70 Musique - février 2025 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 28 février 2025

À chaque départ une nouvelle danse aléatoire


Je continue mon exploration des vinyles bizarres, non par leur contenu musical, mais pour la fabrication inhabituelle de leurs sillons. Après les disques souples, les cartes postales gravées, les picture discs, le long Dream House 78′17″ de La Monte Young et Marian Zazeela, Lazaretto de Jack White, RRR 500 (Various 500 Lock-Grooves By 500 Artists), You're the Guy I Want to Share My Money With de Laurie Anderson/William Burroughs/John Giorno, j'ai finalement trouvé un rare exemplaire de Multisons basé sur le même principe que ce dernier, à savoir des sillons parallèles qui ne permettent pas facilement de prévoir quel morceau sera joué lorsqu'on pose l'aiguille au début du 33 tours. Sur la pochette on peut lire "Dansez Avec Multisons - A Chaque Départ Une Nouvelle Danse", ce qui s'avère plus ou moins juste puisque l'on risque de remettre plusieurs fois le même morceau. En fait, le concept n'est pas très malin sauf si l'on joue à se surprendre en diffusant au hasard une des dix danses de chaque face. Au lieu de les faire s'enchaîner, il faut sans cesse repositionner l'aiguille au début du disque. Si l'on possède une platine sans retour automatique du bras, le diamant va régulièrement s'abîmer en fin de course sur le macaron central avec une boucle de noise déchirante ! Ce 25 cm des années 50 propose dixieland, rumba, samba, swing, tango, boléro, baião, java, blues, fox-trot, paso doble, mazurka, swing, slow, valse par de bons orchestres de bal typiques de l'époque, Armand Gordon, Milan Gramantik, Raymond Legrand, Charles Dumont, Solon Gonçalves, Edward Chekler, Raymond Jouart, avec parfois d'excellents chanteurs ou chanteuses. Cette curiosité est évidemment kitchissime à souhait.

jeudi 27 février 2025

50e anniversaire des disques GRRR


Les stickers pour le 50e anniversaire des disques GRRR sont arrivés, youpi !

Françoise Toullec + La Banquise = musique espiègle


J'évoquais hier la cinquantaine de musiciennes ayant enregistré sur le label GRRR depuis sa création il y a 50 ans. Ce choix fut parfaitement assumé par Un Drame Musical Instantané comme lors de mes projets personnels. Je me suis déjà expliqué pourquoi, à qualités égales, j'ai toujours choisi une fille plutôt qu'un gars. Nous sommes loin de la parité, mais ce n'est pas si mal. Cette équation est un vœu logique, même si les règles, pour une fois imposées à tous, peuvent parfois virer à l'absurde. C'est le propre des règles. Il est pourtant évident que si la pianiste Françoise Toullec avait été un homme ou si elle se comportait en tant que tel, elle bénéficierait d'une reconnaissance largement supérieure à la sienne. En 2012, j'écrivais sur son concert en duo avec la chanteuse Dominique Fonfrède, en 2017 leur CD Dramaticules et en 2022 leur CD Ça qui est merveilleux, ainsi que son solo Un hibou sur la corde en 2019.
Le nouvel album Le Bateleur, Parades & Variations enregistré avec La Banquise est aussi épatant. Cet ensemble est composé de la chanteuse Claudia Solal qui interprète les textes minimalistes ou répétitifs de Fabrice Villard, du contrebassiste Louis-Michel Marion, du batteur Michel Deltruc et du saxophoniste Antoine Arlot à l'alto, au baryton et électronique. La surprise qu'engendrent certains timbres vient aussi des préparations du piano que Toullec maîtrise merveilleusement et des objets excités par Deltruc. Le terme qui me vient le plus simplement est espiègle. C'est joué. Comme les enfants qu'ils n'ont jamais cessé d'être. C'est joué d'avance. On sait où l'on va. C'est-à-dire justement que l'on ne sait pas. Alors c'est joué d'après. D'après le texte ? Il suffit d'une fourche et le chemin bifurque, les touches noires et blanches prenant les couleurs d'Arlequin jusqu'à pousser l'orchestre à des pirouettes de saltimbanques.

→ Françoise Toullec + La Banquise, Le Bateleur, Parades & Variations, CD Gazul

mercredi 26 février 2025

Animal Opera par Le Monde Diplomatique


Antoine me signale cet article paru dans le numéro de mars du Monde Diplomatique sous la plume d'Eric Delhaye.

