70 Musique - octobre 2025 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mercredi 29 octobre 2025

Vinyland Odyssee de Falter Bramnk


J'ai toujours aimé les instruments qui sortent de l'ordinaire. Dans les années 80 j'ai eu la chance de voir Christian Marclay en concert solo à Würzburg en Allemagne. Nous avions le même producteur de disques, Jürgen Königer, du label Recommended Records/No Man's Land. C'était la première fois que je voyais quelqu'un scratcher des disques, avec des pédales d'effets sur les platines et des bricolages inattendus comme les disques qu'il avait découpés et réassemblés, et ce bien avant la plupart des DJ. Il utilisait aussi deux bras de tourne-disques sur le même vinyle. Lorsque, grâce à Benoît Delbecq j'ai appris que DJ Nem scratchait Ligeti et Miles, nous lui avons demandé de rejoindre Un Drame Musical Instantané ; il est présent sur l'album Machiavel dont le concept est justement autour du vinyle et sur Tchak enregistré en 2000 mais sorti récemment sur le label autrichien KlangGalerie. En 2010 le violoncelliste Vincent Segal est venu me voir pour que nous organisions une visite musicale de l'exposition Vinyl à la Maison Rouge où Françoise Romand nous filma. Depuis 2016 où nous avons fondé le duo Harpon je joue de temps en temps avec Amandine Casadamont dont un des talents est d'être platiniste ; nous avons, entre autres, enregistré trois albums : Harpon, Live at Silencio Club et Paradis. Alors, à Lille comme je sortais de ma conférence sur 200 Motels de Frank Zappa, mes oreilles se sont dressées et mes yeux n'ont fait que trente-trois tours lorsque Falter Bramnk m'a remis son CD tout frais.
Vinyland Odyssee est une sorte de collage. Il me rappelle ceux de Max Ernst ou Jacques Prévert, les affiches déchirées de Raymond Hains ou Jacques Villeglé, ou encore mes propres radiophonies telles qu'on les entend dans Crimes parfaits (1981) ou L'ai-je bien descendu (1989). Certaines pièces sont drôles ou spirituelles, d'autres grinçantes et corrosives. Je pense aussi aux premiers dessins animés de Walt Disney avant qu'ils deviennent politiquement corrects. Falter Bramnk ne s'endort pas sur sa platine, il joue aussi du piano, des synthés, des percussions, de la trompette, etc., et il a convoqué ici ou là les voix de Patrick Guionnet et Xuan Mai Dang, l'accordéon ou la basse de Dave Willey, le sax ou la clarinette de Laurent Rigault, la guitare de Sébastien Beaumont... Sur le disque Vinyland Odyssee les morceaux s'enchaînent, j'aurais peut-être suggéré quelques silences entre, pour mieux apprécier la qualité de chaque tableau. Il me semble qu'un cadre permet de mieux cerner le sujet. Le chaos de l'ensemble, néanmoins parfaitement maîtrisé, produit un vertige comme si nous étions dans la centrifugeuse de la Foire du Trône quand le sol se dérobe sous nos pieds, ou plutôt si nous étions parmi les spectateurs-voyeurs perchés en haut du cylindre. C'est un disque que je dois réécouter plusieurs fois pour profiter de toutes ses synapses sonores ; à la troisième et prochaine écoute je ferai probablement une pause entre chacune des 19 pièces en en vérifiant le titre. Discophile, je fais toujours grand cas de la présentation graphique, des textes lorsqu'il y en a, et des titres.

→ Falter Bramnk, Vinyland Odyssee, CD Attenuation Circuit (940 albums au compteur !) 10€ et en numérique 5€ sur Bandcamp

dimanche 26 octobre 2025

Images inédites d'Amougies 1969


Incroyable. Je découvre aujourd'hui, 56 ans après, un film où l'on me voit enregistrer Mouna pendant le Festival d'Amougies. Il y a 5 ans j'avais déjà retrouvé la photo où je suis en pied, avec mon manteau en Crylor et un collier rapporté du Maroc autour du cou. Le son est reproduit à différents endroits sur la Toile avec tous les groupes que j'avais enregistrés avec le petit magnéto Geloso de ma sœur (vitesse 4,75 cm/s diamètre des bobines 6,5cm).


