70 Perso - juin 2022 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 30 juin 2022

Électrocution au révolver


Cette soirée du 13 janvier 2010 aura été une soirée mémorable, car c'est probablement la dernière à laquelle mon camarade Bernard Vitet s'est rendu avant de tomber malade. Elle revêt aussi une certaine importance pour le pianiste Benoît Delbecq qui avait émis depuis longtemps le souhait de passer une soirée avec notre ami, exceptionnel compositeur et trompettiste. Bernard s'est éteint le 3 juillet 2013 après deux ans et demi qui lui furent très pénibles.

Bernard Vitet se promène toujours avec de drôles de briquets qu'il achète à une Chinoise de son quartier. Il ne craint pas qu'un convive les embarque par inattention. Ce sont souvent des chalumeaux qui permettent d'orienter la flamme horizontalement. L'engin qu'il tient à la main pendant qu'il discute avec Benoît Delbecq est particulièrement pervers. Si l'on actionne la gâchette on reçoit une décharge électrique terriblement puissante. Le choc semble aussi fort que lorsque l'on touche du 220 volts. Pour allumer ses cigarettes, qu'il enchaîne les unes sur les autres malgré ses poumons fragiles, il doit agir sur le chien. L'atmosphère est enfumée. Fut un temps où nous travaillions quotidiennement ensemble avec Francis Gorgé. L'odeur de ses blondes court-circuitaient celle des Bastos de Bernard, mais à la fin de la journée le studio était envahi d'un nuage de poison. Je devais aérer pendant des heures après leur départ et j'avais fini par installer un avaleur de fumée faisant également office d'ionisateur. Aujourd'hui le moindre mégot empuantit l'espace clos et je dois vider les cendriers au fur et à mesure pour ne pas me sentir oppressé. Nous ne sommes plus habitués. L'atmosphère du salon est moins confinée, mais Françoise fait des courants d'air à nous faire attraper la crève.


Après le dîner, Benoît nous fait écouter son nouvel album en quartet avec le trompettiste norvégien Arve Henriksen, le batteur Lars Juul et son vieux complice Steve Argüelles trafiquant les sons aux commandes du logiciel Usine et de son filtre Sherman. Ce Way Below the Surface des Poolplayers est coolissime, nous attirant vers les grands fonds où la pesanteur est un vague souvenir. Je me sens plus proche de la musique de Benoît quand il prépare son piano que lorsqu'il en joue "nature". Le Bösendorfer du studio de La Mise en Circuit sonne alors comme un orchestre. J'apprécie toujours son élégance et le raffinement de son jeu tout en nuances, plus varié et évidemment mieux mis en valeur sur son nouvel album solo, The Civitella Project, également produit chez Songlines.
Nous réécoutons aussi Machiavel sur lequel nous jouons tous les trois. Le disque d'Un Drame Musical Instantané a été enregistré en 1998. Déjà douze ans [24 aujourd'hui] ! Benoît figure au sampleur et au synthé sur le premier morceau Night Knight avec Bernard à la trompette, Steve à la batterie et Philippe Deschepper à la guitare. Je produis les nappes de cordes et introduis pour la première fois du Theremin dans un morceau. Il joue aussi sur L'aiguille creuse, toujours avec Bernard, mais cette fois je me sers d'un processeur vocal et DJ Nem scratche remarquablement ses platines. Le disque a beau rassembler des pièces que nous avons composées Bernard, Francis et moi de 1980 à 1982, des remix d'Agnès Desnos, Étienne Auger, Luigee Trademarq et Steve, un faux vieux morceau avec le trombone Yves Robert, le puzzling de 3/3 par 1/2 où nous avions découpé trois disques noirs du Drame en trois morceaux égaux comme les parts d'une tarte, puis recollé trois tiers différents ensemble sur la platine du tourne-disques, et mon préféré, Crimes parfaits, avec la radiophonie de centaines d'échantillons que l'on appellerait aujourd'hui "plunderphonics", l'album, très électro, est étonnamment homogène. Antoine Schmitt a réalisé l'adaptation pour Mac et PC de la partie CD-Rom de Machiavel qui ne tournait plus sur les nouvelles machines et qui [est] téléchargeable gratuitement sur le site Internet qui lui [est] dédié.

Article du 14 janvier 2010

vendredi 24 juin 2022

Flou


Certaines périodes entretiennent le flou. Suivre le chemin tracé ou prendre la tangente ? L'école buissonnière est souvent plus riche que marcher dans les clous. Me livrant à un cache-cache avec moi-même, de temps en temps je m'y perds. Bouffées délirantes en mode zen ou réflexions posées de manière hirsute ? Impossible de suivre mes pas ! Mes poches sont remplies de rochers. Pas un petit caillou ! Avancer d'abord le pied gauche ou le droit ? Attendre à Paris ou devancer l'appel de la nature ? Il y a plusieurs façons d'aborder le jeu de construction. Le rêve a toujours été mon réel. La persévérance force la réalité virtuelle. Comme je tire sur la corde raide, les miracles se pointent, un jour ou l'autre. Parfois une nuit. Et la boule de tomber sur le zéro, ou sur le 7, qu'importent les chiffres, 60, 70, l'important est de relancer la roulette en ayant misé sur le bon numéro. Il faut souvent s'y reprendre. Contrairement au casino, on finit par gagner, déjà d'avoir appris à jouer...