Animal Opera sur Bandcamp

Les filles chez GRRR


Lundi dernier, j'indiquais avoir ajouté sur le site drame.org, en accès libre, tous les vinyles et CD d'Un Drame Musical Instantané, de Trop d'adrénaline nuit (1977) à Plumes et poils (2022) parus sur le label GRRR, ainsi que l'intégralité des sessions (plus de 6 heures, 1975) de mon premier disque, Défense de de Birgé Gorgé Shiroc, parues exclusivement sur un DVD bonus chez l'israélien MIO et l'espagnol Wah Wah. Défense de est devenu un album culte pour figurer sur la Nurse With Wound List. Ne vous affolez pas si votre navigateur vous annonce que le site n'est pas sécurisé, c'est juste qu'il n'est pas mis à jour en https, allez-y les yeux fermés, mais les oreilles grandes ouvertes, car y sont rassemblées 1700 pièces, soit plus de huit jours 24 heures sur 24 ! En tout ce sont plus d'une soixantaine d'albums physiques et une centaine virtuels. Il faut bien cela pour fêter le 50ème anniversaire de notre label. Ces centaines de morceaux sont longs à indexer, car en plus de les convertir en mp3 (320kbps) je dois indiquer l'instrumentation des musiciens pour chacun, etc.
Ainsi aujourd'hui vous pouvez écouter les 3 CD d'Hélène Sage, Comme une image (1989), Les araignées (1997) et Échappée belle (2010), les deux premiers CD du trio Pied de Poule, Indiscrétion (1989) et Café noir (1992), et les 3 CD de Michèle Buirette, Le panapé de Caméla (2005), Île et elle (2009) et Swing Passions (2016) ainsi que La mis en plis (1985), son premier vinyle. Ajoutez mon duo Rendez-vous (1981) avec Hélène publié par KlangGalerie en 2018. Le plus récent, Ça qui est merveilleux (2022), est l'exquis duo de la chanteuse Dominique Fonfrède avec la pianiste Françoise Toullec. J'adorais déjà le trio Pied de Poule constitué de Dominique, Michèle qui y jouait surtout de l'accordéon et la contrebassiste Geneviève Cabannes. Leurs mélodies et leurs arrangements à trois voix, la subtilité de leurs paroles, leur humour corrosif ou tendre sont toujours aussi emballants. Tout comme les inventions brintzingues d'Hélène Sage et ses collages de bric et de broc. Je ne voulais pas que cela se perde, alors les voici à nouveau accessibles ! Michèle Buirette et Dominique Fonfrède, chacune de leur côté, continuent d'écrire et composer des chansons drôles et bouleversantes.


Michèle, Hélène, Geneviève, Dominique étaient les filles du label, comme Francis Gorgé, Bernard Vitet et moi en étions les garçons. Ce ne sont pas les seules. Lorsqu'en 1981 le Drame a monté son grand orchestre, le tiers des pupitres étaient tenus par des musiciennes : Hélène y jouait de toute une panoplie d'instruments bizarres, Geneviève à la contrebasse, les violoncellistes Hélène Bass et Marie-Noëlle Sabatelli, la violoniste alto Nathalie Baudoin, Magali Viallefond au hautbois et instruments Baschet, la chanteuse Emmanuelle Huret. À l'époque il était rare qu'on les laisse jouer des cuivres ou de la batterie. Elles n'étaient pas nombreuses non plus à improviser. Les chanteuses, cela ne choquait personne : nous avions ainsi collaboré avec Tamia, Françoise Achard, Brigitte Fontaine, Colette Magny, Martine Viard, Françoise Degeorges, Dee Dee Bridgewater, ma fille Elsa... Il y avait aussi Joëlle Léandre, Laura Seaton et Mary Wooten du Soldier String Quartet... C'est seulement il y a une dizaine d'années que les préjugés ont lâché.
Ces trente dernières années j'ai tout de même eu la chance de jouer et enregistrer avec des artistes exceptionnelles comme Birgitte Lyregaard, Alexandra Grimal, Linda Edsjö, Hélène Labarrière, Eve Risser, Yuko Oshima, Sophie Bernado, Amandine Casadamont, Elise Dabrowski, Fanny Lasfargues, Christelle Séry, Sophie Agnel, Hélène Breschand, Élise Caron, Naïssam Jalal, Violaine Lochu, Fanny Meteier, Tatiana Paris, Gwennaëlle Roulleau, Fabiana Striffler, Léa Ciechelski, Catherine Delaunay, Maëlle Desbrosses, Hélène Duret, Emmanuelle Legros, Rafaelle Rinaudo, Olivia Scemama, Isabel Sörling... J'espère n'oublier personne. Elles sont trompettiste, tubiste, saxophoniste, clarinettiste, bassoniste, flûtiste, pianiste, guitariste, harpiste, violoniste, altiste, violoncelliste, contrebassiste, bassiste, percussionniste, électroacousticienne, platiniste, performeuse ou chanteuse.
Ne jouer qu'avec des garçons m'a toujours paru étrange. Jeune homme, je ne supportais pas l'ambiance des loges et les plaisanteries de régiment. Mettez une fille dans un orchestre de mecs et l'atmosphère change bénéfiquement du tout au tout. Dans les grands ensembles il vaut tout de même mieux qu'elles soient au moins deux, pour des tas de raisons intimes ! C'est évidemment peu à l'heure de la parité devenue obligatoire pour bénéficier de pas mal d'aides. Comme d'habitude, nombreuses règles finissent hélas par devenir absurdes. À qualités égales j'avoue que j'engageais plutôt une fille. Je sais que certaines ne partagent pas cette opinion, mais il y a une sensibilité féminine, comme il y a des différences de classe, de nationalité et de caractère.
En tout cas je suis vraiment heureux que vous puissiez les écouter, parce qu'elles ont toutes une vision du monde personnelle qu'elles transposent en musique, que ce soit dans le cadre de compositions préalables ou instantanées.

mardi 25 février 2025

Du bruit dans l'art


De passage au Musée d'Art Moderne et Contemporain de Saint-Étienne, au rayon enfants de la boutique j'ai trouvé un livre qui place une œuvre d'art en face d'une onomatopée. C'est le genre d'ouvrage qui conviendrait tout à fait à mes improvisations dont le thème est tiré au hasard par le public ou les musiciens. Chaque double page donnerait un titre (l'onomatopée), une image (l'œuvre) et, enfin, la composition instantanée que cette rencontre nous inspirerait. Le choix est suffisamment drôle et varié pour motiver les inventions musicales les plus délirantes. J'adore ! Cela me changerait des cartes Oblique Strategies, même s'il m'est arrivé d'utiliser le Codex Seraphinianus, les photographies de Roger Balen ou celles choisies par Gabriel Bauret et Grégoire Solotareff, les tableaux de Neo Rauch, des photogrammes de films, des recettes de cuisine, des poèmes de mc gayffier, des phrases tirées de Fictions de Borges, les noms de révolutionnaires, un chifoumi, etc. Je cherche toujours ce genre d'objet sollicitatif.


