lundi 2 septembre 2024
La forêt amazonienne, neuvième étape
Par Jean-Jacques Birgé,
lundi 2 septembre 2024 à 07:07 :: Voyage
Au début du voyage entre Iquitos et le lodge d'Amazonia nous croisons de nombreux bateaux échoués nous rappelant Fitzcarraldo, le film de Werner Herzog. Au début du XXe siècle ce fan d'art lyrique totalement allumé rêvait de construire un opéra à Iquitos, dont une artère principale porte son nom, composante essentielle de l'image de la ville "frontière". Plus loin ce sera Aguirre qui remontera à la surface.
Dans la selva nous marchons dans la boue en nous aidant d'un bâton puisque nous ignorons quelles sont les plantes vénéneuses qu'il est fondamental de ne pas toucher. Mais s'enfoncer dans le marécage jusqu'aux genoux procure une sale impression. Avec sa machette notre guide laisse régulièrement des entailles sur les arbres qu'il croise, comme le Petit Poucet. Il guette le moindre bruissement de feuilles en haut des cimes pour débusquer les animaux qui s'y cachent.
Au gré des promenades, nous croiserons de grands dauphins roses un peu balourds, de plus petits gris qui sautent très haut, un paresseux (très paresseux puisqu'il ne nous a exposé qu'un quart d'épaule), des singes, de minuscules marmousets ou de plus grands dont je ne me souviens plus du nom, des loutres, des oiseaux, rapaces surtout, hérons petits patapons avec de gros becs bleus, perroquets, martin-pêcheurs de toutes tailles, tous d'un magnifique bleu électrique, de grands papillons aux couleurs éclatantes...
Mais pas un seul serpent (un guide prétendit que les faucons les avaient tous dévorés, humour ou mauvaise foi, allez savoir, quand on connaît la taille d'un anaconda), ah si, une grosse tarentule dans l'escalier du lodge, et, contre toute attente, très peu de moustiques ! Nous n'avons jamais été piqués, mais nous portions pantalon et chemise à manches longues. Le soir nous nous enduisions de produit toxique. Partout d'énormes nids de termites, ressemblant à de gros sacs de jute, phagocytent les arbres ; c'est l'anti-moustique naturel des indiens.
Chaque pas est mesuré. J'use mes yeux à surprendre le moindre mouvement de branches ou les flaques où s'embourber. Tandis que nous avançons lentement parmi les lianes, notre guide s'évertue à nous donner le nom espagnol et quechua de chaque arbre et bestiole rencontrés.
J'ai tout de même réussi à me faire piquer par une guêpe nocturne. La douleur ne dure heureusement qu'une quinzaine de minutes. Pendant ce séjour chaud et très humide, nous avons vogué allègrement, de jour comme de nuit, en pirogue et en bateau à moteur. La nuit noire, le spectacle céleste, loin de toute civilisation, est absolument merveilleux. Je pense à la balade de La nuit du chasseur alors que la barque glisse doucement sur l'eau noire, encerclés par des centaines de lucioles dont certaines traversent héroïquement la rivière devant nous. De temps en temps un petit caïman noir plonge devant nous.
Nous admirons la mythique constellation du lama au sein de la Voie lactée et je fais un vœu à la première étoile filante. Mais je n'ai pas entendu la sublime symphonie batracienne dont je garde un souvenir inoubliable à Nong Kiaw, lors d'un voyage au Laos. Je me rattraperai plus tard, à Tarapoto.
La forêt amazonienne est magnifique, envahissante, absorbante. Loin du monde. Nous sommes en effet à cinq heures d'Iquitos en speedboat. Peu nombreux, seulement sept touristes pour une armada de guides, cuisiniers, personnel hôtelier, dans un superbe lodge sur pilotis qui me rappelle le labyrinthe du Nom de la rose. Une drôle de comparaison, mais si vous vous étiez perdus sur ces hautes coursives vous auriez peut-être appelé à l'aide, surtout si vous croisiez dans la nuit un gentil kinkajou.
Le petit mammifère aux grands yeux ronds avait commencé par lécher la chaussure de l'Américain avant d'y enfoncer ses canines. Conclusion, rapatriement d'urgence à Atlanta pour se faire vacciner contre la rage !
À la saison sèche les coursives sont à cinq ou six mètres de haut, moins que le circuit de tyroliennes, quarante mètres encore au-dessus, qui nous permettent d'admirer la canopée...
Mais lorsque vient la saison des pluies diluviennes l'eau monte presque jusqu'en haut des pilotis.
Les bateliers doivent faire des prouesses pour naviguer alors que le niveau de l'eau est très bas. Ils inclinent plus ou moins le gouvernail au bout duquel est fixée une minuscule hélice. Les arbres ont des racines si peu profondes qu'ils s'écroulent facilement. Il faut souvent pousser les troncs tombés au milieu de la rivière. Je me demande si l'on pourra encore passer la semaine prochaine. Comme nous sommes de plus en plus paresseux, nous privilégions les balades en pirogue à la marche dans la forêt, forêt qui sera totalement submergée en été, transformée en mangrove. Il n'y aura plus d'autre choix que la navigation, sous la pluie évidemment, pluie que nous aurons presque tout le temps évitée, sauf une fois, où nous étions justement en bateau et où nous avons été trempés jusqu'aux os.