Il y a une vingtaine d'années Aymeric Leroy m'avait aidé à mettre tout en ligne gratuitement sur le site Dimeadozen. Un peu parano, j'avais signé JJB. Sur ces concerts historiques on peut entendre Frank Zappa improviser avec Pink Floyd, Ainsley Dunbar Retaliation, Blossom Toes, Caravan, Captain Beefheart (il me manque Archie Shepp, je ne me souviens pas pourquoi). J'avais enjambé les barrières pour discuter avec Zappa. Mes enregistrements comprennent le reste des concerts de ces groupes, plus Colosseum, Ten Years After, Freedom, Martin Circus, Cruciferius, We Free, Yes, Sam Apple Pie, The Nice, Pretty Things, Alexis Korner et Soft Machine ! Mais je me souviens bien de tous les jazzmen, de Gong avec Daniel Laloux, de Pierre Mariétan jouant Terry Riley et du seul robinet extérieur que j'avais découvert dans une rue du village ! Des gougnafiers ont reproduit mes bandes et en ont fait commerce, en particulier sur des picture discs.


Le film en deux parties de Jérôme Laperrousaz et Jean-Noël Roy sur le Festival est resté seulement une semaine à l'affiche, retiré suite à une plainte de Pink Floyd, les droits n’ayant pas été négociés avec les musiciens. Malgré tout on peut voir des extraits vidéo ici ou là sur la Toile (ou sur un coffret de 27 CD de Pink Floyd en 2017 !!!). Je n'en ai plus évidemment qu'un vague souvenir.

samedi 25 octobre 2025

La relève


Depuis deux ans j'assiste souvent à des concerts de musique classique et, plus souvent, contemporaine à la Cité de la Musique ou à la Philharmonie. Je ne les chronique pratiquement jamais, mais j'ai pris l'habitude de placer la photo du salut sur FaceBook et Instagram. Certains programmes me plaisent évidemment plus que d'autres. Certains me font chavirer comme le Grand Soir Edgard Varèse dirigé par Pierre Bleuse l'année dernière. Si je ne boude pas mon plaisir avec le patrimoine du XXe siècle, il m'arrive de trouver banales certaines pièces de mes contemporains. Comme les disques que j'évoque dans cette colonne, je suis à l'affût d'écritures personnelles qui échappent à certaines formes d'académisme. Je trouve en cela plus facilement mon compte avec les jeunes musiciens/ciennes venu/e/s du jazz et des musiques improvisées. Dès les années 1970 je défendais leurs innovations qui se moquaient des chapelles en s'intéressant à toutes les musiques, qu'elles soient classiques, anciennes, pop, jazz, traditionnelles, etc. La musique contemporaine semblait avoir coupé les ponts avec les racines populaires, devenant ainsi consanguine, ce qui donnait forcément naissance à des enfants idiots ! L'École de Darmstadt, en France essentiellement Boulez, y était évidemment pour quelque chose. Que ce soit là ou dans les musiques improvisées j'ai du mal avec les ayatollahs qui s'interdisent un rythme soutenu ou une mélodie en do majeur. On ne découvre évidemment pas un Fausto Romitelli tous les jours. L'an passé j'ai ainsi été séduit par Yann Robin, et certains soirs comme hier je suis emballé par ce que j'entends. On fêtait l'anniversaire de la naissance de Luciano Berio avec ses Folk Songs ici interprétées par Sarah Aristidou, plus "trad" que la regrettée Cathy Berberian. J'ai toujours aimé écouter Berio comme Ligeti ou Kagel dont j'assistais à leurs représentations de leur vivant avec eux-mêmes présents dans la salle. On notera que ceux-ci ont toujours assumé leurs racines tout en gardant une oreille pour les musiques populaires.
Donc hier soir, j'étais heureux de découvrir de jeunes compositrices dont les œuvres mélangeaient un orchestre avec une bande électronique, utilisant accessoirement la voix. Irrlicht (2012) de l'Autrichienne Eva Reiter et Pure Bliss (2022) de la Croate Sara Glojnarić m'ont bien plu. La première réussit à marier parfaitement les instruments de l'Ensemble Intercontemporain, les bruitages et effets vocaux des interprètes avec l'électronique, et la variété de timbres et de nuances entraînés dans un chaos haché, découpé, trituré, stoppé, et également remarquablement dirigé par le chef Vimbayi Kaziboni, d'origine zimbabwéenne. Il m'aurait plu de la réentendre en bis à la fin du concert. La seconde réussit une pièce étale, sans heurts, une sorte de drone d'une richesse infinie, en accumulant des instants très courts choisis par les musiciens du Klangforum Wien pour l'émoi qu'ils leur offraient à chacun/e. Les citations, néanmoins peu reconnaissables, rappellent ce dont je parlais plus haut, à savoir puiser dans les musiques populaires pour imaginer une nouvelle musique savante. J'étais un peu moins convaincu par les pièces de Ni Zheng, née en Chine, et l'Américaine Zara Ali, mais convenais tout de même qu'une nouvelle génération de compositeurs, ici des compositrices, s'affranchit d'une doxa trop proche d'un entre-soi qui m'ennuie depuis toujours. C'est probablement la raison pour laquelle, affublé du qualificatif d'encyclopédiste, je recherche la plus grande liberté d'inspiration dans mes propres œuvres, en mariant l'émotion de l'instant qui vous échappe, une instrumentation la plus ouverte possible, le partage avec d'autres créateurs, visant probablement ce qu'on appelait jadis le poème symphonique. Dans la perspective de générer des compositions qui sortent plus souvent de l'ordinaire, je regrette que ne soit pas plus souvent donné à des artistes venus d'autres horizons que ceux de la musique contemporaine académique et des conservatoires, au demeurant excellents, la possibilité d'être joués par des orchestres aussi fameux.