Auparavant j'avais eu le temps de visiter les expositions temporaires Hors Format, Brand New!, David Meskhi et Anne Bourse. Manquaient cruellement les anamorphoses d'Ella & Pitr qu'aucun visiteur n'aura pu admirer, puisqu'elles ont été détruites après avoir été simplement prises en photo juste avant la réouverture du musée ! Éphémères, elles figurent heureusement dans leur dernier ouvrage, Klaxonnés, mais le célèbre couple d'artistes stéphanois, dont on peut admirer les personnages étranges et colorés, éparpillés dans les rues de Sainté et ailleurs sur toute la planète, mériteraient vraiment de figurer dans les collections du MAMC.

→ Andy Guérif & Édouard Manceau, Du bruit dans l'art, ed. Palette

lundi 24 février 2025

Du nouveau en écoute libre


En 2010, lors de la refonte du site drame.org, si les vinyles étaient à la traîne, les CD se vendaient bien. Pensant inciter les amateurs à les acheter, j'avais mis en ligne seulement un ou deux morceaux par disque pour ne pas les déflorer complètement. Le label GRRR avait été fondé en 1975 (nous fêterons donc son 50e anniversaire cette année !) et le site initial en 1997 (28 ans déjà !). Or aujourd'hui le marché s'est tari. L'intérêt pour les vinyles m'a permis d'alléger notablement le stock, mais les plateformes musicales ont asséché le domaine. Heureusement il y a encore des amateurs de beaux objets tangibles qui ne s'abrutissent pas en avalant le flux le plus souvent sans savoir ce qu'ils écoutent. Orkhêstra, notre dernier distributeur, ayant mis la clef sous la porte, nous vendons heureusement les nouveautés et ce que l'on appelle le back catalogue grâce à Bandcamp, modèle vertueux en comparaison de l'arnaque Deezer ou Spotify. GRRR continue à produire dans de plus faibles quantités, sachant que nos disques sont essentiellement destinés à la presse et aux copains. Le soutien de disquaires tels Dizonord ou Souffle Continu à Paris compte aussi pour nous. Les ventes à l'étranger passent par Squidco (USA), Bandcamp et quelques revendeurs.
Dans ces conditions j'ai décidé de diffuser gratuitement en ligne les CD d'Un Drame Musical Instantané et affiliés ainsi que ses premiers vinyles (ressortis récemment en CD agrémentés d'importants bonus sur le label autrichien KlangGalerie) et ce de manière exhaustive. J'ai toujours considéré que notre musique devait d'abord circuler avant d'engranger des perceptions. Avec le temps nous avons probablement tout de même récupéré nos investissements. Sur cinquante ans cela est évidemment peu perceptible ! Il est satisfaisant de penser que cette immense quantité de travail peut s'écouter partout sur la planète en se connectant à Bandcamp ou sur le site drame.org. On peut choisir précisément tel album physique ou virtuel, mais sur la page d'accueil du label GRRR ce sont rien de moins que 1700 pièces en écoute aléatoire, soit plus de 8 jours 24 heures sur 24 ! C'est extrêmement varié, conférant à drame.org le statut de radio libre. Certains albums durent trente minutes, mais d'autres peuvent constituer un total de vingt-quatre heures comme la série des Poisons. dans tous les cas vous serez surpris par la variété des musiques proposées, même s'il paraît qu'un dénominateur commun les accompagne. C'est ce qu'on appelle le style, et GRRR en a à revendre !

vendredi 21 février 2025

Yann Robin, contemporain heavy metal


En avril dernier, épaté par l'interprétation de Art of Metal III, pour clarinette contrebasse en métal, ensemble et électronique, par l'Ensemble Intercontemporain, j'ai récemment acquis les deux CD commercialisés du compositeur Yann Robin. À moins de disposer d'un amplificateur puissant et de voisins compréhensifs, il est difficile de retrouver l'émotion du concert. J'ai commencé par Vulcano (2008), Art of Metal I (2006) et Art of Metal III (2007) avec les mêmes interprètes entendus à la Cité de la Musique, soit l'époustouflant Alain Billard à la clarinette contrebasse, l'EIC dirigé par Susanna Mälkki et le dispositif électronique de l'IRCAM. Dans toutes ses pièces, le désir de puissance est énorme. J'imagine que le mur d'amplis Marshall des hard-rockers l'a marqué jeune homme et que le jazz moderne a influencé son écriture phénoménale. Le volume sonore n'empêche nullement l'émotion, il la magnifie dans un délire partagé par tous les compositeurs ayant eu recours à des orchestres survitaminés, de Berlioz à Stockhausen en passant par Varèse. Avec la maturité, le style se précise et j'ai encore préféré Inferno (2015) pour grand orchestre et électronique et Quarks (2016) pour violoncelle et orchestre. Cette fois l'orchestre National de Lille est respectivement dirigé par Alexandre Bloch et Peter Rundel, avec le formidable violoncelliste Éric-Maria Couturier. Je serais curieux d'écouter des pièces plus récentes. J'ignore si les compositions de Yann Robin sont toujours aussi telluriques, je le verrais bien prendre un jour le pied inverse et jouer du silence avec la même maestria. Les références explicites à Dante m'apparaissent comme des prétextes utiles, de même que je ne peux m'empêcher de penser à l'une de mes pièces favorites du XXIe siècle, Index of Metals du regretté Fausto Romitelli. En tout cas, sa musique est de son temps, grave et tonitruante, impressionnante et énigmatique en ce qui concerne le futur.

