70 Musique - juillet 2022 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 29 juillet 2022

Abdou Boni, Antheil, Patkop et TOC


Trois disques, parmi d'autres évoqués plus tard, ont retenu mon attention en cette période charnière entre juillet et août. Le premier est le nouveau CD de Patkop chez Alpha. La violoniste virtuose d'origine moldave Patricia Kopatchinskaja en duo avec le pianiste finlandais Joonas Ahonen présente un de ses récitals dont elle a le secret, mêlant classique et contemporain autour d'un sujet, d'une ambiance, d'un propos. Le compositeur George Antheil et sa première sonate se retrouvent entourés par Morton Feldman, Beethoven (sonate pour violon et piano n°7) et John Cage sans que l'on soit surpris par leur association. Cela coule de source.

Puisqu'il est question de ce compositeur américain hors normes, enfant terrible auteur du Ballet mécanique filmé par Dudley Murphy et Fernand Léger, mais aussi (!), et ce avec la belle actrice-scénariste-productrice sexy Hedy Lamarr (Extase, film sulfureux pour l'époque), du premier brevet d'un système de codage des transmissions dit étalement de spectre par saut de fréquence, proposé alors pour le radioguidage des torpilles américaines durant la Seconde Guerre mondiale, et utilisé actuellement pour le positionnement par satellites (GPS, etc.), les liaisons chiffrées militaires ou dans certaines techniques Wi-Fi, je conseille donc aussi l'acquisition du CD Fighting The Waves où sa musique est interprétée par l'Ensemble Modern. La phrase est longue, mais ces deux-là ont eu une vie incroyable.

Le quadruple CD du groupe TOC formé par le pianiste électrique Jérémie Ternoy, le guitariste électrique Ivan Cruz et le batteur Peter Orins est égal aux précédents albums du trio. Chacun des quatre concerts suit à peu près le même schéma, l'ambiance bruitiste délicate se transformant en tempête de plus en plus rythmée jusqu'à l'extinction. On est pourtant chaque fois saisi par la montée progressive des boucles erratiques, glissements progressifs du plaisir allant de l'électroacoustique vers le rock pour s'épanouir en free jazz. Si leur musique à courant continu semble à l'opposé de mes montages alternatifs, je m'y retrouve étonnamment sans jamais aucune lassitude, conduit par la transe de l'électricité.

Sur le même label, le duo de la jeune saxophoniste Sakina Abdou et du guitariste aguerri Raymond Boni dressent un pont entre les générations et la manière d'aborder l'improvisation free avec délicatesse et intelligence. Musique de chambre hexagonale où les notes rebondissent d'un mur à l'autre, où le parquet grince quand Abdou souffle dans ses flûtes et où les anches volent dans les cordes. Comme je l'écrivais plus haut, ça coule des sources.

→ Patricia Kopatchinskaja & Joonas Ahonen, Le monde selon George Antheil, CD Alpha
→ Ensemble Modern, dir. HK Gruber, Fighting The Waves (Music of George Antheil), CD BMG paru en 1996
→ TOC, Did It Again, 4 CD Circum-Disc, sortie septembre 2022
→ Abdou Boni, Sources, CD Circum-Disc, dist. Allumés du Jazz / Atypeek, sortie septembre 2022

lundi 25 juillet 2022

Une plume au poil


Comme toujours sous la plume au poil de Franpi Barriaux un bel article sur le CD Plumes et poils d'Un Drame Musical Instantané reformé pour l'occasion. Trente ans que je n'avais pas enregistré avec Francis Gorgé et toujours autant de plaisir et de complicité, comme avec le poète Dominique Meens... C'est dans Citizen Jazz !

Il y a presque 30 ans, l’écrivain et poète Dominique Meens faisait paraître Ornithologie du promeneur, qui observait les oiseaux. Dans un article de Libération, à l’occasion de cette sortie, Meens suggérait : « L’ornithologue explique l’oiseau à l’homme, j’explique l’homme aux oiseaux » ; dans « Alors Voilà » et ses cloches de montagne qui inventent une vallée à l’oreille des auditeurs, entre piaillements de petits oiseaux et autres nappes narratives, le poète nous parle d’un corbeau des sommets et de son sens du rythme. La mise en scène est l’œuvre de Jean-Jacques Birgé et de Francis Gorgé, deux compères qui ont le sens de l’image. Mais la fresque n’est pas que naturaliste, et les quinze titres de Plumes et Poils permettent d’autres ambiances à l’image d’« instantanés » et de son approche plus abstraite, morcelée, où les oiseaux sont de passage.
Il y a trente ans, Un Drame Musical Instantané (UDMI) se séparait. On a pu bénéficier, depuis, de nombreuses rééditions, mais après la mort de Bernard Vitet, indéfectible dernière arête du triangle, on pensait que le mythique orchestre avait la destinée des ptérodactyles, définitivement éteints malgré la fascination qu’ils continuent d’exercer. C’était compter sans l’envie qu’avaient Birgé et Gorgé de se retrouver réunis, que l’on peut goûter dans « Piquets », construction typique de l’UDMI, entre sons électroniques agissant comme un psychotrope actif et générateur d’images, profusion des instruments et soudaines explosions de guitare. Vitet manque, bien sûr, mais on pourrait parfois l’entendre flotter, au moins dans les souvenirs. Voire dans la performance de Dominique Meens qui habite ses textes avec une théâtralité que le trompettiste n’aurait pas reniée. Notamment la crudité sardonique de la scène de chasse de « Sus Scofra ».
Dominique Meens ne remplace pas Bernard Vitet dans UDMI. Personne ne remplace Vitet. Mais le poète connaît bien l’univers du groupe : il a travaillé avec ses membres dès les années 70, et Plumes et Poils est l’occasion de faire revivre une parole et un univers toujours aussi singulier. On observe le monde qui tourne avec le disque, et les oiseaux et les mammifères qui le peuplent semblent l’observer avec nous, comme dans un miroir vaguement déformant ou inquiétant (« Hirondelle »). Le travail de Jean-Jacques Birgé sur le futur et l’apocalypse climatique est aussi passé par là. L’évaporation des oiseaux est un drame. L’extinction de masse est un drame. Plumes et Poils est un drame musical instantané : la possibilité divergente de mettre un peu de poésie et d’inattendu dans l’inéluctable processus.

