70 mars 2007 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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samedi 31 mars 2007

Un livre, un pouce, un film


Alors que j'écrivais un nouvel article sur les films d'animation pour le prochain numéro du Journal des Allumés, je reçois le nouveau catalogue d'Heeza, le magasin en ligne des produits dérivés du cartoon, où figure un dvd inhabituel. Co-produit par l'Université de Rennes 2 Crea-Cim et les éditions d'artistes Lendroit, il présente un échantillon de l'épatante collection de flip books de Pascal Fouché dont le site est entièrement consacré au genre. Pendant 3h40, Votre pouce fait son cinéma en feuilletant les petits carnets réunissant 130 ans d'images papier animables. Les 308 flip books choisis sont classés par thèmes, du premier folioscope en 1895 aux recherches graphiques les plus contemporaines en passant par les animaux, l'architecture, la danse, l'érotisme, les livres d'artistes, la musique, la publicité, les sciences et techniques, le sport, etc. Des auteurs aussi différents que Muybridge, Chris Ware, Moebius, Guillermo Mordillo, Yoji Kuri, Andy Warhol, Robert Breer, Peter Foldes, Oskar Fischinger, Gilbert et George, Christo et Jeanne-Claude, Keith Haring, Franck Gehry, Paul Cox, Émile Cohl et des centaines d'autres sont animés par des doigts anonymes. Petite originalité du support, les sous-titres peuvent faire apparaître les infos sous chacun des flip books. Le son, minimaliste au possible, n'est rien d'autre que le bruit du feuilletage. C'est à la fois un voyage dans le pré-cinéma et une plongée dans l'animation actuelle. Amusante coïncidence, le catalogue 98-99 des Allumés présentait un flip book d'Antonio Garcia-Leon de 432 pages, un film à l'endroit, un autre à l'envers !
Le dvd est commandable pour 16 euros. La collection de 3500 flip books de Fouché est exposée jusqu'au 22 avril à Rennes devenue capitale du flip book.

vendredi 30 mars 2007

Machines à voter, machines à frauder ?


No comment.
Pour plus d'informations, Ordinateurs-de-vote.org (anciennement
www.recul-democratique.org).

Nouvelles informations sur le site Betapolitique.

jeudi 29 mars 2007

Kafka par Crumb


Le Kafka pour débutants (c'était son titre à l'origine) de David Zane Mairowitz et Robert Crumb, paru en français en 1996 et depuis longtemps épuisé, vient d'être réédité par Actes Sud dans un nouvelle maquette, un relettrage complet et un nouveau format. Approche originale et très juste de l'univers de Franz Kafka, l'ouvrage, mi récit mi bande dessinée, mêle la vie de l'auteur à ses créations. Si de nos jours la frontière est ténue entre fiction et documentaire, est-ce un signe d'une perte de repères entre la réalité et sa manipulation, le quotidien et l'imagination ? Vérités et mensonges semblent faire si bon ménage. L'étude de Kafka est remarquable et les dessins de Crumb nous entraînent dans une biographie souvent plus incroyable que les élucubrations paranoïaques de l'auteur tchèque. Je n'avais pas ressenti cette impression depuis les deux volumes de Maus, le chef d'œuvre de Spiegelman. On comprend très bien pourquoi Kafka s'étranglait de rire en lisant à haute-voix Le procès devant ses amis. Le personnage est très attachant dans sa difficulté d'être, ses créatures devenant le champ expiatoire de sa névrose. L'immersion dans la période historique qui voit monter l'antisémitisme ou la crainte du père autoritaire sont parfaitement illustrées tant par Mairowitz que par le dessinateur de Fritz The Cat (je viens justement de commander le dvd du film de Ralph Bakshi !). Les romans sont inondés par la culture juive de leur auteur, tandis que sa folie remonte les chemins de l'enfance. Le livre a le mérite d'aller au delà de l'œuvre, croquant son héritage jusqu'à nos inextricables contradictions abusivement affublées du terme kafkaïen. J'en sais quelque chose, aujourd'hui un bon camarade a laissé des paroles maladroites occulter des intentions bienveillantes à son égard. Rien n'aurait pu le convaincre de l'absurdité du déplacement de sens, de la substitution, complot imaginaire qui le bouffait de l'intérieur en un catafalque de solitude. Il s'est recroquevillé dans un coin de la pièce comme un pauvre cafard. Nous essayâmes de le sortir du noir en entonnant tous ensemble cet air joyeux (et révolutionnaire) : La cucaracha, la cucaracha... S'il avait été là, je lui aurais offert mon exemplaire de cette merveilleuse bande dessinée pour (devenir) adultes. On en a tous besoin.

mercredi 28 mars 2007

Compte rendu de séances


J'ai officiellement démissionné de la Commission des œuvres électroniques et informatiques de la Scam. Je continue à m'investir dans la défense des droits d'auteurs au sein des trois sociétés dont je suis adhérent, la Sacem, la Sacd et la Scam, luttant contre la vétusté des statuts à l'intérieur, les défendant vis à vis de l'extérieur. Constatant qu'un an à siéger à la Commission n'a rien fait bouger quant au répertoire qui me tenait à cœur, à savoir les œuvres interactives, en particulier sur Internet, et les installations d'art contemporain relevant des nouvelles technologies, et que les perspectives ne laissaient entrevoir aucune amélioration, j'ai préféré laisser ma place à des nouveaux venus plus efficaces. La question la plus cruciale concerne la perception de droits pour les ?uvres de création en ligne. Or il me fut justement opposé que si ces ?uvres sont en accès libre sur Internet, comment leurs auteurs peuvent-ils espérer percevoir des droits ? J'aurais eu l'impression de trahir tous les camarades que j'essayais de convaincre d'adhérer et de s'investir à la Scam si j'y étais resté. Je n'ai jamais pensé ma participation autrement que comme une représentation d'une partie des auteurs non protégés. Au lieu de repenser le système, j'ai passé un an à noter des génériques télé sujets à réclamation de classement. Je ne veux blesser personne, chacun fait ce qu'il peut. Le problème de fond vient du fait que les décisions sont prises par le conseil d'administration dont les compétences en matière de nouvelles technologies sont inversement proportionnelles à l'âge des capitaines. Rien de très original là-dedans.
La Sacd n'est pas en reste. Après le départ de Daniel Kapélian, elle a abandonné la création numérique au profit des jeux vidéos. Un choix lourd de conséquences. La création coûte plus cher qu'elle ne rapporte. Exit. Ce ne sont pas des manières. Quant à la Sacem, elle a toujours été en retard d'un métro, mais elle suit le mouvement parce que la pression de la rue est plus forte. Puissance de la musique. Je me suis déjà ouvert ici de mon désaccord avec les trois sociétés d'auteurs sur la loi DADVSI à propos du téléchargement et du piratage, elles ont embrayé le pas à l'industrie, les majors... Les deux sociétés d'interprètes auxquelles j'appartiens aussi, la Spedidam et l'Adami, se sont par contre battues pour la licence globale, contre une dérive répressive et absurde, inadaptée à l'avenir qui se dessine. Le débat est d'autant plus intéressant aujourd'hui que les lois votées sont déjà dépassées.
Le même jour, j'acceptais de siéger au Conseil d'Administration du Triton, la salle des Lilas, à la fois scène de musique vivante, studio d'enregistrement audio-vidéo live et label de disques ! J'habite le quartier. Ça bouge. Ça se boboïse. Les candidats à la propriété doivent viser plus loin, Romainville, Noisy-le-Sec, Fontenay... Le Triton est à 50 mètres du métro Mairie des Lilas, le bout de la ligne 11. Programmation éclectique, le son est bon, la lumière aussi, j'y joue le 3 mai, ce n'est pas demain, mais j'y travaille. Samedi, dernière répétition des élèves des conservatoires avant l'enregistrement et le concert. Ce soir, Vivante a proposé des jam-sessions d'amateurs tous les mercredis autour d'un musicien référent et deux pros invités. Quatre thématiques : jazz, musiques improvisées, blues, musiques du monde. Belle idée.
Aujourd'hui ça recommence, C.A. des Allumés. Mais dès jeudi je serai de retour en studio. Il était temps !

mardi 27 mars 2007

Dans l'œil du cylindre


1988, le Casino de Deauville, hors-saison. Il est interdit d'enregistrer pendant les heures d'ouverture. Les croupiers jouent les clients tandis que tourne la roulette. Je surveille la cassette dans le magnéto. On voit la plage, on voit les planches, mais il n'y a rien. Rien que la boule. Le vertige. Ça tourne. Les accros se font interdire d'eux-mêmes et se déguisent ensuite pour échapper au physionomiste. Des gagnants, on dit que c'est de l'argent qui découche. Je me souviendrai toujours de cette journée comme des tickets froissés à Longchamp ou des vieux costumes que l'on retrouvait dans l'ascenseur du 36 rue Vivienne. Il y avait un cercle de jeu au deuxième et un tailleur au rez-de-chaussée. Lorsqu'un joueur gagnait il s'offrait un costume neuf, se changeait dans la cabine de l'ascenseur et repartait tout perdre. Mais il avait gagné un costume neuf. De Deauville on repart comme on est arrivé.

lundi 26 mars 2007

Rock Hudson's coming out


Avec Rock Hudson's Home Movies Mark Rappaport réussit une des plus originales fictions biographiques et un des plus astucieux coming out de l'histoire du cinéma. C'est seulement à sa mort en 1985 que le monde apprit l'homosexualité de l'acteur et ce qu'était le Sida. Rock Hudson fut en effet la première célébrité à révéler sa maladie. Rappaport recherche des signes de cette homosexualité cachée dans les films où apparaît l'acteur. Hollywood a beau maquiller et lisser la réalité, l'évidence saute aux yeux et aux oreilles. Les plans volés aux films interprétés par Hudson sont exposés ici comme s'ils étaient sa vie même, ses home movies. Le film de Rappoport n'est constitué que de ces plans d'archives et des apparitions d'Eric Farr dans le rôle de Rock Hudson qui commente son passé depuis la tombe ! Ce "point de vue documenté" à la première personne du singulier et en forme de flashback se réapproprie la fiction pour faire éclater la vérité.
La démonstration est époustouflante, et l'on est en droit de se demander si l'exercice étendu à tout le cinéma dans sa globalité ne révèlerait pas un énorme tabou, l'homosexualité refoulée de toute une société, recyclée en violence. Quelles forces en effet sous-tendent les films de guerre, les westerns (à commencer par Rio Bravo, cher Skorecki), les polars (j'ai revu, il y a peu, House of Bamboo de Samuel Fuller qui ne triche pas non plus avec l'amitié virile), sans parler de la façon de traiter les femmes en général et au cinéma en particulier ! En un mot, les films de mecs, et au delà, ce qu'il représente... Le réel. Oui, c'est ainsi que les hommes vivent, Et leurs baisers au loin les suivent...
Rappaport nous montre Hudson comme si l'acteur s'adressait à nous dans chacun de ses plans pour nous souffler, avec un clin d'œil de connivence on ne peut plus appuyé, "ne soyez pas dupes, Hollywood n'est qu'une énorme entreprise de falsification, spécialisée dans l'exportation de la morale puritaine". Rock Hudson's Home Movies (attention dvd Zone 1 sans sous-titres uniquement) est probablement le film gay le plus démonstratif et le plus fin sur la posture et l'imposture.