mercredi 22 octobre 2025

Between Dusk and Dawn, 60e anniversaire d'Ars Nova


"Tout petit", j'avais été séduit par l'ensemble Ars Nova sous la direction de Marius Constant qui jouait des compositeurs que je ne connaissais pas. À sa suite Philippe Nahon donna sa chance à de jeunes contemporains peu joués ailleurs. C'est là aussi qu'en 1975 j'entendis pour la première fois la magnifique partition de Chostakovitch sur La Nouvelle Babylone, le film de 1929 sur la Commune de Kozintsev et Trauberg. L'ensemble, qui fut le premier orchestre en France et dans le monde consacré aux "musiques de création" et qui fête aujourd'hui son 60ème anniversaire, continue à faire des commandes à des artistes émergents, même si ses enregistrements ont jusqu'ici surtout concerné Satie, Schönberg, Messiaen, Xenakis, Ohana, Jolas, Dusapin, Ferrari, Cavanna... Dans tous les cas ce sont plutôt de fameux outsiders.
L'album Between Dusk and Dawn rassemble justement deux compositeurs et trois compositrices d'âge, d'origine et de styles différents. Avec A Horny Faun’s Rampage le sud-coréen Jongsung Oh s'inspire du Prélude à l'après-midi d'un faune, livrant une œuvre aussi varésienne que debussyste, ce qui n'a rien d'étonnant historiquement. Édith Canat de Chizy compose Spring pour deux harpes et ensemble. Pour Clessidra, la lituanienne Justė Janulytė imagine une musique plus étale, comme un sablier où deux mouvements opposés se jouent simultanément. Si le hongrois Gregory Vajda, chef principal associé d'Ars Nova et probablement le lien avec le label de Budapest, dirige les quatre premières pièces, il propose aussi Post-Apocalyptic Pastorale où des citations sont tranquillement ébauchées sans ne jamais arriver à leur fin. Clémence Le Gac dirige la dernière pièce, le quintette Du Lyrisme de l’obscurité (hommage à Marius Constant) de Lisa Heute qui laisse une part d'improvisation à ses interprètes. On peut ainsi espérer que l'ensemble s'ouvre de plus en plus à des compositeurs et compositrices que le monde de la musique dite savante néglige trop souvent au profit de celles et ceux ayant suivi un cursus académique. C'est évidemment chez les indépendants, dans l'histoire de la musique comme dans l'actualité, que je reconnais mes affinités.

→ Ars Nova, Between Dusk and Dawn, CD BMC

dimanche 19 octobre 2025

En direct sur Radio Libertaire


Vers 15h/15h30 aujourd’hui dimanche sur Radio Libertaire, lors de son émission Le mélange, Michael Polizzi diffusera l’intégralité de « Petit chien sans ficelle » (33’50), enregistré par Denis Lavant, Lionel Martin et moi-même, et qui figure sur le double album LES DÉMENTS paru cette année sur le label GRRR, dist. Socadisc.
L’auteur du texte, André SCHLESSER (1914-1985), dit Dadé, d’origine gitane, chanteur et cabarettiste, travailla avec Jean Vilar, chanta en duo avec Marc Chevalier sous le nom Marc et André, cofonda le cabaret L’écluse, écrivit Souvenance pour Barbara, et finit sa vie avec Maria Casarès qu’il épousa.
Lors de mon tout premier concert, avec Francis Gorgé, que j’avais organisé au Lycée Claude Bernard en 1971, en première partie des groupes Dagon puis Red Noise, Michel participait au light-show H Lights avec lequel nous fîmes nos premières armes sur d’autres groupes comme Gong ou Crouille-Marteaux. Il me prêta aussi de très nombreux disques de rock et free jazz que j’enregistrai et qui complétèrent ma culture musicale.

