70 Musique - février 2022 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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samedi 26 février 2022

Carnage sur Vital Weekly


Le label autrichien Klanggalerie prend le temps pour son programme de rééditions du catalogue de l'énigmatique combo français Un Drame Musical Instantané. Avec de longues pauses, ils ajoutent une réédition à leur catalogue. Jusqu'à présent, 'Rideau!'(2017), 'À Travail Égal Salaire Égal'(2017) et 'L'homme A La Caméra'(2020) ont été réédités, tous contenant des bonus-tracks pertinents. Klangalert ne procède pas par ordre chronologique. Avec 'Carnage', ils sortent leur sixième album datant de 1986. Un Drame Musical Instantané était un trio français important et unique composé de Bernard Vitet, Francis Gorgé et Jean-Jacques Birgé. Gorgé et Birgé venaient d'un milieu rock, Vitet venait du free jazz. Ils ont commencé vers 1976 et ont absorbé de nombreuses influences de la musique écrite moderne, des films, de la musique électronique - acoustique, du multimédia, etc. Dans leurs premières années, l'improvisation était dominante. Dans les années 80, ils ont commencé à travailler avec un orchestre étendu, et c'est au cours de cette phase que "Carnage" a vu le jour. L'album est sorti sur leur propre label GRRR qu'ils ont lancé avec la sortie de leur premier album 'Trop d'Adrénaline Nuit' en 1979 [en fait c'était en 1975 avec 'Défense de' de Birgé Gorgé Shiroc]. Presque tous leurs albums verront la lumière à travers cette étiquette, jusqu'à la fin des années 90 où ils ont arrêté [mais la reformation est annoncée pour 2022 !]. La composition de 'Carnage' est la suivante : Bernard Vitet (trompettes, chant, violon, flûte, anche), Francis Gorgé (guitare électrique, synthétiseur, chant, percussions, flûte, frein), Jean-Jacques Birgé (synthétiseur, chant, piano, cuivres, flûte, anches, percussions) avec Youval Micenmacher (percussions), Jean Querlier (hautbois, cor anglais, flûte, sax), Youenn Le Berre (flûtes, basson), Patrice Petitdidier (cor), Michèle Buirette (accordéon), Geneviève Cabannes (contrebasse) et l'Ensemble Instrumental du Nouvel Orchestre Philharmonique dirigé par Yves Prin. Cet album est un parfait exemple de leur approche unique. Leur musique narrative et inventive impressionne toujours 35 ans plus tard et semble fraîche et vivante. Prenez, par exemple, le titre "Le téléphone muet". On y trouve des paroles, des dialogues, des sons environnementaux, de l'électronique abstraite, des jeux de groupes acoustiques. Quelle que soit la source sonore - la toux d'une personne, un passage orchestral, un étrange son généré par l'électronique - tout est assemblé dans un ensemble musical très bien structuré à caractère narratif. Parfois, les morceaux sont plus proches d'un jeu audio - comme 'Passage à l'Acte', parfois plus proches de la musique, mais les différents ingrédients sont toujours connectés de manière très organique et convaincante, suivant une logique musicale et vous entraînant dans leurs constructions impressionnantes. Du grand art !

Article sur Vital Weekly de février 2022

lundi 14 février 2022

Le fil magnétique


C'est dans le XVème arrondissement. "Descendre" jusque là m'apparaissait probablement une montagne. Me faisant une douce violence, j'enfourche un Velib' jusque la rue de Lourmel. L'engin roule bien, mais la selle est sévère. Il fait beau. [Le vélo électrique a depuis réglé cette paresse.]
Il m'aura donc fallu un an pour répondre à l'invitation de Hugues Genevois de visiter le LAM (Laboratoire d'Acoustique Musicale ou encore Institut Jean Le Rond d'Alembert). Pourtant ce n'est pas l'envie qui me manque depuis que le Leipp fait partie de mes bibles. Acoustique et Musique est l'ouvrage de référence pour qui s'intéresse au sujet, une mine d'informations : Données physiques et technologiques, Problèmes de l'audition des sons musicaux, Principes de fonctionnement et signification acoustique des principaux archétypes d'instruments de musique, Les musiques expérimentales, L'acoustique des salles. Depuis sa réédition en 1976, j'y reviens chaque fois qu'une question physique se pose dans mon travail. L'ouvrage, simple et passionnant, se lit comme un livre policier. Je dis cela aussi de L'interprétation des rêves et des Cinq psychanalyses de Freud !