→ Yann Robin, Vulcano / Art of Metal, I, III, CD Kairos
→ Yann Robin, Inferno / Quarks, CD Cuicatl, La Buissonne

mercredi 19 février 2025

500 sillons bouclés sur un seul vinyle !


J'aime bien les trucs bizarres, les instruments bizarres, les artistes bizarres, les disques bizarres. Drôle de drame ! Lorsque le bizarre pénètre le réel je suis plus circonspect. Bizarre était le nom d'un des labels de disques de Frank Zappa, le compositeur grâce à qui ma vie musicale a commencé. Quel choc en juillet 1968 à Cincinnati lorsque j'ai entendu We're Only In It For the Money !
Donc voilà, après le Lazaretto de Jack White, je reçois le RRR 500 (Various 500 Lock-Grooves By 500 Artists) produit en 1998 par RRRecords. C'est la lecture d'un disque la plus active que je connaisse, puisqu'à moins de se coltiner une boucle courte pendant je ne sais combien de temps, il faut sans cesse soulever le bras du tourne-disques et le reposer ailleurs. Chaque face est composée de 250 sillons bouclés d'artistes différents. Sur un disque "normal" il n'y a qu'un microsillon par face, l'aiguille se mouvant en spirale. Ici ce sont donc des cercles parfaits. De mes radiophonies (montage d'éléments sonores attrapés au vol sur les ondes, début des années 70) au zapping en direct sur les chaînes de télévision pour le spectacle Zappeurs-pompiers (1989), de la Mascarade Machine (2010) à mes récentes improvisations sur l'Enner auquel j'ai adjoint un poste de radio FM, je m'y retrouve.
À côté de ces sillons sans fin, j'ai découvert qu'il existait de nombreuses autres façons de pervertir des vinyles, par leur taille, leur vitesse, la place et le nombre des trous, divers sillons parallèles, le sens de lecture, la matière, etc.
Pour la pièce 3/3 par 1/2 j'avais découpé plusieurs 33 tours du Drame et en avais recollé des morceaux pour constituer un seul vinyle. De même, dans les années 80, je me souviens de concerts de Christian Marclay où il utilisait simultanément plusieurs bras sur le même disque et les traitait avec des pédales d'effets. Mais ces objets expérimentaux n'étaient pas commercialisés.
Les boucles du RRR 500 sont très variées, musiques de différents styles, voix, bruitages... Même si je lis les noms de Zoviet France, Otomo Yoshihide, Ryoji Ikeda, Terry Riley, Derek Bailey, John Appleton, John Oswald, Jérôme Noetinger, Thurston Moore, Sonic Youth, la plupart me sont inconnus. Cela n'a aucune importance, car les identifier revient à poser l'aiguille dans une botte de foin.

mardi 18 février 2025

Animal Opera, ÉLU par Citizen Jazz


Hier la magnifique couverture de Citizen Jazz dédiée à ma fille Elsa avec entretien et chronique du nouveau disque du groupe Odeia à la clef m'a poussé à reporter la chronique épatante de Franpi Barriaux sur la même revue à propos de mon dernier disque. La voici ! Comme leur CD Il pleut, mon Animal Opera est décoré du label ELU.

Il faut se replacer dans le contexte de 2006 et des débuts des réseaux sociaux pour bien comprendre ce que fut, pour les amateurs de musiques créatives le Nabaz’mob, cet opéra de 100 lapins connectés qui, par un système particulièrement créatif (entendre ingénieux, malin et bricoleur), construisait une musique - et une scénographie - absolument envoûtante. Beaucoup à l’époque partageaient les vidéos comme une promesse d’ère nouvelle et d’un certain goût pour le Kawai [1] sans savoir que derrière cette performance, il y avait Jean-Jacques Birgé. Naturellement, diront ceux qui suivent le travail sonore de l’artiste et sa passion pour quelques noms qu’évoquent cet Animal Opéra : Nancarrow, La Monte Young, Zappa ; le lapin Nabaz’tag est un synclavier comme un autre.

2024, les choses ont changé : Twitter est devenu un cloaque où des nazis discutent des paniques morales à la mode avec des anciens de 1968 frustrés de n’avoir plus la force de tout casser pour leur petite jouissance personnelle. Les serveurs des lapins sont devenus des bricolages souterrains. Jean-Jacques Birgé, lui, n’a pas changé de cap, et c’est avec plaisir qu’on le retrouve dans cette projection des cent lapins dans la forêt amazonienne. Car entre les deux enregistrements de 2009 et 2010, Birgé nous propose un saisissant travail de field recording saisi pendant un voyage au Pérou. Des animaux électriques chantant ensemble de longues notes proches du bourdon ou des grands airs d’opéra avortés, capables de faire rêver n’importe quel androïde, on passe sans transition à des animaux de chair dans une contrée sauvage. « L’Aube à Shimiyacu » est de ces morceaux où l’on s’abandonne, Birgé conservant néanmoins le contrôle pour garder quelques lignes directrices et nous éloigner vite des rayons de Nature & Découvertes pour aller vers une divagation. Tellement plus utiles que les relaxations tarifées.