Après la projection, je réussis à commander sur le Net une copie de From the Journals of Jean Seberg où Rappaport engage une actrice pour jouer le rôle de Jean Seberg comme si elle ne s'était pas suicidée et vivait toujours... Le portrait d'un personnage exceptionnel. On en reparle bientôt.
P.S. : J'avais titré ce billet F for Fag en clin d'œil au F for Fake d'Orson Welles qui joue également des faux-semblants. Maîtrisant moins bien les ambiguïtés en anglais qu'en français, il a semblé préférable de revenir à un titre plus soft !

dimanche 25 mars 2007

(une) histoire du design interactif


Avant de partir faire le tour du Monde, Étienne Mineur a eu la générosité de mettre en ligne ses conférences sur l'histoire du design interactif :
1. La première à l'association des Designers Interactifs, sur les réseaux et les technologies informatiques (45 diapos).
2. La seconde aux Arts Décos, plus axée sur les jeux vidéos, les CD-Roms et Internet (168 diapos).
Rien ne vaudra jamais la performance live du zébulon tout sourire, mais il est fortement conseillé de profiter de ces images, exacte reproduction des PowerPoints utilisés par Étienne in situ. Téléchargez et suivez cette saga extraordinaire... Si vous dirigez une école d'art ou multimédia, un département universitaire ou quelque endroit où l'on s'intéresse aux nouvelles technologies et à leurs applications, invitez Étienne Mineur à venir faire partager sa passion, c'est stimulant !

P.S. : je suis quant à moi très heureux d'avoir participé à plusieurs jalons cités par Mineur et qui figuraient sur l'immense fresque murale du sous-sol du Centre Pompidou
1996 cd-rom Au cirque avec Seurat, Hyptique, direction artistique Étienne Mineur.
1999 cd-rom Alphabet, "le chef d'œuvre de cette époque, une parfaite adéquation entre l'animation, l'interactivité et le design sonore. Une illustratrice tchèque + une équipe française + un éditeur japonais = un chef d'œuvre."
2000 cd-rom Machiavel, Jean-Jacques Birgé, Antoine Schmitt.
2006 Nabaztag, le lapin communicant.

samedi 24 mars 2007

Athée grâce à Dieu


Les films de Luis Buñuel ont longtemps représenté le modèle de ce que je rêvais de faire. Le journal d'une femme de chambre d'après Mirbeau m'avait impressionné par son humour, son sens critique, la crudité des rapports, l'ambiguïté des personnages, la lumière, le montage... "Je suis pour l'amour moi, Célestine, pour l'amour fou..." (Piccoli à Muni) Les deux films avec Catherine Deneuve, Belle de Jour (qu'y a-t-il à l'intérieur de la boîte du Coréen ?!) et Tristana (érotisme brutal des derniers plans avec le son des cloches à l'envers) conservaient le mystère d'une œuvre où le sacré était découpé comme sur un étal de boucherie. Mon préféré était La voie lactée parce que j'avais l'impression d'apprendre quelque chose sur la religion tout en jubilant des dissections abyssales que Buñuel lui faisait subir. N'ai-je pas toujours été un hérétique ! Mais je n'ai jamais eu de crise mystique, mon père ayant réglé définitivement la question lorsque j'étais très jeune en me répondant par une phrase de Georges Arnaud : "Si Dieu existait, ce serait un tel salaud qu'il ferait mieux de ne pas s'en vanter." Exit. Pas d'intermédiaire. Je devais négocier directement avec la mort.


Je les ai tous aimés, d'abord les derniers, Le charme discret de la bourgeoisie ("le lieutenant a un rêve très sympathique à vous raconter" fait Piéplu), Le fantôme de la liberté (la colique du miserere), Cet obscur objet du désir (les attentats terroristes ponctuent le film de façon bizarrement prémonitoire). J'appréciais les titres longs. J'aimerais revoir La mort en ce jardin. Jean-André Fieschi me fit connaître la période mexicaine, Don Quintin, La vie criminelle d'Archibald de la Cruz, Los Olvidados, El (j'adore la scène où l'aiguille à tricoter transperce le trou de serrure), L'ange exterminateur, il y en a trop, en fait jamais trop, je me répète les dialogues et jubile toujours autant devant n'importe lequel de ses films, comme s'il stimulait chez moi quelque partie du cerveau dédiée spécialement à son œuvre ! À la sortie de l'Idhec, j'aurais aimé être son assistant ou celui de Godard. Cela ne s'est pas fait, alors je n'ai pas continué la voie de l'assistanat. Sur le tournage, Don Luis allait se faire acheter des chemisettes à manches courtes ou du camembert. Il s'amusait à saouler ses interlocuteurs. Il connaissait les grands textes, Marx, Freud, la Bible... Il tournait juste ce dont il avait besoin, montait en quatre jours.


J'ai glissé trois films dans le billet. Le premier est le premier, Un chien andalou, cosigné avec Salvador Dali, le traître. Il y avait trois amis, Buñuel, Dali et Lorca. Federico Garcia Lorca a été assassiné par Franco, Dali adopta sa cause, Buñuel s'exila... C'est lui qui sonorisa le film avec un tango et Tristan et Iseult. Le second est L'âge d'or, financé par le Vicomte et la Vicomtesse de Noailles en même temps que Le sang d'un poète de Jean Cocteau, est aussi le second. Je me souviens de mon exaltation lorsque je le découvris sur l'écran de la Cinémathèque au Trocadéro. Il n'existe aucun cinéaste qui me procure autant de jubilation. Le troisième est le Cinéastes de notre temps tourné par Robert Valey, le premier, celui qui inaugura la série d'André Labarthe et Janine Bazin.

Très beau coffret de 9 DVD essentiellement de la dernière période chez Studio Canal. Collector Un chien andalou chez Montparnasse Multimedia. Nazarin vient de paraître chez G.C.T.H.V. et on en trouve d'autres dans des petites collections à bas prix.

vendredi 23 mars 2007

Énigme


Parfois Scotch ne me comprend pas. Pourquoi je bosse sans répit depuis tôt le matin jusqu'à ne prendre mon bain qu'au moment d'aller préparer le dîner pour filer regarder un navet sur Canal. Scotch y perd son latin, mais du moment qu'il mange à l'heure tout va bien. Deux repas par jour, un tiers de boîte chaque fois, mais j'évite de lui donner dès que je me lève, sinon il s'impatiente et nous réveille. Parfois Françoise lui achète du poisson frais tandis que je lui fais toujours goûter ce que je mange, mais il est habitué à ses boîtes. Il n'est pas facile de m'arrêter lorsque je rédige le premier jet d'un texte. L'article s'intitule pour l'instant "Dessins animés et films d'animation", c'est pour le n°19 des Allumés. Le sujet colle bien avec la nouvelle manière de faire illustrer le Journal par des dessinateurs. Mais l'ordinateur s'est mis à faire tourner sa roue arc-en-ciel chaque fois que je faisais un geste. Redémarrages, gravure d'un dvd de sécurité, une légère sueur froide, je ne suis pas certain d'avoir réparer quoi que ce soit, quelqu'un a une idée ? Scotch n'en revient pas. Tant de temps passé devant l'ordi... Il croit peut-être que c'est pour la chaleur qu'il dégage. Mais il voit aussi mes doigts qui s'animent frénétiquement. Ça ne colle pas.
J'appelle Bernard pour discuter de la musique du film dont nous devrions composer la musique. L'éternelle question de l'orchestre se pose, enregistrer dans un pays de l'Est ou habiller un clone des habits d'une petite formation ? Celle du studio lui succède : ici ou ailleurs ? Nous construisons peu à peu un plan possible. Les contraintes et les désirs définissent le cadre : verse-A-B-A, comme une chanson. Le film est court, un tract, une idée, mais énormément d'éléments. L'obscurité menaçante doit être suivie d'une gloire précédant la plénitude du pluralisme et de l'union. Des cordes certainement, mais orchestre ou quatuor ? Une valse, suggère Bernard. Ajouter la percussion et les solistes. Nous envisageons un accordéon, une guitare (manouche puis électrique) et une anche irlandaise style Uilleann Pipes, mais je ne suis pas sûr de comprendre de quel instrument parle Bernard, je crois que c'est ça mais sans le bourdon. Il parle d'un régulateur ! Les documents d'archives seront ajoutés dans le rythme, comme un montage radiophonique, des bribes zappées style Crimes parfaits ou Des haricots la fin. Comment conserver l'émotion en ciselant le sens ? Les poils sont censés se dresser sur les bras, mais ça parle à l'intellect, gageure intéressante. Scotch s'en fiche. Ses poils sont doux. Il voudrait bien comprendre qu'est ce que je fabrique au lieu de m'occuper de lui.
Après des journées si remplies, j'ai du mal à déconnecter. Regarder un film ou sortir. Scotch préfère le film. Mais nous ne connaissons rien de sa vie lorsque nous sommes absents et nous ne comprenons jamais à quoi il pense. Les autres chats sont souvent plus clairs dans leurs intentions. Mes inquiétudes, le plaisir de faire, mes rêves (j'aime faire bouillir mon cerveau), rien de bien mystérieux. L'énigme, c'est Scotch.

jeudi 22 mars 2007

Pic et Pic et Tea Time


En sortant de la formidable installation d'Agnès Varda au Panthéon le 21 janvier 2007, nous passons faire une visite surprise à Francis et Ge. Christine et Dominique qui arrivent du XVe ont la même idée. Cela fait des mois, voire des années pour Christine, que nous ne nous sommes pas vus les uns et les autres. Geneviève immortalise nos retrouvailles et Francis m'envoie aujourd'hui la scène retravaillée comme si c'était la case d'une bande dessinée. De gauche à droite : Francis Gorgé, mon copain de lycée avec qui j'ai fait mon premier concert à Claude B. et partagé Un Drame Musical Instantané jusqu'en 1992 ; de dos, Christine Éon, qui a un poste de responsabilité à l'agence de pub Saatchi & Saatchi ; ma chemise allemande dissymétrique achetée à Sitges au sud de Barcelone ; Dominique Meens qui fit travailler le Drame dans la banlieue rouge à la fin des années 70 et devenu depuis un écrivain prisé pour ses créations littéraires, en particulier autour des oiseaux. Sur les murs, des tableaux récents de Francis qui s'est remis à la peinture, sur les traces de ses parents. Le piano rappelle que nous sommes chez des musiciens. Geneviève Cabannes, que j'ai connue dans le groupe Lô et fit partie du grand orchestre du Drame puis du trio féminin Pied de Poule pendant dix ans, joue de la contrebasse avec Elisabeth Wiener et Castafiore Bazooka, le quintette à cordes Alhambra, Joseph Racaille... Francis et Dominique ont un site commun, assezvu.com où l'on trouve leurs disques réalisés ensemble, des vidéos avec Meens, des photos inédites de Birgé Gorgé Shiroc, des extraits sonores du Drame... Pour ne pas être en reste, voici deux extraits d'une création radiophonique inédite que j'ai composée sur un texte de Dominique Meens, Le pic, enregistré il y a vingt ans, le 16 janvier 1987, au Studio GRRR... Dominique est le narrateur ; je joue du piano sur Couper court (3'30"), des synthétiseurs DX7 et PPG, échantillonneur, appeaux et percussions sur Issues (33').