Le laboratoire, fondé par Émile Leipp en 1963, fourmille de physiciens-musiciens qui étudient tous les processus sonores, expérimentent des protocoles bizarres et fabriquent toutes sortes d'instruments acoustiques ou électroniques. Caroline Cance me fait passer des tests amusants et instructifs sur une interface gestuelle avec palette et stylet pour Puce Muse. En sortant, l'un des ingénieurs me montre sa collection d'appareils reproducteurs de son et en particulier un magnétophone à fil en état de marche. C'est l'ancêtre de la bande magnétique. Les premiers ont servi à l'armée, comme d'habitude. J'évoque la bobine qui trône sur une étagère de ma bibliothèque musicale et qui appartenait à mon père. N'ayant même jamais vu de lecteur, j'ignore tout de cet enregistrement. Je l'expose comme le rouleau de piano mécanique signé et numéroté de l'Étude n°7 que j'achetai un soir à Conlon Nancarrow, espérant rencontrer un jour quelqu'un qui possède l'instrument pour le lire. À ma prochaine visite [mais je n'y suis jamais retourné] j'apporterai la bobine de fil magnétique en même temps que je leur offrirai la paire de dictaphones Grundig qui appartenait à mon père. Mais il n'existe aucun enregistrement de sa voix plus fidèle que ma mémoire. J'entends son timbre quand il parle posément ou lorsqu'il pleure de rire, à la fois douce et articulée, un peu métallique. Vingt deux ans déjà... [Trente-trois aujourd'hui]

Article du 27 juin 2009

jeudi 10 février 2022

Odyssey Tribute to Jean Jacques ARP Birgé


Si j'avais commandé mon Tombeau à Sacha Gattino pour mon 100ème Anniversaire, l'hommage que me rend Lionel Martin sur Bandcamp m'a surpris et évidemment très touché comme on peut s'en douter. Depuis le 18 janvier le saxophoniste lyonnais y publie un titre par jour pour constituer L.A.B / 22 ( Long.Amazing.Bundle ), un album fleuve, enregistrements live où il entend préserver la spontanéité créative. Odyssey Tribute to Jean Jacques ARP Birgé est le 21ème titre de cette saga qui exige un sacré souffle. Il fait suite à sa visite à Paris où nous avons fêté la future sortie de notre duo en vinyle, Fictions, inspiré par les nouvelles de Jorge Luis Borges et dont Ella & Pitr ont réalisé la pochette sérigraphiée par L'Apothicaire. Pour cette Odyssey de 15'45", que j'imagine clin d'œil à Jean Arp et Kubrick, entre le prologue d'Also sprach Zarathoustra de Richard Strauss et Lux Æterna de Ligeti, avec une référence à mon vieux synthé ARP 2600, Lionel Martin fait passer son soprano par des réverbérations, l'octaveur Akaï Head Rush, un harmoniseur et un effet de sa Line 6. Dans les petites notes de la page Bandcamp où tout cela est mis gracieusement en ligne, le saxophoniste précise : " Avec Christophe / chez Jean-Jacques / Ode à la création / Déjà de retour ". Lundi soir nous avions écouté le Tching Tchong Crew, Ornette Coleman avec Joe Henry, Double Negative de Low, New Grass d'Albert Ayler...


Christophe Charpenel suit partout photographiquement Lionel Martin dans ses pérégrinations expérimentales. Si le saxophoniste endosse souvent la panoplie du rhinocéros, c'est un caméléon capable de prendre une apparence différente selon les projets tout en restant sauvagement lui-même. J'ai plusieurs fois évoqué ses travaux dans Jazz Before Jazz Gottschalk revisité, Lionel Martin en situation, Lionel Martin en soliste tandis que Christophe Charpenel publiait son reportage photo de notre enregistrement sur Citizen Jazz. Quant à l'album Fictions, il est issu d'une session enregistrée au Studio GRRR le 11 mai 2021 à la suite de mon Pique-nique au labo. Pour le 33 tours 30 centimètres nous avons choisi cinq pièces qui font sens parmi les onze. J'ai relaté cette merveilleuse rencontre ici et . L'analogie au bestiaire, qui m'a toujours attiré, sera une fois de plus comblée par la future pochette d'Ella & Pitr qui nous ont épinglés comme des papillons...

