Curieux de savoir ce qui emballe Annabelle avec V for Vendetta, je commande le DVD sur Internet. Je n'avais pas fait attention à la sortie du film en salles, pensant que c'était une énième aventure daubesque telle qu'Hollywood en échafaude à tours de bras et que l'industrie culturelle américaine nous envoie en scuds pompeux sur le coin de la gueule. Ce n'était pas tout à fait erroné quant aux effets Grand Guignol, mais j'étais loin du "conte", une bande dessinée anarchiste se pliant parfaitement à l'adaptation sur grand écran avec des acteurs en chair et en os. Origami à grand spectacle, le film n'en demeure pas moins un excellent thriller politique qui se réfère astucieusement aux technologies en développement et à la crise mondiale initiée par les États Unis. La paranoïa sécuritaire ne peut entraîner que répression, désordre, pauvreté... et terrorisme. Le désespoir est son moteur comme la famine est celui des révolutions.
V for Vendetta est d'abord un roman graphique conçu en 1981 par Alan Moore et David Lloyd pour le mensuel Warrior. Ils s'inspirent du légendaire saboteur Guy Fawkes, justicier masqué, un des premiers anarchistes de l'histoire qui mourut sur l'échafaud en 1606. Fawkes avait tenté d'assassiner le roi James 1er en faisant exploser le Parlement où auraient été réunies la Chambre des Lords et celle des Communes. En Angleterre, chaque 5 novembre (le jour de mon anniversaire !), on le célèbre en brûlant des masques à son effigie, un inquiétant sourire totalement figé.
La comédie est une des armes préférées de V, il parle en alexandrins élisabéthains, jouent sur les v allitérés, porte cape et poignards et ridiculise le pouvoir. En prenant Fawkes pour modèle, V espère que le chaos suscité par ses actions terroristes finira par entraîner la chute du régime. Le scénario croise le romantisme flamboyant du passé avec les ressources des médias contemporains, en particulier leur prise de contrôle. "Nous trouvions tous que le roman graphique préfigurait de façon remarquable le climat politique actuel. Il montre ce qui peut arriver lorsqu'un gouvernement échappe au contrôle des citoyens" témoigne le réalisateur, James McTeigue. Il ajoute que son film, scénario des frères Andy et Larry Wachowski, les auteurs de la trilogie Matrix, est "centré sur un personnage noir, complexe et contradictoire. V est, d'un côté, un altruiste qui se croit capable d'amener de grandes réformes, et de l'autre, un tueur prêt à tout pour se venger de ses tortionnaires." L'action se passe à Londres dans quelques années, alors que l'Amérique du Nord sombre dans la misère et que l'Angleterre est aux mains d'un dictateur comme il en existe aujourd'hui autant de réels que de potentiels, un peu partout sur la planète. La France, avec ses Sarkozy et Le Pen, n'est évidemment pas à l'abri de telles dérives mortifères. En leur temps, Moore et Lloyd faisaient allusion aux dangers de la politique de Margaret Thatcher. Les frères Wachowski et James McTeigue font plutôt référence au complot "arrangé" du 11 septembre, manipulation digne de l'incendie du Reichstag.
Film baroque s'inspirant autant d'Orange mécanique, If, 1984 ou Fahrenheit 451 que de des personnages de Zorro et Batman, il rappelle surtout, sous bien des aspects, le premier épisode de Dark Angel tourné par James Cameron. Même s'il n'a pas le côté réducteur de nombreux films du genre et que nombreuses questions restent sans réponse, les conventions du film populaire laissent le spectateur à sa place, les poudres du complot orientant la mise en scène vers l'attraction foraine, le berceau du cinématographe. V alors comme Vérités et mensonges.
Le film a été distribué, entre autres, dans les salles IMAX (260 pour 38 pays), au format 15/70, dix fois la taille standard du 35mm et trois fois celle du 70mm. On pourrait ainsi penser que son succès contredit son propos, puisque, même critique, le cinéma américain tend au totalitarisme par son hégémonie. Alors comment résister ? Un soir de la semaine dernière, nous avons eu une longue discussion avec Pascale Labbé sur la nécessité de désobéir, morale qui sous-tend justement V for Vendetta. J'arguai de la difficulté de s'opposer à la manipulation collective pour la plupart d'entre nous puisque nous n'en avons pas conscience. Le réveil passe toujours par une rencontre ou un traumatisme. Les actes symboliques ont toujours joué le rôle de déclencheur pour embraser la colère. Même avec un stock considérable d'explosifs, il faut une mèche et un détonateur. Jusqu'où l'horreur devra-t-elle se répandre pour que les masses comprennent le sort qui leur est réservé, dans leur intimité chiffrée, et pour qu'elles ne succombent pas au fatalisme ou au pardon ? Au delà de cette question, on peut légitimement s'interroger sur la finalité de l'humanité.