Couper court :
Extrait d'Issues :

mercredi 21 mars 2007

L'habit ne fait pas le moine


Pour son cinquantième anniversaire lundi soir, Jean-Pierre Vivante m'avait demandé de présenter la soirée qui réunissait au Triton nombreux de ses amis musiciens. Je crois m'être sorti honorablement de l'exercice de style en jouant la sobriété et en misant sur le rythme des enchaînements. Pourtant je reste perplexe devant mes prestations publiques de médiateur, craignant qu'elles n'occultent mon travail artistique. Le matin même je présentais un projet des Allumés à la Fédération des Scènes de Jazz, même impression... Mon investissement bénévole dans le milieu associatif gomme le reste. Si mon blog ou mes conférences se comprennent comme l'expression de la nécessité de transmettre, mon travail éditorial pour le Journal des Allumés ou d'autres organes de presse oblitère mon ?uvre que les nouveaux venus semblent ignorer. La mémoire s'efface. C'est pourtant sa fonction de se diluer dans le temps. Jean me faisait remarquer ce matin qu'il avait entendu hier un orateur parler de nos musiques comme si elles étaient nées il y a 25 ans. 25 ans, cela coïncide avec l'arrivée de la gauche au pouvoir. Mais le jazz et les musiques improvisées datent de bien avant ! Il est indispensable d'identifier ses racines si l'on veut produire de beaux fruits ! Ces constatations sur la méconnaissance de mon travail artistique n'ont heureusement trait qu'au petit milieu du jazz où je ne me suis jamais senti très à l'aise et pour cause. J'ai toujours été trop indiscipliné face aux différentes chapelles qui le composent. Le Drame m'a heureusement permis d'y exercer mon art sans vraiment le fréquenter, car, avec Francis et Bernard, nous partagions les mêmes critiques à son égard : superficialité, apolitisme, machisme mâtiné d'homosexualité refoulée (ça mériterait qu'on s'y attarde, j'y reviendrai), un univers ras-des-pâquerettes qui tranchait avec nos préoccupations quotidiennes. Il s'agit de trouver les collaborateurs avec qui partager les lubies. Lendemain de fête un peu douloureux. La fragilité est notre terreau. Je reste un rêveur qui compose des illusions.


Comme pour me contredire, à la fin de la soirée du Triton, la scène déclarée "ouverte" généra une jam-session des plus juvéniles avec une distribution des plus enviables. La section rythmique soudée composée de Sophia Domancich au piano, Hugh Hopper à la basse et Simon Goubert à la batterie contribua grandement à la qualité de l'improvisation. Trois chanteuses se complétaient admirablement dans leur diversité, sans négliger des instants de grande complicité : Élise Caron (aérienne), Pascale Labbé (quasi punky) et Marianne James (slam & soul). Le violoncelliste Vincent Courtois, le claviériste Benoît Delbecq, le guitariste Patrice Meyer, le trombone Yves Robert alternaient chorus et effets de masse. En voyant Médéric Collignon délirer au centre de la scène, je l'ai rejoint sans aucun de mes instruments habituels. Plus on est de fous plus on rit. Après que Thomas de Pourquery ait jeté l'éponge, je me lance dans une suite d'interventions bizarres qui m'asséchent la bouche, passant de la guimbarde à la flûte de nez (varinette) sans oublier un petit instrument sans nom, jouet d'enfant ou appeau pour noces et banquets qui sonne comme un saxophone fuzzy. Je vois avec amusement les mines interrogatives de chacun chercher d'où peut bien venir ce son hystérique. Personne ne semble se rendre compte que cette jam-session est le vrai miracle de la soirée (en dehors d'un duplex avec Anahi en Uruguay dont personne ne croit la réalité) alors qu'il n'y a presque plus personne dans la salle (dernier métro oblige). Tous et toutes viennent de jouer avec un plaisir sans mélange, car détachés de toute image à défendre, se laissant aller au plaisir d'être ensemble, au risque du pire et du meilleur.
J'ai oublié de préciser que j'avais poussé la fantaisie jusqu'à me vêtir de mon célèbre kilt et d'une tunique où le mot "suicide" est imprimé noir sur blanc. Tout va bien. La prochaine manche se jouera au Triton le 3 mai avec le nonet composé des étudiants de trois conservatoires et, en seconde partie, Somnambules qui réunira Nicolas Clauss, Etienne Brunet, Eric Echampard et moi-même. En avant, la musique !

La première photo est de Françoise Romand, les deux autres, dont celle avec Médéric, de Madi qui en propose 218 sur son propre site ©Marie-Emmanuelle Brétel.

mardi 20 mars 2007

Photos-Romand par Aldo Sperber (III)


Après la Patience raisonnée de samedi matin, l'impatience des entrées en scène. Éole et Philou esquissent le même pas de danse en attendant les premiers visiteurs. Admirez l'ensemble sans même avoir besoin de se regarder. Éole, qui a gardé son manteau et son faux-col, a un jeu de jambes qui fait des miracles (voir billet d'hier). Philou, qui s'occupe du vestiaire, est aussi danseur de claquettes. Il gardera ses gants blancs, même pour dîner sans fourchette. Il est le boy en pagne de Thème Je.
La porte est entr'ouverte pour surveiller l'ascenseur transportant les invités. Certains préfèrent gravir à pieds les six étages. Est-ce de la peur ou du courage ?


Louisette, Léon, Isabelle et Gisèle jouent à la canasta sans faire attention à la télévision qui déverse son flux ininterrompu. Assis sur le canapé pour quelques minutes, les frères Goeury se font happer par la comédie de Françoise, Vice Vertu et Vice Versa. Ils en oublient les habitants qui eux-mêmes suivent les consignes de Françoise : ne faire aucun cas des visiteurs qui traverseront toute la soirée leur appartement. Chacun est absorbé par ses activités. Les deux groupes s'ignorent mutuellement. Leurs chemins se seront croisés sans qu'ils ne s'adressent jamais la parole. Annie Gentes suggère qu'il y a une passerelle entre les deux univers, et qu'à certain moment de son existence on aurait pu choisir l'inverse. La tentation de s'engouffrer alors dans l'autre vie devient prenante. Marcher sur le fil, est-ce une forme du border line ? Rien n'est jamais joué.
L'absence d'un des personnages en fait le centre de l'instant saisi par Aldo Sperber. Il n'est signalé que par un petit livre posé sur la table. Son évocation donne tout son pouvoir à l'hors-champ photographique.


Silence. Moment d'écoute. J'aurais dû enregistrer le son des souterrains. Le visiteur ne voit rien, mais il est entouré d'une profusion de signes graphiques dont certains représentent une énigme, un peu comme en musique.


Agnès de Cayeux oscille entre les deux écrans, elle envoie un SMS à un ami pour lui dire de rappliquer dare-dare. Derrière Nicolas Bigards, on entrevoit la Butte Montmartre éclairée par les lumières de la ville. Comme eux, lascivement allongé, Bernard Vitet assiste à la projection d'Appelez-moi Madame. Il est fortement question de le sortir en dvd comme Mix-Up ou Méli-Mélo l'an passé. Regarder les spectateurs depuis l'écran me fait revenir en arrière. Il y a plus de trente ans. Nous assistions à une séance en relief du Frankenstein de Paul Morrissey. Lorsque je me suis retourné sur mon fauteuil, toute la salle portait des lunettes de soleil...


Danièle Obadia regarde Mix-Up ou Méli-Mélo">Mix-Up ou Méli-Mélo dans la chambre du fond. La pratique quotidienne du yoga lui confère un port altier. Aldo Sperber a pris cette photographie et la précédente le samedi 10 mars. Les autres sont du 17.


Dans la salle de bain, la baignoire ressemble à un cercueil où gît Yves dans la boîte à images des Miettes du purgatoire. Ceux et celles qui connaissent le film savent qu'il écoute religieusement de la musique concrète. C'est pourtant le seul survivant du film.


Plus tard dans la soirée, après une centaine de visites, Philou et moi avons l'air moins flamby. Mathilde lit le projet de Françoise, Peep-Chat. J'ai les yeux fermés, mais j'avance toujours.

lundi 19 mars 2007

Ciné-Romand façon Gala (II)


Gros succès pour le deuxième et dernier samedi du Ciné-Romand à Barbès.
Aldo Sperber prend une nouvelle série de superbes clichés (publiées sur ce blog dès demain mardi ; en attendant je m'y colle) tandis que Françoise Romand filme les réactions de ses invités à son installation qui s'étend cette fois dans plusieurs bâtiments de l'immeuble, avec visite du labyrinthe souterrain et remontée par le fragile monte-charge vers les chambres de bonne donnant sur le Sacré-Cœur et la Tour Eiffel... Derrière la porte de l'une d'entre elles se joue le polar Passé-Composé. En dessous, dans l'entrebâillement d'un rideau, on aperçoit Thème Je projeté sur un mur. Tout cela a été inventé et monté par Françoise pour présenter ses œuvres dans leur globalité en les insérant dans une installation théâtrale qui rappelle ses méthodes de travail et son regard original sur la vie. Pascale Labbé parle d'une mise en relief (de relier et de réel), Annie Gentes de glissement, Sarah Badet d'érotisme du voyeur, Agnès Delauche du "fantasme accompli d'être le passe-muraille", Blandine Stintzy d'un moment de fiction pour de vrai, nombreux disent être ravis d'avoir rencontré des "vivants"...


Lucille Hadzihalilovic, Françoise Romand, Atom Egoyan, Arsinee Khanjian, Anny Romand, Marie Debray, et devant, Philou et Karim Mahiout. Ma pomme (verte) en contrechamp. Devant l'afflux des visiteurs, les guides, beaucoup plus nombreux que la semaine dernière se chamaillent en rigolant pour être du prochain voyage. Patrice, Annabelle, Olivier, Adriana, Philou, Pascale, Romina, Chloë, Anny, Olivia se repassent discrètement les quatre doubles des clefs de la cave pour garder la surprise intacte.


Un vendredi soir noir de monde, Marie qui venait juste d'adopter Éole l'a emmené en voiture de Barbès à Bastille, et il s'est perdu. Les chances de le retrouver étaient quasi nulles. Le lendemain matin, devant sa porte, elle retrouve Éole qui est revenu tout seul sur ses quatre pattes ! Mathieu Potte-Bonneville et Franck Vigroux attendent l'ascenseur tandis que d'autres visiteurs arrivent. Franck oubliera son sac dans le grand salon, mais il n'aura aucune chance de le retrouver devant sa porte le lendemain matin. Nous le rassurons par mail dès que nous rentrons à Bagnolet.


Depuis 14h, Louisette et Léon jouent à la canasta avec Giselle et Raymonde. Ils tiendront jusqu'à la clôture, à 23h ! Sur l'écran, Anne Jacquemin et Florence Thomassin interprètent la comédie de Françoise, Vive Vertu et Vice Versa. Giulia et Michel reçoivent Caroline, Nathalie et Andrew. Les acteurs du réel jouent leurs rôles sans faire attention aux visiteurs qui traversent leurs appartements en faisant preuve d'une grande discrétion. Maxime, quatre ans, joue le jeu de ne pas dire bonjour aux visiteurs, mais il fera tout de même un petit signe à la jeune Alma. Caroline Rossignol et Yiyao Yang, croisant trois locataires qui montent un imposant canapé par l'escalier de service, demandent à leur guide si c'est prévu dans le scénario ! Idem pour la panne d'ascenseur dans l'obscurité de la cave où Patrice, qui guide Pierre Nicolas Combe du Cinéma L'Entrepôt et ses amis, leur fait croire que tout est prévu…


Jean-Denis Bonan et Anny trinquent dans la cuisine devant le pâté de foie, les tartes aux épinards et le mezzé libanais. Les webcams sans fil installées par Philippe Ramelet montrent Philou, Olivia Ekelund et des vues des autres appartements. Un moniteur trône face à la cuvette des cabinets, l'autre est dans le salon. Raymond Sarti (j'ai raté la photo) parle de l'étonnante inversion des rôles, les postes de télévision semblant refléter la réalité tandis que les scènes vécues donnent l'impression que nous sommes des personnages de fiction. Tous poussent Françoise à continuer dans cette direction, "c'est le genre d'installation rêvée pour les Nuits Blanches."



Devant la porte d'entrée, posent Agnès Delauche et Maÿlis Puyfaucher (la voix française de Nabaztag), puis Karine Lebrun et Sacha Gattino, tous deux très chics en Issey Miyaké dont Sacha continue à sonoriser les défilés. Suivent deux couples mère-fille, Pascale Labbé et Mathilde Morières, Anny Romand et Adriana Santini.