→ Lionel Martin, Odyssey Tribute to Jean Jacques ARP Birgé, sur Bandcamp

mercredi 9 février 2022

Le jour et la nuit


Hier matin j'ai reçu un étrange colis cubique de Flensburg en Allemagne. Cette ville la plus septentrionale du pays est un port situé quasiment à la frontière danoise. Wikipedia ne dit pas qu'y résident le Kommissar Hjuler et sa femme, Mama Baer, un couple prolixe qui en est à 1333 publications (cf. Discogs), vinyles et cassettes confondues sur le label Psych.KG ! Y aurait-il donc plus fada que moi avec mes 171 heures d'inédits en 88 albums et 1153 pièces sur drame.org ? Probablement, à en juger par leur production sonore inspirée du mouvement Fluxus. S'il n'y avait que ça... Car leurs créations sont souvent accompagnées de tirages à part, signés et numérotés, des plus provocateurs. Leurs collages sacrifient parfois l'une des faces des 33 tours qu'ils détournent. Leur dernier méfait se trouvait dans le carton de la poste, quatre vitrines sous plexiglas dédiée à Un Drame Musical Instantané et ses trois fondateurs, abritant chacune une bouteille brisée d'excellents whiskys et un Polaroïd vernaculaire usurpant nos identités à tous les trois. Lorsque j'ai ouvert les deux cartons renfermant les dédicaces à Francis Gorgé et Bernard Vitet, une poussière de verre s'en est échappée. L'aspirateur de table aura au moins servi à quelque chose. Ces sculptures anticipent la sortie du 33 tours 30 centimètres Toxic Rice, retardé pour cause d'embouteillage dans les usines de pressage squattées dorénavant par les majors qui se sont infiltrées dans le circuit jusqu'ici parallèle du vinyle. Y figurera une pièce inédite de 19 minutes du trio du Drame enregistrée en 1976, soit juste avant l'album Trop d'adrénaline nuit, et sur l'autre face une autre de Kommissar Hjuler und Frau.


Pour l'instant, c'était aussi dans le gros paquet, ce sont deux cassettes de 15 minutes par face qui voient le jour et la nuit. La rouge pour le jour, la bleue pour la nuit. La face A de la première présente un duo que j'ai enregistré en 1975 avec Francis Gorgé qui avait branché sa Gibson SG Standard sur mon ARP 2600. On parle là de guitare électrique et de synthétiseur. À l'époque nous jouions survoltés, les doigts dans la prise. Sur la face B Mama Baer offre une pièce répétitive à la guitare électrique suivie d'une pièce pluvieuse manipulée magnétiquement. Les quatre font les paires (l'épeire est une araignée qui squatte mon jardin) et se renvoient mutuellement l'ascenseur à plus de quarante ans de distance. L'entretien roux-combalusien est facile, les pannes sont extrêmement rares. L'image de couverture renvoie explicitement au mouvement kidnappé par le couple sous le terme Fluxus +/-.
La parution sur cassette m'interroge forcément : format court, quinze minutes par face, clin d'œil à la décroissance, nostalgie d'une époque oubliée prenant le dessus sur la qualité de reproduction. J'ai évidemment choisi les morceaux en conséquence. La face A de la bleue qui annonce la couleur en façade abrite deux inédits d'Un Drame Musical Instantané, User's Guide de 1980 et After All de 1984. Bernard Vitet est à la trompette et aux bendirs, Francis Gorgé joue de la guitare, classique ou électrique, j'utilise l'ARP, une guimbarde, un instrument à anche sur la première, et le PPG sur la seconde. Les improvisations sont tendres. On y entend d'abord nos voix détaillant, et le patch de mon synthé, et le jeu sur les cordes. J'ai toujours été attiré par le Discours de la Méthode, comme avec le spectacle Rideau ! qui date de la même année. Si le bugle expose son inimitable timbre lyrique et velouté, il ne s'interdit pas les citations historiques ! La face B propose une pièce de 2008 de Mama Baer, Ruecklaufambition, mélange hirsute de bandes, guitare et voix, suivie de Mitnichten enregistrée en duo en 2015 avec Kommissar Hjuler à la percussion et diffusant également des enregistrements radiophoniques, comme elle. Si je compare ici leur choix aux dix-sept vinyles de poésie sonore reçus en amont pour me montrer leur genre de production, il me semble que leurs pièces d'art brut ont été soigneusement sélectionnées pour répondre à celles que j'avais envoyées.