L’intention de Jean-Jacques Birgé est subtile et, pour tout dire, philosophique. Animal Opera interroge notre monde et la place de l’imprévu, de l’état de nature, et - du fait de la non-intervention de l’homme - du rôle de l’anthropocène. Il n’y a pas d’intervention de musiciens dans ce concert de la Nature. Il n’y en a pas davantage dans les discussions entre lapins, même si le travail en amont est le garant de cette condition. On y verra, tout au long de l’album, un grand éloge de la Liberté collective.

par Franpi Barriaux // Publié le 16 février 2025

[1] La culture japonaise des choses mignonnes, qui a une forte influence sur l’art graphique, NDLR.

lundi 17 février 2025

Elsa, le chant funambule


S'il n'est jamais simple pour un artiste d'être relaté à ses parents, il est toujours agréable d'être reconnus pour les géniteurs de son enfant (de la balle). J'étais un peu mal à l'aise d'être le fils de mon père quand il me présentait à ses anciennes connaissances comme Jeanne Moreau, France Roche ou Pierre Dac, mais j'étais ému de le voir si heureux sur son lit d'hôpital lorsqu'il expliquait à un infirmier qui n'en avait rien à faire que j'étais compositeur, et d'ajouter "d'opéra" pour tenter d'amadouer le type qui refaisait son lit. Aujourd'hui ma fille Elsa est en couverture de Citizen Jazz (belle photo de Jeff Humbert) avec un entretien où je reconnais ses aspirations comme ses respirations. On m'a souvent demandé si j'étais fier de ce qu'était devenue Elsa. Je répondais chaque fois que j'en étais heureux, mais que la fierté elle ne la devait qu'à elle-même et à son travail. Quand elle se contorsionnait sur son trapèze, perchée au centre du Cabaret Sauvage plein à craquer, qu'elle décroche le Grand Prix de l'Académie Charles Cros dont j'ai longtemps rêvé pour l'avoir lu, enfant, sur une étiquette de mon disque de La Marque Jaune ou qu'elle s'épanouisse dans son art vocal me comble de joie. Ses choix artistiques sont loin des miens et c'est tant mieux pour elle. Sa mère et moi n'y sommes évidemment pas pour rien, mais son art ne tient qu'à elle, et aux rencontres qu'elle fait depuis qu'elle vole de ses propres ailes. Sur la couve notre nom est en énorme, mais c'est son prénom qui devrait l'être. Et c'est certainement sa maman qui lui a légué le goût des belles mélodies. Ne sommes-nous pas tous et toutes faits de ce mélange ou de ce tri, n'acceptant ou ne rejetant jamais totalement notre héritage, y picorant ça et là ce qui permettra de nous construire, parce que nous ne sommes pas ce qu'ils furent, que nous sommes nous, mais qu'avec le temps nous finissons pas identifier ce qu'ils nous ont laissé. Ils ont fait ce qu'ils pouvaient. Dans une chanson j'avais écrit : "on n'a jamais de bons parents, on a parfois de bons enfants". J'entendais par là que la névrose est toujours familiale, merci papa, merci maman, mais qu'il y a des enfants qui nous inquiètent moins que d'autres. Je n'ai qu'une fille, elle est franchement ravissante, entendre qu'elle me ravit, et son entretien mené par Franpi Barriaux lui ressemble bien.


P.S.: dans le même numéro de Citizen Jazz vous pouvez lire une chronique de son dernier disque, Il pleut, avec le groupe Odeia, disque ÉLU, ainsi qu'une autre, de mon propre Animal Opera, ÉLU lui aussi, j'y reviendrai plus tard.

vendredi 14 février 2025

L'argent de M. L'Herbier par Un d.m.i. (1988)


Rien n'a changé depuis le krach de l'Union Générale de 1882 et le scandale de Panama de 1888 qui inspirèrent Émile Zola pour L'argent. Rien n'a changé des mécanismes boursiers depuis que l'écrivain les décrivit dans son roman publié en 1891, dix-huitième volume de la série des Rougon-Macquart. Rien n'a changé depuis l'adaptation sublime que Marcel L'Herbier en fit pour le cinématographe en 1928 à la veille du krach boursier. Rien n'a changé depuis celui d'octobre 1987 lorsque nous travaillions sur la musique du film de L'Herbier pour le centenaire du cinéaste. Rien n'a changé, si ce n'est le peu d'audace du cinéma actuel en comparaison des inventions de ce qu'il est aujourd'hui coutume d'appeler la Première Vague à laquelle appartenaient aussi Jean Epstein, Germaine Dulac, Louis Delluc... L'argent est un chef d'œuvre de 3h14, durée bollywoodienne qu'à ma grande surprise YouTube accepta sans rechigner. Si Un Drame Musical Instantané interpréta beaucoup plus souvent Le cabinet du Docteur Caligari, La glace à trois faces ou La Passion de Jeanne d'Arc, des 26 films que nous mîmes en musique depuis 1976 c'est probablement, avec L'homme à la caméra, le plus réussi de nos ciné-concerts.


Composée par Bernard Vitet (trompette, bugle, violon, trompette à anche, piano, percussion), Francis Gorgé (guitare électrique, synthétiseur, échantillonneur, valse, percussion) et moi-même (synthétiseur, échantillonneur, harmoniser, reportages, flûte, voix, inanga, percussion), la musique sait jouer des silences, évitant la logorrhée des versions du Napoléon de Gance dues à Carmine Coppola ou à Carl Davis. Comme avec L'homme à la caméra composée pour un orchestre de 15 musiciens, la partition de L'argent pour notre trio évite toute nostalgie pour propulser le chef d'œuvre de L'Herbier à notre époque, en soulignant ainsi l'actualité tant formelle que narrative. Enregistré par mes soins au Studio GRRR à Paris le 2 mars 1988, la création eut lieu les 21 et 22 janvier précédents au Théâtre À Déjazet. Avant de mettre le film en ligne j'en avais édité les meilleurs extraits pour constituer un disque qui resta également dans nos cartons jusqu'à sa publication virtuelle, gratuite en écoute et téléchargement sur drame.org ou Bandcamp.