À gauche, Patrick Gufflet, directeur du Théâtre Paris-Villette où Françoise créera cet hiver ''Peep-Chat", spectacle mêlant théâtre et Internet, et les frères Goeury... En bas à gauche, les guides, Patrice Pujol et Chloë Ramet, et derrière, Adriana et Annabelle, attendent que les groupes remontent pour accompagner les nouveaux arrivants. Pendant qu'Aldo, assisté de Mina, règle son temps de pause, Cathy Chauvet lit les alexandrins que Dominique Martin vient d'écrire sur le livre d'or. Les témoignages ne sont pas tous décryptables. Certains sont en arabe, en chinois, en arménien ou en thaï ! Agnès Varda y a écrit "De passage parmi des gens et des écrans, j'ai eu le plaisir de grapiller des grains en grappes, des bouts de films, des pousse-à-revoir-en-entier..." Beaucoup, comme Marine Leys, écrivent que "ça donne le sourire", Philippe Demontaut qu'il rentrera désormais dans son appartement autrement, Chloé Abittan évoquent les deux côtés de l'écran...



Dans l'entrée, Antoine Schmitt, Chloé et leur fille Alma qui trouvera dans le décor de Françoise de quoi exercer ses talents de coureuse à pieds, font face à Camille Delamarre, Patrice et Mathilde. Annie Gentes compulsant le dossier de presse raconte qu'elle a l'habitude d'échanger son appartement pour les vacances. C'est rentrer dans l'intimité des gens en leur absence, avec un mode d'emploi. Elle trouve beaucoup de similitudes avec l'installation du Ciné-Romand. En bas à droite, Maguy Alziari, Don Siegel et Sophie Erkelbout...


Yann-Yvon et Elsa jouaient la veille au Cabaret Sauvage avec Le vrai-faux mariage, filmé par Elsa Dahmani pour un album de La caravane passe. Le film sera composé de captations du spectacle et d'une partie fiction tournée à Plèchti même ! Dans le miroir, on m'aperçoit prenant la photo à côté d'Elsa, Didier Silhol et Philou. Isabelle et Didier nous aideront à charger tout le matériel dans l'Espace. Il est quatre heures quand nous allons nous coucher.
Françoise a réussi son pari. Elle a adapté l'imaginaire de ses films à la réalité et fait basculer les visiteurs dans une fiction 3D temps réel, j'ajouterais (comme on disait lorsque j'étais enfant) en chair et en os ! Si le titre n'avait été utilisé par un autre rêveur, cela pourrait s'appeler naturellement De l'autre côté du miroir sans que l'on sache quel est l'original et son reflet. En présentant la majorité de ses films et en les insérant dans un dispositif scénographique et participatif, Françoise montre que son œuvre ne peut se réduire à un seul support (le cinéma ou la télévision) et qu'elle s'adapte parfaitement à toutes les transpositions, éclairant ainsi sa démarche et affirmant ses choix.

dimanche 18 mars 2007

L'appareil à photographier le futur n'existe pas


Il est des images qui circulent sur le Web dont on reçoit un nombre invraisemblable de copies par le courrier. Elles sont souvent drôles, du moins elles y aspirent, parfois terribles ou simplement intéressantes. Leurs auteurs disparaissent happés par le mouvement populaire qui s'en empare. Sont-ce des amateurs anonymes ou des professionnels en titre spoliés de leurs droits ? Chacun les recopie sans se poser cette question, comme si cela faisait partie d'un nouveau patrimoine commun à tous. Leur circulation est-elle plus importante que leur protection ? Quoi qu'il en soit, un homme ou une femme est passé par là, il ou elle a eu l'œil. Le civil qui s'adresse aux crs est-il un inspecteur en civil ou un badaud qui les prend à partie ? Les barrières sont-elles des vestiges du plan vigie pirate ? Il y a des qui provisoires qui durent...
Retour aux uniformes blasonnés sous leurs calots étriqués. On imagine d'abord que c'est l'image de "la France d'après" que rêve un Sarkozy. Mais l'appareil à prendre des photos du futur n'existe pas encore. C'est donc notre actualité qui est ici cadrée, et l'imagination sollicitée risque de multiplier les petits soldats du capital à foison en les affublant de matraques et de fusils mitrailleurs. Si je n'ai jamais été dupe d'aucune victoire dite socialiste, je me souviens pourtant qu'après le 10 mai 1981 l'air était plus pur parce qu'il y avait soudain moins de flics dans les rues de Paris. La peine de mort abrogée ne revint plus, mais l'arrogance, le sentiment d'impunité, l'iniquité devant la couleur des citoyens, la brutalité sont progressivement revenus, contrôles, expulsions, bavures, mensonges, amplifiés par les encouragements de caractériels au discours sécuritaire. Qu'elle est belle la France d'aujourd'hui ! L'État donne l'exemple. Sa violence se propage dans les quartiers. Imaginer la France d'après ? A-t-on encore le choix ?

samedi 17 mars 2007

Patience


Le nouveau programme du Ciné-Romand de Françoise réserve de nouvelles surprises. Nouveaux guides, nouveaux acteurs du réel, invités-surprise, un passage secret, la vue d'une fenêtre convoitée par l'équipe du Da Vinci Code et toujours ses films, mais déplacés, Mix-Up ou Méli-Mélo, Appelez-moi Madame, Les miettes du purgatoire, Passé-Composé, Vice Vertu et Vice Versa, Dérapage contrôlé, Thème Je...
C'est ce soir à Barbès et je n'aurai pas le temps de rédiger mon Carnet mondain avant lundi. Le temps de tout démonter, comme la semaine dernière, il sera trop tard pour que je m'y attèle. Pour patienter, j'ai choisi une photo d'Aldo Sperber qui a pris samedi dernier quelques magnifiques clichés de l'installation, probablement retravaillés sur Photoshop. Le couloir derrière lui était rose, la télé émet le bleu, mais d'où vient le jaune ? Peut-être seulement les quelques secondes du temps de la pause... Mina a laissé la porte ouverte pour le photographe. Ses lunettes ont l'air noires. Trop de lumière ? La photographie me rappelle le peintre Jacques Monory, un réalisme décalé dans des monochromes juxtaposés. Orson Welles suggérait d'enlever un paramètre à la réalité pour faire naître la poésie. Que fait Mina sur la cuvette des chiottes ? Le couvercle est-il fermé ? Elle ne s'est pas déculottée. Elle regarde la télé posée sur la machine à laver. Ça ne tourne pas. En réalité, l'écran diffuse un puzzle des webcams retransmettant les images en direct des autres appartements du groupe d'immeubles. Mais en regardant ce qu'en a fait Aldo, je n'arrive pas à le croire. C'est toute une histoire. Mais je suis incapable de la raconter.


La pochette du dernier 33 tours d'Un Drame Musical Instantané, Carnage, était un détail d'un tableau de Monory (Explosion). Plus tard, il nous a offert un Ekta d'une œuvre détruite, Technicolor, pour une carte annonçant les projets du Drame. L'une et l'autre œuvres m'inspirent le thème d'une pièce musicale. C'est exactement ce que je cherche.

vendredi 16 mars 2007

Le souffle continu de Coursil


Il y a très longtemps que je n'avais entendu le trompettiste Jacques Coursil. Il refait surface après plus de trente-cinq ans avec un album magnifique (produit par Universal Jazz) que m'a signalé Loupias. Comme si à 69 ans on pouvait acquérir le son de la maturité, velouté et détermination, avec la rage de vivre et de se battre comme un jeune homme que l'on n'aurait jamais cessé d'être, mais en prenant son temps parce que le chemin est long et semé d'embûches ! La vie est une course d'obstacles qu'il faut sauter pour pouvoir affronter les suivants. Clameurs reprend le combat de Franz Fanon, Edouard Glissant, Monchoachi et Antar en "quatre suites enchaînées" aux fers de l'esclavage et de la colonisation, quatre oratorios revendiqués dans leur langue d'origine, créole, français, arabe, quatre fois la musique d'aujourd'hui par le jazzman d'origine martiniquaise que l'on connaissait aux côtés de Sunny Murray, Franck Wright, Sun Ra, Albert Ayler, Anthony Braxton, Henry Grimes, Marion Brown ou dans ses propres disques noirs chez Byg... Une furieuse envie me prend de tout réentendre, là maintenant, parce que le monde a changé, mais que les esclaves sont toujours à leur place assignée, reléguée dans leurs quartiers. Soufflant droit comme on marche droit, comme on parle d'une seule bouche, Coursil affirme son chant, il sait que la musique fera passer les mots dans les oreilles des demi-sourds. Jeff Baillard l'accompagne de la pulsation sobre de ses synthétiseurs et de nappes simples pour remettre le couvert ; le mouvement électro n'a rien de nouveau, les effets ravivent la parole au goût du jour pour l'extirper de sa nuit. Les voix sont graves, Joby Bernabé, Jean Obeid. La contrebasse d'Alex Bernard et les percussions de Mino Cinelu les renforcent. Linguiste émérite, spécialiste de Saussure, docteur es Lettres et es Sciences, Jacques Coursil n'a jamais cessé de souffler, en continu, attaques de la langue, son mat, affirmation de la présence noire quand le renoncement et le pardon étouffent les clameurs des peuples opprimés.

N.B. : le cd ne paraîtra que le 24 avril, mais en publiant ce billet dès maintenant j'espère attirer l'attention des camarades journalistes pour qu'il soit chroniqué en temps et en heure. Lorsque je constate les semaines ou les mois que ça met pour que la presse se déchaîne sur mes propres productions, mieux vaut s'y prendre à l'avance. Si les critiques sortent trop tard, les disques disparaissent des rayons. Trop tôt, les consommateurs ne les trouvent pas et les oublient. Pensez-y et notez bien la date de sortie...

jeudi 15 mars 2007

Atom à Bagnollywood


Au dernier passage d'Atom, nous avions regardé Citadel, son film tourné à Beyrouth en dv qu'il présentera début mai au Centre Pompidou. C'est l'histoire du retour de sa compagne Arsinee dans son pays natal après vingt-huit ans d'absence et de ce qui ne devait pas être vu. De retour avec elle, cette fois à Bagnolet, il choisit un film de Jacques Tati pour montrer notre salle de projection à leur fils Arshile. Comme Atom me demande quel film je projette lorsque je veux faire une démo, je choisis Kaipochee, une scène de Hum Dil De Chuke Sanam, film de Bollywood réalisé par Sanjay Leela Bhansali avec Salman Khan. Écran large, son 5.1 particulièrement enveloppant et rebondissant, musique jubilatoire d'Ismail Darbar... La chorégraphie exceptionnelle emballe Atom qui découvre ici le cinéma populaire hindi contemporain. Les dizaines de cerfs-volants qui se croisent dans le ciel répondent au formidable ballet se déroulant sur les terrasses d'un inimaginable palais de rêve. Chaque fois que je repasse cette séquence, je suis aussi excité que pour Les demoiselles de Rochefort...


