Le noir et blanc donne d'abord au film Sept chants de la toundra, édité en dvd par blaq out, des allures d'éternité sous le vent glacé qui souffle sans interruption ou sous les nuées de moustiques. Les fondus au blanc ne sont pas ceux de la neige qui occupe tout l'écran, comme déjà dans Atanarjuat (ed. Montparnasse), le premier film tourné par un inuït, mais les pages d'un livre de contes que l'on tourne tandis que les fondus au noir laissent passer le souffle de l'histoire. Si la musique ponctue les scènes et si les cordes répétitives accompagnent les traîneaux tirés par les rennes, chacun des Sept chants de la toundra ouvre un nouveau conte cruel filmé avec tendresse par la réalisatrice nénètse Anastasia Lapsui et le Finlandais Markku Lehmuskallio.
Les Nenets, peuple nomade du grand nord sibérien, ressemblent étrangement aux Indiens d'Amérique par la musique de leur langue, leurs visages burinés, leurs tipis côniques et leur difficulté à résister aux lois qu'entraînent les mouvements de l'histoire.
La morale ancestrale des Nenets est incompatible avec la discipline des soldats russes de Staline. Leur vie est marquée par le sacrifice. La jeune fille est vendue pour de l'argent, le troupeau de rennes confisqué par les kolkhozes, la petite Siako arrachée à sa famille pour être scolarisée... Ils ne peuvent voir Lénine qu'en nouveau tsar ou nouvelle divinité. Les révolutions broient les minorités lorsqu'elles se confondent avec la colonisation en ignorant la pluralité des cultures. Des pans entiers de savoir disparaissent avec ces peuples. Le progrès n'apporte qu'uniformisation au détriment de la biodiversité.


Cette réflexion m'évoque irrésistiblement un article du Monde du 3 janvier sur le combat de l'association Kokopelli qui recueille et diffuse les graines de plantes rares et anciennes. Le lobby des grainetiers (GNIS et FNPSP), qui s'est porté parties civiles, l'attaque pour concurrence déloyale parce que les graines sont indistinctement vendues à des particuliers et des maraîchers. Chaque enregistrement d'une variété de plante coûterait 1500 euros, or Kokopelli propose un catalogue de "550 types de tomates rouges, blanches, vertes ou noires, 300 déclinaisons de piments doux et forts, 130 laitues différentes, 150 variétés de courges, 50 d'aubergines..." L'association se bat pour la biodiversité plutôt que sur le terrain de la loi qui mériterait d'être adaptée aux nouveaux enjeux. Monsanto et ses brevets tentant de mettre au pas le monde paysan ne sont pas loin. La loi sur le purin d'ortie, heureusement abandonnée après une levée de boucliers, montre qu'il vaut mieux modifier une loi contraire aux intérêts de chacun que de déplacer intempestivement la brigade de répression des fraudes. Selon l'Organisation mondiale de l'alimentation, la perte de biodiversité "menace gravement la sécurité alimentaire mondiale sur le long terme." 550 types de tomates, ça fait drôlement réfléchir lorsqu'on se retrouve avec, dans son caddy, toujours les mêmes fruits et légumes calibrés, sans aucun goût, auxquels nous sommes le plus souvent réduits.
Le raccourci peut paraître rapide entre un peuple et une plante, mais doit-on uniquement se battre pour la préservation de son patrimoine ou bien estimons-nous que toutes les espèces sont liées dans un éco-système déjà bien endommagé ? Où que nous nous trouvions le mot d'ordre pourrait se résumer simplement à "Arrêtons le massacre !".