70 Musique - janvier 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 31 janvier 2013

C'est maintenant...


C'est maintenant que l'on a besoin de vous voir pour nous entendre. Le spectacle de ce jeudi soir ne se reproduira jamais. Il y a de moins en moins de monde dans les théâtres à Paris, alors on s'inquiète. Les gens serrent les cordons de leur bourse. Ayant rêvé de ce concert, nous ne voudrions pas que cela tourne au cauchemar... Des fois que l'organisateur imagine que notre projet n'intéresse personne, on aurait l'air de quoi ? C'est justement le titre de notre création, Rêves et cauchemars, mais les nôtres sont vrais, aventures vécues, intimes, déterminantes. C'est la première fois qu'Antonin-Tri Hoang et moi jouons avec le batteur que tout le monde s'arrache, Edward Perraud. Lâchez vos charentaises ! C'est tout près, Le Triton est à côté du Métro Mairie des Lilas, au bout de la ligne 11, vingt minutes depuis Châtelet, montre en main. Profitez-en, parce qu'en jouant nous oublions le temps. L'enjeu réside alors à vous le faire oublier à vous aussi. On ne sait pas combien de temps dure un rêve. Il paraît que ses péripéties filent à une vitesse vertigineuse. Freud suggère qu'il s'agit toujours de l'expression d'un désir. Nous avons envie de vous raconter les nôtres, il y en a neuf, trois chacun, extravagants, hallucinants, bouleversants... L'orchestre est un mélange d'anches, de percussion, d'instruments électroniques, de voix aussi. La question qui me trotte dans la tête en attendant ce soir, c'est comment (ou pourquoi) s'arrête un rêve ?

Pour les paresseux qui souhaitent nous contrarier en restant chez eux et qui possèdent un iPad2 ou un iPad3, ils peuvent toujours télécharger La machine à rêves de Leonardo da Vinci. L'œuvre interactive créée avec Nicolas Clauss est gratuite, elle ne ressemble à aucune autre application. Vincent Segal y joue du violoncelle et de l'arbalète. C'est un objet contemplatif qui se renouvelle sans cesse. Laissez vous bercer. Là aussi vous vous surprendrez à rêver à votre tour... Pour les plus curieux je ne peux m'empêcher de vous conseiller les deux : le concert où vous partagerez un moment unique et l'appli qui le prolongera à l'infini. C'est une figure rhétorique. L'infini nous est étranger, une question sans réponse... Les artistes ne finissent jamais rien, ils laissent ce soin au public. C'est pour cette raison que votre présence et votre participation sont indispensables.

lundi 28 janvier 2013

Rêves et cauchemars de Birgé-Hoang-Perraud

...
Bravez la météo, sortez jeudi, nous jouons seulement ce 31 janvier à 21h au Triton, Les Lilas (à côté de la station de métro Mairie des Lilas sur la ligne 11). J'ai demandé à Antonin-Tri Hoang (sax alto et clarinette basse) et Edward Perraud (batterie) de raconter chacun trois rêves. Avec les miens (clavier, instruments électroniques, trompette à anche) cela fera neuf Rêves et cauchemars à interpréter en musique en leur donnant corps...
Pour s'endormir Antonin entonnait d'étranges psalmodies qu'il rythmait en oscillant la tête. Les jours de fièvre il croyait voir des serpents bouger sous le tapis de bain, les plantes devenaient carnivores, le voyage psychédélique ne se dissipait qu'au levé du jour. Aujourd'hui encore il lui arrive de passer la nuit à essayer en vain de faire sortir un orchestre qui joue en continu dans sa tête.
Edward, chasseur de lions en Afrique, est poursuivi par sa tribu. Certains rêves sont plus conceptuels. L'un d'eux se réfère à l'haïku "je ne sais pas pourquoi j'aime ce monde dans lequel nous sommes venus mourir". Enfin, il a toujours rêvé de mettre en musique celui d'Albrecht Dürer où des trombes d'eau s'abattent sur la Terre.
Je pense que son cauchemar de parallélépipèdes absorbants est un souvenir de ma naissance. Mais que vient y faire le chiffre 7 ? Mon père ne serait pas mort, il aurait refait sa vie en Grèce. À Sarajevo pendant le siège, je m'endors en comptant les explosions comme d'autres comptent les moutons. Les tirs des monstres perchés sur les collines me rappellent Ionisation de Varèse.

PROMO EXCEPTIONNELLE : 1 place achetée = 1 place offerte en appelant dès maintenant au 01 49 72 83 13 !

