70 Perso - novembre 2019 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 15 novembre 2019

Ailleurs


Il arrive que je ne sache plus où aller parce que l'horizon est bouché. Je lorgne les grands espaces alors que mes arbres cachent la forêt. La flèche indique la terre, mais je ne rêve que de prendre le large. Les voyages professionnels sont plus nourrissants que le tourisme, fut-il le plus sauvage. S'il s'agit d'un film, il faut comprendre le pays à vitesse V, question de survie parfois. Ce fut mon K. Généralement un fixeur vous y aide. Pour les concerts il suffit de prendre autant de jours off que de soirs de spectacle en tournée. Question de discipline. Rencontrer des populations dont je ne comprends pas la langue est dépaysant. Ce besoin vital de nourriture exotique pimente le quotidien qui se copie lui-même. C'est probablement la raison qui me fait détester me laver les dents et me raser chaque matin, tâches incontournables laissant des auréoles. Alors, qu'elles soient boréales ! La Terre vue de la Lune est mon modèle. Lorsque j'ai tapé ces maux elle était pleine. Coupe. Battre les cartes, pointer du doigt les yeux fermés la mappemonde. On peut tomber près de chez soi, se relever aux antipodes. Les films que je regarde le soir sont des portes vers cet ailleurs momentanément inaccessible. J'envoie des bouteilles à la mer. Parfois le téléphone sonne. Un mail annonce la grande nouvelle. Sortir. Les embouteillages gâchent les week-ends. Minimum trois semaines. Mais il faut bien un moi pour revenir autre. De quoi se faire appeler Arthur. Le terme actuel est zone d'inconfort. Chaque mot a double sens. Il ne faut pas non plus se faire siffler. Les escrocs ont toujours l'air sympathique. Sinon cela ne marcherait pas. J'ai couru. Comment s'en vouloir d'avoir accordé sa confiance ? Ils se reconnaîtront. Pas jojo cette affaire ! Prendre la poudre d'escampette. Direction nulle part. Du moment que l'air est pur...


J'avais l'air, mais il me manquait les paroles. Ce matin je me suis réveillé avec celles de mon prochain album. Cette fois je ne pouvais pas emprunter les mots que Ramuz scande dans Présence de la mort. Son titre fait stupidement fuir. Mon histoire se passe bien au bord du lac Léman. La chaleur y est insupportable. Mes acteurs fouillent les ruines. Ils y trouvent ce qui leur permettra de se reconstruire. Je compte y faire un saut pour enregistrer les sons de ce qui aura été. Et chaque fois qu'un étranger passera par ici je lui demanderai de jouer dans sa langue. Allo Babylone 21 29 ? Puisqu'il n'y a pas de Brigitte ici, les archives de la planète feront leur cha-cha-cha. J'ai rarement pensé faire danser. L'an passé, les spectateurs du festival Château Perché où nous jouions avec Amandine Casadamont se trémoussaient devant la scène. Ce n'était pas intentionnel de notre part. Disons que cela nous a échappé. J'hallucinais. J'ai souvent recherché cet état pour camoufler mon ébriété naturelle. Lorsque j'improvise, je plane littéralement. Jouer pour faire paravent au jeu. L'arbre et la forêt réapparaissent soudain. Et l'orée se dessine.

mardi 5 novembre 2019

67


J'ai déjà évoqué mes 5 novembre. Les plus vieux souriront, les plus jeunes s'inclineront, tous et toutes ont le pouvoir de s'en moquer. Mais 67 ans, ce n'est pas donné à tout le monde. À moi cela fait bizarre. Quel que soit son âge, on connaît l'effet des anniversaires. Un petit bilan s'impose lorsque l'on représente le plus ancien de la famille. Ma mère est morte en février. Mon petit-fils commence à parler. J'ai entamé une nouvelle vie. Les chats sont de plus en plus câlins. Certaines années sont révolutionnaires. Je n'ai rien perdu de mon enthousiasme ni de mon envie de mordre, de mon désespoir ni de mes espérances, mais la sérénité remplace progressivement la colère. La gymnastique : éviter d'en rajouter lorsque les ennuis vous tombent dessus. Ils ne font que passer. Nous aussi. Je me sens beaucoup mieux depuis que je pratique le sauna chaque matin, suivi de la douche froide quel que soit le temps. Une gloire. Le régime de la retraite est apaisant, même si je n'ai rien changé à mes activités. Depuis 14 ans que je publie chaque jour un petit article, je suis de plus en plus lu. C'est une manière de me rendre utile, un acte militant. Une mémoire, quand la mienne est saturée. Une libération, de partager ce qui me préoccupe. Une discipline, alors que je suis rétif à la plupart. 4277 articles du blog à ce jour, autant de non-anniversaires à fêter. L'assurance qu'aucune journée ne ressemble à une autre. Comment assumer son éphémérité dans l'univers ? Tous les trips sont égocentriques. L'anniversaire de sa naissance est symbolique de quelque chose qui n'appartient qu'à soi. Ce sont pourtant les mamans qu'il serait juste de louer ce jour-là. Ensuite on prend la tangente. Petit à petit. Personne ne devient jamais grand. On fait semblant. Je fais semblant d'avoir 67 ans aujourd'hui.