Le remix minimaliste des disques du label ECM par
Ricardo Villalobos et Max Loderbauer sied parfaitement aux productions de
Manfred Eicher. Là où le formatage planant de chaque album pris séparément m'endort,
Re: ECM introduit une délicate dialectique slalomant entre des sources aussi variées qu'Arvo Pärt, Alexander Knaifel, John Abercrombie, Miroslav Vitous, Louis Sclavis, Bennie Maupin, Paul Motian, et plusieurs morceaux de Christian Wallumrød. Si je suis fan de la linéarité monotone de
Michael Mantler, friand des inventions brechtiennes d'
Heiner Goebbels ou de la trompette veloutée d'
Arve Henriksen, rares sont les disques
ECM que j'arrive à écouter sans avoir l'impression d'être dans un salon de massage.
La difficulté des DJ est d'obtenir les droits de ce qu'ils triturent ou l'astuce de malaxer ce qui les y autorisera. Lorsque l'on n'appartient pas à l'écurie d'une major, s'associer avec un label est une aubaine que Villalobos et Loderbauer ont su saisir au bond. J'accordai jadis à
DJ Nem l'autorisation de se servir des
disques GRRR sans que je sois d'ailleurs capable de reconnaître, la plupart du temps, les échantillons prélevés parmi mes productions ! Le double album
Re: ECM, très reposant sans être soporifique, est une parfaite équation entre les différents termes qui le composent.
Comme j'évoquais
White Noise et
Silver Apples, deux disques qui m'inspirèrent à mes débuts, Théo me conseilla
Golem du groupe allemand Sand enregistré en 1974. Les entêtantes guitare et basse des frères Papenberg rythment la voix de Johannes Vester pour un minimaliste et psychédélique krautrock où les synthétiseurs ont fait leur apparition. Klaus Schulze, auquel Philippe Labat aimait me comparer pour me taquiner, fait une apparition aux congas.
Je continue néanmoins à préférer les délires électroniques de
David Vorhaus,
Delia Derbyshire et
Brian Hodgson qui, avec le percussionniste
Paul Lytton (sur
Black Mass Electric Storm in Hell) et les chanteurs John Whitman, Annie Bird, Val Shaw, me firent "tripper" plus d'un samedi soir. Acheté en 1969 à l'intuition pour sa pochette,
An Electric Storm, premier album du groupe
White Noise, n'a pas pris une ride tandis que les suivants n'ont malheureusement aucun intérêt.
Également acheté au
Souffle Continu, où je jouerai le 17 juin à 18h30 de mes drôles de machines en duo avec Antonin-Tri Hoang (sax alto, clarinette et clarinette basse),
The African Twintower Suite est la musique composée par
Hanno Leichtmann pour un film du provocateur metteur en scène
Christoph Schlingensief. Mélange de rythmique allemande pour percussion et échantillons bouclés (Leichtmann), de musique indienne (Ravi Srinvasan et Vandana Sharma), de claviers électriques (Sir Henry), le résultat tient d'un capharnaüm composant la bande-son d'un film remonté pour le disque, mais impossible à se figurer tant ses éléments semblent délicieusement incongrus.
De son côté,
Franck Vigroux me conseille
Massacre de
Wolfgang Mitterer, dont l'argument s'inspire du
massacre à Paris de
Christopher Marlowe. Saint-Barthélémy de la musique classique, son opéra est resitué dans une perspective politique actuelle, guerre de religions mêlant l'électronique à cinq voix lyriques et au Remix Ensemble, neuf instrumentistes remarquablement dirigés par
Peter Rundel. La richesse de l'œuvre ne se découvre qu'à une écoute attentive, où les éléments disparates se démasquent, malgré la surabondance de références savantes qui parquent le massacre dans le ghetto estampillé "musique contemporaine". Exige d'y revenir pour en saisir toute la richesse.
Je termine par une compilation réalisée par Vigroux sur son label
D'autres cordes intitulée
Archipel électronique vol1. Christophe Ruetsch, Erik M, Annabelle Playe, Bérangère maximin, Jérôme Montagne, Kasper Toeplitz, Sébastien Roux, Samuel Sighicelli et le maître de cérémonie se succèdent en une débauche électro-acoustique qui doit plus au GRM qu'à l'Ircam si je compare avec
Massacre. Entendre des conducteurs de machine les mains dans le cambouis plutôt que des musiciens cravatés. Très belles pièces, l'électricité règne, la saturation n'est jamais loin, l'énergie est intacte, rien ne se perd, rien ne se crée.
C'est peut-être le bémol que j'ajouterais à tous ces univers si personnels, cités depuis le début de cet article. On ne quitte jamais les écoles, qu'elles se nomment microhouse, krautrock, classique contemporaine, électro-acoustique, etc., toutes pourraient être logiquement affublées d'une étiquette alors que je cherche désespérément l'innommable. J'évoque le Graal, seule motivation qui continue à me faire acheter des disques. Il apparaît en de rares occasions. D'après ma petite enquête, il semblerait que mes collègues musiciens sont toujours aussi peu nombreux à se ruiner dans les magasins de disques, à quelques exceptions près. C'est à ce prix pourtant que s'opèrent nos révolutions intérieures.