Ça devait être une idée de Bernard : engager le contrebassiste Kent Carter (article et entretien) pour tenir un des violoncelles du grand orchestre que nous avions formé en 1981 avec Un Drame Musical Instantané. Kent avait beaucoup joué avec le Jazz Composer's Orchestra de Carla Bley et Michael Mantler, mais il avait surtout passé plus de quinze ans aux côtés de Steve Lacy. Je le connaissais grâce au batteur Oliver Johnson avec qui j'avais joué en même temps qu'un trompettiste italien, Cesare Massarenti, et par le disque sur la contrebasse qu'il avait enregistré pour Le Chant du Monde. Oliver a été retrouvé mort sur un banc à Paris en 2002, une histoire sordide de plus à ajouter à la légende triste et morbide du jazz. Quant à Steve Lacy, nous l'avions interviewé avec Étienne Brunet pour Le Cours du Temps du Journal des Allumés en juin 2001, un de ses derniers grands entretiens (Press/ 2001/Steve Lacy l'inlassable). Même si le violoncelle avait été, avec le basson, son premier instrument, Kent se sentait sous-employé dans le Drame. Il est resté un an, le temps d'enregistrer le disque À travail égal salaire égal. À l'époque, il vivait avec sa femme, la chorégraphe Michala Marcus, dans un immense château vide dont il occupait le moins de pièces possible ! Depuis, j'avais perdu sa trace musicale. Il y a deux ou trois ans, il avait eu de gros ennuis avec la justice française pour avoir hébergé des membres de l'ETA sans le savoir.

C
Lorsque j'ai rencontré Kent Carter, il jouait en trio avec Carlos Zingaro au violon et François Dréno à l'alto. C'est grâce à lui que je me suis lié d'amitié avec Carlos. Bernard et moi adorions leur musique, une sorte de jazz schönbergien ou plus justement de musique viennoise émigrée aux USA. Kent a toujours tenté d'allier son passé classique (un père chef d'orchestre dans le Vermont) et l'improvisation. Il n'a pas renoncé. Il continue avec un nouveau trio à cordes composé du violoniste allemand Albrecht Maurer et de l'altiste polonaise Katrin Mickiewicz. Un très beau CD, Intersections, vient de sortir chez Emanem. Richesse des timbres, tendresse et ferveur, invention et clacissisme remplissent l'espace de la chambre. La musique de chambre interprétée par le Kent Carter String Trio est celle d'un compositeur du XXème siècle (personne n'a encore eu le temps d'imprimer sa marque sur le nouveau siècle). Kent Carter est un héritier de l'École de Vienne qui fait swinguer les rythmes et se sert de toutes les nouvelles techniques de jeu pour pousser la réflexion dans les cordes. KO technique, Carter sort vainqueur.

Photos © JJB - Kent avec une partie de la section de cordes du Drame en 1981 avec de gauche à droite, Marie-Noëlle Sabatelli, Hélène Bass, Geneviève Cabannes, en répétition chez Bernard rue Charles Weiss.