70 Perso - juin 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 25 juin 2013

Elsa est Micaëla


En voyant Elsa sur la scène de Fourvière j'ai pensé très fort à Papa, à mon papa. Ça passait à travers moi, un courant de vie extraordinaire bravant la mort qui l'avait emporté trop tôt, trop tôt pour connaître Elsa qui avait deux ans lorsqu'il s'est éteint, un casque audio sur les oreilles avec la Callas qui lui faisait couler des larmes le long des joues sans qu'autour nous n'entendions rien. Dans cette nuit lyonnaise éclairée par une lune géante les étoiles me traversaient comme des neutrinos. Tandis que cette transfusion me réchauffait les veines Elsa entonnait : " Je dis que rien ne m’épouvante, Je dis que je réponds de moi ; Mais, j’ai beau faire la vaillante, Au fond du cœur, je meurs d’effroi. Toute seule, en ce lieu sauvage, J’ai peur… mais j’ai tort d’avoir peur…" Rien d'innocent. Il aurait sangloté d'émotion en voyant sa petite-fille dans sa robe blanche jouer cette gamine aux pieds nus qui les a bien sur terre. Papa pleurait facilement lorsqu'il écoutait de la musique. Il adorait l'opéra, mais n'y allait plus jamais, peut-être parce que Maman n'aimait que les marches militaires ? À Angers le père de mon père, l'arrière-grand-père d'Elsa, avait sa loge à l'opéra. Un jour où je rendais visite à mon père à l'hôpital il me présenta à l'infirmier en se vantant que j'étais compositeur ; comme le grand costaud ne mouftait pas il ajouta "... d'opéra." Je venais d'enregistrer La fosse avec le Drame et l'Itinéraire, Louis Hagen-William et Martine Viard. Coïncidence, Serge Valletti y jouait le rôle d'un des musiciens et c'est lui qui aujourd'hui a adapté le livret de Carmen et ajouté les dialogues comiques qui sortent du transistor comme d'un soap radiophonique. Il est encore d'autres coïncidences, plus intimes. Le temps finit par résoudre les dissonances en une suite d'accords qui nous mène inexorablement à la coda. Le vent qui soufflait sur la scène de l'amphithéâtre romain donnait encore plus de force à Micaëla bravant la tempête qui s'annonçait. Je pense toujours à Papa. Nous avons réalisé son rêve.

Photo © Ugo Nicolas

lundi 10 juin 2013

Pavot


On dirait un petit four à la violette avec cœur en pâte d'amande et corolle en paillettes de chocolat amer sur pétales de mangue. La fleur de pavot fait délirer si l'on en abuse. Il suffit de s'approcher des choses ou de s'en éloigner pour qu'elles prennent un autre sens. Certains tentent de théoriser l'unification de l'infiniment petit et de l'infiniment grand. Plus ou moins l'infini (±∞) me fascinait déjà au lycée, et plus tôt je retournais mes jouets pour les transformer en quelque chose que je ne possédais pas, mais qui me faisait rêver. Adolescent, je restais des heures le nez en l'air avec les pieds sur le bureau de ma chambre. Le monde défilait comme dans l'Atlas Mondial dont les pages palissaient à force d'en scruter les détails. Une abeille s'est approchée, elle s'est mise à table. Tandis que je la contemplais elle m'a susurré une autre histoire, un récit de voyage qui renvoyait Googlemaps à sa poésie de comptable. Ça sent les vacances, les nuits étoilées où aucun lampadaire ne vient gâcher l'écran d'épingles en 3D temps réel. Sur son chemin l'hyménoptère voit des milliers de détails qui m'échappent. J'imagine le pollen, des odeurs qui flottent, des phéromones dont on pourrait assimiler les ondes à des couleurs ou à des sons. Je quitte mon apnée pour m'ouvrir au monde qui s'offre à ceux et celles qui y veillent. Il était temps que la chaleur me fasse sortir de mon trou, que je me redresse et quitte le corset qui me permettait de tenir debout. Nous avançons, prêts à nous battre s'il le faut pour conquérir ce qu'on nous vole, mais c'est la douceur que nous visons, le festin partagé, le monde dont nous ne sommes chacun et chacune qu'un atome. Que c'est beau une fleur !