70 Perso - juin 2021 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 25 juin 2021

Dernier message avant l'autoroute


Pause estivale. Je suspends la publication de mes articles pendant un mois. Question de santé. Le confinement ne m'a pas permis de le faire comme chaque année ! Lever le pied, lever le coude, lever un lièvre, lever le camp. Je m'arrête là, pour celles et ceux qui y ont (mal) pensé. Je reprendrai vers la fin du mois de juillet. Il est possible aussi que j'apparaisse exceptionnellement si le cœur m'en dit. Mais mendier n'est pas dans mes habitudes. Au programme Saint-Étienne, la Drôme, l'Ardèche, Nîmes, Toulouse, le pays basque, Brive, c'est de l'à peu près, rien de certain. Je me laisserai porter par mes roues. La fatigue de conduire. Mes devoirs aoûtiens m'empêcheront probablement d'être aussi assidu et tout devrait redevenir normal, si publier quotidiennement depuis 16 ans ressemble un tant soit peu à la normalité, début septembre.
Entre temps j'aurai mixé la dernière séance enregistrée mardi dernier avec la harpiste-vocaliste Hélène Breschand et le batteur-électronicien Uriel Barthélémi. L'album s'intitulera Only Once avec la lune en couverture. La photo ci-dessus a été prise par Hélène à l'occasion de cette vingt-cinquième rencontre dont une des pièces figurera probablement sur le prochain disque, Keep Lab au Kino, suite et anagramme de Pique-nique au labo, à paraître début 2022. Comme chaque fois, la journée fut splendide, drôle et fructueuse. Le déjeuner était composé de saumon aux épices et flocons d'érable, potée de légumes et pâtes à la quinoa. Nous nous sommes installés le matin et avons œuvré tout l'après-midi.
À celles et ceux qui seront parti/e/s avant que je revienne, je souhaite de bonnes vacances. Prenez-en si vous le pouvez, la rentrée sera rude pour la plupart !

jeudi 24 juin 2021

Remember My Forgotten Man (1975)


Auto-portrait JJB extrait du film

Avant-dernier article avant l'autoroute !

De 1975 à 1979, je collaborai presque quotidiennement avec Jean-André Fieschi qui avait été responsable de l'analyse de films pendant mes trois ans d'études à l'Idhec (l'Institut des Hautes Études Cinématographiques devenu depuis la Femis). Je devins son assistant, en particulier pour Les Nouveaux Mystères de New York dont je tournai d'ailleurs quelques scènes et participai au montage avec Brigitte Dornès. Le film, magnifique, entièrement réalisé à la paluche, est réputé comme perdu, effacé par le temps.
La paluche était une caméra construite par Aäton, préfigurant les petites caméras que l'on tient aujourd'hui au bout des doigts, mais à l'époque des débuts de la vidéo portable, c'était révolutionnaire. Je me souviens que Jean-André était obligé de mettre le lourd magnétoscope (en quart de pouce) dans un sac à dos pour pouvoir tourner dans la rue. Cette caméra-stylo ressemblant à un gros microphone était l'instrument dont il avait rêvé, il l'avait payé à Jean-Pierre Beauviala en jetant un sac de pièces d'or sur son bureau de Grenoble.
Jean-André adorait les coups de théâtre. Cela lui portait parfois préjudice comme le jour où sa compagne d'alors, la philosophe et écrivaine C. le fit interner pour l'avoir menacée avec un coupe-papier sorti de son fourreau, comme dans un film de Feuillade. Arrivé au moment où deux malabars en blouses blanches venaient le chercher, je passai la nuit à ameuter ses amis pour le sortir de là, mais JAF s'en tira très bien tout seul. Quelques années plus tard, il me raconta l'épisode de la dague dont je n'avais pas été témoin, ajoutant que "c'était la preuve qu'elle n'aimait pas l'opéra". Ce n'était pas toujours facile de vivre avec lui, mais j'étais le protégé de la famille et partageais leur vie pendant quatre ans de bonheur où mon "maître" m'apprit le cinéma (suite de mes études), la littérature (je commençai à lire), la musique (me faisant connaître les musiques classique et contemporaine, l'opéra, le jazz et le free, etc.) et surtout la méthode qui me permettrait d'avancer seul dans la vie et dans mes métiers. De C., j'appris ce qu'était la psychanalyse. Grâce à eux, je rencontrai un nombre impressionnant de sommités et de célébrités. À leur séparation, C. coupa tous les ponts, m'accusant d'avoir fourni à son compagnon les champignons hallucinogènes qui brisèrent leur couple. Comme s'ils avaient besoin de cela ! JAF était un forcené, capable d'abattre un travail phénoménal en une seule nuit comme de rester muet pendant des jours.
J'avais le privilège de partager tous ces instants et je me suis demandé longtemps ce qu'il trouvait dans ce petit jeune homme de dix ans son cadet. Je faisais. Comme un passage à l'acte. Malgré mon jeune âge, je produisais, sans répit, et je me produisais, avec enthousiasme et en toute indépendance. La musique le permettait mieux que le cinéma. Question de budget. La vidéo domestique n'existait pas encore. Il y passa lorsque les petites caméras apparurent sur le marché et devint enfin réalisateur, après avoir travaillé comme journaliste aux Cahiers du Cinéma, au Monde, au Nouvel Obs, etc. Il avait également été chargé de la production à Unicité, la boîte audiovisuelle du Parti Communiste. Il me mit là aussi le pied à l'étrier en me commandant des musiques et des partitions sonores pour des audiovisuels de Michel Séméniako, Claude Thiébaut, Noël Burch, Marie-Jésus Diaz, Daniel Verdier, etc. Mon premier travail de "collaboration" (mi-anar mi Trotsk, je n'étais que "compagnon de route") sera le disque 33 tours 1975, l'Année de la femme réalisé par Charles Bitsch. Pour les arrangements j'avais engagé Bernard Lubat qui me fit ensuite rencontrer Michel Portal, mais ça c'est une autre histoire. J'avais déjà produit Défense de et fondé GRRR. Jean-André avait réalisé plusieurs Cinéastes de notre Temps sur la Première Nouvelle Vague (avec Burch), le jeune cinéma italien et le meilleur film jamais tourné sur Pasolini, Pasolini l'enragé... On l'aperçoit dans Alphaville dans le rôle du Professor Heckell (Comolli était Jeckell).
Ma dette envers Fieschi est inextinguible. Initié lui-même par l'écrivain Claude Ollier, il me transmit à son tour tout ce qui lui était possible. D'autres avaient probablement précédé, d'autres suivront. C'était un passeur. Pourtant il était incapable de parler à plusieurs personnes à la fois. Amateur du secret, il avait besoin d'une complicité exclusive. En vieillissant, il semblait avoir limité ses attitudes suicidaires : plus d'une fois il détruisit, la veille d'une présentation, ce qu'il avait patiemment et majestueusement élaboré. J'étais le pare-feu, dévoué au point de traverser Paris au milieu de la nuit. Notre collaboration prit fin à Venise qu'il me fit découvrir comme cadeau d'adieu. La grande classe. [Il mourut hélas le 1er juillet 2009 à São Paulo lors d'une conférence sur Jean Rouch. Disparus aussi Brigitte Dornès, Claude Thiébaut, Daniel Verdier, Claude Ollier, Jean-Pierre Beauviala...].