Photo d'Un d.m.i. © Jean-Jacques Henry

27 février 2013

jeudi 13 février 2025

Dents de lait de Nougaro


Frémeaux continue son travail patrimonial en publiant des CD de chansons, musiques et textes rares ou oubliés. Ainsi sont sortis des albums de Serge Gainsbourg, Boris Vian, Claude Nougaro et leurs interprètes. Possédant déjà l'inusable et fabuleux coffret de 6 disques de Boris Vian paru chez Polygram en 1991 j'évite les doublons malgré quelques chansons figurant sur les 3 CD qui excitent ma curiosité. Idem pour Gainsbourg bien que Frémeaux se soit attelé à une intégrale depuis 1957 avec déjà deux triples volumes. La surprise vient donc des débuts de Claude Nougaro, par lui-même avant qu'il se mette à rouler les r et surtout des interprètes qui l'ont chanté lorsqu'il n'était encore qu'auteur. Très influencé par Boris Vian, sur les pas rock 'n roll d'Henry Cording alias Salvador, le jeune Nougaro va rapidement s'enticher du jazz et ne plus arrêter de swinguer. Charles Trenet avait montré la voie dès les années 30. Le feutre taupé de Roche et Aznavour date de 1948... Comme je l'interrogeais en 1998, Nougaro répondit : "C'est dans ce miroir noir que j'ai reconnu une partie de mon âme. À ce sujet-là, mon front n'est pas une frontière..."
L'intérêt du double album réside dans les interprétations de Philippe Clay, Jean Constantin, Lucienne Delyle, Richard Antony, Marcel Amont, Pierrette Bruno et d'inconnus telle Simone Alma dont le cri dans Vise la poupée est inoubliable. La gouaille de Clay très présent, la version de Bobino des Pantoufles à papa par Constantin, la mélodie de Serge et Nathalie par Colette Renard sont enthousiasmants. Comme pour tous les artistes cités plus haut les paroles sont de petites dramaturgies qui leur confèrent un statut de court métrage. La pop anglo-saxonne a laminé le texte au profit de la musique et des arrangements. Comment écouter les chansons de Prévert et Kosma en faisant la vaisselle ? Même légères et frivoles les paroles réclament de l'attention pour en savourer tout le suc. Ça se comprend. (à suivre)

Article du 15 janvier 2013

lundi 10 février 2025

Jack White bousculait les sillons


Le 10 juin 2014 Third Man Records publia un drôle de vinyle qui bousculait le pressage habituel. Ce n'est pas un hasard si les disques furent un temps appelés microsillon, car normalement il n'y en a qu'un seul qui débute au bord, sa spirale se terminant au centre. Or la face A de Lazaretto commence au centre et se termine par une boucle sans fin au bord du disque ! Mais Jack White, son auteur, ne s'est pas contenté de ce renversement facétieux : un morceau fantôme, la voix d'un enfant (Jack petit ?), est gravé sur l'étiquette centrale en 78 tours ! Je n'en ai pas fini avec les points d'exclamation. Sur la cire vierge entre les cinq chansons et le macaron, sous un certain angle et lorsque le disque tourne, on peut apercevoir un hologramme de Tristan Duke ! Ancien chanteur et guitariste des White Stripes, Jack White produit ici une sorte de garage rock excentrique, avec des réminiscences dylanesques ou ledzepesques, à l'époque un succès considérable. Pour l'occasion, il a retravaillé des paroles écrites à l'adolescence, fanfaronnades frimeuses rappelant certains artistes de hip-hop ou la naïveté arrogante de la jeunesse. La face B est gravée dans le "bon sens", mais la première chanson comporte deux introductions différentes selon l'endroit précis où l'on pose le diamant ! Après un dernier sillon fermé, un nouveau morceau fantôme est caché sur l'étiquette mate (l'autre côté est brillant) et il se lit en 45 tours. Toutes les platines ne délivrent pas trois vitesses de lecture !
Ce disque étonnant, acquis sur le conseil de Jean-Brice Godet dont j'ai chroniqué le vinyle et les trois cassettes infinies du quartet WATT vendredi dernier, rejoint d'autres bizarreries de ma collection, comme de You're The Guy I Want To Share My Money With de Laurie Anderson/William Burroughs/John Giorno avec ses trois sillons concentriques, Footsteps le vinyle piétiné de Christian Marclay, Sounds of Silence de Caillet-David-Saladin, chaque exemplaire unique aux dégoulinades noires et blanches d'Avant-Toute de Birgé-Gorgé (!), nombreux disques souples comme celui de Salvador Dali et divers picture-discs dont certains imprimés sur des cartes postales ou l'enveloppe transparente, etc. En 2010, avec Vincent Segal, j'en avais présenté quelques uns à l'exposition Vinyl de la Maison Rouge. Mis à part les pochettes qui peuvent être aussi fameuses, je sais qu'existent des vinyles parfumés (berk, pas qu'à la rose), des disques en chocolat qu'on peut croquer, le RRR500 aux 500 sillons fermés......