→ Radio Libertaire 89.4 MHz FM (et en ligne)

samedi 18 octobre 2025

Nurse With Wound très attendu


Il faut du temps pour concocter un coffret de 5 CD comme le fait Steven Stapleton autour de la réédition très augmentée de son album Rock 'n Roll Station, aujourd'hui épuisé, mais toujours accessible sur Bandcamp. Inspiré à l'origine par le morceau culte de Jac Berrocal avec Vince Taylor publié en 1977 sur son vinyle Parallèles, l'album de Nurse With Wound, le groupe cette fois cultissime (!) de Stapleton, connu entre autres pour la fameuse liste, bible de l'underground sur laquelle figure mon Défense de de Birgé Gorgé Shiroc, il s'étoffe considérablement grâce à de nombreux remixes des 7 pièces de l'album de NWW. Le coffret sortira probablement début 2026, or je suis particulièrement impatient, car y figure mon propre remix de A Silhouette And A Thumbtack (Dance in Hyperspace).
En attendant et sans que je l'ai vu, Steven ne m'ayant envoyé qu'un superbe test pressing, je sais seulement qu'il a fait presser 300 vinyles promotionnels pour annoncer la sortie du coffret de 5 CD. Je suis très touché que mon A silhouette as JJB remix ait été choisi à côté de ceux de l'Américain Irr. App. (Ext.), de l'Irlandais Diarmuid MacDiarmada et de l'Anglais Andrew Liles (membre de NWW), même si je préfère les leurs au mien. J'adore tout ce qui est hirsute (style pétard), impertinent (donc parfaitement pertinent), drôle et corrosif. Pas encore de visuel qui sera certainement signé Babs Santini, pseudo du prolifique Steven Stapleton en mode graphiste, sur cet imposant R'n'R Station qui sortira sur le label anglais Dirter.
L'année dernière, Souffle Continu Records avait sorti la réédition de la compilation In Fractured Silence, produit en 1983 en vinyle par Steven pour le label United Dairies et sur lequel figurait notre Tunnel sous la Manche d'Un Drame Musical Instantané ainsi que des pièces originales de Nurse With Wound, Hélène Sage et Sema.

vendredi 17 octobre 2025

Soulbread, solo de Csaba Palotaï


Soulbread est le septième album de Csaba Palotaï sur le label BMC, hongrois comme le guitariste, et son deuxième en solo après The Deserter il y a dix ans. La nouvelle me ravit, comme j'avais déjà chroniqué avec le plus grand plaisir Antiquity (2019) avec Steve Argüelles et Rémi Sciuto, Cabane perchée (2021) avec Argüelles, Sunako (2023) avec Simon Drappier et toujours Argüelles qui, de plus, a mixé et masterisé ce nouveau disque. J'aime tellement son jeu inventif et délicat que j'ai moi-même enregistré *** (2022) avec lui et la violoniste allemande Fabiana Striffler. C'est aussi un joyeux convive, toujours souriant, ce qui ne gâte rien. Csaba improvise aussi bien qu'il lit la musique, ce qui lui offre des perspectives infinies. Ici il est seul, mais sa guitare se multiplie par le truchement de pédales d'effets dont il use avec discernement. Si son timbre rappelle le rock d'Ennio Morricone, sa liberté celle du jazz, l'électronique les bégaiements de l'électroacoustique, les réminiscences de Transylvanie (qui fut longtemps hongroise) lui donnent parfois une couleur folk, mais Soulbread est surtout un portrait fidèle du Hongrois de Montreuil. Enregistré probablement chez lui au printemps de cette année, ses odeurs de feu de bois, de clairière ensoleillée, de feuilles mortes ou d'herbe fraîche, distillent un parfum de mi-saison qui fonctionne merveilleusement avec ce début d'automne.

→ Csaba Palotaï, Soulbread, CD BMC, dist. Socadisc, 11€

mercredi 15 octobre 2025

Painless Airwaves du Trio CBD


Si je connaissais mal la musique du guitariste Rémi Charmasson disparu cette année, encore moins celle du batteur Michael Baird, par contre j'ai toujours adoré la finesse du jeu de Philippe Deschepper avec qui j'ai eu la chance de jouer sur scène et sur disques*. Évidemment j'avais entendu les deux autres ici et là, mais je suis depuis toujours avec assiduité tout ce que Philippe produit, que ce soit sur sa guitare ou ses sculptures. Les improvisations du trio CBD enregistrées sans artifice à La Buissonne par Gérard de Haro réfléchissent mon après-midi ensoleillée de l'automne qui s'annonce. Les trois musiciens avaient beau être enfermés dans le studio, ils donnent l'impression de se promener à l'air libre. Ils semblent échanger des propos légers en se servant des notes comme les marches d'un escalier sans rambarde, ou des écureuils sautant d'arbre en arbre. Cette complicité est propre au jazz. Certains tricotent, d'autres jouent au ping pong. Le trio CBD, lui, est en balades. C'est peut-être ce qu'on appelle l'école buissonnière ?

