70 Musique - août 2024 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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samedi 31 août 2024

Zappa par sa fille aînée Moon Unit


Je viens de terminer la lecture de Earth To Moon, les mémoires de Moon Unit Zappa, fille aînée d'un des pères de mon récit. À Cincinnati en juillet 1968, avoir mis, par hasard, sur la platine de Jeff le disque We're Only In It For The Money des Mothers of Invention décida de ce que j'allais faire de ma vie. J'avais 15 ans, aucune aptitude artistique particulière si ce n'est un goût prononcé pour le rêve, mais je ferai de la musique. En 2004, pour un article de Jazz Magazine intitulé Les M.O.I., l'émoi et moi, j'ai raconté comment, en octobre 1969 au Festival d'Amougies j'enjambe les barrières pour interroger mon idole, Frank Zappa. Il a la gentillesse de répondre à mes questions pendant trois quarts d'heure où je lui tiens la jambe. En août 1970, au Festival de Biot-Valbonne où il est venu seul encore cette fois, je l'identifie dans la foule et lui propose de l'aider à trouver un ampli et des musiciens ! Notre dernière entrevue date de décembre de cette année-là au Gaumont-Palace. Je n'essaierai jamais de l'imiter en quoi que ce soit, mais sa musique, particulièrement ses débuts avec la première mouture des Mothers et ses œuvres symphoniques comme 200 Motels ou les dernières avec l'Ensemble Modern, me suivra tout au long de sa carrière jusqu'à son actuelle reconnaissance, posthume. À la fin des années 60 je faisais figure de grand hurluberlu d'aimer Zappa et Beefheart.
Ayant eu la chance de rencontrer ensuite nombreux artistes que j'admirais, et cherchant toujours un juste équilibre entre mon quotidien et mon travail artistique, ce qui peut paraître paradoxal si je me réfère à l'inévitable question à la mode entre l'homme et l'œuvre, je me suis forcément intéressé à la vie de Frank Zappa. J'avais très tôt compris que c'était un bourreau de travail, qu'il n'avait pas d'amis et que sa fidélité à sa femme Gail consistait à revenir dans le berceau familial lorsqu'il n'était pas en tournée. J'ignorais ses liaisons amoureuses sérieuses en Allemagne et en Nouvelle Zélande qu'évoquent sa fille Moon, mais j'en connaissais d'autres. Après sa mort en 1993, nous savions que sa veuve était un dragon épouvantable qui protégeait son œuvre parfois de manière absurde, or Moon Unit révèle la famille dysfonctionnelle que ses parents avaient créée avec leurs quatre enfants, Dweezil, Ahmet Emmukha Rodan, Diva Muffin et elle-même. Si Frank (ils refusaient de se faire appeler Papa et Maman) était connu pour ses absences, Gail est une femme vraiment méchante qui ira jusqu'à semer la zizanie entre frères et sœurs, en ne respectant pas les dernières volontés de son mari et en laissant un testament facteur évident de conflits entre eux.
Les mémoires de Moon Unit, qui a aujourd'hui 56 ans (son père est mort à 52 ans), racontent avec humour sa propre trajectoire, dont évidemment le tube Valley Girl interprété avec son père lorsqu'elle avait 14 ans. C'est un livre thérapeutique, d'abord pour elle, avec le besoin de sortir les cadavres du placard, mais sa sincérité touchera nombreux lecteurs ou lectrices qui se reconnaîtront dans l'omerta, factrice de névroses, presque toujours d'origine familiale. J'ai évidemment préféré les anecdotes qui touchent au héros de mon adolescence, plutôt qu'à la perversité de Gail ou aux difficultés de Moon Unit. C'est aussi le portrait d'une époque, une époque où l'on vivait nu, sous un machisme déguisé en libération sexuelle, un portrait d'enfant de star plutôt rock 'n roll. Pour l'instant, il n'existe qu'une version anglaise, mais je suis certain que Earth To Moon (façon dont ses parents s'adressaient à elle !) sera traduit en français prochainement. Ce n'est pas de la grande littérature et ça se lit facilement.

lundi 26 août 2024

Le lac Titikaka, quatrième étape


Ce que j'écris avec quelques jours de décalage sera publié seulement à notre retour après un voyage de cinq semaines au Pérou. L'Uros Samaraña Uta Lodge nous semble d'un luxe inouï en regard des endroits où nous avons jusqu'ici séjourner. Comme partout ici, les autochtones vivent essentiellement du tourisme. Ce somptueux Airbnb du lac Titikaka est construit sur une des îles flottantes constituées de totora.


Les bateaux ressemblent à des dragons vikings et les sculptures animalières sont également réalisées avec ces roseaux légers agglomérés. Nous ne parlons que très peu espagnol, mais les applications du smartphone me permettent de traduire instantanément, sans contresens. De toute manière ici les Amérindiens communiquent en langue aymara. Plus au nord ce sera le quechua.


Leur gentillesse est exemplaire. Nous sommes reçus comme des princes, Clemente et Gina nous apportent des truites grillées qu'ils élèvent derrière la maison ou du poulet aplati avec de la quinoa, des patates et du riz. Heureusement que nous avions prévu de nous y reposer car le soroche, le mal des montagnes, m'a mis totalement k.o. J'ai droit à tous les symptômes, sauf le mal de tête. Nous sommes tout de même à près de 4000 mètres de haut ! Il est possible que mon absence de thyroïde ait accentué la fatigue. Il faudra que j'interroge l'endocrinologue. Je tiens à peine debout, le souffle très court, le ventre en compote et des vertiges qui me font avoir des hallucinations nocturnes m'empêchant de dormir. Et j'ai perdu l'appétit, ce qui chez moi est un signe alarmant ! C'est bien, au moins je maigris. D'ici la fin du voyage j'aurai perdu cinq kilos. Nous profitons de ce lieu enchanteur en regardant s'ébattre les poules d'eau et les canards andins au bec bleu.


Sensation étrange de marcher sur les îles flottantes, comme si le sol s'enfonçait sous nos pas.


Après deux jours sur le lac nous regagnons la terre ferme pour repartir en bus demain de Puno vers Cuzco, « la perle du Pérou ».