Enfant, je n'ai élevé que des poissons rouges et une couvée de poussins. Les poussins n'ont pas tenu dix jours, les poissons rouges se sont suicidés les uns après les autres en sautant de l'aquarium. Mon père les ranimait en les massant et les requinquait avec des petits morceaux d'aspirine. À vingt ans, je me suis engueulé avec ma mère parce que j'étais venu avec Zappa, le chien des copains avec qui je partageais l'appartement. Il a dû tout comprendre, il a pissé le long de la porte d'entrée, ce qu'il ne faisait jamais. Comme elle me demandait de choisir entre elle ou lui, je suis parti furieux en claquant la dite porte. Sa phobie hygiénique m'empêcha d'avoir tout contact avec d'autres espèces sans que la question se pose vraiment. L'esclavage réciproque des chiens en ville ne me convainc jamais, mais la fréquentation des chats m'ouvrit à un monde que je ne soupçonnais pas. Je le dois à Lupin, un grand noir d'une intelligence prodigieuse et d'une poésie inhabituelle avec qui j'ai partagé dix huit ans de complicité.
Le chat occupe le même espace que nous, il se l'approprie totalement, mais d'une manière si différente qu'il me permet de m'interroger sur nos coutumes et nos manies. J'ai aussi un doute profond sur l'identité du maître. Le chat a réussi à domestiquer l'homme. Il possède le clos et le couvert, il est nourri, et, de plus, il a un masseur personnel à demeure, sans avoir besoin de contribuer d'aucune façon aux tâches ménagères.
Lorsque cette vie paradisiaque s'agrémente de gâteries outrancières, le chat devient un patapouf et perd son esprit malin. La vie d'appartement lui convient mieux qu'au chien, mais la plupart y deviennent tout de même neurasthéniques. L'idéal, comme pour tous les individus, est de lui laisser un espace de liberté. Il est certainement plus sain qu'il habite dans une maison avec chatière pour entrer et sortir à son gré. Le plat d'aisance est une solution de pis aller. Il est tellement plus naturel que votre chat aille faire ses besoins dans le jardin de vos voisins ! Ouist, l'un des chats d'Elsa, arrête instantanément de pisser partout dès qu'il peut sortir dehors. On dirait ces gamins impossibles dont les amis chez qui vous le laissez font ensuite tant de compliments.
Comme tout félinophile, je pourrais deviser des heures sur leur intelligence ou leur névrose. Tous les chats sont un peu dingues, mais de ce côté il n'ont rien à nous envier. Leur attachement à leur demeure plus qu'à leurs humains les rend casaniers et un poil maniaques, et chacun a sa névrose personnelle. Comme pour toute relation intime, il y a façon de l'accepter ou de la rendre viable... Et cela ne peut se faire qu'en douceur !
Nos chats marquent nos vies par la longévité de la leur. Vingt ans, c'est long, mais pas assez pour nous accompagner tout du long. Les adoptions se succèdent et jalonnent notre histoire. On peut vivre autrement, mais pour les amoureux de ces petites bêtes à fourrure une maison sans chat c'est une maison sans âme.
Lorsque Scotch voyage, il est sage comme une image. Son nom lui vient de son attachement à nos basques. Comme la déclaration en mairie n'est pas obligatoire dans les premiers jours du nouveau né, j'attends toujours de connaître son caractère pour lui trouver son nom. Il est né il y a quatre ans, un 3 juillet, comme Elsa. Il est revenu de sa colonie de vacances en Bretagne, spécialisée semble-t-il dans les sports de l'extrême, avec la cornée déchirée par un coup de griffe. Il se laisse faire lorsque nous faisons tomber dans son œil une goutte de collyre, quatre fois par jour. Comme il est terrorisé par Loulou, un vieux labrador à la retraite, il cherche un coin sûr pour se reposer. Nous avons fini par le trouver perché à l'intérieur d'une armoire à glace dans une pièce désaffectée...