→ Trio CBD, Painless Airwaves, CD SWP, 10,20€, sortie le 17 octobre 2025

* Quelques albums de mon côté avec Philippe Deschepper :
→ Un drame musical Instantané, Tchak, CD KlangGalerie (2000, sortie 2024)
→ Corneloup Birgé Deschepper (dont les initiales forment un autre CBD, wowie zowie !), Exotica, GRRR sur Bandcamp (2021)
→ Birgé Deschepper Échampard Robert, 1+1, GRRR (enr. 2000)
→ Aki Onda, Un petit tour, CD All-Access (1999)

mardi 14 octobre 2025

Souvenir du 50ème anniversaire du label GRRR


Alexandre Saada prend ses photos avec un appareil argentique, alors cela prend le temps précieux du développement pour retrouver Vincent Segal, Marie-pierre Rixain, David Fenech, Amandine Casadamont, Christiane Louis, Matthieu Donarier venus fêter le 50ème anniversaire du label GRRR le 13 avril dernier.
Hors-champ : Jonathan Pontier, Mathias Lévy, mc gayffier, Csaba Palotaï, Hervé Legeay, Maëlle Desbrosses, Gwennaëlle Roulleau, Dominique Fonfrède, Ravi Shardja, Fanny Meteier, Marco Luparia, Denis Lavant, Hasse Poulsen...
Les miennes en couleurs sont sur http://www.drame.org/blog/?2025/04/14/5877-fete-du-50e-anniversaire-des-disques-grrr

lundi 13 octobre 2025

In 2 de Roscoe Mitchell et Michele Rabbia


Les titres des compositions/improvisations de Roscoe Mitchell et Michele Rabbia sont explicites : A day in a forest, Interaction, Low Answer, In 2, A night in the forest, First Impression, Palyndrome. J'avais bien entendu les petits bruits de la forêt, une promenade à deux où l'on s'indique mutuellement le plus petit mouvement de feuilles, un oiseau caché, un bout de ciel, l'émerveillement de tout et de rien, ce qui revient aux mèmes. « Les mèmes sont des idées, des phrases, des mélodies, des slogans, des modes, des techniques et toutes sortes de constructions mentales qui semblent avoir une existence propre, indépendante de leurs éventuels auteurs, et qui se propagent, une fois vus, lus ou entendus, en sautant d'un cerveau à l'autre. Selon cette optique, une bonne part de nos pensées ne sont pas réellement les nôtres, mais seulement des mèmes qui nous ont infectées comme des microbes mentaux. » (Cosmopolitan, 1er mai 2002, citation du Grand Robert).
S'il existe une musique délicate, c'est bien In 2, cet album enregistré en Italie en mai 2024. Les percussions de Michele Rabbia sont d'abord de matière, de la Terre nourricière, de la nature qui nous fait si souvent défaut. Ses sons électroniques font vibrer l'air comme n'importe quel instrument acoustique. Les saxophones basse et sopranino de Roscoe Mitchell flirtent avec les découvertes de l'enfance, celle qu'on apprivoise enfin à 85 ans. Lorsqu'il jouait au sein de l'Art Ensemble of Chicago, il était attendu qu'il nous surprenne. Il y a dix ans Black Saint Soul Note avait sorti The Complete Remastered Recordings, un coffret de 9 CD de ses compositions plus "contemporaines" que jazz. Quant à Michele Rabbia je l'avais découvert grâce à Roberto Negro et chacune de ses interventions est d'une justesse absolue. Toujours ce fichu exergue de Cocteau qui me guide (chapitre D'une histoire féline dans Le Journal d'un inconnu) : "ne pas être admiré, être cru".