→ Jack White, Lazaretto, Ultra LP Third Man Records

vendredi 7 février 2025

Coral de Watt, un mirage


Watt récidive et pas qu'un peu. La musique de drone est à la mode, mais tout le monde ne sort pas un lapin de son chapeau claque. Je me souviens de l'émotion ressentie en 1970 lorsque j'ai entendu La Monte Young et Marian Zazeela à la Fondation Maeght. Depuis, en général, les drones me barbent, comme si la pédale ostinato était un truc paresseux. Or tenir la note à quatre clarinettes est une sacrée paire de manches (c'était certainement là qu'ils cachaient le lapin). Jean Dousteyssier, Antonin-Tri Hoang, Jean-Brice Godet, Julien Pontvianne jouent en carré, mais ils tiennent la ligne et ça tourne rond. J'ignore comment leur musique me fait planer, pourquoi cela produit rarement cet effet chez moi avec les disques de drone que je reçois régulièrement. Alors ? Je ne sais pas, mais ça marche. Je m'y suis moi-même essayé l'été dernier en Amazonie, cherchant un point de vue personnel avec l'enregistrement L'aube à Shimiyacu pour l'album Animal Opera !
Coral est le troisième disque de WATT après un vinyle et un CD. Or cette fois les quatre coquins sont allés jusqu'à boucler le dernier sillon, sur les deux faces, impossible de savoir laquelle est la première, c'est sans fin. Je dis sans fin, comme on dit que ça se mange sans faim. Mais ils ont poussé le bouchon encore plus loin...


En plus de ce second vinyle, ils publient un coffret de trois cassettes infinies. Sur le lecteur la bande tourne en boucle ! Objet rare, comme les trois sillons concentriques de Laurie Anderson/William Burroughs/John Giorno, Footsteps le vinyle piétiné de Christian Marclay ou l'ultra-lp Lazaretto de Jack White (commandé aussitôt sur les conseils de Jean-Brice Godet, j'y reviendrai quand je l'aurai reçu). J'ai fait une bêtise avec la première cassette, je vais devoir l'ouvrir et opérer, mais tout s'est bien passé avec les deux autres. Pour chacune le quatuor de clarinettes a commandé une pièce sans fin à un compositeur ou une compositrice, Arbres de Léo Dupleix en lents accords mineurs et dissonances aiguës, For 4 clarinets de Karl Naegelen avec ses harmoniques et sons soufflés, et OlimCaroline Marçot ne se cantonne pas à un seul mode, mais inventorie différentes techniques propres aux anches. Coral, composé par le carré d'as, occupe les deux faces du vinyle, peut-être la pièce la plus magique, apparemment la plus simple, mais seulement en apparence. Tout le travail de WATT se joue justement des apparences, comme si l'on pouvait voir leurs ondes traverser l'espace. Un mirage.

→ WATT, LP Coral + 3 K7 infinies Arbres/For 4 clarinets/Olim, GMEA, 18€ le vinyle, 40€ le coffret de 3 cassettes (tirage à 30 ex.), et sur Bandcamp

mercredi 5 février 2025

GRRR salué par BANDCAMP


Après avoir nommé l'album TITRES du trio Jean-Jacques Birgé-Helene Duret- Alexandre Saada "The Best Experimental Music on Bandcamp, October 2024", Bandcamp nomme l'album ALBUM de Jean-Jacques Birgé-Catherine Delaunay-Roberto Negro parmi "The Best Jazz on Bandcamp, January 2025".
"In mid-October, French musicians Jean-Jacques Birgé, Alexandre Saada, and Hélène Duret met at a studio with an audience present and improvised, asking attendees to propose themes based on book titles. The results were posted to Bandcamp the next day as Titres (French for “titles”), with seven tracks of respectful but active musical conversation. Birgé’s keyboard and electronics supply a wealth of textures, including an underwater-sounding dance beat near the beginning of “París no se acaba nunca,” while Saada and Duret add busy note clusters that lean toward jazz but aren’t constrained by genre. Saada’s piano playing is particularly expressive, finding sharp moments inside halting rhythms, while Duret’s bass clarinet keeps the trio grounded even when it sounds like it wants to fly away. Other instruments—guitar, reed trumpet, music boxes—pass in and out of the mix, but things never get overcrowded."
(Marc Masters)
"This trio session from keyboardist Jean-Jacques Birgé, clarinetist Catherine Delaunay, and pianist-keyboardist Roberto Negro is not anything one would call normal, but this is a normal quality for a recording Roberto Negro contributes to."
(Dave Summer)

