70 Pratique - décembre 2010 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 29 décembre 2010

Les mauvais exemples


Ce genre d'histoire n'est pas palpitante, même si elle en dit beaucoup sur la destruction des services par la privatisation, à moins que l'on apprécie les cauchemars kafkaïens. Dans ce cas, on pourra même en rire.
Ayant commandé du petit matériel à MacWay sur Internet, le paquet arrive dans le quartier en 24 heures. Mais à partir d'ici tout tourne en eau de boudin qui, avec le climat, va vite ressembler à de la viande de mammouth. Le salopard de Chronopost ne se donne pas la peine de sonner et laisse un avis de passage sans même indiquer où retirer le paquet, et pour cause, on verra la suite. Je suppute qu'il a envoyé son petit frère à mobylette faire la tournée des gogos. On est le 24 décembre, il est 13h42, c'est vraiment dégueulasse, le jour de Noël ! Heureusement ou malheureusement, ce ne sont pas des cadeaux, mais des accessoires dont j'ai besoin pour continuer à travailler. Chronopost étant fermé ce week-end, j'appelle lundi à la première heure pour que l'on me certifie en début d'après-midi que mon colis est à la poste principale à l'autre bout de Bagnolet. J'enfourche mon destrier, mais la postière m'annonce que c'est resté à Bobigny et que la seule chose qu'il me reste à faire est de rappeler Chronopost pour qu'il représente l'objet. De retour à la maison, une des employées vendue à son patron m'explique stupidement que mon colis est forcément à la poste principale et me donne un numéro qui s'avérera fantaisiste. La société privée Chronopost n'a aucun moyen de vérifier où elle a déposé mon colis de malheur. La Poste dit qu'elle ne l'a pas, Chronopost dit qu'elle l'a, et moi je ne peux rien faire, coincé entre privatisation et (dé)centralisation. Car je ne peux plus joindre le bureau de Bagnolet, un numéro unique centralisant toutes les postes. Là ils cherchent donc où c'est caché, mais ne me rappellent pas. Je suis pris entre une poste injoignable et un arnaqueur patenté qui n'en a plus rien à faire. La Poste ne pourra présenter à nouveau le colis car elle n'est qu'un dépôt, comme mon voisin épicier chez qui c'eut été plus simple... En fin de journée je n'ai aucune information, aucun pouvoir, si ce n'est prévenir MacWay que le colis lui sera probablement retourné d'ici 15 jours, mais hier je rappelle le 3631 de la Poste qui m'assure que j'aurai gain de cause si je retourne chercher mon carton... Ouf, je l'ai, mais après avoir démonté mon MacPro je me rends compte que le matériel conseillé par la VPC téléphonique est incompatible. La réclamation ne peut s'effectuer que par mail. Et c'est reparti pour un tour. Je n'ai plus que 24 heures pour régler le problème.
Il est vraiment temps qu'on s'envole. Ce n'est pas que cela se passe mieux ailleurs, mais au moins les tracas seront ensoleillés et on pourra toujours prétendre qu'ils ne sont pas très bien organisés, que leur culture exige de la patience, qu'après tout on est en vacances, etc. Tandis qu'ici c'est simplement une société qui s'écroule doucement et sûrement, pressurisée par des cadences inhumaines avec compression de personnel ou soigneusement sabotée par des gougnafiers en quête de profit à court terme, et dont les méthodes inspirent toute la hiérarchie jusqu'au pauvre petit mec qui ne livre pas ses paquets... Comment voulez-vous qu'il fasse consciencieusement son travail quand au plus haut sommet de l'État nos dirigeants se comportent en voyous, à l'image des richards qui finiront peut-être une nuit du 4 août ?

lundi 27 décembre 2010

Verglas


Aujourd'hui je glisse rapidement. Le trottoir garantit de beaux vols planés. Marcher sur la neige sécurise mes pas tandis que la moindre trace de chaussure la fait fondre avant de geler. J'attaque l'épaisse couche de glace avec le tranchant de la pelle pour faire éclater les plaques de la patinoire. Samedi Aldo Sperber est venu faire des photos de Françoise et moi sous la neige devant la plage ensoleillée derrière le mur. Tous nos gestes sont inscrits dans le blanc comme fossilisés. Il faudra du temps pour que cela fonde. La porte de la boîte aux lettres est collée. Les merles gobent les baies glacées parfum églantine. Nous préférons le cacao amer de Berthillon dont la coupe est encore plus pénible que celle du verglas devant le garage.

