Comme la Fête du Travail pour les travailleurs, la Fête de la Musique est un jour chômé pour les musiciens. C'est du moins comme ceci que je l'entends chaque année depuis 1983. Les professionnels devraient ranger leurs instruments en s'effaçant devant les pratiques amateurs et spontanées, plutôt que jouer la foire d'empoigne pour s'installer à la meilleure place. Je suis injuste, ce n'est pas que ça, la fête bat son plein et tout le monde peut s'épanouir en dansant !
Pourtant, jamais aucune Fête de la Musique n'égala celle de 1982 à sa création par Jack Lang. Je me souviens que nous avions affrété la vieille 2CV de ma copine Brigitte Dornès avec une sono et des micros, ouvert entièrement la capote et joué debout en roulant. Hélène chantait, je jouais d'un instrument à anche double qui se pratique d'habitude à dos d'éléphant, et nous improvisions au gré des rencontres, un batteur à sa fenêtre, des Africains sur le trottoir... Prévue jusqu'à 21h30, le peuple s'appropria la rue jusque tard dans la nuit.
Je ne voudrais pas jouer les rabat-joie, c'est un jour merveilleux si l'on se lance dans les débordements les plus délirants, fête des fous, des fous de musique, des bruiteurs déments, des laisser aller à se produire enfin ! Ce n'est pas seulement jour de marché où les jeunes artistes s'affichent comme à la Fiac, tremplin gratoche ou showcase de quartier. Les professionnels pourraient encadrer les initiatives les plus délirantes ou les plus sages en leur donnant un petit coup de main, mais aucune star ne devrait s'avancer sur le devant de la scène, s'en servant comme un support de pub de plus en faisant de l'ombre aux si nombreux amateurs qui peuplent l'hexagone. Que dis-je l'Hexagone ? Il paraît que la Fête s'étend à la planète, que le langage sans paroles unit les hommes et les femmes de partout sans traducteurs, et que la paix règne enfin dans la joie et l'allégresse ! On peut toujours rêver... Sans récupération marchande, sans intrigue de palais, mais avec seulement le plaisir de hurler à tue-tête qu'enfin v'là l'été et que nous allons profiter merveilleusement de cette belle journée. Tapez sur vos gamelles, soufflez dans vos tuyaux, chantez des hymnes vengeurs, criez votre colère, n'oubliez surtout pas dans quel monde nous vivons, on nous donne des os à ronger pour mieux nous exploiter le reste de l'année. Alors citoyens, citoyennes, faisons preuve d'imagination plutôt que singer les pratiques dominantes, prenons le pouvoir, manifestons notre joie, crions des slogans utopiques, en avant la musique !
Pas différent des autres, je me rejouis pour ma fifille dont une photo incandescente, prise par William Beaucardet, orne la une du supplément du Parisien. L'instantané est tiré du Vrai-faux Mariage qui se jouera vendredi au Cabaret Sauvage avec La Caravane Passe et La Clique de Pléchti, dernière représentation avant la rentrée (voir Billet du 28 avril).