Mon premier instrument fut une flûte rapportée de Sicile en 1967. Je l'ai toujours, mais je crains souvent que les conditions hydrométriques fassent éclater le bambou. Depuis, j'en ai acquis des dizaines, en bois, en métal, en terre, en plastique, mais je joue toujours des mêmes : une roumaine très aiguë, deux fabriquées par Bernard Vitet (une en plexiglas qui sonne comme un shakuhachi, l'autre très basse en PVC), deux encore en PVC achetées à Nicolas Bras, une varinette (flûte de nez) et des harmoniques comme celles aperçues sur la photo. La semaine dernière, pour le disque de rock que nous enregistrons en ce moment, Nicolas Chedmail m'a emprunté ma flûte à bec ténor ! Longtemps la flûte traversière était vouée aux filles, préjugé absurde que ridiculisent les souffles actuels de Naïssam Jalal, Sylvaine Hélary, Eve Risser, Elise Caron et bien d'autres...
M'arrivent quatre disques dont vous aurez deviné l'instrumentation ! Les deux premiers viennent d'Inde du Nord, musique hindoustanie interprétée sur des flûtes en bambou bansurî (merci à Cyriaque Kempf). Si Hamsadhwani propose des pièces variées, raga pentatonique joué par Ravi Shankar Mishra sur des instruments qu'il fabrique lui-même dans son atelier-garage de Mysore en Inde du Sud, je suis particulièrement bouleversé par la lente progression du Raag Yaman de son maître Pandit Nityanand Haldipur, qui lui-même fut le disciple de l'extraordinaire Annapurna Devi. Celle-ci, fille du légendaire Ustad Baba Allauddin Khan, fut la première épouse du célèbre Ravi Shankar. En Inde, comme pour les autres musiques, la tradition du Maihar Gharana se transmet ainsi, formant des lignées. Les tablistes sont nommés sur les pochettes, le plus jeune, Pandit Ravindra Yavagal, et le plus âgé, Pandit Omkar Gulvady, mais il n'est pas fait mention des joueurs de tampura qui entretiennent la basse continue... Je ne m'attendais pas à être envouté à ce point. Comme avec les drones de La Monte Young, la musique envahit l'espace, puis le corps qui finit par se dématérialiser jusqu'à l'abstraction de soi-même !
C'est une autre tradition que perpétue le duo de flûtistes Isophone composé de Rosa Parlato et Claire Marchal, celle de la musique contemporaine improvisée faisant appel aux traversières, de la piccolo à la basse. L'album Bise est tout en retenues délicates, réminiscences effleurées, harmoniques retrouvées, recherchant l'écoute de l'autre du bout des lèvres.
Le dernier est encore un duo, mais si Miquèu Montanaro joue des flûtes dont la fujara et la dvojnica, du galoubet tambourin (sa spécialité) et de la guimbarde, il dialogue avec son fils, le violoniste baryton Baltazar Montanaro-Nagy. Les improvisations ont évidemment un goût provençal prononcé. Les rythmes sont enlevés, les timbres variés et la danse n'est jamais loin.

P.S.: J'ignore où en est Joce Mienniel, mais je reçois à l'instant les disques de Sylvaine Hélary (avec Antonin Rayon, Benjamin Gilbert, Christophe Lavergne et Mark Tompkins) et de Naïssam Jalal (avec le groupe Rhythms of Resistance et le Nouvel Orchestre de Bretagne) que je suis impatient de découvrir et que je n'ai évidemment pas eu le temps d'écouter... À suivre !

→ Ravi Shankar Mishra, Hamsadhwani, CD Bansuriworld
→ Pandit Nityanand Haldipur, Raag Yaman, CD Bansuriworld
→ Isophone (Rosa Parlato & Claire Marchal), Bise - Improvisations aux flûtes traversières, CD Setola Di Maiale
→ Duo Montanaro, Be, CD Compagnie Montanaro