À table, nous comparons les mœurs françaises et canadiennes, les fractures libanaises et les réflexes arméniens. Comme Atom nous raconte sa merveilleuse installation sur la mémoire avec la participation des collectionneurs de bandes et de magnétophones (nous avons emprunté le dvd à la Médiathèque), je lui montre la bobine de fil magnétique qui appartenait à mon père. C'est ce qui a précédé le ruban 6,35. Arsinee évoque les passages couverts parisiens. Arshile espère que Nabaztag est branchable à Toronto (il faut que je me renseigne demain auprès de Maÿlis... Après Agnès Varda, j'ai appris aujourd'hui que François Rabbath possédait un de nos lapins communicants !) et s'étonne que les réseaux wi-fi à Paris soient presque tous protégés par des mots de passe alors qu'en Amérique du Nord on trouve à se connecter un peu partout grâce aux bornes personnelles. C'est une autre mentalité. Françoise, qui a cuisiné une délicieuse joue de bœuf (!), a beau avoir réussi la création de son Ciné-Romand samedi dernier reste tendue devant la perspective de sa reprise samedi prochain. Si elle ne fait que quelques petites inversions de projections dans l'appartement principal, elle renouvelle complètement les participations du voisinage. La régie reste copieuse pour mettre en place le dispositif complet et la réception des invités exige de nombreux guides. De mon côté, je prépare la soirée exceptionnelle au Triton pour laquelle Jean-Pierre m'a demandé de jouer Monsieur Loyal...

mercredi 14 mars 2007

Bifurcations


Aux feux rouges, les cyclistes qui traversent la capitale s'échangent des remarques printanières sur la beauté des choses. Arrivé à Radio France, Bruno Letort m'interroge pour Tapage nocturne au sujet de mon nouveau cd avec Houellebecq (diffusion sur France Musiques jeudi soir à minuit). Je profite du soleil pour aller faire des emplettes. Françoise m'emmène au Mouton à cinq pattes acheter des pantalons aux couleurs vives comme de jolis fruits pour trois francs six sous : orange, vert pomme, jaune citron. Je trouve l'intégrale d'Edith Piaf en 20 cd pour un prix ridicule, mais je suis stupéfait qu'aucun nom d'auteur ne figure nulle part sur le coffret édité par EMI. Par contre les galettes sont superbes, noires comme les anciens disques en bakélite ou en vinyle...
Le soir, nous sommes invités chez Chantal et Bruno Latour "à partager nos expériences d'artistes et de chercheurs autour d'un plateau de fromages et de vins". Olivier Vallet présente le travail de la compagnie des Rémouleurs (image ci-dessus), marionnettistes et montreurs d'ombres. Chacun raconte ses prochains spectacles et ses projets. Tout ouïe, nous échangeons quelques vues. Il est question de l'effacement du cadre. L'ambiance est sympathique, nous faisons des découvertes. Après Iconoclash et Making Things Public au ZKM, Bruno aborde le sujet de sa prochaine exposition intitulée Bifurcation. De son côté, Chantal Latour anime aussi avec Omer Corlaix les soirées de l'Appart, un club de rencontres entre compositeurs et interprètes. Ces salons semblent d'un autre siècle, mais est-ce le XIXème ou le XXIIème ?
Tard dans la nuit, nous grimpons vers chez nous en passant par notre itinéraire préféré à bicyclette. Nous évitons la montée Père Lachaise Gambetta en empruntant la rue Oberkampf, puis à droite et à gauche en baïonnette vers la rue des Panoyaux que nous suivons jusqu'à l'escalier qui mène rue Sorbier pour déboucher Place Martin Nadeau. Il suffit de pousser le vélo le long des marches et le tour est joué. À Pelleport, nous roulons sur le trottoir pour prendre la rue du Surmelin, qui est dans le mauvais sens, jusqu'à la Porte de Ménilmontant ; nous sommes presque arrivés.

mardi 13 mars 2007

Little Miss Sunshine


Les scénaristes américains sont très forts. Ils savent nous surprendre et jouer des poncifs en en prenant le contre-pied. Sont-ce les acteurs ou leur direction qui fait toute la différence ? Je l'ignore, mais les films américains comme leurs séries télévisées jouissent d'une qualité d'interprétation exceptionnelle. Lorsque leur sens critique s'exerce, c'est souvent avec fantaisie ou radicalité. Certes, nous ne voyons que le haut du panier de la production étatsunienne et l'on ne peut résumer le cinéma à la direction d'acteurs et au scénario, mais on peut admirer le travail. Lorsque nous avons de la visite à la maison et que nous choisissons de projeter un film, à moins que l'on me demande un truc arty ou barjo, on me réclame souvent une comédie. C'est une requête difficile à combler. En est-ce justement la raison ? Little Miss Sunshine est un merveilleux exemple de comédie populaire réussie, avec un sacré toupet (autre lien). Il est rare qu'au moment du générique je regrette qu'un film soit déjà fini ! C'est frais, c'est drôle, inventif et grinçant. Fox Pathé Europa le sort en dvd le 21 mars.

lundi 12 mars 2007

Ciné-Romand façon Gala (I)


Françoise Romand regarde Appelez-moi Madame (photo de tournage) entourée d'Agnès Varda (voir les pieds d'Agnès Varda !) et Agnès Cazenave (qui est à l'origine de Mix-Up, Dérapage contrôlé et ce film justement). La lumière de la Butte Montmartre filtre à gauche par la fenêtre. Huguette et Ovida Delect chantent Le temps des cerises.
Derrière les rideaux de l'entrée, on aperçoit Thème Je projeté sur le mur d'une autre chambre. Françoise s'adresse à la caméra dans le décor de son précédent appartement de Pigalle qu'elle a vendu pour produire le film.


Le dispositif de webcams wi-fi installé par Philippe Ramelet permet de surveiller ce qui se passe dans les autres appartements que l'on visite et de gérer le flux des visiteurs. Loca-Images et l'A.P.R.E. ont prêté le reste du matériel qui manquait. En bas de l'écran, on voit Annabelle faire le guide dans l'appartement de Patrice et Andrew où est projeté le polar Passé Composé (avec Feodor Atkine, Laurence Masliah et Anny Romand). On reconnaît nos hôtes sur le site Internet ikitcheneye montré dans leur cuisine, site qui préfigure le projet Peep-Chat que Françoise prépare pour le Théâtre Paris-Villette à la rentrée dans le cadre de x-réseau. Sur les murs sont accrochées des photos de nus au jardin prises par Stéphane Serafini pendant le tournage de Thème Je. Patrice, Andrew et leurs invitées ignorant totalement les visiteurs, ceux-ci ont l'étrange impression d'être passés de l'autre côté de l'écran. À l'étage du dessous, les nombreux convives du dîner d'Isabelle cèdent parfois à la tentation d'échanger quelques phrases de dialogue avec les nouveaux venus qui sont amenés par petits groupes par Annabelle, Olivier, Françoise, Aldo ou Anny... Je fais moi-même une des visites en racontant comment Françoise et moi nous sommes connus ici pour un autre jeu de piste qu'elle avait imaginé pour me séduire. Chez Valérie comme chez Isabelle, les postes de télé diffusent en boucles la comédie Vice Vertu et Vice Versa (avec Florence Thomassin, Anne Jacquemin, Marc Lavoine et Serge Dupire) qui raconte justement l'histoire de deux filles qui habitent sur le même palier...
Agnès Varda, experte en installations ludiques, joue les "garçons" d'ascenseur.


Anny Romand et Élise Griffon grapillent quelques en-cas dans la cuisine. Dans un autre bâtiment de la cour, Isabelle a également invité ses voisins à dîner. Françoise a réussi à transposer dans le réel sa manière de diriger "les comédiens" dans ses documentaires. La réalité et la fiction s'entremêlent. La réalisatrice recompose le passé. Tous les acteurs de la soirée se retrouveront vers 23h dans son appartement.


On aperçoit l'immeuble par la fenêtre de la cuisine où John, Mark Rappaport et Antonio Fischetti regardent Les miettes du purgatoire dans le congélateur.
José Berzosa et d'autres reviendront samedi prochain. Les acteurs seront tous différents, les appartements visités seront nouveaux. Seule l'installation dans celui de Françoise sera la même. On assiste à la projection de Mix-Up ou Méli-Mélo dans une troisième chambre. Dans la baignoire est plongé un moniteur avec Dérapage contrôlé. Dans les w-c est posé un second moniteur pour suivre les web-cams depuis son siège.


Jean-Pierre Mabille et Michèle Suraci signent le livre d'or dans l'entrée. Sandra Basch, Hélèna Villovitch et fils posent pour moi, mais avec prudence. Plus tôt dans la soirée, Sonja Wiemann a coincé les doigts de Bruno Amable dans la grille de l'ascenseur !


Je squatte la cuisine en fée du logis tandis que Bettina Clasen et Aldo Sperber (qui est à l'origine des Miettes) me tiennent le crachoir.
Annabelle Basurko, l'assistante à la réalisation de Françoise, et Alain Wagner, qui prendra les deux photos qui suivent, écoutent le récit des tribulations de chacun dans les escaliers, extrêmement variées selon les visites. Beaucoup de monde. Gros succès. Pas de blâme.


Fin de soirée : Bernard Vitet, Pascal Kané, Isabelle Vorle, Patrick Beurard-Valdoye, Agnès de Cayeux, Philippe, Olivier Berne, l'assistant à la production de Françoise, François de Morand... La dernière visite se termine à 23h avec Étienne Brunet qui arrive de la Cigale, mais la soirée se terminera beaucoup plus tard devant de sublimes pâtisseries orientales achetées en haut de la rue du Faubourg Poissonnière. Comme on ouvre les fenêtres sur la nuit, on voit la Tour Montparnasse, la Tour Eiffel, le Sacré-Cœur et le métro aérien à la station Barbès.

P.S.: rentrés à Bagnolet, nous apprenons que nous avons raté le feu d'artifice. Une canalisation de gaz a éclaté au coin de la rue. Une flamme de trois étages de haut jaillit dans un bruit assourdissant. Le feu s'éteint. Les pompiers évacuent les riverains. Une heure passe avant que les employés du gaz trouvent le robinet. Lorsque nous arrivons à la maison, tout est calme. Seul Scotch nous guette dehors et bondit prévenir Ouist et Snow qu'ils vont enfin pouvoir dîner.

dimanche 11 mars 2007

Jean Epstein, le lyrosophe


De tous les films muets que nous avons mis en musique avec Un Drame Musical Instantané depuis 1976, ceux de Jean Epstein sont certainement parmi mes favoris. Nous les avons d'abord interprétés en trio, puis nous avons recréé La glace à trois faces à Corbeil en 1983 avec notre orchestre de 15 musiciens. Denis Colin à la clarinette basse remplaçait Youenn Le Berre qui jouait habituellement de la flûte, du sax et du basson. J'avais découvert ce film lorsque j'étais étudiant à l'Idhec avec Jean-André Fieschi qui avait réalisé un Cinéastes de notre temps sur la Première Vague en collaboration avec Noël Burch. Si Germaine Dulac, Louis Delluc et Marcel L'Herbier (dont nous avons "accompagné" L'argent, 3h10, certainement l'une de nos plus belles réussites) m'avaient intéressé, j'ai tout de suite été séduit par l'adéquation du fond et de la forme chez Epstein. Son Bonjour Cinéma est une petite merveille tant graphique que littéraire éditée en 1921 par la Sirène dirigée par Blaise Cendrars. Je me suis plongé dans ses Écrits avec la même passion, fasciné par ses théories sur le son qui corroboraient ce que je définirai moi-même dans mon travail. Le gros plan sonore par ralentissement du son est resté pour moi une référence. Je me réfère ici à ses films plus récents comme Le tempestaire ou Finis Terrae, mais ce qui m'occupe cette fois sont ses films muets. Baissez le son des films en lien sur Google Video et laissez-vous porter par la magie des images. Si le silence vous pèse, mettez sur votre platine n'importe quel disque de Debussy, cela fera très bien l'affaire !