Toute cette histoire pour en arriver là, à ces bribes filmées en 1975 dans mon appartement du 88 rue du Château à Boulogne-Billancourt. Remember My Forgotten Man est un film expérimental tourné à la paluche, sans montage. Des rushes d'aucun projet. Brigitte a sauvé la bande 1/4 de pouce en faisant un report sur VHS avant qu'elle ne s'efface. Je l'ai plus tard transcodé numériquement. D'une durée de 26 minutes, il est en deux parties pour des questions purement techniques liées [à l'époque] à DailyMotion.


Au début, on entend Jean-André, qui m'a exceptionnellement prêté la Paluche pour le week-end. Les amis qui figurent sur Remember My Forgotten Man sont Philippe Labat, mon colocataire d'alors et grand ami, disparu pour avoir sombré dans l'héroïne, Thierry Dehesdin, qui est toujours photographe et avec qui j'ai partagé l'aventure du light-show, Sylvie Sauvion, que j'espère revoir un de ces jours, le chien Zappa, et d'autres dont j'ai oublié le nom ou que je n'ai jamais rencontrés. La partition sonore est celle de l'époque, musiques que nous écoutions à la maison, références de notre éclectisme.

Article du 29 août 2008

La chanson Remember My Forgotten Man interprétée par Joan Blondell est extraite du film Goldiggers of 1933 réalisé par Mervyn LeRoy. À la fin, la chanteuse Etta Moten reprend le flambeau...

vendredi 11 juin 2021

Réapprendre à marcher


on dit qu'un artiste raconte toujours la même histoire
elle prend diverses formes selon l'humeur du moment
selon les époques
secrète, pour tous, même à celui qui la transmet
avant que les répétitions ne la figent

il cherchera les fausses coïncidences
et feindra de s'en échapper
lignes ajoutées, effacées, raturées
son double projeté sur le blanc de la page
mais rien ne se voit ni ne s'entend
cent ans, ça c'est fait
petite introduction en préambule à mon prochain disque d'alors

sans savoir par où commencer
au su de la densité du passé
recommencer
pour quoi
pour ne pas me répéter
et ne pas répéter
improviser
ajuster les mots écrits treize ans plus tôt

c'est là que l'histoire commence
qu'elle recommence
parce que les temps ont changé
et que l'on a enfin identifié sa latitude
j'ai fouillé les paysages, récupéré quelques rythmes
sans savoir quand ni combien de temps cela prendrait
je venais de rentrer dans la baignoire
c'est ici que mon histoire a commencé
je l'ai reconnue

déjà pourtant ça ne se fait plus
chauffé je me termine à l'eau glacée
l'histoire, toujours la même
souvent rêvée, bien vécue
elle s'améliore
même s'il y a tout à faire
défaire, refaire l'histoire d'un petit bonhomme
c'est ainsi que je me vois
mais ce n'est qu'une histoire

1964-2008-2021