme, est qu'à mon retour je devrai me remettre à jouer. D'abord de la musique avec Franck Vigroux. Avantage, je n'ai aucune idée, donc pas de préjugé, comme une nouvelle virginité dans un corps marqué par les années. On peut les compter comme les écailles de la tortue. Ne croyez pas qu'avec le temps il soit plus facile d'écrire. C'est le contraire. Peur de radoter. Sensation de déjà vu. Y aller alors, au lieu de râler, sans souci, tel ce bateau en papier flottant dans le caniveau rue de la Convention lorsque j'avais l'âge de raison, avant l'orage des saisons. Mais avec quel accompagnement ? Je n'ai jamais su ni plier ni rouler le papier. Chacun de mes mouvements est lié aux désirs de mes alter ego.
Je dois aussi rédiger plusieurs articles. Pour le prochain Muziq, Goaty me demande d'écrire chaque fois 1500 signes sur trois disques que j'ai usés jusqu'à la corde. Pour me pendre ? Trois filles, non des moindres. En ai-je connu d'autres ? Bien sûr. J'ai failli me la passer autour du cou tant elles étaient fatales. J'ai grandi et m'en voilà fort marri ! Les idées ne manquent pas, je m'y mettrai lorsque j'aurai trouvé le style. Idem pour les Allumés, je dois absolument sortir du cadre thématique que je m'étais imposé pour ma chronique dvd "Sur l'écran noir de vos nuits blanches". Laisser aller la plume en considérant les galettes comme les contrechamps de mes élucubrations. Retrouver la liberté. Le ton. Une illusion. Je m'entraînais devant la glace. C'est du travail. Beaucoup de travail.

jeudi 12 juillet 2007

Octuor pour 27 nations


Deuxième journée aux Studios de la Seine pour le clip L'Europe 1907-2007 avec Eric Echampard et Ronan Le Bars. Eric commence par choisir ses fûts et surtout les peaux qui vont dessus. Comme je n'aime que les batteries accordées, je suis comblé. Eric passe deux heures à s'accorder, retrouvant le grave de la grosse caisse en la refermant par une seconde peau et harmonisant la tonalité de l'ensemble. Les prises elles-mêmes ne durent que quelques minutes. Lorsque tout est intelligemment préparé et les motivations claires, il n'y a plus qu'à le faire ! Il accompagne la valse jazz avec son propre swing et la solea en jouant à mains nues, se rapprochant de notre idée première de percussion ethnique. Un élégant roulement de caisse claire introduit la batterie bretonne du bagad.


Après un déjeuner de sushis sur le pouce et pouf du studio, Bernard et moi accueillons Ronan qui aura fait sept heures de train pour quelques mesures de uilleann pipes. Le son de la cornemuse irlandaise nous fait dresser les poils sur les bras. Tricotant l'hymne européen avec la guitare wah-wah d'Hervé, elle ferme le ban en donnant l'impression qu'au finale se retrouvent les vingt-sept Etats de la Communauté Européenne.


La musique va maintenant permettre à Pierre-Oscar Lévy de monter son film. Un siècle d'histoire de l'Europe défilera tandis que derrière les notes, sous les mots, d'autres réflexions germeront. Nous reprendrons le mixage fin septembre lorsque les documents d'archives audiovisuels auront été calés.

mardi 10 juillet 2007

L'Europe, l'Europe, l'Europe


Hier, l'enregistrement aux Studios de la Seine est passé comme une lettre à la poste. Après le Balanescu String Quartet pour Sarajevo Suite avec Dee Dee Bridgewater, c'est la seconde fois que nous enregistrons avec un quatuor à cordes. Le Quatuor IXI composé de Régis Huby et Irène Lecoq (violon), Guillaume Roy (alto) et Alain Grange (violoncelle) a été simplement parfait, interprétant la partition pour L'Europe avec une sensibilité toute viennoise tandis que les stations annonçaient Swing Waltz, Solea andalouse ou Finale celtique. Bien que le quatuor soit un travail d'équipe, il est amusant de voir Régis diriger à notre place. Nous avons commis une énorme erreur de copie en préparant la séance, oubliant un changement de tempo. L'ingénieur du son, Fabrice Maria, rattrape le coup par une astuce de montage qui rend le verse encore plus dramatique. Canaliser les erreurs et les maladresses produit des surprises miraculeuses.
Déjeunant chez Paul au carrefour des rues de Charonne et de Lappe, nous apercevons par la fenêtre une plaque commémorative en hommage à Francis Lemarque né en face. Coïncidence émouvante puisque nous débutons l'après-midi avec l'accordéoniste David Venitucci et le guitariste Hervé Legeay qui l'accompagnaient sur son dernier disque. Bernard raconte qu'à la même adresse, il y avait en bas un restaurant où il avait l'habitude de venir manger du couscous et acheter du hasch avec Chet Baker. David swingue comme un fou, Hervé passe de la guitare manouche au flamenco et termine par un Hymne à la Joie hendrixien tandis que résonnent les tambours incisifs du bagad breton. Suite mercredi avec Eric Echampard à la batterie et Ronan Le Bars aux uillean pipes !

lundi 9 juillet 2007

Houellebecq-Birgé, la presse (2)


Après la revue Sextant qui me consacre 34 pages dans son numéro 3, c'est au tour de Jazzosphère, dans son numéro 32 intitulé "Musique et littérature", de publier 5 pages d'entretien sur ma collaboration avec Michel Houellebecq, agrémentées de nombreuses photographies. Après une première revue de presse il y a quelques jours, voici un petit article paru dans ce même Jazzosphère, augmenté de deux chroniques du Net.

