70 Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

mercredi 14 juin 2006

Le vrai-faux mariage à la une


Coup de fil d'Elsa ce matin, toute fière de faire la une du Petit Journal de Télérama avec Le Vrai-Faux Mariage ! Sur la photo, elle ne fait pas de la contorsion sur son trapèze, elle est de profil à gauche derrière le fiscorn (saxhorn utilisé dans les Coblas catalanes). La Clique de Pléchti et La Caravane Passe seront samedi prochain au Festival Les Arborescences en Mayenne, et de retour à Paris vendredi 23 à 20h30 au Cabaret Sauvage. Attention, réservez vos places, le spectacle qui dure plus de deux heures se joue chaque fois à guichets fermés. C'est hyper festif !
Voir le billet du 28 avril.

Hunt, le sacre de Tero Saarinen


Depuis Sylvie Guillem il y a une dizaine d'années, je n'avais jamais été aussi impressionné par un danseur. Chaque muscle est comme un instrument de l'orchestre du Sacre du printemps qu'interprète Tero Saarinen, de la pointe des cheveux au bout de ses orteils. Et les yeux ! Les yeux jouent comme le reste du corps. C'est d'abord vers les yeux que porte mon regard, celui d'une femme lorsque je tombe amoureux, celui d'un homme si je suis en affaires, celui des danseurs pour savoir s'il est habité plutôt que s'il compte leurs pas. Tero Saarinen est un sauteur, comme Nijinsky, Babilée ou Silhol, mais sa chorégraphie est ancrée dans le sol qu'il foule.
Et puis, la partition musicale est si puissante qu'elle force la création. Trop souvent les chorégraphes tentent de malaxer les notes comme ils façonnent le corps des danseurs, pâte à modeler disciplinée. Les musiciens s'y prêtent à contre cœur. Toutes les musiques de ballet finissent par se ressembler, saucissons uniformes, tartes à la crème, goût Kurt Weill, Arvo Pärt ou Steve Reich selon les époques. Sans parler des Fragments d'un discours amoureux qui continue de faire des ravages ! Il est loin le temps des Sacre, Oiseau de feu, Boléro, Daphnis et Chloé, Faune, Jeux, Entr'acte, Relâche..., partitions fortes de spectacles conçus par un trinome, librettiste-compositeur-chorégraphe. Ce dernier a pris le pouvoir, le ballet n'existe plus, on parle de chorégraphie. Le livret faisait l'arbitre entre la musique et la danse. Ce n'est pas le sujet qui compte, c'est l'objet, l'œuvre faisant fi des egos. La complémentarité est pourtant indispensable pour échapper à l'illustration (soulignée par une création lumière fantasmée). Tero Saarinen y échappe en dansant Hunt sur la musique de Stravinsky. Seul en scène, obligé de s'écarter de l'original des Ballets russes, confronté à une partition musicale extrêmement riche, il invente et se cabre. On regrettera seulement qu'aucun chorégraphe n'ose commander de partition forte à un compositeur vivant. Une rencontre comme celle de Merce Cunningham et John Cage est-elle encore possible aujourd'hui ?

Mais Hunt n'est pas seulement un fantastique one man show. Si les lumières de Mikki Kunttu sont parfaitement en phase, découpant le corps torturé du danseur, arrêtant son image en plein vol, articulant le temps autant que l'espace, la collaboration avec Marita Liulia vise au sublime. L'artiste multimédia n'abuse pas de ses effets, c'est d'une rare élégance. Elle projette des images interactives sur le corps ou le tutu de voile descendu des cintres pour habiller Saarinen, elle y peint d'un doigt léger des tatouages chorégraphiés avec une maestria éblouissante, se servant d'un bug du logiciel Director ! Pour toujours chercher à pousser mes machines dans leurs retranchements, je comprends la joie de Marita à se jouer de la technique pour produire des émotions et de la beauté.
Hier, avant de partir à la Cartoucherie de Vincennes, où se rejouera encore ce soir mercredi Hunt, je revoyais Je vous salue, Sarajevo (magnifique édition ECM avec un bouquin illustré de 120 pages et 4 courts-métrages) où Jean-Luc Godard énonçait en 1993 : il y a la règle, et il y a l'exception. Il y a la culture qui est la règle, il y a l'exception qui est de l'art.

Photos : Marita Liulia, exceptée la première, Laurent Philippe.