70 Pratique - février 2012 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 23 février 2012

L'arnaque de la date de péremption


Partager un repas avec des médecins peut apporter quelque lumière aux arnaques de consommation dont nous sommes victimes. Après le scandale des fauteuils roulants non recyclés et la destruction systématique des médicaments ayant dépassé une prétendue date qui les rendrait impropre à la consommation, soulevons le couvercle sur la date de péremption des aliments. Ou plutôt laissons-le fermé, car ouvert la durée sera la même que l'aliment ait dépassé ou non la date limite de consommation (DLC). S'il s'agit d'un fromage, la date est illimitée ; il durcira et tombera en poussière si l'on attend trop longtemps, c'est tout. Un yaourt peut être mangé des mois après la date de péremption. Si au goût il n'est plus bon, on le recrachera, mais le risque est nul. Idem avec les fruits et légumes.
Par contre, s'il y a des protéines, comme le poisson, la viande ou les œufs, il peut y avoir danger. Les œufs ont une coquille poreuse qui les fragilise, mais conservés dans un réfrigérateur le risque est moindre. La chaîne du froid ne doit pas être interrompue, ce qui peut arriver à n'importe quel aliment manipulé plusieurs fois dans un supermarché, en dehors de toute question de date. Seul ce taux de manipulation risque de laisser développer des bactéries qui auraient été incluses au moment de la fabrication.
Un lait UHT, stérilisé à haute température, pourrait être consommé des mois après la date de péremption. Il n'y a aucune raison de jeter un fromage dont la surface est devenue verte ; lorsque l'on voit le taux de moisissure d'un Roquefort cela faire rire. Quelle folie d'inscrire une date sur du riz, des lentilles ou n'importe légume sec ! Il suffirait de faire cuire le riz et l'on jettera simplement les charançons qui seront remontés à la surface. Un fruit ou un légume pourri n'est pas toxique, il n'est simplement pas bon. Un légume cuit dont on enlève la partie abîmée a un risque nul. Une confiture fermée peut se consommer des années. Si le pot a été mal fermé, elle fermente ou moisit, et son goût est désagréable. On reniflera une viande un peu daubée, dépassée de trois ou quatre jours ; si elle sent mauvais, on la passe sous l'eau avec un peu de vinaigre et le tour est joué. Tant que cela a été conservé au froid, tout va bien. Les gourmands feront tout de même attention avec les pâtisseries à la crème qui doivent être dégustées le jour-même, les coquillages qui doivent être vivants, etcétéra, mais cela n'a rien à voir avec les DLC !
La date de péremption n'est donc la plupart du temps qu'une protection légale et une manœuvre commerciale. En ces temps de crise, il va falloir changer nos habitudes au lieu de se laisser flouer par les services marketing de l'industrie alimentaire.

mardi 21 février 2012

La Sécu en fauteuils roulants

En période de crise, le gâchis est plus que jamais à dénoncer, d'autant qu'il est presque toujours absurde. Mais l'est-il vraiment ? On peut chaque fois s'interroger, car il profite ici aux entreprises qui fabriquent ou distribuent les objets de consommation prétendument périmés. Le médecin coordinateur d'un Établissement Hébergeant des Personnes Âgées Dépendantes (EPHAD), nom technique d'une maison de retraite, pointe cette fois 10 millions d'euros fichus en l'air par la Sécurité Sociale.

Enquête.

Il y a en France 460 000 lits d'EPHAD plus des foyers-logements, concernant au total environ 650 000 personnes. Entre 8 et 10% d'entre elles ont un fauteuil roulant, soit 65 000 par an. Le taux de renouvellement des personnes, c'est-à-dire malheureusement des décès, est de 30%. Il y a donc 20 000 fauteuils roulants chaque année dont on ignore la destination, avec de fortes chances qu'ils aillent à la benne à ordures, car ils ne sont pas recyclés. Les familles, qui n'en ont ni la place ni l'utilité, les conservent très rarement. Les EPHAD pourraient éventuellement les renvoyer à la Sécurité Sociale, sauf que les fauteuils ne leur appartiennent plus. Elle ne s'occupe donc pas de récupérer ce matériel dont elle a pourtant financé l'intégralité. Or un fauteuil mécanique lui est facturé entre 350 et 600 euros, sans parler des électriques qui montent à 1 500 ou 2 000 euros. Un petit calcul montre que 10 millions d'euros partent ainsi à la poubelle chaque année, soit l'équivalent des salaires de 5 à 6 000 personnes, aides de vie sociales qui pourraient s'occuper des patients. Tout le reste du mobilier est soumis à la même loi du gâchis comme les chaises percées Louis XIV que les médecins appellent fauteuils garde-robe, alors que l'on pourrait très bien les nettoyer et changer le seau en plastique qui est en dessous. Tout cela est pourtant jeté. Aucune association ne s'occupe officiellement du recyclage de ces engins et ils ne sont pas plus envoyés à l'étranger, dans des pays en voie de développement, que les médicaments, prétendument périmés, confiés aux pharmacies.
Aujourd'hui tout est systématiquement détruit, les médicaments comme les aliments dont la date de consommation serait arrivée à échéance. Les supermarchés, par exemple, aspergent les aliments avec de l'eau de Javel ou des produits équivalents pour éviter qu'ils soient récupérés. Un hôpital n'a pas le droit de donner un yaourt passé d'un jour à l'un de ses employés qui sont pourtant fort mal payés. L'arnaque de la date de péremption des aliments fera l'objet d'un autre article. Mais il faut savoir que les médicaments pourraient, pour la plupart, être utilisés bien après la date imprimée sur l'emballage. On évitera néanmoins ceux qui sont en phase aqueuse ou sous forme injectable, car il y a un risque de cristallisation dans l'ampoule. Pour les autres, le seul risque est qu'il ne soit plus aussi efficace. Alors n'en jetez plus !

Illustration : Le fauteuil d'Ulysse, Arman, 1965