Hier soir était inaugurée l'exposition Couleurs du Maghreb au Musée Albert Kahn à Boulogne-Billancourt. Elle rassemble une centaine d'autochromes pris entre 1910 et 1931 en Algérie, au Maroc et en Tunisie, reflets d'un Maghreb traditionnel et de la colonisation. Le film Le Maréchal, le Missionnaire et le Banquier, réalisé par Jocelyne Leclercq, monté par Robert Weiss et dont j'ai composé la musique, est projeté dans une salle du premier étage. J'ai également fourni une bonne partie des bruitages de ce moyen-métrage de 42 minutes. Les musiques sont très variées, arabe (d'influence plutôt récente), ethnique (flûte, percussions africaines), moderne (l'Exposition Coloniale), militaire (défilés), classique (piano pour Lyautey, orchestre pour le reste), mais, mixées assez bas en face du commentaire, elles restent discrètes. L'enjeu est de réussir à raconter une histoire avec l'ensemble des rushes, et chaque fois (j'ai composé la musique de nombreux films des collections Kahn), Jocelyne et Robert font des miracles. Cela faisait onze ans que nous n'avions pas pu jouir de cette liberté. J'avais déjà enregistré trois films sur le Japon (Showa Tenno, Bunraku, fantômes de la mémoire et Deux fêtes au pays des Kami), un sur le Voyage à Pékin de Kahn et un sur la Révolution chinoise nationaliste, un autre sur Paris, toujours la même période : 1909-1931, dates auxquelles le mécène envoya des opérateurs Lumière aux quatre coins du monde pour rassembler Les Archives de la Planète, et enfin Sur l'air de Sambre et Meuse, et le dernier avec l'accordéoniste Michèle Buirette, La bataille de la Ruhr.
L'ancienne conservatrice avait l'habitude de m'appeler l'héritier, car nous faisions partie de la même famille, originaires de la communauté juive d'Alsace, précisément de Marmoutier, dans le Bas-Rhin, comme le marchand de canons Marcel Dassault, Bloch de son vrai nom comme ma mère (Dassault était son peudonyme dans la Résistance). Kahn et Dassault étaient donc des cousins (je fais hélas partie de la branche pauvre de cette famille de marchands de grains et d'étoffes ! Le père de Kahn était quant à lui marchands de bestiaux). Le Krach de 1929 ruina le philantrope banquier, et sa propriété fut rachetée par la préfecture de la Seine en 1936-39, puis par le département des Hauts-de-Seine en 1964.
À côté des 72 000 photographies en couleur et de 180 000 mètres de film rapportés des quatre coins du monde, Albert Kahn laissa de magnifiques jardins à Boulogne-Billancourt qu'il faut absolument visiter. Cette petite merveille est composée d'un sublime jardin japonais redessiné en 1990 par le paysagiste Fumiaki Takano (avec les pavillons originaux rapportés en 1898), une forêt vosgienne, une forêt bleue (cèdres de l'Atlas et épicéas du Colorado), un jardin français, un palmarium, un verger-roseraie, un jardin anglais... La visite est absolument indispensable, c'est totalement magique. Lycéens à Claude Bernard, Porte de St Cloud, nous avions l'habitude d'y aller rêvasser lorsque nous étions un peu partis ou pour épater nos petites amies...

Photogrammes du film. Le premier est la seule image existante d'Albert Kahn.