Établissement d'un ciel d'alternance,
Jean-Jacques Birgé/Michel Houellebecq
Texte et musique. Cette savante alchimie qui lie un auteur et un musicien ne révèle que très rarement son essence. Le musicien écoute l'auteur lire et exprimer son texte, lui donner une signification qu'il n'avait peut-être pas ressentie comme telle mais qui, dans ce lieu, avec ce public et à ce moment-là prend toute sa force.
Les rencontres mêlant la musique à d'autres formes artistiques sont toujours fragiles. Fragiles car la musique est avant tout vecteur d'émotion. Son rôle dans les œuvres cinématographiques n'est plus à montrer. Une scène prendra ainsi une couleur différente selon le son qu'on lui prête.
Cette relation intime se retrouve entre la musique et le texte. Quelle gageure de porter musicalement un texte sans se limiter à de simples illustrations des mots écrits par l'auteur. Quelle gageure pour un auteur de se prêter à l'exercice impudique de livrer au public son texte et de lier son entreprise à celle d'un musicien.
Jean-Jacques Birgé et Michel Houellebecq s'engagent, au travers d'Établissement d'un ciel d'alternance, dans cette voie périlleuse. Le musicien retient son souffle, se met au service d'un texte ; l'auteur partage ses mots, les délivre au goutte à goutte comme pour savourer encore plus ce moment magique. Publiée plus de dix ans après son enregistrement, cette œuvre suscite une émotion spéciale et conserve intacte sa force d'expressivité.
Sabine Moig (Jazzosphère n°32, juillet 2007)

Pour ceux que la Présence humaine houellebecquo-burgalesque avait laissés sur leur fin, se précipiter dans l'univers sonore "dynamiquement léthargique" de Jean-Jacques Birgé accompagnant notre slameur mou lors d'une performance à la Fondation Cartier (novembre 1996) que les disques GRRR nous restituent en une version studio sans perruches, sous le titre évocateur : Etablissement d'un ciel d'alternance. Hormis les retrouvailles avec la poésie délicieusement spleenétique de l'auteur, c'est une belle occasion de découvrir le travail d'orfèvre d'un musicien contemporain on ne peut plus farouche - le résultat (notamment la plage III extraite de La Poursuite du bonheur) est bouleversant et lyrique en diable.
Marc Bruimaud

Disque ami : Jean-Jacques Birgé nous fait prendre une cuite…
Mais une cuite de Jupiter ! Le voilà qui s’est mis en tête (et en corps) de nous faire aimer Michel Houellebecq par son nouveau disque : Etablissement d’un ciel d’alternance co-signé avec l’écrivain. Et par un tour de passe-passe olympien, il y parvient. La diction de Houellebecq est seyante et intime. Elle est portée en confiance par la musique chaleureusement incisive (l'écrivain offre ici son meilleur, ses livres nous indiffèrent). Les photographies et le livret sont de beaux compléments d’objets directs. Un coup réussi du type de l’illustration du Voyage au bout de la nuit par Tardi (si vous voyez ce qu’on veut dire).
Et en conclusion surprise, et pas des moindres, une pièce intitulée "Tchernobyl" co-signée et co-réalisée avec Bernard Vitet qui pourrait être la bande musicale de l’excellent album de Chantal Montellier : Tchernobyl (éditions Actes Sud).
Jean Rochard

mardi 3 juillet 2007

Houellebecq-Birgé, la presse (1)


Il n'est ni agréable ni efficace de faire sa promotion soi-même. Je me suis épuisé à contacter les journalistes littéraires (sans le moindre succès, semble-t-il) et musicaux, à les harceler parfois. J'ai eu de temps en temps la surprise de longues et passionnantes conversations, mais il faut savoir être patient face aux promesses de publication. Aujourd'hui, je cède la place à trois journalistes qui ont écrit sur Établissement d'un ciel d'alternance, cd en duo avec Michel Houellebecq que j'ai composé, réalisé et produit (distribution Orkhêstra). Leur prose me repose et m'honore :

