jeudi 16 février 2017
Chinese Man, de surprise en surprise
Par Jean-Jacques Birgé,
jeudi 16 février 2017 à 00:59 :: Musique
Chinese Man pourrait être l'équivalent français des Danois Den Sorte Skole, tant leurs références échappent à toute classification et genre de musique particulier. N'hésitant pas à sampler des disques très anciens, musiques populaires du monde entier avec une préférence pour le jazz des années 20 ou l'Inde, ils donnent une nouvelle jeunesse au passé tout en affirmant la continuité historique qui transforme l'actualité en fiction. La jungle d'alors ou le be-bop nous font sautiller de la même manière que le dub ou le reggae. Mais, bien que classés hip-hop, leurs rythmiques font souvent penser au trip-hop de Massive Attack, conférant une certaine unité à cette variété internationale d'une grande inventivité.
Épiçant leurs pièces d'extraits cinématographiques ou radiophoniques, comme je le faisais avec Dagon fin des années 60 et dont Un drame musical instantané s'était ensuite fait une spécialité, ils en soignent l'aspect dramatique, avec beaucoup d'humour, mais sans le regard critique sur la société qui caractérise les meilleurs groupes de rap américains. Composé des DJs Zé Mateo et High Ku, et du beatmaker SLY, le trio Chinese Man invite rappeurs et chanteurs à se joindre à leurs aventures hautes en couleurs. Quelle différence y a-t-il entre le scat de Cab Calloway et le raggamuffin ? Leur fantaisie débridée me fait penser à un bal expérimental où j'oserais me risquer sur la piste, oubliant ma timidité et mon lumbago. De surprise en surprise tout semble en effet possible, sans que leurs collages surréalistes ne soient jamais iconoclastes.
Shikantaza, le nouvel album des Aixois cinq ans après Racing With The Sun, est encore une invitation au voyage, conçue comme un retour aux sources du groupe, entre Marseille, Bombay et leur repère ardéchois. De la trempe d'Outkast ou Shabazz Palaces, ils pulsent et vous flanquent le vertige. Les voix sont transposées dans le grave, les rappeurs chantent en anglais, les intermèdes publicitaires sont souvent en français, les paysages exotiques et les chœurs hispanisants. Shikantaza (japonais, 只管打坐) est un terme utilisé dans l'école du bouddhisme zen sōtō qui peut être traduit par « seulement s'asseoir » ou « être assis sans rien faire » et qui décrit l'attitude à adopter lors de la méditation zazen. Mais la musique facétieuse de Chinese Man est loin de respecter le dharma du bouddha, plus encline à lorgner du côté de Bollywood en vous entraînant dans la danse/transe. Emballé par cette découverte, j'enchaîne carrément leurs trois volumes de Groove Sessions, Once Upon A Time, Sho-Bro, Remix with the Sun et leur rencontre avec le rappeur sud-africain Tumi. Shikantaza reste mon favori !Exercices de style ou tangentes expérimentales, la pop donne ici ce qu'elle a de meilleur.
→ Chinese Man, Shikantaza, CD ou 2 LP ou Internet, Chinese Man Records