Le billet du 15 janvier intitulé Comédies signalait la version de Frank Oz de 2004 avec Nicole Kidman, Matthew Broderick, Bette Midler, Christopher Walken et Glenn Close, dont le titre a été traduit en français Et l'homme créa la femme. C'est une comédie de science-fiction avec des acteurs formidables et un scénario plein de rebondissements. Or il existe une première version tournée en 1975 par le britannique Bryan Forbes avec Katharine Ross et Paula Prentiss, plus inquiétante et tout aussi passionnante.
Double comparaison, entre l'original et son remake, et ce même original et un autre film tourné la même année, Anatomie d'un rapport, film de Luc Moullet et Antonietta Pizzorno chroniqué ici il y a deux jours. Leur film expose la revendication des femmes dans leur droit à la jouissance tandis que celui de Forbes, d'après Ira Levin, l'auteur de Rosemary's Baby, met en scène le fantasme masculin de posséder des femmes objets qui ne revendiquent surtout pas le féminisme à la mode en 1975. Les deux films ont valeur de pamphlet, l'un dans le registre comique (Moullet), l'autre dans celui du thriller d'épouvante (tout de même très soft).
Les deux versions cinématographiques de The Stepford Wives atténuent la noirceur du roman de Levin, mais à l'atmosphère pesante de la première version répond un scénario beaucoup plus complexe de son remake. Au fur et à mesure des nouvelles adaptations, l'angoisse s'atténue jusqu'à une happy end chez Oz, qui n'en néglige pas pour autant la critique sociale, plus fine que celle de Forbes (le monde de la télévision ; le rôle du gay tenu par Roger Bart, le pharmacien pervers de Desperate Housewives...). Stepford, petite ville du Connecticut, ressemble d'ailleurs à celle du feuilleton à la mode, la Wisteria Lane des femmes désespérées. Même ambiance de banlieue friquée et lobotomisée où les hommes s'activent et où les femmes s'ennuieraient sans l'aide d'un bon scénariste. Les maris de Stepford sont simplement nettement plus réacs lorsqu'ils défendent leurs prérogatives de mâles chauvinistes en adhérant à un étrange club... La fin de la version d'Oz a peut-être été soufflée par Revenge of the Stepford Wives de 1980 ou Stepford Children de 1987, deux précédents remakes TV réalisés avant le Stepford Husbands de 1996 !
Il faudrait que je commence à constituer un petit inventaire des films où les femmes ne sont pas traitées comme des sous-hommes. La révolte gronde aussi bien chez les réalisateurs que chez les réalisatrices. Ces films sont pourtant souvent sujets à méprise. Ainsi certain(e)s ont cru voir un film misogyne alors que celui de Forbes est fondamentalement féministe, avec une fin qui a le mérite de poser question freudienne. Même quiproquo avec les films de Neil Labute... Comment peut-on se tromper à ce point dans leur lecture si ce n'est parce que l'évidence reste intolérable ? Possession, le dernier Labute sorti en DVD (zone 2, donc commercialisé sous nos latitudes), n'échappe à la règle. Les hommes y sont montrés toujours plus lâches que les femmes qui doivent se battre pour leur échapper ou s'affranchir de leurs légitimes réserves.
Ces préoccupations sont plus souvent exprimées par les filles que par les garçons, mais il serait plus que temps de retourner au cinéma avec cette perspective sociale en tête. La place des femmes dans les films est le reflet d'une situation toujours aussi réactionnaire dans le réel. Pendant des siècles et dans tous les domaines, les hommes ont (ré)écrit l'histoire de l'humanité à leur avantage. Combien de temps faudra-t-il à toutes les femmes pour échapper à leur aliénation sans se croire obliger d'imiter les hommes ?