1927. La glace à trois faces. Le portrait d’un homme à travers trois femmes. Les fragments de plusieurs années viennent s’implanter dans un seul aujourd’hui. L’avenir éclate parmi les souvenirs... Le découpage est simple. Nous accompagnions "la bourgeoise" dans un style impressionniste, à la fois superficiel et élégant. Nous passions au jazz, assez free, pour "la bohème" et dans un registre plus tendre avec "l'ouvrière", un peu techno dans les dernières interprétations. Car si les principes narratifs et critiques étaient souvent les mêmes, chaque traitement variait d'un concert à l'autre, et particulièrement au fil des années puisque nous avons continué jusqu'en 1992. Absolument pas iconoclastes, mais résolument inventifs, nous essayions de nous hisser à la hauteur des inventions de l'image et du montage, nous agissions tout simplement comme si le réalisateur nous commandait la partition aujourd'hui. Les films muets sont souvent beaucoup plus créatifs que ceux qui ont suivi. Ils posent la grammaire du cinéma, sa syntaxe en se permettant toutes les outrances sans être contraints par ce qui se fait ou ne se fait pas. Le muet est l'âge d'or du cinématographe en tant qu'art, le septième du nom dit-on. Après les flonflons de la fête du village, nous terminions La glace à trois faces par le drame proprement dit, avec la course effrénée arrêtée par une hirondelle, le bec meurtrier frappant l'homme en plein front.


1928. La chute de la maison Usher. Le ralenti, les surimpressions, les travellings de ce cinéaste poète donnent déjà à Edgar Poe l’inquiétante musique qu’il mérite. C'est à cette occasion que Francis et Bernard adaptèrent pour la première fois L'invitation au voyage de Baudelaire et Duparc. Notre travail était beaucoup plus contemporain, nul besoin de repères historiques. Si La glace est très "modern style", Usher est intemporel et de nulle part, juste dans le rêve et l'inconscient. Nous voulions transposer Edgar Poe en musique, j'utilisais d'ailleurs une thématique empruntée à la version inachevée de Claude Debussy (rendant visite à Peter Scarlet dans son appartement de Ann Street, la plus petite rue de New York, célébrée par la plus courte chanson de Charles Ives, nous remarquons la plaque rappelant que Poe y écrivit Le corbeau...). Les deux films convenaient parfaitement au style d'Un Drame Musical Instantané. J'ai été très triste lorsque Marie Epstein, qui nous avait soutenus pendant des années, choisit une autre bande-son que la nôtre pour sortir La glace en salles. Elle nous confia que notre interprétation était la plus créative, mais elle préférait une musique qui ne fasse pas d'ombre au film de son frère. Nous avons souvent été confrontés à cette pensée absurde, reléguant le son à une pâle illustration...
Nous avons donc toujours tenté d'être aussi inventifs que les réalisateurs du passé, recréant, par exemple, le laboratoire de l'ouïe imaginé par Vertov lorsque nous montâmes L'homme à la caméra en janvier 1984 avec le grand orchestre à Déjazet. Aujourd'hui, le ciné-concert est devenu une mode, un genre. On a oublié que le Drame inaugura le retour à cette forme dès 1976. Nous avons fait le tour du monde avec les films d'Epstein, Caligari ou la Jeanne d'Arc de Dreyer, inscrivant vint-deux films à notre répertoire dont l'intégrale Fantômas de Feuillade pour le Centenaire du cinéma en Afrique du Sud ou des raretés de Pathé et Christensen au Festival d'Avignon... Nous n'acceptions jamais de composer une nouvelle musique si d'autres s'en étaient déjà chargés. Il y a tant de trésors de l'époque du muet. Nous voulions faire découvrir ces merveilles. C'est dire que nous fûmes les premiers à nous coltiner ceux que nous avions choisis. Lorsque les programmateurs que nous avions initiés sentirent le filon, ils nous écartèrent savamment pour en tirer le prestige. Le temps d'Orsay et des grandes commémorations était venu. Notre paranoïa nous poussa un peu bêtement à l'esquive. Nous avions peut-être aussi envie de sortir de la fosse d'orchestre ou de derrière l'écran. On y reviendra.

P.S.: j'avais préparé ce billet à l'avance sachant que je serais exténué à la sortie de l'extraordinaire soirée de Françoise à Barbès. Je tenterai de relater le Ciné-Romand demain quand j'aurai développé les photos et que nous serons rentrés à la maison. Je mets en ligne depuis les lieux de l'installation avant de rentrer...

samedi 10 mars 2007

Le 10 mars 2007

Françoise s'y connaît en festivités. Il y a trois ans, elle organisa mon anniversaire-surprise avec autant de convives que de bougies. Avec la complicité d'Elsa, elle avait invité mes amis, dont certains venus de très loin, dans l'espace comme dans le temps. C'est resté le plus mémorable de tous mes anniversaires. La pauvre n'a pas de chance avec le bourru que je suis. Incapable de lui rendre la pareille, je n'ai pu que l'emmener en voyage dans des lieux certes idylliques, mais dans des conditions beaucoup moins extravagantes que celles issues de son imagination. Sa dernière ressource est de s'offrir elle-même la fête dont elle rêve, faisant coïncider la date de sa naissance avec une fantastique installation contemporaine.


Françoise se réapproprie son histoire à travers ses films, mêlant fiction et documentaire, recherches d'identité et fantômes extirpés des placards. Ce soir, elle met toute son œuvre en scène dans l'appartement où elle vivait lorsque nous nous sommes rencontrés et qu'elle a entièrement décoré. Avec Annabelle et Olivier, elle a mis ses voisins à contribution, leur demandant de "jouer" leurs propres rôles. Les visiteurs devront suivre un "je" de piste d'un bâtiment à l'autre, comme le numéro qu'elle me fit le 1er janvier 2003, le plus beau jour de l'an de ma vie. J'avais figuré le joker annoncé de son film Thème Je, me voici modèle indirect d'une nouvelle fantaisie.


Je ne peux rien dévoiler de cette folie d'artiste pour laisser à ses invités le plaisir de la découverte. Disons seulement que les écrans pullulent et parfois dans des coins incongrus, que les câbles longent les murs lorsque la wi-fi des webcams ne suffit pas et que la figuration dite intelligente est nombreuse. Le mixage est fonction de la visite. La mise en scène s'efface devant l'improvisation. Le Ciné-Romand est en place, n'attendant plus que la nuit pour commencer.
Bon anniversaire, mon amour !


Les deux premières images du feuilleton-mail sont de Françoise Romand, la troisième d'Aldo Sperber.

vendredi 9 mars 2007

Le coin de l'obsessionnel (3)


Pas d'eau chaude. On est peu de chose. J'ai oublié de remplir la cuve à mazout. La température chute très vite. Le prix du fuel, lui, se maintient, tout en haut. Mais il reste des à-pics avant les cimes. Le prix du baril fait froid dans le dos. Les compagnies pétrolières et l'État se sucrent au passage, main dans la main. Normal que cela ne marche pas, le sucre et le pétrole ne feront jamais bon ménage. Tous n'ont pas été convoqués par le juge. On en a sacrifié quelques uns sur l'autel de la respectabilité, épargné d'autres au nom de la raison d'état. Mais 2000 euros pour 5 mois de chauffage, c'est costaud. Combien faut-il que je produise de bruits bizarres pour faire marcher la chaudière ? Combien de morceaux ? De musique, pas du sucre !
Je peux tenter de panacher. Pour le concert du 3 mai avec Étienne Brunet, Éric Échampard et Nicolas Clauss au Triton, 9 jours au chaud. Pour une conférence sur le rapport du son et de l'image à la Sorbonne, seulement une semaine. L'enregistrement de la voix italienne de Nabaztag, je suis couvert. Diriger l'atelier Jazz Électro avec les élèves des conservatoires, presque autant. Je fais des comptes absurdes. Il faut bien 400 fichiers son pour combler le vide ou 5 pièces faciles. De musique, pas d'habitation ! Il faudra que je refasse tous les calculs après être allé faire les courses et lorsque les factures tomberont dans la boîte aux lettres. Elle ne se remplit pas aussi vite que la poubelle, mais si l'on ne relève pas le courrier elle déborde. Ce n'est pas comme la cuve à mazout qui se vide toute seule...

jeudi 8 mars 2007

Saga de Xam


C'est incroyable comme les nouveaux médias font remonter les souvenirs à la surface. On croirait être resté en apnée pendant des siècles, et puis une question suivie d'une évocation font boule de neige. Pan ! Dans le mille. On en reprend pour trente ans. Les événements s'enchaînent comme un fait exprès. Jean-Denis Bonan était mon professeur de montage en première année d'Idhec. Il avait beaucoup d'imagination ou bien des nuits très agitées. Chaque matin il nous racontait son rêve en arrivant à l'école. Je l'ai toujours connu souriant. Je l'avais revu il y a quinze ans alors qu'il exposait des bouteilles de sable peint chez Alberto Bali, un voisin de mon immeuble en face du Père Lachaise. J'ai eu le plaisir de le retrouver grâce à Françoise qui avait été son assistante.
Googlisant le dessinateur "Nicolas Devil", Jean-Denis tombe hier soir sur son nom dans un de mes premiers billets d'août 2005.


Jean-Denis m'écrit qu'ils étaient très proches dans les années 70, exposant ensemble à Zurich. Il possède même une des planches originales de Saga de Xam, le livre fondateur de la nouvelle bande dessinée française, où il figure au moins deux fois : "en chanteur (mais on ne voit pas que je chante) et une fois (cette fois-là sans ressemblance) en moine lubrique dont le cerveau est composée de femmes nues (c'est cette planche que Nicolas m'a offerte il y a longtemps)". Il lui en avait aussi donné un exemplaire "avec une splendide dédicace, mais on (lui) a volé." Comment Jean-Denis sait-il que je connais Saga de Xam et que j'ai récupéré l'exemplaire de mon père l'année dernière ? Sait-il que je fus l'assistant de Jean Rollin, l'auteur du scénario, et que j'ai raconté le tournage de son film Lèvres de sang vendredi dernier ici-même ? Ou bien est-il tombé par hasard sur le commentaire que j'écrivis en marge d'un billet du blog d'Étienne Mineur le 9 mars dernier, il y a presque un an jour pour jour, ce qui expliquerait tout, enfin, pas tout, mais le début du tout :

Réalisé par Nicolas Devil d'après un scénario de Jean Rollin, épais cadavrexquis de Barabara Girard, Merri, Nicolas Kapnist, Philippe Druillet, Devil, photos de Tony Frank, couleurs de J-P Gressin, Annie Merlin, Jacqueline Sieger...On y croise des dizaines de personnages : Gingsberg, Artaud, Barbarella, Dylan, les Stones, Étienne Roblot, Zappa, J-J Schul, Kalfon, Julian Beck, Lovecraft, Valérie Lagrange, Patryck Bauchau, Edouard Niermans, Lennon, Cassius Clay, les Hell's Angels, les provos, dans une explosion graphique digne d'une bible psychédélique. Livré avec une loupe ! (éd. Éric Losfeld, 1967)

Mon père avait été contrebandier avec Losfeld, passant des livres érotiques à la frontière belge ! Tout s'enchaîne. C'est toi qui emploie le mot Incroyable ! dans ton mail, mon cher Jean-Denis, mais tu ne savais pas à quel point. Xam, Rollin, Losfeld, mon père, l'Idhec, Françoise... Le livre est devant moi. C'est cet épais volume aux pages cartonnées qui m'initia à la bande dessinée adulte. C'était aussi la seule trace de culture psychédélique à la maison avant mon voyage aux États Unis en 68. Glissées entre les pages de Saga de Xam, je découvre les fiches où j'avais recopié les phrases déchiffrées en m'aidant du code pour lire les dialogues cachés du livre. J'avais 15 ans, mais déjà plus toutes mes dents, conséquence d'un accident en cour de récréation. Si je reproduis quelques pages du livre, c'est l'ensemble que j'aurais aimé feuilleter avec vous...