→ Jean-Jacques Birgé & Francis Gorgé / Mama Baer, + +, split-MC Psych.KG 573, 22.90€+17.99€ de port via Discogs, soit un total de 40.89€ / 30€ avec le port sur drame.org
→ Un Drame Musical Instantané / Mama Baer & Kommissar Hjuler, FLUXUS +/-, split-MC Psych.KG 575, 22.90€+17.99€ de port via Discogs, soit un total de 40.89€ / 30€ avec le port sur drame.org
→ Copies uniques avec assemblage sous vitrine pour le split-LP Toxic Rice d'Un Drame Musical Instantané / KHj+F., Psych.KG 567/FLUX !

mardi 8 février 2022

sɹǝʌuǝ,l à ɹǝsuǝd


éuɹnoʇǝɹ ʇnoʇ sıns ǝɾ
ǝʇdɯoɔ uǝ sıɹd sɐd ʇuos ǝu sʇuǝɔɔɐ sǝl ǝpnʇıqɐɥ,p ǝɯɯoɔ sıɐɯ
sǝlɐʇıdɐɔ sǝl ǝnb snld sɐd
ʇuɐsnɯɐ ʇsǝ,ɔ sɐɔ snoʇ uǝ
ǝƃɐssǝɯ ǝl ɔǝʌɐ ǝɔuɐʇsıp ǝun ʇınpoɹd ɐlǝɔ

En 1993, j'avais écrit le texte d'une chanson dont voici un extrait. Trop maladroite, nous ne l'avons jamais terminée. L'idée m'en était venue parce que Freddie m'appelait "Monsieur Tout-à-l'envers" :

J'ai toujours fait les pieds au mur
Pour pouvoir mille lieues réfléchir
Enfant je réinventais mes jouets
En les retournant à toute allure
Et dans ma chambre se déguisaient
De nouvelles histoires à dormir
Debout musique le matin tôt
Pour ondes courtes et pompe à vélo

Penser à l'envers
Les plaies ne me disent rien qui vaille, la gêne
Penser à l'envers
Et contre tout ce qui nous étouffe, sans peine
Penser à l'envers
Défoule des foules...

Reprendre les acides et les bases
Un petit degré sur le rapporteur
Et c'est la boule qui chavire
Les continents qui se rejoignent
Des passés s'ils font table rase
Y a pas d'avenir sans les leurres
Ne pas y croître pour grandir
Crochus les atomes s'éloignent

Penser à l'envers
Les plaies ne me disent rien qui vaille, les filles
Penser à l'envers
Et contre les toux qui vous étouffent, pastille
Penser à l'envers
Des foules dessoûle...

˙˙˙suoɯ à ɹoıslǝɔxǝ,l ǝp ǝlqɐʇ ǝun,p ɔuız ǝl ɹns oʇoɥd ɐɯ sıɹd ɐ ǝuıoʇuɐ

Depuis cet article du 28 avril 2009, la chanson inachevée est en index 22 de l'album Chansons sur le site drame.org

