vendredi 20 janvier 2017
Qui suis-je ?
Par Jean-Jacques Birgé,
vendredi 20 janvier 2017 à 03:00 :: Perso
Qui suis-je ? Ce n'est pas un portrait chinois, mais une interrogation légitime que chacun, chacune se pose de temps en temps en se regardant dans la glace. En vieillissant on reconnaît parfois l'un de ses parents. Certains soirs on croit voir le jeune homme ou la jeune femme que nous avions été ou que nous avions rêvé d'être. D'autres matins on voit, comme disait Cocteau, "la mort travailler comme les abeilles dans une ruche de verre". On peut aussi s'y atteler chaque jour, comme je le fais dans cette colonne, sachant bien que j'aurais beau écrire sur tous ceux et celles dont les œuvres suscitent ma solidarité je ne fais que dessiner mon portrait en creux.
" Au bout de quelques jours où le téléphone ne sonne pas je me demande pourquoi tant de musiciens que j'ai invités me renvoient rarement l'ascenseur. J'ai rêvé qu'ils ou elles m'invitent sur scène ou en studio. Mais savent-ils ce qu'ils pourraient me demander ? Peut-être mon instrumentation est-elle trop étrange ? A-t-on jamais vu un pupitre de guimbarde ? Les sons électroniques sont-ils trop abstraits pour être imaginés ? Les bruitages qui font sens effraient-ils celles et ceux qui préfèrent rester dans le flou ? Il existe si peu de camarades à pratiquer les machines que j'ai appris à apprivoiser. Mon ancienneté est-elle encore trop récente ou fais-je déjà figure de dinosaure ? Dois-je continuer à souffrir de cet avant-gardisme systématique qui me tient éveillé ? Un ami producteur me confia un jour qu'à la vue de ma réussite matérielle personne ne pensait que je ressente le besoin d'être sollicité. Est-ce le lot des meneurs de se voir laissés à leurs œuvres ? Être un agitateur ou un indépendant isolerait forcément ? Combien d'artistes au profil proche du mien se trouvent confrontés à la même alternative : il leur faut être à l'initiative des choses s'ils veulent continuer à exister.
Ce n'est pas parce que je m'intéresse aux autres et que je défends leur travail que j'endosse la veste du journaliste. J'ai toujours rappelé que les qualités qui permettent de continuer sont la persévérance et la solidarité. La persévérance se comprend d'elle-même. La solidarité est une démarche essentielle pour ne pas s'enfermer dans une tour d'ivoire ou une cabane au fond des bois ! Face aux mauvaises nouvelles qui ne peuvent manquer de se produire, les amis sont les seuls à vous empêcher de sombrer. Je leur dois tant. C'est aussi une valeur morale qui tient à mes jeunes années, lorsque l'imagination était au pouvoir et que les anciens ne craignaient pas de nous transmettre leur savoir. En partageant avec les plus jeunes j'apprends autant d'eux que je leur ouvre de portes. "
Ces propos avaient été probablement motivés par des projets annulés, faute de subsides. Je tournais en rond, pestant de ne pouvoir me rendre utile, pensée déplacée au vu de mon incessante suractivité ! Se sentir désiré aide à avancer. Mes articles quotidiens me donnent néanmoins la satisfaction d'avoir fait quelque chose, même les jours de vache maigre. Quelle impatience ! Aussitôt ces lignes ressassées le téléphone sonne et de nouvelles perspectives me sourient. J'ajoute que, parti transmettre (la bonne parole) à Strasbourg où les étudiantes sont pleines d'une énergie qu'elles me renvoient à leur tour, le doute se dissipe. Il n'empêche...