Une histoire naturelle des sons: Notes sur l'audible


Certains auteurs aux contributions scientifiques ou historiques ont l'indécence de ne pas citer leurs sources. On ne pourra pas reprocher cela au journaliste Caspar Henderson, traduit de l'anglais par Lucien d'Azay. Trente-huit pages de références et lectures complémentaires suivies d'un index de vingt-huit pages closent les trois cents quatre vingt que compte l'ouvrage. C'est aussi honnête qu'utile tant cette histoire naturelle des sons comporte d'informations, anecdotes et digressions sur les sons de l'espace, de la Terre, de la vie et de l'humanité. Il en va de l'infiniment petit à l'infiniment grand, là encore pour les sujets autant que dans leur importance. Si j'ai toujours eu des doutes sur les signes sonores du cosmos dont l'interprétation obéit à des projections trop proches de ce que nous connaissons, ils n'en existent pas moins. Nous vivons ceux de la Terre chaque fois que la météo s'en mêle et nous cherchons toujours à comprendre les autres animaux qui peuplent la planète. La seconde moitié de ce livre étonnant aborde les sons que nous produisons, de la musique (même celle des sphères !) au silence en passant par le langage, la pollution sonore, les bruits du changement climatique et les diverses thérapies associées au son. Comme le suggère l'auteur, on peut dévorer l'objet de A à Z ou picorer les courts chapitres au gré de son appétit pour tel ou tel sujet de cette culture générale, à mon avis fondamentale, qui a tendance à se diluer et se perdre dans le flux des nouvelles technologies de la communication et de l'information. Cette approche œcuménique, qui relate aussi bien d'étranges instruments de musique que les vers d'oreille et se réfère à tous les champs musicaux sans ostracisme aucun, tient de l'encyclopédie de poche. Elle se plaira aux côtés de l'indispensable Acoustique et musique d'Émile Leipp, du Traité des objets musicaux de Pierre Schaeffer, de Qu'est-ce que la musique ? de David Byrne, Les cloches d'Atlantis de Philippe Langlois, The Rest is Noise d'Alex Ross, Ocean of Sound de David Toop, Les fous du son de Laurent de Wilde. Je n'oublie évidemment pas les traités de Hindemith ou Koechlin, ni les écrits de Varèse, Schönberg, Webern, Cage, Boulez, Slonimsky, Partch, Reich, etc., car nous sommes ici à cheval entre la science et la poésie.

→ Caspar Henderson, Une histoire naturelle des sons: Notes sur l'audible, ed. Les Belles lettres, 27,90€

mardi 4 février 2025

Les Incendiaires sont À l'ouest


Pour n'importe quel musicien la tentation est forte de singer, voire d'adapter, les musiques d'Ennio Morricone. L'hommage que John Zorn lui rendit en 1985 avec The Big Gundown est le plus notoire, probablement un des albums les plus réussis du compositeur new-yorkais. Dix ans plus tard, Francis Gorgé et moi-même y ayant succombé (sous les pseudonymes Frank Bugs et Mellow Marx !) avec le CD Western paru chez Auvidis, je m'étais fait remonter les bretelles par Irvin Kershner venu dîner à la maison (réalisateur de La Revanche d'un homme nommé Cheval, Les yeux de Laura Mars, Star Wars: L'Empire contre-attaque, Jamais plus jamais...) ; pour Kersh les westerns italiens et la musique qui les accompagnait n'avaient rien à voir avec le Grand Ouest et nos parodies sonnaient d'autant plus iconoclastes. Dans cette série Musiques d'ambiance, notre CD Science-Fiction n'était évidemment pas mieux passé, mais la soirée s'acheva néanmoins de manière très conviviale !
La version des Incendiaires, trio lyonnais lié à l'ARFI, porte bien son titre, À l'ouest. Olivier Bost (trombone, banjo, percussions), Guillaume Grenard (trompette, euphonium, percussions) et Eric Vagnon (saxophones, percussions) le sont carrément dans leur arrangement brut de décoffrage, minimaliste, sans effets de réverbération, avec un humour digne de la série B. Leur adaptation sincère et sans fioritures de Pour une poignée de dollars, Mon nom est Personne, Il était une fois la révolution, Il était une fois en Amérique, Il était une fois dans l'Ouest, Le bon la brute et le truand éclaire les musiques de Morricone d'un jour nouveau, poésie de fanfare ou spectacle de tréteaux, soulignant le soleil harassant, le sable qui pique les yeux en gros plan, la mort qui rôde, et nous rappelant évidemment les films de Sergio Leone, la vanité de la vie et son prix dérisoire.

→ Trio Les Incendiaires, À l'Ouest, CD ARFI, dist. L'autre distribution, sortie le 7 février 2025

lundi 3 février 2025

Honey from a Winter Stone d'Ambrose Akinmusire


En 2018 j'avais adoré l'album Origami Harvest qui mêlait la trompette d'Ambrose Akinmusire, des slameurs, piano, batterie et un quatuor à cordes. Un peu déçu qu'il n'y ait ce mélange des genres dans ses autres disques, je suis ravi de retrouver cette veine inventive dans le nouveau Honey from a Winter Stone, même si la surprise est évidemment moins grande. Pour cette saison 2 le compositeur est entouré du chanteur Kokayi, du pianiste Sam Harris, Chiquita Magic aux synthétiseurs, la batteur Justin Brown et le Mivos Quartet (Olivia Deprato, Maya Bennardo, Victor Lowrie Tafoya, Tyler Borden). Sa musique résolument contemporaine, cross-over de jazz, hip hop, tradition classique du quatuor à cordes, fait référence au compositeur Julius Eastman à qui Akinmusire rend ce très bel hommage. D'autres jazzmen afro-américains avaient auparavant pris le risque de mettre un pied dans la porte, comme Freddie Hubbard, Ornette Coleman, Anthony Braxton, Roscoe Mitchell, John Tchicai, George Lewis ou Muhal Richard Abrams, et chaque fois je suis aux anges, parce qu'il n'y a rien qui me plaise plus que de quitter les rails d'un style pour brouiller les pistes qu'impose le marché et les habitudes. Composer pour ou avec un quatuor à cordes est aussi une constante chez les jazzmen et c'est souvent passionnant. En 1995, avec Bernard Vitet nous nous y étions délicieusement frottés avec Dee Dee Bridgewater et le Quatuor Balanescu pour Sarajevo Suite. Le nouvel album d'Ambrose Akinmusire possède une poésie unique où l'on semble flotter en état de lévitation, vertige imputable à des repères mouvants au gré de notre culture, de nos passions et de notre capacité à accepter les glissements qui s'y opèrent.

→ Ambrose Akinmusire, Honey from a Winter Stone, CD Nonesuch (sur Bandcamp)