→ Roscoe Mitchell et Michele Rabbia, In 2, CD RogueArt, sortie le 13 octobre 2025

samedi 11 octobre 2025

John Lodge, maudit blues


Les Moody Blues ont marqué ma jeunesse, mais c'est après leur tube Nights in White Satin (1967) que j'ai acheté les deux albums suivants, In Search of The Lost Chord et On the Threshold of a Dream. Mon goût pour le mélange des instruments électriques avec l'orchestre symphonique vient probablement de là. J'avais aussi celui de Deep Purple, The Beat Goes On des Vanilla Fudge, Their Satanic Majesties Request des Stones, ceux des Beatles... À la même époque il y avait l'orgue délirant de Keith Emerson au sein des Nice, celui de Mike Ratledge avec Soft Machine, ou encore Pink Floyd. Alors j'ai acquis un Farfisa et plus tard l'ARP 2600, pour satisfaire mon fantasme orchestral, mais c'est Zappa, ou plus exactement les Mothers of Invention, qui en 68 m'ont fait sauter le pas. Je ne parle pas ici de mon attirance pour l'électronique (Silver Apples, White Noise), seulement d'un goût prononcé pour les grands ensembles ou l'impression qu'ils procurent.


Il n'empêche qu'à une époque j'ai vendu beaucoup de vinyles, mais j'ai conservé les deux Moody Blues. Alors, même si c'était très ringard, comme j'apprends la disparition à 82 ans de John Lodge, leur chanteur et bassiste, ça me fait quelque chose. Les autres du groupe sont presque tous déjà morts. Lorsque j'écoute des compositeurs contemporains, il me manque de temps en temps un air, une mélodie. Les récitatifs et les effets de timbre finissent par m'ennuyer. Hier je suis allé à la Philharmonie écouter un magnifique concert Chostakovitch, alors évidemment je comprends pourquoi Boulez détestait ça. Soit je suis un peu vieux jeu, soit trop nombreux manquent fondamentalement de chair. À mon goût, la musique doit s'adresser à toutes les parties du corps, au ciboulot évidemment, mais sans négliger les jambes, le ventre, le sexe, les épaules, etc. Je veux pouvoir rêver et réfléchir, rire et pleurer, danser et partir, en un verbe : vivre !

vendredi 10 octobre 2025

Se relever pour Vincent Courtois & Colin Vallon


Il y a d'excellents disques que je souhaiterais évoquer et pour lesquels je ne trouve pas les mots, du moins les miens puisque c'est la forme que je me suis imposée au fil du temps, déjà vingt et un ans de chroniques quotidiennes. Me voilà coi devant A Simple Fall, l'album de Vincent Courtois et Colin Vallon. Du moins je le pensais avant de me mettre à l'œuvre. Peut-être inspire-t-il simplement une évidence ? Tout y est, de ce qui fait aimer la musique, le corps et le cœur, la tendresse et la rage, l'accord et le chœur, le bois qui vibre comme l'air, l'invention et l'hommage aux anciens, sous-entendus ou muettes références, le silence et l'énergie, poésie circonlocutoire où les sons racontent mille histoires, les leurs ou les nôtres, toutes les interprétations... Le violoncelle de Courtois et le piano de Vallon ne sonnent pas pareils selon l'heure du jour où on les écoute. S'ils suggèrent une simple chute, c'est qu'elle force à se relever chaque fois, en y mettant les mains, en pliant les jambes, en rouvrant les yeux, en renaissant sans cesse, parce qu'on n'a pas d'autre choix. Il faudra bien mourir un jour, mais ce n'est pas pour aujourd'hui.

→ Vincent Courtois - Colin Vallon, A Simple Fall. CD BMC, dist. Socadisc, sortie le 10 octobre 2025

dimanche 5 octobre 2025

Un D.M.I. cité dans The Guardian


"SOME OF THE MOST INTERESTING ACTS, SUCH AS UN DRAME MUSICAL INSTANTANÉ, FORMED LATER IN THE 1970s"
Sympa de se retrouver cité dans The Guardian sous la plume d'Agata Pyzik à propos du livre de l'Australien Ian Thompson "Synths, Sax & Situationists: The French Musical Underground 1968-1978" dont j'ai rédigé l'une des deux préfaces (l'autre est de Steven Stapleton, a.k.a. Nurse With Wound). L'enquête la plus poussée sur le sujet, pour l'instant seulement en anglais...

Extrait du Guardian :
“Thompson thinks this proto-punk attitude as well as ideas driven from Situationists – the French intellectual revolutionary movement whose ideas fuelled May 68 – were key. They accepted the ephemereality of what they were doing – the point was to do it. Some of the most interesting acts, such as Un Drame Musical Instantané, formed later in the 1970s but the scene had largely died off by the early 80s. Post-punk came in, and France’s underground rock scene fizzled out. Yet its legacy is still tangible. “It cleared the way for French rock music to take a decisive turn away from slavishly copying English and American musicians,” says Thompson. “It was the very beginning of the process that eventually led to the international success of a specifically French style of music in the 1990s, with bands such as Daft Punk, Air and Phoenix.”
The scene’s most attractive quality, in the end, was not individual songs but the potential for true freedom of expression, Thompson says. “France’s musical revolution was a true experiment, not just a declaration.”

