jeudi 22 août 2013
Ombres de la nuit
Par Jean-Jacques Birgé,
jeudi 22 août 2013 à 00:02 :: Voyage
La montagne est éclairée par un immense lampadaire qui fait passer la nuit pour une éclipse de soleil. Les étoiles s'effacent et règne alors une ambiance de sabbat pourtant déserté par les hôtes des bois. J'ignore si le comportement des bêtes est affecté par la pleine lune comme elle dérange les humains, mais Christian insiste pour que nous ne retournions pas aux champignons avant la lune montante. Les meilleurs sont les petits cèpes qui ressemblent à des bouchons de champagne. On peut les manger crus, c'est délicieux. Faute de pouvoir les montrer au pharmacien ou à un mycologue local la règle est de ne ramasser que ceux que l'on connaît. Rares les vénéneux qui sont mortels, mais les douleurs abdominales et les hallucinations prolongées ne sont pas au menu des vacances. Depuis que nous dormons par terre sur ce matelas de laine défoncé, toutes les nuits je fais d'étranges rêves. Le fantôme de mon camarade récemment décédé veille sur moi avec la plus grande bienveillance, même s'il fait ressusciter tous mes chers disparus.
Mon père est mort il y a déjà 25 ans, il ne me quitte jamais. Bernard était le dernier des trois pères de mon récit. En rejoignant Frank Zappa qui m'avait initié à la musique et Jean-André Fieschi qui fut mon maître ès toutes choses, il me laisse à son tour la responsabilité de transmettre tout ce qu'il m'a donné. Je suis trop vieux pour me penser orphelin et trop jeune pour imaginer d'autres perspectives que celles qui m'animent depuis qu'enfant je rêvais de changer le monde. La fougue a laissé la place à la circonspection, la rage à la détermination. Dans mes moments de calme je pense à Marc Lichtig, Bernard Mollerat, Philippe Labat, Éric Longuet, Annick Mével, Marc Boisseau, Frank Royon Le Mée, la famille de La Ciotat, Rosette, Tonton (Giraï), Serge, tant d'autres, et Bri... Bri. Dans les années 70 la mort emportera d'abord les plus fragiles, jeunes gens imprudents ou impatients, dans les années 80 le Sida ne fera pas de cadeau aux plus aventureux, pour finir par s'intéresser aux plus âgés, rentrant dans l'ordre. J'avance prudemment sous cette lune expressionniste qui fait vivre les ombres comme en plein jour.