mercredi 20 juillet 2022

in Jazz News de juillet-août


Photo de JJB avec Lionel Martin prise par Christophe Charpenel et parue dans le Jazz News de juillet-août à l'occasion de la sortie du vinyle Fictions sur le label Ouch!

mercredi 13 juillet 2022

Julien Pontvianne / Abhra : 7 poems on water


J'ignore à quoi ressemble Seven Poems on Water de Julien Pontvianne et son sextet Abhara, plongé entre la monotonie de Michael Mantler et les évocations célestes de Portishead, sorte de méditation new age aux timbres inédits. Le précédent album s'inspirait du transcendantaliste Thoreau. Ces sept nouveaux poèmes tournent autour de l'eau. Qu'ils soient de Raquel Ilon de, W.G. Sebald, Alessandro Baricco, William Carlos Williams, Priyal Prana, Emily Dickinson ou Nazim Hikmet, tous traduits en anglais, importe moins que l'atmosphère légère qu'ils dégagent, comme un brouillard matinal flottant au-dessus d'un étang. Isabel Sörling murmure à la limite de susurrer pour ne pas réveiller la forêt. L'orchestration est intemporelle : Julien Pontvianne au saxophone, Francesco Diodati à la guitare, Alexandre Herer aux claviers, Adèle Viret au violoncelle et Matteo Bortone à la contrebasse en forment le limon. Tout au long de cette délicate aquarelle, on entend pousser les plantes et se réveiller les insectes. L'évaporation. Tendresse absolue. Elle est retrouvée. Quoi ? – L’Eternité. C’est la mer allée avec le soleil.

→ Julien Pontvianne / Abhra, Seven poems on water, CD / LP Onze Heures Onze, dist. Absilone, et sur Bandcamp, sortie le 30 septembre 2022

lundi 11 juillet 2022

Qu'est-ce que la musique ? par David Byrne


Ma bibliothèque musicale comprend des centaines d'ouvrages plus ou moins indispensables, d'autres parfaitement anecdotiques. Dans le salon résident ceux qui traitent d'un compositeur ou d'un genre particulier. Certains artistes qui ont compté à une époque particulière de ma vie accumulent les références, tels Charles Ives, Edgard Varèse, Arnold Schönberg, Gustav Mahler, Erik Satie, Francis Poulenc, Glenn Gould, Frank Zappa, Robert Wyatt, les Beatles, etc. Des collections comme celles du Mot et le Reste, nombreux dictionnaires, des livrets d'opéra, des biographies, des livres d'images se voient de loin sur les étagères. Comment me passer des entretiens de Varèse avec Charbonnier, des livres de Cage, des souvenirs d'Yvette Guilbert ou Denise Duval, du Style et l'Idée, des recueils de Daniel Caux ou Carles-Comolli, Philippe Langlois, Philippe Robert ou Jean-Noël von der Weid, Alex Ross ou David Toop, des photographies de Guy le Querrec ou Guy Vivien, de la BD Underground ? J'ai déplacé dans le studio les ouvrages plus techniques, partitions de jazz et de tango, classiques et contemporaines, traités d'orchestration de Koechlin, l'incontournable Acoustique et Musique de Leipp, ceux consacrés à des instruments, etc. Dans les archives on trouvera les revues comme L'Art Vivant, Musique en Jeu, Jazz Ensuite, Le Journal des Allumés, Muziq, etc. J'y puise régulièrement des informations, des pistes, petits cailloux semés au fil de mes découvertes.
Étienne Brunet m'en signale un qui me manquait et m'intéresserait forcément, Qu'est-ce que la musique ? de David Byrne. Si le fondateur des Talking Heads prend parfois exemple sur son travail, il embrasse un éventail extrêmement large de sujets qui tournent autour de la musique, d'une manière à la fois encyclopédique et tout à fait personnelle. Je me sens aussitôt beaucoup d'affinités avec ce point de vue documenté qui aborde aussi bien les techniques d'enregistrement et de diffusion, l'économie des différents supports, compare le studio et la scène en livrant ses recettes explorées au fil de sa carrière, sans prendre parti pour aucune manière, mais réfléchissant sans cesse au pour et au contre. Ces 450 pages partent dans tous les sens, mais c'est parfaitement structuré. Tout amateur de musique devrait y trouver son compte, a fortiori les musiciens qui s'interrogent souvent sans connaître tous les rouages d'un métier protéiforme.

→ David Byrne, Qu'est-ce que la musique ?, trad. Claire Martinet, ed. Philharmonie de Paris, 28€