La référence aux hôpitaux psychiatriques est un concert de Birgé Gorgé Shiroc à la clinique de La Borde en 1975 et le festival qui s'y tint l'année suivante, où je rencontrai Bernard Vitet pour fonder Un Drame Musical Instantané fin 76.

vendredi 3 octobre 2025

Septembre ardent, LP ou K7


En mai 2023 j'avais assisté à la création de Septembre ardent au Comptoir de Fontenay. Difficile d'en rajouter, après la forte impression d'alors, à l'écoute du vinyle et de la cassette qui sortent deux ans et demi plus tard. Je reproduis donc ci-dessous l'article que les quatre musiciens m'avaient inspiré. Mais comme je suis saisi à nouveau (j'oublie facilement le passé pour vivre pleinement le présent), d'autres images me viennent. Même si c'est une courte nouvelle de William Faulkner parue en 1931 qui est à l'origine de leur livret original, comment ne pas penser à Dune, le roman de science-fiction de Frank Herbert paru en 1965 et ses adaptations à l'écran par David Lynch ou Denis Villeneuve ? Nous nous envolons au Maghreb, son sud désertique, pour cette évocation mystérieuse où des fantômes hantent les deux protagonistes interprétés par les chanteurs Nosfell et Donia Berriri, accompagnés par Jean-Brice Godet aux clarinettes et Valentin Mussou au violoncelle. Chacun/e double son jeu (dans l'ordre) au synthétiseur modulaire, au clavier, au cassettophone ou à l'échantillonneur.


Si le superbe vinyle attire avec ses sept chansons (mais sans les passages parlés et instrumentés), l'ampleur du projet ne prend sa dimension que par l'intégralité enregistrée sur cassette ou téléchargeable avec un code sur Internet livré avec le disque. Septembre ardent est bien un (petit) opéra. Le récit donne à la musique sa profondeur. En français et en arabe, il s'articule entre chaque chanson, produisant des images abstraites. Les matières sonores dressent des décors aux perspectives infinies. Le voyage initiatique nous entraîne si loin que l'on ne s'en aperçoit que lorsque tout est véritablement fini, dans la nuit mauve que porte le graphisme de Jérémy Barrault.



Le clip est réalisé par Jean-Pascal Retel. Le son est enregistré par Julien Taillefer et mixé par Édouard Bonan.

→ Septembre ardent, LP 24,60€ / K7 15€ / numérique sur Bandcamp 12€ LpLp Rec, dist. Inouïe


SEPTEMBRE ARDENT, UN OPÉRA DE CHAMBRE


"Septembre Ardent est le récit onirique d'un personnage en quête de sa propre histoire, dialogue entre un homme à la mémoire défaillante et une femme sibylline, miroir déformé d'une figure familière." Vendredi dernier j'ai surtout assisté à un merveilleux petit opéra, oratorio gesticulé, œuvre collective où toutes les pièces du puzzle instrumental et vocal sont en place. S'il en manquait une, ce serait à propos, à propos de cette fin du monde où le progrès est une arnaque mortifère. Mais les instruments acoustiques et électriques, clarinettes et cassettes de Jean-Brice Godet, violoncelle et échantillonneur de Valentin Mussou, claviers de Donia Berriri, machines de Nosfell se fondent parfaitement avec les voix de Donia, qui a écrit les textes, et Nosfell, dont le corps et la voix sont des lianes vivantes, ensemble soutenu par l'ingénieuse de son Céline Grangey. Spectacle de science-fiction philosophique, Septembre ardent diffuse une énergie incroyable, sorte de rock électronique où les impros jazz filent comme des bolides à la Mad Max, et une poésie légère qu'apportent le dialogue en chansons du couple qui se renvoie la balle à cour et jardin, en français et en arabe.