Illustration : Jean Bruller (dit Vercors)

jeudi 17 janvier 2013

Incisives de John Waters


Après quelques écoutes en boucle du nougat toulousain je cède aux sirènes du rock américain, plutôt tordu puisqu'il s'agit d'une compilation audio concoctée en 2007 par le réalisateur John Waters en vue d'un rencart hypothétique, hypothétique du moins quant aux effets de ces morceaux choisis s'il s'agit d'emballer ! Survoltés, Jet Boy Jet Girl par Elton Motello (version anglaise de Ça plane pour moi écrite par son véritable auteur et interprète francophone Lou Deprijk), All I Can Do Is Cry par Ike & Tina Turner en transe paroxystique, Clarence "Frogman" Henry dans un numéro vocal tri-sexuel... De Waters on pouvait évidemment s'attendre à des expériences hors pistes, I'd Love to Take Orders From You par Mildred Bailey, corny avec John Prine et Iris DeMent ("Convict movies make her horny...), gérontophile avec l'actrice Big Girls Don't Cry d'Edith Massey, kitsch avec Earl Grant dans la chanson titre du film Imitation of Life de Douglas Sirk, troublants avec Sometimes I Wish I Had a Gun par une autre des actrices de Waters, Mink Stole, Johnny Are you Queer par Josie Cotton ou lorsque Margie Hendricks rejoint Ray Charles dans (Night Time Is) The Right Time avec son Squeeze me, squeeze me! On reprend son souffle avec le crooner Dean Martin et Hit The Road To Dreamland, mais déjà Eileen Barton vous réveille avec If I Knew You Were Coming” I'd do more than “Bake You a Cake” et Shirley & Lee vous achèvent avec Bewildered. Pour les fans, John Waters a enregistré en vidéo ses notes de pochette...

mardi 15 janvier 2013

Dents de lait de Nougaro


Frémeaux continue son travail patrimonial en publiant des CD de chansons, musiques et textes rares ou oubliés. Ainsi sont sortis des albums de Serge Gainsbourg, Boris Vian, Claude Nougaro et leurs interprètes. Possédant déjà l'inusable et fabuleux coffret de 6 disques de Boris Vian paru chez Polygram en 1991 j'évite les doublons malgré quelques chansons figurant sur les 3 CD qui excitent ma curiosité. Idem pour Gainsbourg bien que Frémeaux se soit attelé à une intégrale depuis 1957 avec déjà deux triples volumes. La surprise vient donc des débuts de Claude Nougaro, par lui-même avant qu'il se mette à rouler les r et surtout des interprètes qui l'ont chanté lorsqu'il n'était encore qu'auteur. Très influencé par Boris Vian, sur les pas rock 'n roll d'Henry Cording alias Salvador, le jeune Nougaro va rapidement s'enticher du jazz et ne plus arrêter de swinguer. Charles Trenet avait montré la voie dès les années 30. Le feutre taupé de Roche et Aznavour date de 1948... Comme je l'interrogeais en 1998, Nougaro répondit : "C'est dans ce miroir noir que j'ai reconnu une partie de mon âme. À ce sujet-là, mon front n'est pas une frontière..."
L'intérêt du double album réside dans les interprétations de Philippe Clay, Jean Constantin, Lucienne Delyle, Richard Antony, Marcel Amont, Pierrette Bruno et d'inconnus telle Simone Alma dont le cri dans Vise la poupée est inoubliable. La gouaille de Clay très présent, la version de Bobino des Pantoufles à papa par Constantin, la mélodie de Serge et Nathalie par Colette Renard sont enthousiasmants. Comme pour tous les artistes cités plus haut les paroles sont de petites dramaturgies qui leur confèrent un statut de court métrage. La pop anglo-saxonne a laminé le texte au profit de la musique et des arrangements. Comment écouter les chansons de Prévert et Kosma en faisant la vaisselle ? Même légères et frivoles les paroles réclament de l'attention pour en savourer tout le suc. Ça se comprend. (à suivre)

vendredi 11 janvier 2013

Rencontre avec John Cage (reprise)


En mai 2006, Jonathan, défendant l'importance de John Cage, me rappelait que j'avais écrit à propos de l'héritage d'Edgard Varèse "Toute organisation de sons pouvait être considérée comme de la musique !" C'est ce sens qui m'a fait penser à Cage, surtout 4'33", ajoutait mon ami américain.

Au début d'Un Drame Musical Instantané, nous nous posions toutes ces questions, surpris par l'immensité du champ des possibles. En 1979, j'avais téléphoné à John Cage et l'avais rencontré à l'Ircam alors qu'il préparait Roaratorio, une des plus grandes émotions de ma vie de spectateur. Nous étions au centre du dispositif multiphonique. Cage lisait Finnegan's Wake, il y avait un sonneur de cornemuse et un joueur de bodran parmi les haut-parleurs qui nous entouraient. Cage avait enregistré les sons des lieux évoqués par Joyce. On baignait dans le son... Un après-midi, je lui avais apporté notre premier album Trop d'adrénaline nuit pour discuter des transformations récentes des modes de composition grâce à l'apport de l'improvisation, nous l'appelions alors composition instantanée, l'opposant à composition préalable... Cage était un personne adorable, attentive et prévenante. Heures exquises. J'étais également préoccupé par la qualité des concerts lorsqu'il y participait ou non. C'était le jour et la nuit. Nous avions parlé des difficultés de transmission par le biais exclusif de la partition, de la nécessité de participer à l'élaboration des représentations... En 1982, le Drame avait joué une pièce sur les indications du compositeur. C'était pour l'émission d'une télé privée, Antène 1, réalisée par Emmanuelle K. Je me souviens que nous réfutions l'entière paternité de l'œuvre à Cage ! Nous nous insurgions contre les partitions littéraires de Stockhausen qui signait les improvisations (vraiment peu) dirigées, que des musiciens de jazz ou assimilés interprétaient, ou plutôt créaient sur un prétexte très vague. Fais voile vers le soleil... Cela me rappelle les relevés que faisait Heiner Goebbels des improvisations d'Yves Robert ou de René Lussier ; ensuite il réécrivait tout ça et leur demandait de rejouer ce qu'ils avaient improvisé, sauf que cette fois c'était figé et c'était lui qui signait. Arnaque et torture ! J'aime pourtant énormément les compositions de Goebbels.