mardi 1 février 2022

Pourquoi je préfère les disques au flux


À 15 ans, lorsque j'ai découvert les émotions que me produisait la musique, j'ai acheté quelques disques, mais mon porte-monnaie n'était pas à la hauteur de ma curiosité boulimique et de mon enthousiasme adolescent. Trois amis me fournissaient en matière première que j'enregistrais en 9,5 cm/s sur un magnétophone quart de piste qui me servit plus tard à immortaliser les disques de mes débuts. Le premier m'ouvrit les portes du free jazz et de la pop déjantée : pas plus fortuné que moi, Michel volait les 33 tours chez Lido Musique, il est devenu DJ à la radio et continue de nous faire découvrir des raretés insoupçonnées. Le second avait des parents friqués qui le gâtaient, il était surtout branché par la pop américaine, du folk au rock psychédélique, Philippe a hélas succombé à une overdose qui n'avait rien de musical. Le troisième vendait ces objets de désir à l'angle de la rue de Luynes et du boulevard Saint-Germain, chez Givaudan alors le meilleur importateur parisien, ce furent par exemple Sun Ra, Harry Partch et le reggae naissant, j'ignore ce que François est devenu. J'ai continué à emprunter la discothèque de Jean-André qui m'a initié à la musique contemporaine, à l'opéra et au classique. Je possède toujours les doubles pages à carreaux où je recopiais l'intégralité des notes de pochette imprimées au dos des vinyles. C'est ainsi que s'est construite ma culture musicale et que j'ai amélioré mon anglais !
De temps en temps je pouvais m'offrir les objets qui comptaient le plus à mes oreilles, les Mothers of Invention, Captain Beefheart, Bonzo Dog Band, Terry Riley, La Monte Young, Pink Floyd, Family, White Noise, etc., et plus tard, en fonction des époques, l'ancien et les nouveaux jazz, la musique classique et contemporaine, la chanson française, les musiques extra-européennes, etc. Cet important corpus est maigre face aux bandes magnétiques représentant trois mois de musique 24 heures sur 24. Aujourd'hui elles prennent surtout la poussière. Je suis passé aux cassettes sur lesquelles j'enregistrais France Musique et France Culture en cochant à l'avance les émissions sur les pages radio de Télérama. Ma base de données était sur fiches cartonnées jusqu'à ce que j'utilise le logiciel File Maker Pro. Et puis le CD est arrivé alors que mes moyens financiers s'étaient améliorés. Avant un déménagement j'avais déjà vendu la plupart des 78 tours hérités de ma famille, je me suis débarrassé d'une grosse partie de mes disques noirs, sauf le classique et ceux auxquels je tenais le plus. Le problème est évidemment le stockage. Malgré les dizaines de mètres de linéaire, les étagères arrivent régulièrement à saturation. Rédigeant des petites chroniques sur cette page je reçois chaque jour des services de presse. J'écoute tout et ne peux me résoudre à vendre ceux qui ne m'intéressent pas, pour des raisons de décence vis à vis des artistes qui me les ont adressés. J'en donne autant que je peux, mais ce sont évidemment ceux qui me plaisent le moins. Que ce soit les livres ou les disques, un de rentré devrait provoquer un de sorti, mais je n'arrive pas à m'y tenir.


Voilà une longue introduction à l'annonce du titre de cet article ! J'ai pensé à l'écrire en écoutant ce matin des albums dématérialisés. Selon l'application utilisée, les morceaux s'enchaînent en léger fondu ou en les espaçant toujours de la même longueur de silence. Or choisir le bon nombre de secondes entre chaque pièce fait partie de mon travail de création lorsque je fabrique les miens. Ensuite je ne sais pas toujours ce que j'écoute lorsque se déroule le flux. J'ai besoin des notes de pochette, des paroles des chansons, du minutage, du nom des musiciens, ainsi que de l'iconographie qui enveloppe l'objet. À mes yeux les images représentent un morceau de plus, la transposition visuelle de l'univers sonore. Les enveloppes cartonnées, formes ramassées de l'original, que m'envoient les attachés de presse, ne suscitent que rarement le désir d'écrire. J'avoue n'acheter que des disques dont la présentation apporte quelque chose de plus que la simple écoute.
En tant que producteur moi-même, au compteur une cinquantaine de vinyles et CD ainsi que près d'une centaine d'albums dématérialisés (mais ça c'est une autre histoire !), j'ai toujours apporté un soin énorme à l'objet-disque, dans sa présentation iconographique et récemment augmenté de copieux livrets remarquablement mis en page par les meilleurs graphistes. Les considérer ainsi les rend incopiables, puisqu'ils ne peuvent être réduits à l'aspect purement sonore. Il me semble que c'est la meilleure réponse à ce qu'on appelle abusivement le piratage. Provoquer le désir au lieu de réprimer est forcément plus sympathique. Petit a parte pour rappeler que ce n'est pas le piratage, mais les plateformes comme iTunes, Deezer ou Spotify qui pénalisent le plus les artistes. J'ignore ce que deviendra l'industrie du disque dans l'avenir. Les indépendants se battent bien contre les majors, certes David contre Goliath. Il est important de se souvenir que le support influence aussi les œuvres. La partition écrite répondait à la nécessité de voyager à une époque où l'enregistrement n'existait pas. La tradition orale avait d'autres avantages. Le 78 tours privilégiait les formats courts. Le 33 tours 30 centimètres était structuré sur la base des deux faces. Le CD offrait des durées plus longues et des musiques à petit bruit que les craquements de surface interdisaient. La musique en ligne m'a permis, par exemple, de fabriquer un album qui dure 24 heures ! Mais rien ne vaut le plaisir de fabriquer un bel objet, comme les 30 centimètres qui se profilent pour les mois à venir, éditions limitées et numérotées en sérigraphie ou en volume réalisées avec des plasticiens. On y reviendra !