Je n'ai pas l'habitude de faire des compte-rendus de concerts, mais j'ai toujours aimé écrire dans l'obscurité du théâtre. La musique me suggère souvent des rêveries solitaires. Si je m'ennuie, je me concentre sur quelque projet personnel. Si ça me plaît, je me laisse porter.
Et ce soir, c'était bien. Le quartet du violoncelliste Vincent Courtois invitait Michel Portal au Triton, la salle des Lilas qui est tout à côté de chez nous. À côté de chez Vincent également, puisque nous sommes voisins. Le clarinettiste mit un peu de temps à rejoindre la musique délicate du groupe pour finalement trouver sa place à la clarinette basse. Le jeune sax alto Marc Baron, un peu intimidé par le souffleur de près d'un demi siècle son aîné, glisse ici et là de très belles phrases lorsqu'il n'étoffe pas avec simplicité les rythmiques ou les palettes de timbres de l'ensemble. L'éloignement des deux musiciens, situés aux extrêmes cour et jardin, ne favorise pas leur complicité. La disposition scénique des improvisateurs influe évidemment toujours sur leurs échanges. Dans le second set, Baron assoira à son tour sa position lorsque Portal passera au bandonéon, ne le quittant plus que pour le rappel où il reprendra avec panache sa clarinette basse. Posée à côté de sa batterie, François Merville sort d'une valise des petits instruments de percussion comme des lapins blancs d'un chapeau clac. La tessiture du violoncelle de Courtois oscille entre la basse et la voix humaine. Il colore le son de l'orchestre de petites boucles électroniques discrètes et chacun laisse percer ici et là des éclats de voix qui soulignent l'humanité du projet. Très jolie, celle de Jeanne Added, qui tient aussi le rôle du second violoncelle, rappelle une Irene Aebi qui aurait fini par convaincre. Tandis que la soirée s'achève, elle ira chercher par la main John Greaves venu pousser la chansonnette en duo.
Tous partagent la solidarité des émulsions réussies.


Comme Geaves avait jadis chanté The rest is silence et que Courtois lui avait posé la question qui donne son titre à son dernier album paru sur le label du Triton, What do you mean by silence ?, l'anglais viendra lire le mail qu'il envoya en réponse : "My dear Vincent, silence is, in English musical terminology, a "rest"; which also means a period of repose. I suggest that whilst a French musician might see on the stave before him a defined period of time in which to anticipate the next precise coordination of bodily functions required to produce a coherent physical gesture concomitant with the endeavours of his colleagues simultaneously pursing their own arcane musical and generally speaking altruistic aims, an Englishman would probably just go to the bar. Yours, the next bar is the best bar, your friend, John".
On est bien dans l'échange, et Courtois ne craint pas le silence.


Si les chansons et les compositions donnent un cadre aux improvisations, épargnant aux musiciens les poncifs du genre, le quartet, plus habitué à la libre improvisation, fabrique un écrin élégant, quasi british, à leur invité d'un soir. Portal s'y glisse avec gentillesse tandis qu'enfle sa ferveur. Enveloppés par cette musique simplement charpentée, on pense à une cabane de jardin, tout en planches, construite pour la joie des enfants. Le public peut rire des clowneries musicales parce qu'il voit les grimaces de la troupe, ses fourberies de Scapin.
Comme toujours, l'écoute seule produit des effets beaucoup plus tendres.

Merci à Fabrice Journo pour les photos du concert.