Pour le film d'Antène 1, l'une des deux caméras était une paluche, un prototype fabriqué par Jean-Pierre Beauviala d'Aäton, qu'on tenait au bout des doigts comme un micro, l'ancêtre de bien des petites cams. J'ai réalisé Remember my forgotten man avec celle que Jean-André Fieschi m'avait prêtée en 1975. Sur la première photo où Bernard joue du cor de poste, on aperçoit à droite la paluche tenue par Gonzalo Arijon. Sur la deuxième, il filme Francis... La séance se déroulait dans ma cave du 7 rue de l'Espérance. Nous enregistrions quotidiennement dans cette pièce dont l'escalier débouchait sur la cuisine de la petite maison en surface corrigée que je louais sur la Butte aux Cailles. C'est un des rares témoignages vidéographiques de la période "instantanée" du Drame.


Bernard Vitet y joue d'un cor de poste, Francis Gorgé est à la guitare classique et au frein, une contrebasse à tension variable inventée par Bernard. Nous jouons tous des trompes qu'il a fabriquées avec des tuyaux en PVC et des entonnoirs ! Je programme mon ARP2600 et souffle dans une trompette à anche et une flûte basse, toutes deux conçues par Bernard.
Je me souviens encore de Merce Cunningham traversant au ralenti la scène où nous avions joué comme un grand et vieux bonzaï. J'aimais le synchronisme accidentel qui régnait entre la danse et la musique. Un jour où l'on demanda à Cage qu'elle était exactement sa relation avec le chorégraphe il répondit naturellement : "je fais la cuisine et lui la vaisselle !".

mercredi 9 janvier 2013

Nouvel album / Birgé - Hoang - Segal


Les Allumés du Jazz proposant à ses labels adhérents de leur produire trois albums sur le thème de la REPRISE, nous avons aussitôt envoyé une proposition intitulée "dans tous les sens du terme". Je rédigeai donc un programme que je fis suivre à mes camarades, le violoncelliste Vincent Segal et le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang.

1. de contact : 30 ans après l'écoute d'Un Drame Musical Instantané par Vincent aux Musiques de Traverses de Reims / 23 ans après la naissance d'Antonin-Tri, nourrisson voisin de Jean-Jacques / 13 ans après le dernier album de celui-ci avec Un Drame Musical Instantané / facile et agréable)
2. (signes de) : musique répétitive et évolutive s'appuyant sur la programmation en temps réel d'un Tenori-on
3. de risque : improvisation avec des instruments qui ne sont pas ceux des musiciens habituellement
4. (manque de) : drône / encéphalogramme plat
5. après le gong : sportif
6. de bec : jeu sur les anches
7. d'otages : citations dévoyées comme base de dialogue
8. de sang : citations assumées comme base à l'invention
9. de courant : transformation du son du violoncelle et du saxophone alto au travers d'effets électroniques en temps réel
10. des hostilités : affirmation brutale de chaque individu et du groupe face au formatage
11. des négociations : sur la pointe des pieds
12. du travail : enthousiasme
13. d'une entreprise en difficulté par ses salariés : solidarité et jeu d'ensemble

Puisque nous avions choisi d'enregistrer le 23 décembre dernier, autant commencer par là, pensèrent Antonin et Vincent. Et nous voilà lancés dans toute une série d'improvisations sans autre concertation que les notes que je leur avais imailées !
À la réécoute je supprimai les deux derniers morceaux qui réfléchissaient surtout notre extrême fatigue et réordonnai ceux qui semblaient mériter de figurer dans ce premier jet. Mixage terminé, ambiance très cool, 43 minutes en accès libre, écoute et téléchargement gratuits sur le site drame.org, comme les 93 autres heures dont chacun/e peut profiter, soit aléatoirement sur Radio Drame, soit en choisissant parmi les 39 albums inédits offerts par le label GRRR. Les fichiers sont en mp3, leur version audiophile (44.1/16) étant réservée à une éventuelle production physique ou payante. Pour celles et ceux qui préfèrent tenir entre leurs mains de belles pochettes et d'astucieux livrets, quantité de vinyles et CD sont d'ailleurs toujours en vente sur le site.