Et avec toi, mon cher Jean-Denis, qui me donna le goût du montage cinématographique lorsque j'avais 18 ans. Cette fois encore, de l'autre côté du pont, les fantômes vinrent à (notre) rencontre !

mercredi 7 mars 2007

L'invisible


Le 11 février dernier, j'évoquais quelques sites où trouver des raretés en DVD. Depuis, j'ai plongé dans la collection de Subterranean Cinema. Le site recèle tant de perles et d'inédits que c'en est à peine croyable. Il y en a pour tous les goûts, des documentaires à vous soulever le cœur (Wiseman, An American Family, les Aktionists viennois Otto Muehl et Cie, Charles Manson...), des films-cultes kitschissimes (l'intégrale Cremaster de Matthew Barney, les films de Jodorowsky, Russ Meyer...), des longs métrages américains dont je n'ai jamais entendu parler (Che!, Cisco Pike, Drive-in, The Final Option, Inserts, Little Fauss and Big Halsy, Move, Skidoo...), des archives rock 'n roll (88 dvd de la série Night Flight, 200 Motels de Zappa, Cocksucker Blues avec les Stones, Groupies, Performance, Renaldo and Clara, The Legend of the King Lizard...), des films expérimentaux (Michael Snow en 7 dvd, Kenneth Anger, Paul Sharits, Stan Brakhage, James Broughton, Andy Warhol, Fluxus, Bruce Conner enfin !...), des classiques invisibles (Berlin Alexanderplatz en 8 dvd, Hitler, a film from Germany de Syberberg, des Cassavetes non coupés, The Shout...), des centaines de trucs rares (Norman Mailer, Charles Bukowski, etc.). Ce sont seulement quelques exemples, la liste est déjà assez fastidieuse comme ça. Chaque DVD coûte moins de 13$, alors j'ai commandé La région centrale (le passage à la texture numérique est parfois douloureuse, je comprends les puristes), les Bruce Conner (copie trop contrastée, mais c'est déjà ça), The Drug Years (trois heures passionnantes), Une femme mariée (déception, le film est doublé en anglais), les Cremaster (ça ne va pas me plaire, mais je suis curieux), Cracking Up (Smorgasbord). Malgré mes critiques techniques, je suis excité comme une puce...
Sur une autre partie du site, Don propose des extraits et des films entiers (L'âge d'or, La chute de la Maison Usher, le Syberberg, etc.) en lien avec YouTube, ou encore des scénarios et photos comme celles de l'introuvable The Day The Clown Cried, bloqué pour des questions de droits entre les auteurs du script original et Jerry Lewis...

mardi 6 mars 2007

Donkey Monkey, deux filles explosives


Dimanche après-midi, mon pote Anh-Van avait invité deux jeunes musiciennes pour un petit concert à la maison. Son fiston, Antonin Hoang, revenu de New York où il avait dirigé ses propres arrangements de Michel Legrand avec le compositeur au piano, faisait le bœuf avec des copains du CNSM en introduction. Du temps où nous habitions tous deux au Père Lachaise, Anh-Van offrait souvent à des artistes de fourbir leurs armes devant un auditoire d'amis. Marie-Christine assurait alors l'intendance comme elle faisait tourner la baraque de notre journal dont il était le rédac' chef. L'ABC comme tirait au nombre d'exemplaires qu'il y avait de rédacteurs ! Nous livriions chacun les copies de notre contribution, image et texte associés, à raison des 26 lettres de l'alphabet. Nous avons tenu jusqu'au Z et chaque fois nous fêtions la sortie par quelques libations chez les uns et les autres. Plus tard, Anh-Van organisa ses tables ouvertes du mardi soir. On y rencontrait toutes les couches de la population, étrangers de passage et habitués, du réparateur Darty au Prix Nobel de physique, de l'activiste radical au prêtre en soutane, du restaurateur grec de la Mouffe à ses nombreux collègues du corps médical ! C'est en pensant à lui que j'eus l'idée du titre du dernier numéro du Journal des Allumés, Vivre, référence au film de Kurosawa qui initia sa vocation...
Alors que je m'ennuie souvent aux concerts, j'ai été emballé par le duo Donkey Monkey dès Phoolan Devi, leur premier morceau. Ève Risser attaque le piano comme si elle prenait d'assaut une citadelle endormie. Concentrée sur sa main gauche qui joue les basses, elle laisse flotter la droite, mélodique et papillonnante, tandis que son esprit dessine déjà la suite. C'est une musique de compositrices loin des molassonneries mâles et des revivals rances. Yuko Oshima assure le tempo, tantôt frappant, tantôt caressant ses fûts. Les deux filles communiquent leur enthousiasme sans frime, avec fraîcheur et fougue contagieuse. Chaque morceau est une renaissance. Elles oscillent entre composition d'ensemble, humour enjoué et impro débridée. Ève prépare le piano droit avec de puissants aimants minuscules, Yuko cogne sur ses plaques de cuisine. Elles chantent, soufflent dans les tuyaux de leurs melodicas, triturant un Theremin portatif ou lorsque les conditions le permettent ajoutant sampleurs et sans reproches, tourne-disques et jouets d'enfants. Leur musique s'affranchissant des frontières de style me rappelle celle d'un autre iconoclaste, pianiste et batteur, le compositeur Jacques Thollot. Chose rare, elles me donnent envie de jouer avec elles. Françoise, aussi excitée que moi, les filme avec une petite caméra que lui a prêtée Bilkis... Donkey Monkey joue le 12 avril au Lavoir Moderne Parisien en première partie du Sens de la marche de Marc Ducret lors du festival La Belle Ouïe... Leur premier disque sort en même temps sur le label suédois Umlaut, mais il faut les voir sur scène !

lundi 5 mars 2007

A movie by Bruce Conner

P.S. : J'avais écrit Avant de lire ce billet, regardez Un film, c'est son titre et il ne dure que 12 petites minutes ! Regardez-le jusqu'au bout...


Le contenu a été effacé de DailyMotion, puis d'un site japonais, mais j'ai retrouvé un lien sur Vimeo !

Formidable, le film de Bruce Conner, A Movie, Un film, celui qui a représenté pour moi LE film, est sur dailymotion depuis trois mois et je n'en savais rien, comme tant d'internautes et de cinéphiles non plus à en juger par le peu d'audience récoltée depuis sa mise en ligne. Fut un temps où je clamais que s'il fallait en sauver un seul, celui pour l'île déserte, c'était lui, Un film.
J'ai eu l'idée de le rechercher en revoyant hier Au début de Pelechian sur mon propre blog. Si le propos est différent, les intentions et les méthodes sont proches. Montage d'archives, rythme donné par la musique, ici Les Pins de Rome (1924) d'Ottorino Respighi, un néo-classique préfigurant la musique de film et l'école minimaliste... Le compositeur annonce l'esthétique mussolinienne, mais le réalisateur la dénonce. Il réussit à produire des émotions suscitant de profondes questions, intimes. L'inconscient remonte à la surface. Qui sommes-nous vraiment ?
A movie a pour moi une histoire. Une sale histoire, qui finira bien. Je dois sa découverte à Jaf qui en avait acquis une copie 16mm d'une drôle de façon. Je la lui emprunte pour la projeter, à la clinique "anti-psychiatrique" Laborde devant une assemblée de psys ébahis, à Félix Guattari, chez lui : le rire se fige pour nous faire sombrer dans l'horreur, la nôtre. C'est très fort. Cela n'a rien d'un vidéo-gag ni des belles images de Godfrey Reggio. Conner nous retourne comme une chaussette.
Je multiplie les projections, mais un après-midi en fermant les verrous de chez moi à la Butte-aux-cailles, je laisse la boîte en métal sur le pas de ma porte. J'avais pignon sur rue. Le film est exposé au premier passant. Il est perdu. Moi aussi. Acte manqué terrible, à la hauteur de la perte du disque de chants vaudous de Tamia à peu près à la même époque. 1977, cela ne s'est heureusement pas reproduit. J'avais laissé le vieux vinyle sur le toit de ma voiture en cherchant mes clefs. Coïncidence improbable. Je sortais la première fois, je rentrais la seconde. J'espère vous trouver une copie de l'enregistrement de Ptits oiseaux bientôt, vous comprendrez ma tristesse et celle de mes camarades...
Bernard Eisenschitz me sort de cette situation honteuse en trouvant le moyen de racheter une copie à Los Angeles, je crois, directement à Bruce Conner, je ne sais plus. C'est beaucoup d'argent pour moi à ce moment-là. Je me suis fait tirer l'oreille par Jaf pour lui rendre "son" film. Toute ma vie, j'ai cherché à le voir à défaut de l'avoir. J'ai eu parfois de la chance. Il y a un an Jonathan B. m'en fit une copie lisible sur mon ordi et très récemment je le commandai à un collectionneur généreux avec d'autres films de Conner. À cette heure ils survolent l'Atlantique.
A movie date de 1958, c'est son premier. Je l'ai vu la première fois à l'occasion de l'exposition Une histoire du cinéma (Une ou plusieurs comme celle(s) de JLG dont le coffret dvd est censé paraître en France le 20 mars) conçue par Peter Kubelka au Musée d'Art Moderne (CNAC). Ce festival de films expérimentaux changera ma vie. Du 7 février au 11 mars 1976 je vois tout. Le programme commence par Lumière et glisse vers les années 20, les Russes, les surréalistes, les animateurs, les lettristes, les Américains, Brakhage, Snow, Jacobs, Sharits, Anger, Cornell, Breer, Mekas, Frampton, Broughton, Genet, Fluxus, Garrel, Clémenti, Ackerman, Monory, etc. J'essaie de me repérer dans le programme en prenant des notes dans la marge.
Bruce Conner, à côté d'autres activités artistiques (il fit des light-shows avec la Family Dog à l'Avalon Ballroom, ce qui me touche évidemment !) signa plus d'une vingtaine de court métrages. À suivre.

dimanche 4 mars 2007

Pelechian, héritier à la fois de Vertov et Eisenstein


Vers 1994 j'ai la chance de découvrir par hasard à la télévision les films d'Artavazd Pelechian et de les enregistrer en vhs : je peux ainsi revoir sept de la douzaine de films réalisés par le cinéaste arménien : Les habitants (1970, musique V. Ouslimenkov, voir au-dessus), Nous (1969), Les saisons (1972), Notre siècle (1982), Fin (1992), Vie (1993) et un autre dont je ne retrouve pas la trace dans sa filmographie, mais qui figure sur ma base de données sous le titre Girl from Minsh. Sur Dailymotion, je trouve aujourd'hui les copies de deux autres plus anciens que Pelechian montre rarement parce qu'il les considère comme des travaux d'école, du temps où ilétait au VGIK à Moscou avec son condisciple d'Andréï Tarkowski.
J'aurais aimé trouver Les saisons (Tarva Yeghanaknere ou Vremena goda) (P.S. : trouvé en 2018 !), son chef d'œuvre internationalement célèbre, chant absolument sublime sur la moisson, la fenaison et surtout la transhumance. Le passage du gué des moutons par les bergers à cheval et les descentes des meules de foin en courant sur des pentes à 45% sont parmi les moments les plus intenses de toute l'histoire du cinéma. Comme dans nombreux de ses autres films défile l'histoire du peuple arménien, mais Artavazd Pelechian transpose toujours son sujet de façon lyrique, sans aucune parole, rythmé alors sur les musiques de Vivaldi et V. Kharlamenko.


