lundi 23 mars 2009
La divine comédie
Par Jean-Jacques Birgé,
lundi 23 mars 2009 à 00:07 :: Théâtre
Je ne me souviens plus comment je suis tombé sur ce DVD, peut-être bien sur le site d'Arte qui l'édite ? C'était la bande-annonce, c'est cela ! J'aime découvrir ce que je ne connais pas, alors j'ai pris le risque de commander le double-dvd. C'était d'autant plus risqué que les captations de pièces de théâtre ne passent pas toujours très bien sur un écran. Le tryptique Inferno Purgatorio Paradiso de Romeo Castellucci était l'un des clous du dernier festival d'Avignon, mais comme je ne suis pas un fou de théâtre j'étais passé à côté.
Inferno est impressionnant dans sa démesure, par l'utilisation de la machinerie de théâtre, qu'elle soit traditionnelle ou emprunte de nouvelles technologies, par la magie pyrotechnique qui rivalise avec les effets de foule, par la brutalité des images n'occultant pas la poésie dramatique de ce spectacle sans paroles. Le film offre des gros plans que seules des jumelles auraient permis, mais ce sont évidemment les larges plans d'ensemble qui reproduisent le mieux les tableaux vivants se succédant dans la Cour d'Honneur du Palais des Papes. Le découpage cinématographique de Don Kent permet de ne pas ressentir trop cruellement le temps théâtral qui crée le suspense qui lui est propre lorsque l'on vit les évènements en temps réel.
Parallèlement était présenté Purgatorio sur la scène de Chateaublanc, capté par Julien Jacquemin : une mère, un père et leur fils habitent un appartement au somptueux décor des années 70 où un drame terrible va se jouer devant nos yeux éberlués, dans un hors-champ sonore plus efficace que toutes les démonstrations illustratives. En plus du tulle à l'avant-scène où des textes s'écrivent sans déformation, comme des sous-titres de cinéma, leur conjugaison successive au futur, au présent et à l'imparfait produit des effets de distanciation temporels habituellement incompatibles avec le théâtre.
Au delà de la plasticité exceptionnelle de ses images, Castelluci met en scène des scènes critiques de notre société, avec une rare acuité et une sensibilité très personnelle. Il sublime les interrogations des hommes en les plaçant face à leurs contradictions. Dans le même mouvement il révèle la beauté du monde et l'horreur qu'il engendre, il nous enchante et nous dérange. Le travail sonore du compositeur Scott Gibbons, révélé par ses collaborations avec le Groupe F de Christophe Berthonneau, participe remarquablement à l'originalité de l'œuvre librement inspirée de Dante. Amplifiant le son des corps et les respirations des acteurs, jouant sur la synchronisation d'actions banales par des transpositions disproportionnées, mêlant ces éléments électro-acoustiques à des chœurs parfois trop mystiques à mon goût, il participe pleinement à la majestuosité de la scénographie. En manipulant les sons réels il les fait basculer dans "l'enfer du musicien".
L'installation que représente Paradiso, le troisième volet présenté dans l'église des Célestins, montre les limites du traitement métaphorique de Romeo Castellucci. S'éloignant des spectacles chorégraphiques qui nous émerveillent, il se rapproche ici des effets de surface d'un Warhol ou des boursoufflures d'un Matthew Barney. Mais la trilogie reste géniale puisqu'elle m'autorise une interprétation unique, loin des notes fumeuses et saint-sulpiciennes du livret qui m'irritent et ne me sont guère sympathiques. De même les compléments de programme, deux entretiens, l'un avec l'universitaire Piersandra di Matteo et l'autre avec le metteur en scène ne sont pas à la hauteur du spectacle reproduit ici pour notre plus grande stupeur.
Un matin de 1976, je décidai que je n'étais pas plus bête qu'un autre et partis voler un exemplaire de Dante dans l'édition de la Pléiade pour en faire cadeau à ma petite amie. Mon sentiment de culpabilité devait se lire sur les caméras de la Fnac Montparnasse. Quelle ne fut pas mon sentiment de soulagement lorsque les vigiles m'attrapèrent ! Une libération ! J'avais l'air pourtant si dépité que le responsable tenta de me remonter le moral, m'expliquant que je n'avais pas été si mauvais, mais que c'était alors le rayon le plus surveillé de tout le magasin. Il nota mal mon nom, tant et si bien qu'il retranscrit celui de mon père prénommé Jean (les spectateurs noteront la référence au second épisode d'Inferno), et me fit payer l'ouvrage que j'emportai, omettant les centimes, ce qui représentait tout de même une petite réduction sur le prix fort ! Ce fut ma première et dernière tentative de larcin. Une grande leçon.