lundi 20 décembre 2010

Journée noire


Un coup en avant, un coup en arrière. Samedi soir j'étais fier de moi. Dimanche sonnait le désenchantement. Journée blanche, journée noire. La neige tombe drue, elle fond aussi vite. Les bonnes et les mauvaises nouvelles alternent. Oscillation du cycle. La vie raconte cette inéluctable alternance, empilement de courbes qui rappellent celui des harmoniques constituant le timbre, la couleur, la lumière, l'Histoire ou les orbes. Mon père me passait, enfant, la paume de la main à plat sur le visage : en descendant du front vers le menton, il fredonnait 'V'là le bon dieu !", mais quand il remontait dans l'autre sens sa voix devenait menaçante, "V'là le diable !", et il recommençait comme nous éclations de rire tandis que mon nez accrochait péniblement...
J'avais passé mon après-midi à tenter de graver des DVD sans succès. Il faut que je remplace les deux graveurs qu'abrite la tour de ma pomme. En anglais on dit "brûler" un DVD (to burn). Mais ce n'était pas aussi grave que la nouvelle panne de chaudière. Il est trop tard pour que le chauffagiste brave la neige et le verglas, aussi me guide-t-il par téléphone pour que je nettoie moi-même les contacts encrassés. Je suis à la lettre ses explications, mais à un moment je me trompe et je touche à la vis qui sert à régler la pression du fuel. Je suis si content que l'eau chaude et les radiateurs repartent que je crie victoire un peu tôt. Le lendemain matin une odeur de fuel envahit le rez-de-chaussée et la cheminée fume noir, mais je ne la vois pas car le vent souffle vers le nord. Les petits points de suie sur la neige du jardin me mettent la puce à l'oreille. J'ai honte de déranger le chauffagiste un dimanche, mais quand je lui explique, il me dit de tout couper illico, car je risque de flanquer le feu à la maison ! Sérieux comme un pape, je savais pourtant qu'une fumée noire est très mauvais présage. L'étape suivante se serait appelée pompiers. Le spécialiste zélé me donne un nouveau petit cours, mais cette fois de visu in situ, c'est tout vu. N'empêche que le chauffage me rend chèvre. Lundi matin je fais livrer du fuel à un prix prohibitif (les pourvoyeurs profitent du froid sans aucun lien avec le prix du baril) pour que les gardiens du temple n'en manquent pas en notre absence, puisque nous serons bientôt sous les cocotiers.
Mais la véritable mauvaise nouvelle restait à venir, la seule vraiment grave, l'inéluctable, définitive, commune à tous, sauf qu'elle touche cette fois Don Van Vliet dit Captain Beefheart, croisé plusieurs fois sur ma route, raté de peu dans le désert, toujours présent dans ma musique... J'ai raconté qu'adolescent, lorsque personne ne savait quoi mettre sur la platine, je proposais régulièrement "un petit Beefheart ?" et chaque fois quelqu'un dans la bande avait tout de suite une autre proposition ! Au Festival d'Amougies il m'avait traversé comme un ectoplasme comme je m'interposais sur sa route. C'est resté un mystère. Après mon retour des USA en 1968 avec dans la valise les trois premiers Mothers of Invention, je cherchais à Paris d'autres trucs bizarres. Adrien Nataf de Pan Musique me conseilla Stricly Personal et j'écoutai, depuis, régulièrement, Electrictity, Abba Zaba, Safe as Milk, Dachau Blues, Ella Guru, Lick My Decalls off Baby, The Spotlight Kid, Click Clack, etc. Le double album Trout Mask Replica est pour moi l'un des dix disques les plus importants, entre rock et free jazz, poésie sonore et musique du cosmos. Lorsque le Magic Band arriva à Orly les douaniers interrogèrent ces types hirsutes aux accoutrements impossibles qui répondirent qu'ils étaient des pèlerins venus du XXIe siècle. "Et ça c'est quoi ?" fit le képi en montrant l'appareil-photo que l'un des musiciens portait autour du cou. Comme celui-ci répondit que c'était aussi un membre du groupe, on les refoula à la frontière. Captain Beefheart ne voulait plus faire de musique et se consacrait à la peinture. Il avait 69 ans.