Enfants, nous vivions en appartement. Je m'en suis échappé il y a 25 ans. Sentir les saisons par la pousse des arbres, par les abeilles qui viennent butiner le sexe des plantes, par l'eau qui tombe du ciel... Ce n'est pourtant pas la nature. Le chant des oiseaux, le bruissement des feuilles, les pattes de qui, de quoi, me manquent. Mais ce silence reste souvent incompatible avec mon besoin de rencontrer les amis, passés ou à venir. J'aime tant les grands espaces.


Rendre la maison si accueillante qu'on y tient le registre des visites. Continuer sur la lancée. L'amplifier avec le temps qui se repaît de chacun et chacune de nous. Je pense toujours à la phrase de Cocteau : « Regardez-vous toute votre vie dans un miroir, et vous verrez la mort travailler, comme des abeilles dans une ruche de verre. » Orphée. Une salle de cinéma, évidemment ! Celle-ci est tout de même trop sommaire. Coupler le studio de musique avec une salle de spectacle. Partager le confort, la joie de vivre. Sinon, à quoi bon ?


Marché jusqu'au bac. Traversé la Loire. Emprunté des chemins. Les rendre dans les villages. Marcher. Respirer. Écouter. Humer. Goûter. Découvrir. Une, deux aspirations par le nez, apnée, une, deux expirations par le nez, apnée, ainsi de suite, à l'afghane. Le centre de Nantes est à 20 minutes en bus. J'en mets 30 pour atteindre Châtelet par la 11. Ici, dans la rue, les riverains me disent bonjour. On se croirait au Laos. Le ciel est bleu. L'océan à distance du Châtelet. Qu'est-ce que je fais ?

N.B.: j'illustre avec mes images, mais la première est de Julie Ramos, prise pendant mon séjour à Strasbourg la semaine dernière.

vendredi 17 juin 2022

Tamalou


Me voilà bien ! Je me demande quelle contrariété est venue bousculer mon bel équilibre. En quelques heures se sont réveillés mon genou, mon épaule, ma cruralgie et le pouce de ma main droite. Si tous sont du même côté, c'est qu'ils sont probablement liés. En réfléchissant un bon coup et en m'aidant du tapis de fleurs et du pistolet masseur, j'ai repris le dessus sur ces dysfonctionnements. Presque tous. Récalcitrant, le pouce, qui semblait pratiquement guéri, m'a empêché de dormir toute une nuit. J'ai fini par avaler deux gélules du cocktail Tramadol-Paracétamol. J'ai enfilé l'attèle qui m'avait servi il y a quelques mois et j'ai rebranché la souris verticale. La douleur s'est à peu près volatilisée, mais j'ai tout de même pris rendez-vous chez un spécialiste de la main. Cela fait des mois que je me bats contre un pouce d'abord gâchette, passé à un écart moindre que celui qui me permettait de faire des accords larges sur les claviers pianos. Avant-hier je n'avais plus de pince, "le pouce préhenseur" qu'évoque Furtado dans son sublime court métrage, L'île aux fleurs. Heureusement il me restait "l'encéphalogramme hautement développé" qui, d'après lui, caractérise les êtres humains. J'en fais donc partie. Cela me rassure à moitié. Étrange espèce qui marche sur la tête en se croyant debout.
Didier est passé avec de l'armoise, que les acuponcteurs chinois appellent moxa. Cela chauffait du tonnerre. J'ai tenu bon face à la chaleur de la braise près de ma peau. Je suis inquiet, car je ne suis pas ambidextre. Seule ma main droite sait faire des prouesses. Il fallait me voir lisser le joint silicone de la douche, énervé par ce double handicap. Méconnaissable, paraît-il. Je m'interroge maintenant sur mon côté gauche. Mon gros orteil, mon petit orteil, mon œil gauche... Mon père appelait cela "numéroter ses abattis". Pourrait-on fabriquer la moitié d'un homme neuf en prenant le meilleur des deux côtés ? Ma question est idiote, nous avons évidemment besoin de tous nos sens, organes, membres, j'ajouterais bien les amis et les amours, pour avancer correctement, pour vivre. Vivre, c'est une idée qui me plaît. Comme faire du neuf avec du vieux. Vous me voyez venir ?