Alors que la cinématique génère de nouveaux chantiers musicaux, où l'on observe l'influence des BOF (Bandes Originales de Film) sur le jazz mâtiné d'electronica, sur le hip-hop échantillonné de dialogues cinématographiques, il convient de rendre à César ce qui appartient à César et à l'invention hélicoïdale ce qui appartient à Birgé. Car Birgé est un nom pionnier. Il est la source de toutes les aventures traversières actuelles, celles gui font fusionner les serpentements du son et les images qui refusent de ramper devant les impératifs du cliché. Réalisateur de spectacles multimédia à partir de 1965, fondateur, en 1976, du groupe Un Drame Musical Instantané, avec Francis Gorgé et Bernard Vitet, Birgé a montré avant tout le monde le parti que la littérature pouvait tirer de l'improvisation sonique (et réciproquement) en créant des évènements autour d'œuvres de Dino Buzzati, d'Edgard Poe ou encore de Zola. Cette capacité d'invention qui le fit composer pour le théâtre, le cinéma, la radio, un orchestre symphonique, un jazz band justifiait qu'on le sollicite afin d'accompagner une lecture de Michel Houellebecq lorsqu'il était ce poète prometteur adoubé par Michel Bulteau, l'homme du "Manifeste électrique aux paupières de jupes". Sous l'impulsion d'André Velter, naguère associé aux secousses transformatiques de la revue Change, il effectue l'exploit de combiner un traitement sonore sur la voix véritablement envoûtante de Michel Houellebecq lisant des fragments du "Sens du combat" (1996) et de "La poursuite du bonheur" (1992). Le spectacle eut lieu à la Fondation Cartier, en première partie de Patti Smith et à l'occasion du 10e anniversaire des Inrocks. Enregistré le 4 novembre 1996, en une seule prise, sans coupure ni mixage, "Établissement d'un ciel d'alternance" est ainsi salué par l'auteur de "La possibilité d'une île" : voici "quelque chose d'assez rare dans ma vie : une collaboration avec un musicien réussie ". Spécialiste des instruments de synthèse, Birgé parvient ici, talentueusement, à porter une écriture marquée par l'errance en rendant distinct le climat fuligineux et cette lumière tremblante qui éclaire le décor de guerre mis en voix par Houellebecq. Nul assemblage bricolé dans la recherche d'un effet, "Établissement d un ciel d'alternance" joue parfaitement son titre, un équilibre de tension entre l'harmonie du désastre et la grammaire des sons sinusoïdaux dont Jean-Jacques Birgé est l'oracle parfait. Signalons que l'opus, présenté sous etui DVD (un clin d'œil à l'image-mouvement) est post-scriptumé d'une pièce instrumentale signée Birgé-Vitet. Conclusion explosive au "poème symphonique" de Michel Houellebecq, elle s'intitule éloquemment Tchernobyl.
Guy Darol (Jazz magazine, mai 2007)

Pour sa collaboration avec Bernard Vitet, son ancien compère du Drame Musical Instantané, Jean-Jacques Birgé suggère un dynamisme léthargique proche du "poème symphonique" Établissement d'un ciel d'alternance qu'il co-signe avec l'écrivain Michel Houellebecq. L'expression synthétise avec goût cette lecture suffocante, comme happée par le vide, qui rebondit et s'embrase dans le fourmillement électronique - contrepoint idéalement visqueux à la voix lasse et quasi-désincarnée de Houellebecq, pour une musique d'un noir d'encre où l'écrivain chante des "territoires de la terreur" aux confins de Pierre de Mandiargues et d'Alain Robbe-Grillet...
Franck Mallet (Classica répertoire, mai 2007)

Ça se passe le 9 novembre 1996 à la Fondation Cartier pour le dixième anniversaire des Inrockuptibles. On attend Patti Smith et on patiente avec Houellebecq-Birgé. Des perruches (mais que faisaient-elles là ?) donnent de la voix, piaillent leur néant.
Ça se passait aussi quelques jours plus tôt au studio GRRR de l'ami Birgé. Sans les perruches, les deux hommes se soudaient d'une inconsolable fatalité ; celle de l'après chaos, celle du requiem des mondes. Celles de mécaniques obsessionnelles, répétitives, explorant l'étouffement des hommes, la fatalité des haines. La nuit est presque rouge dit l'un ; le cri ne sera bientôt plus capitonne l'autre. Mais lequel est le stalker de l'autre ? Lequel invente le récit ? Houellebecq est satisfait de la rencontre et le dit dans le livret ; Birgé parle de confiance... Le courant est passé qui mériterait de repasser.
Tout se termine avec Tchernobyl, composition du tandem Birgé-Vitet. Éloge du métallique et du fuyant, la peur s'en est allée, laissant au loin les stigmates de l'incertain.
Une musique recommandée et recommandable.
Luc Bouquet (Improjazz, juillet-août 2007)

Sur ce blog plusieurs billets abordent l'album sous des angles variés :
- Sortie chez GRRR de mon duo avec Michel Houellebecq (avec la pochette originale)
- Les chiffres à livre(t) ouvert
- Les pochettes auxquelles vous avez échappé
- Étienne Auger commente son travail (la photo ci-dessus est issue du verso du livret)
- Houellebecq Malentendu