Jean-Brice Godet, en plus de la clarinette et de sa déclinaison basse, avait apporté une clarinette contrebasse dont le son m'a scotché, par la variété de ses timbres et une dynamique que je n'avais jamais entendue jusqu'ici sur cet instrument. Il n'est d'autre part pas surprenant que j'ai écrit en 2006 un article sur les débuts de Nosfell. Si Jean-Brice avait malicieusement évoqué Un drame musical instantané pour m'attirer au Comptoir de Fontenay, Septembre ardent m'a rappelé un autre opéra, très bizarrement méconnu, que j'avais chroniqué l'année suivante. Il s'agit de Welcome To The Voice de Steve Nieve et Muriel Teodori, qu'interprètent Sting, Robert Wyatt, Elvis Costello, Barbara Bonney, Sara Fulgoni, Nathalie Manfrino, Amanda Roocroft, The London Voices et Le Chœur des Amis Français, accompagnés par le Brodsky Quartet, Ned Rothenberg, Marc Ribot et Antoine Quesada. Je citai alors également Escalator Over The Hill de Carla Bley, Paul Haines et Michael Mantler, dont la distribution est aussi épatante, et No Answer du même Mantler. Opéras modernes, j'aurais pu encore citer d'autres œuvres de ce compositeur qui m'est très cher, ou Sing Me a Song of Songmy de Freddie Hubbard avec Ilhan Mimaroğlu, Delusion of the Fury de Harry Partch, 200 Motels de Frank Zappa, Le trésor de la langue de René Lussier, Jericho Sinfonia de Christophe Monniot, Lady M de Marc Ducret, Constantine de Théo & Valentin Ceccaldi, etc., tous des projets ambitieux qui ont fait des miracles malgré des budgets qui n'étaient pas à la hauteur de la réussite finale.
Et Septembre ardent n'a rien à leur envier, transportant la salle sur une autre planète qui ressemblait furieusement à la Terre.

mercredi 1 octobre 2025

Une anche passe, autographie bio de François Jeanneau


Pendant les trente-deux ans où j'ai travaillé quotidiennement avec Bernard Vitet j'entendais mon camarade évoquer de temps en temps ceux et celles avec qui il avait partagé un bout de chemin et qui avaient compté pour lui. Je l'ai d'ailleurs enregistré au sujet de ses débuts (il existe déjà un Cours du Temps publié sur le Journal des Allumés du Jazz, mais qui concerne essentiellement la période située entre ces débuts et Un drame musical instantané) ; il faudra donc que je m'y colle un de ces jours à en faire le relevé tant les temps ont changé et que la perspective historique est toujours passionnante et instructive.
C'est la raison pour laquelle j'ai dévoré Une anche passe, l'autobiographie du saxophoniste et compositeur François Jeanneau qui avait enregistré son premier disque en 1960 pour le pianiste Georges Arvanitas avec Bernard à la trompette. Jusqu'en 1965 on les retrouve tous les deux dans le grand orchestre de Jean-Claude Fohrenbach, dans le quintet de Jack Diéval, avec Jef Gilson (Enfin !, Big Band), Jean-Luc Ponty (The Beginning), François Tusques (Free Jazz) et plusieurs tournées avec Claude François, sans compter de nombreuses sessions pour des chanteurs à la mode. Bernard avait abandonné le jazz en 1974, deux ans avant notre rencontre, alors que François s'en réclamait toujours (avec une incartade pour le groupe de rock Triangle), premier chef de l'Orchestre National de Jazz (1986), créateur du département de jazz du Conservatoire de la Réunion (1987-91), puis premier chef du département « Jazz et Musiques improvisées » au CNSMDP (1991-2000), sans compter les innombrables formations qu'il dirige ou auxquelles il participe (Pandémonium, l'opéra Desmodus Minor, le Quatuor de saxophones avec Jean-Louis Chautemps, Philippe Maté et Jacques Di Donato, le trio Humair-Jeanneau-Texier, l'orchestre de soundpainting Le Spoumj, le Bernica Octet, etc.).
Je partage avec François Jeanneau l'influence de Sidney Bechet (j'ai joué du soprano sur ses genoux !), le goût pour les instruments électroniques, en particulier le synthétiseur ARP 2600, et je suis né comme lui Cité Malesherbes au haut de la rue des Martyrs, mais dix-sept ans plus tard ! En lisant les 280 pages illustrées je retrouve évidemment le nom de musiciens avec lesquels Bernard avait joué toute la première partie de sa vie. Mais c'est le style de François qui m'embarque, plein d'humour et d'apartés qui réfléchissent les périodes traversées par ce jeune homme aujourd'hui nonagénaire. Il fait souvent fi de la chronologie parce que la mémoire a ses règles et qu'il est indispensable de les enfreindre lorsqu'on aime raconter des histoires. Il insère des dialogues amusants entre Elle et Lui, deux coccinelles à la Gotlieb, ou livre ses idées majeures sur l'enseignement du jazz telles qu'il les a transmises à ses nombreux élèves devenus pour certains les meilleurs de leur génération. Mon expérience et mon credo sont très différents (je ne suis pas jazz pour deux sous, même si le marché m'y range parfois), mais il est passionnant de connaître ses méthodes. Dans tous les cas, c'est frais et généreux.

→ François Jeanneau, Une anche passe, 21 x 21 cm, ed. Anima Persa, 36,50€