jeudi 2 juin 2022

Coup de bambou


Il y a parfois des moments difficiles où les évènements vous échappent, où les choses se dérobent sous vos pieds, alors qu'on pensait que tout roulait comme sur des roulettes. Les miracles comme les catastrophes n'arrivent jamais d'où on les attendait. C'est le sel de la vie, le nectar des surprises. Rien n'est jamais acquis. Passé le choc de l'annonce, inattendue, j'ai toujours tenté de prendre les revers de fortune de manière expérimentale. À l'école de la vie on ne finit jamais d'apprendre. L'exercice consiste à se raccrocher aux branches, fussent-elles rameaux. Les bambous plient sous la pluie, sous la neige, dans le vent, et tant qu'il y a des larmes ils grimpent vers le ciel. Ils ne sont pas seuls. Toutes les plantes participent à cette élévation sous les rayons qui donneront leur miel. Que mes oreilles sont chaudes ! Je pensais tenir une musique nouvelle, elle s'étouffe d'elle-même. Miser tout sur le zéro peut déclencher la chute ou la résurrection. On fait la vaisselle, on abîme son corps pour recouvrir ce qui donne le vertige d'une nappe de sang. La loi des cycles dessine une sinusoïde où les bonnes nouvelles suivent les mauvaises, mais cette oscillation est à double tranchant lorsqu'intervient la réciproque. L'élixir allégorique empêche de se répandre. Rester flou n'implique personne d'autre que moi, sans entrer dans des détails qui relèvent de la psychanalyse, à commencer par celle que je n'ai jamais entamée. Penser aux autres, partout, tout le temps, c'est jouer les avant-centre. Car l'équipe gagne, me sauvant chaque fois du naufrage. Pas d'inquiétude, siouplez. La retraite échappe à l'influence par un jeu de transformations qui restera à jamais énigmatique. C'est bien comme Ça.

mercredi 1 juin 2022

Les pieds


Un jour qui déraille... Un jour comme un autre, chantait Brigitte Bardot, et Bernard l'accompagnait au bugle...
Après avoir hésité à publier un ancien article en le réactualisant comme je le fais de temps en temps, pensant que mes lecteurs/trices d'aujourd'hui ne sont pas ceux/celles d'hier, et quand bien même, ils/elles l'auront oublié, j'ai repensé à ma journée d'hier. Mon accoutrement était heureusement pas celui de la photo (prise le jour de l'acquisition de ces superbes chaussures il y a quelques semaines), photo que j'ai retrouvée tout à l'heure tandis que je cherchais un sujet d'article avec quelque lassitude. M'imposer cette discipline de publier sans faille quotidiennement m'interroge parfois. J'imagine que si j'y dérogeais je risquerais de m'arrêter pour toujours. Reparti d'un bon pas, j'ai pensé que mon aventure cycliste de midi m'avait fait les pieds. J'avais pourtant entamé la journée au centre de sport en bas de la rue avec le rameur et l'elliptique. Rentré tout de même un peu crevé, j'avais enfourché ma bicyclette, qui heureusement ne l'était pas, pour aller faire des emplettes coréo-nipponnes rue Sainte Anne. J'y trouvais tout ce dont j'avais besoin, différentes sauces de soja (celles qu'on trouve dans les magasins français ne leur arrivent pas à la cheville), des huiles (sésame noir, shizo), vinaigres (noir aussi, kaki et aiguilles de pin), des farines (riz gluant, soja grillé, patate, tapioca), pâtes soba et udon, ainsi que diverses préparations épicées (calamars crus, anchois séchés, feuilles de shizo, salade sauvage, etc.). Mes deux sacoches remplies à bloc pesant bien 35 kilos, ma chaîne sauta lorsque je passais sur le petit moyeu, celui qui permet de rentrer vite au bercail. Manque de chance, je n'avais avec moi aucun outil pour démonter le garde-boue et je tentai le tout pour le tout en mettant les mains dans le cambouis. Mettre les mains dans le cambouis est l'expression que j'utilise habituellement pour exprimer que, compositeur, j'aime me frotter à mes instruments. Réussissant par je ne sais quel miracle (car je ne suis pas bricoleur pour un sou) à réparer l'engin, j'avais les mains si grassement noires qu'une jeune femme qui prenait sa pause déjeuner devant son bureau eut la gentillesse de me proposer de l'eau et du savon. Je repartis d'un bon pied en pensant que j'avais eu du nez de me vêtir simplement ce matin-là. Il n'empêche que, ainsi chargé, la rue de Ménilmontant participa à mon rêve d'amaigrissement. Arrivé à bon port, il me restait à me détendre le dos que ma gourmandise avait forcément mis à contribution. Direction planche à clous dite tapis à fleurs. La journée était loin d'être terminée, je n'étais pas au bout de mes peines, mais cela c'est une autre histoire.