Pluriel d'accord. Mais féminin ? Juste un numéro !? Le huitième du magazine Muziq ne serait-il qu'une revue pour les messieurs ? Dedans, des filles, des femmes, décrites, déshabillées, encensées par des rédacteurs (on se demande même si les rares rédactrices ne sont pas en réalité des pseudos, shemales de la plume) à destination d'un public mâle qui y trouvera de quoi alimenter ses fantasmes masculins. Ici on admire le talent au lieu du cul. Mais qu'est-ce que ça change ? Digression : comment peut-on se brancher sur un sexe sans voir son visage ? Énigme ! Il y en a pour tous les goûts. Ici aussi, ça tombe bien.
Les filles pourront heureusement y lire maintes tirades féministes, tant la lecture est instructive. Pascal Bussy réhabilite Yoko Ono. Magnifique exemple de Jean-Pierre Lentin citant la compositrice Pascale Criton qui lui raconta comment les femmes avaient inventé le jazz, la soul et le rock (c'est LE scoop) : les hommes du gospel sont raides tandis que les chanteuses se laissent aller, dansant, hurlant, désacralisant le culte... Les notes bleues, c'est elles. Les arabesques, les glissés, les serpentines, c'est encore elles. Le swing, nom d'une chienne. Le swing du cul. Les hommes exploitent leurs femmes, ils leur piquent le business. Mais, Herr Doktor (encore un mec !), c'est à leurs mamans que tous ces artistes mâles doivent leurs chansons, leurs standards, et donc, coup de théâtre, leur swing ! D'eux-mêmes, les gars savent aligner les mots, mais le rythme ?!
Si l'on préfère les profondeurs du sens et la poésie des vers, les Anglo-saxons sont rarement à la hauteur. Trop directs, trop superficiels. Sous-titrer les clips serait de bonne guerre. Dans cette perspective, mieux vaut se tourner vers la chanson française, Barbara, Brel, Brassens, Prévert, Vian (sublime coffret de 6 cd), (d'accord Jean-Pierre) Camille, etc. Peu de filles parmi les auteurs ? À qui la responsabilité ? Pas facile de remonter ces siècles de sacrifice face à tant de dénigrement. Donc des filles. La plupart sont des chanteuses et font rêver les mecs, ça reste le public très majoritaire de ce genre de revue. Pour qu'un magazine s'écrive au pluriel des musiques, il va falloir qu'il apprenne à conquérir les nanas. Pas seulement une question de style. Choisir entre le casus belli domestique ou des soirées entre quat'zieux et autant d'oreilles ! Engageons des filles à rejoindre nos rédactions, nom d'un petit bonhomme.
Muziq est une revue généraliste où s'épanouissent les spécialistes. Huit numéros riches d'enseignement où chaque parution est thématique : Prince, Stevie Wonder, Led Zeppelin, Zappa, le groove, l'Angleterre des années 70, les filles, là, voilà... Tout ce qui se fait d'inventif dans les musiques populaires, c'est ici ! Les rédacteurs communiquent leurs passions avec style : Guy Darol, Étienne Brunet, Yvinek... Manque un peu d'expérimental de ces jours-ci, mais Boulez n'a-t-il pas ouvert l'Ircam sur Perspectives du XXème siècle avant d'actualiser le programme ? Il faut laisser à Muziq le temps de se faire. Revue quasi encyclopédique sur l'histoire du disque et son actualité, on aurait tort de ne pas en conserver tous les numéros. Le rédacteur en chef, Frédéric Goaty, succédant également à Philippe Carles aux manettes de Jazz magazine depuis peu, se coltine seul la plus grosse partie du boulot. Vivement qu'il trouve les moyens de se payer une maquette à la hauteur du contenu. C'est propre, genre rock mag, mais il serait dommage de n'être pas plus ambitieux graphiquement. Le jazz vend moins, le pluralisme mieux, nous ne nous en plaindrons point. Vive Muziq !