Au Début (Nacalo ou Skisb, 1967, voir ci-dessus) est dédié au 50ème anniversaire de la Révolution d'Octobre. La musique est de Sviridov.
À tout commentaire, j'ai toujours préféré les témoignages. Voici quelques extraits du livre de Pelechian, Mon Cinéma (traduction Barbar Balmer-Stutz), trouvés sur le précieux site qui lui est consacré :
" [Dans mes films], il n'y a pas de travail d'acteur, et [ils] ne présentent pas de destins individuels. C'est là le résultat d'une option dramaturgique et de mise en scène consciente. Le film repose pour sa structure compositionnelle sur un principe précis, sur le montage audiovisuel sans aucun commentaire verbal. (…) L'une des principales difficultés de mon travail fut le montage de l'image et du son. Je me suis efforcé de trouver un équilibre organique permettant l'expression unifiée simultanément de la forme, de l'idée, et de la charge émotionnelle par le son et par l'image. Il fallait que le son soit indissociable de l'image, et l'image indissociable du son. Je me fondais, et me fonde encore sur le fait que, dans mes films, le son se justifie uniquement par son rôle au niveau de l'idée et de l'image. Même les bruits les plus élémentaires doivent être porteurs d'une expressivité maximale et, dans ce but, il est nécessaire de transformer leur registre. C'est pour cette raison que, pour l'instant, il n'y a pas de son synchrone ni de commentaire dans mes films.


Après La Terre des hommes (Zemlja ljudej, 1966, voir ci-dessus), je cite encore Mon cinéma :
L'une des affirmations de base d'Eisenstein nous est connue depuis longtemps : un plan, confronté au cours du montage aux autres plans, est générateur de sens, d'appréciation, de conclusion. Les théories du montage des années 20 portent toute leur attention sur la relation réciproque des scènes juxtaposées, qu'Eisenstein appelait le " point de jonction du montage " (montznj styk) et Vertov un " intervalle ". (…) C'est lors de mon travail sur le film Nous que j'ai acquis la certitude que mon intérêt était attiré ailleurs, que l'essence même et l'accent principal du montage résidait pour moi moins dans l'assemblage des scènes que dans la possibilité de les disjoindre, non dans leur juxtaposition mais dans leur séparation. Il m'apparut clairement que ce qui m'intéressait avant tout ce n'était pas de réunir deux éléments de montage, mais bien plutôt de les séparer en insérant entre eux un troisième, cinquième, voire dixième élément. (…) En présence de deux plans importants, porteurs de sens, je m'efforce, non pas de les rapprocher, ni de les confronter, mais plutôt de créer une distance entre eux. Ce n'est pas par la juxtaposition de deux plans mais bien par leur intéraction par l'intermédiaire de nombreux maillons que je parviens à exprimer l'idée de façon optimale. L'expression du sens acquiert alors une portée bien plus forte et plus profonde que par collage direct. L'expressivité devient alors plus intense et la capacité informative du film prend des proportions colossales. C'est ce type de montage que je nomme montage à contrepoint. "

Découvert en France par Jean-Luc Godard et Serge Daney, Pelechian ne semble pas avoir terminé de film depuis 1993. On a pu voir Les saisons à la Fondation Cartier dans l'exposition Ce qui arrive concoctée par Paul Virilio, mais pas de trace pour l'instant de quelque édition dvd. Né en 1938, on peut espérer qu'il trouvera les moyens de continuer à réaliser des documentaires aussi exceptionnels par leur lyrisme et leur rythme, leur sens critique et leur humanisme (entendre au sens noble du terme, soit celui qui réconciliera enfin l'homme avec la nature !).

samedi 3 mars 2007

Les desseins du n°18


Le n°18 est sorti des presses de Rotographie. Il sera bientôt dans votre boîte à lettres si vous avez pris soin de vous abonner (c'est gratuit !). J'en ai déposé 300 hier soir au Triton en revenant de l'imprimerie. L'encre était encore fraîche. Daniel Cacouault a dessiné la une en jouant avec la matière du journal. Le sommaire est alléchant. C'est la troisième fois que le Journal des Allumés est illustré essentiellement par des dessinateurs dont les ?uvres au trait se prêtent probablement mieux au support que la photographie. Cela n'empêche que les images de Guy Le Querrec ont un sacré impact. En quatrième de couverture, D' de Kabal commente sa photo de boxeurs à "Beyrouth, 1er régiment de hussards parachutistes, camp du Bois des Pins, novembre 1983". Celles de Daunik Lazro illustrent son Cours du Temps under control et Daniel Yvinec ressemble à Jeremy Irons. Johan de Moor évoque la pendaison de Saddam, Ouin caricature parfaitement les positions de Jacques Attali, la nouvelle tête de turc de Jean Rochard, sur le téléchargement et l'avenir du disque.
Excepté Bernard Coutaz, patron d'Harmonia Mundi, et hormis le passionnant témoignage de Lionel Guénais, disquaire de La Folie du Mélomane à Apt, seuls les journalistes Philippe Carles, Frédéric Goaty, Franck Mallet, Francis Marmande et Stéphane Ollivier ont répondu à la Question "quel est le meilleur support (le meilleur vecteur médiatique) pour diffuser ce que vous aimez ?" Philosophes, musiciens, cinéastes, institutionnels se sont défilés. Robert Wyatt m'appelle pour s'excuser de n'avoir pas le temps d'y répondre, il est en studio à Londres pour un nouvel album à sortir à l'automne. Comme je lui ai écrit il y a trois semaines, il s'excuse du délai et m'explique qu'il a toujours un métro de retard, comme lorsqu'il est entré au Parti Communiste alors que tout le monde en sortait ! Je suis toujours ému d'entendre sa voix ; cette fois la conversation aura lieu en anglais, mais il parle parfaitement français. C'est toujours troublant comme ce sont souvent les personnalités les plus célèbres qui sont les plus corrects. Les troisièmes couteaux ignorent nos courriers et nos appels. Robert me raconte ses journées, il rêve d'ajouter la contrebassiste Hélène Labarrière à son orchestre de rêve, son fantasy band. Avec Alfie, il est en train de reprendre son indépendance par raport à sa maison de production rachetée par une major. Il aurait bien répondu que la musique qu'il préfère est celle qui n'a pas été enregistrée et qu'il n'entendra jamais, comme Buddy Bolden, le père du jazz, qui aurait influencé Armstrong et dont le son se rapprocherait de celui de Miles Davis. Un autre rêve, une illusion !
Cattaneo dessine un Don Quichotte qui vole au milieu des grands ensembles, Sylvie Fontaine laisse Voltaire cultiver son jardin pour les articles de Cueco et Wiart : les Spéculations immobilières de l'un répondent à l'Héritage, modes d'emploi de l'autre. Valérie a grossi le corps des polices du catalogue pour le rendre plus lisible. Il double la version en ligne sur le site des Allumés. Efix avait livré une fausse pochette de disque des Damnettes qui tombe très bien avec le texte imprécateur du Grand Jauron remis par Rigolus, en exclusivité avant création scénique. La double page de Chantal Montellier et Jiair revient sur un thème du Liberation Music Orchestra emprunté maladroitement au criminel stalinien Enrique Lister par Charlie Haden. Au casting de la BD figurent le Che, Victor Jara, Brecht, Eisler, Staline, les musiciens sous leur banderole et un journaliste que certains reconnaîtront peut-être. La carte blanche au label D'autres Cordes respire, il y a un peu de blanc en haut de la page comme sur leurs pochettes en papier recyclé pliées à la main. Ma chronique DVD et celle de Pablo sur le polar sont illustrées des couvertures des ouvrages. Le désert rouge, Sur mes lèvres, L'iceberg, Tourneur, 7 chants de la Toundra ; Pars vite et reviens tard, Le sens de l'aranaque, Fausse piste, La 7e femme. "22 vl'là les CD !" chapeaute les nouveautés dans leur nouvelle présentation.
Lorque le prochain Journal paraîtra, la France aura un nouveau Président ou une. Dans le n°19 évoquera-t-on le rôle de la presse musicale ? Les majors auront peut-être conclu un accord avec la Fnac avant que Pinault ne la vende. Les producteurs des Allumés auront-ils compris l'importance d'échanger leurs points de vue sur le blog ? De nouveaux systèmes de distribution auront-ils été envisagés ? Qui sera encore vivant ? Vous le saurez en lisant le prochain épisode du Journal des Allumés du Jazz...

vendredi 2 mars 2007

Lèvres de sang


En sortant de l'Idhec, je trouvai illico un poste de second assistant réalisateur sur un film de Jean Rollin, Lèvres de sang. Je ne me souviens pas comment, mais peut-être était-ce grâce à l'École ou à Louis Daquin qui la dirigeait alors. Robert Bozzi était le premier et Nathalie Perrey assurait la régie en plus de jouer le rôle de la mère du héros. Comme c'était une petite équipe, je les assistais tous les deux ! Et me voilà accompagner les jumelles chez le prothésiste pour leurs dents de vampires, nourrir les chauve-souris qui embaumaient la bière sur le siège arrière de ma voiture lorsqu'elles avaient mangé de la banane, convaincre l'actrice principale en pleurs de regagner sa chambre d'hôtel après qu'elle l'ait totalement dévastée et tandis qu'elle faisait du stop sous la pluie sur l'autoroute avec son slip pour seul vêtement, réchauffer (moralement et alcooliquement) les comédiennes qui grelottaient dans le vent glacial qui soufflait sur les ruines du Chateau-Gaillard aux Andelys, lancer la machinerie des fontaines du Trocadéro au milieu de la nuit, et cetera et cætera.


J'ai une tendresse particulière pour ce film puisqu'il marqua mon entrée dans le métier et que j'y tiens un petit rôle, très chaste, le temps de deux plans. Je joue celui d'un vendeur de cartes postales aveugle, cheveux longs et pantalon pattes d'eph. Je n'ai que vingt-deux ans et encore toutes mes illusions lorsque je m'assois sur un canapé pendant la répétition et que j'entends une des comédiennes raconter son week-end avec un berger allemand. Les bras m'en tombent et j'ai les jambes coupées. Il faut préciser que si ce film (culte) est aujourd'hui présenté comme un film fantastique ; nous en parlions alors comme d'un porno-vampire et Rollin en était le pape ! Cela explique probablement pourquoi il sort en collector 3 dvd, avec moulte boni et luxueux livret de 64 pages. Son aspect pornographique est soigneusement évité par toute l'équipe, sauf Cathy Tricot, une des deux petites jumelles. Dans le générique, je relève le nom de Claudine Beccarie devenue célèbre avec Exhibition de Jean-François Davy.
Faisons donc un saut de quelques années en avant jusqu'en 1979. Nous sommes dans un couloir de l'Idhec alors que je suis devenu responsable des études pour la première année. Un de mes élèves m'arrête pour me demander si c'est bien moi qui joue dans Suce-moi, vampire. Comme je suis surpris, il précise que c'est la version hard de Lèvres de sang (Rollin a pris le pseudo de Michel Gand). Cet étudiant passionné par les séries Z s'appelle Christophe Gans, il réalisera plus tard Crying Freeman, Le pacte des loups, etc. Il y a donc deux versions du film, une soft et une hard, mais les 3 dvd évitent soigneusement de parler de l'autre version. Il est pourtant difficile de ne pas se souvenir des scènes qui ont disparu de la version éditée !


Les motivations du "jeune" premier étaient plus ambigües que son passage au film de genre, d'autant qu'il en était co-auteur. Il jouera d'ailleurs la même année dans un autre classique, Le sexe qui parle. Jean-Loup Philippe avait remporté un succès phénoménal au théâtre dans Thé et sympathie aux côtés d'Ingrid Bergman, puis de Micheline Presle. Enfant, il avait côtoyé Supervielle, Michaux, Cendrars et fondera le Domaine Poétique en 1962 où il mettra en scène Robert Filliou, Brion Gysin, William Burroughs, François Dufrêne avec projections lumineuses. Il inventera le café théâtre en 1965 à La Vieille Grille, deviendra directeur artistique au Théâtre de l'American Center, écrira des livres, de la poésie, des pièces, des évocations radiophoniques. Les noms de Bernard Heidsieck, Henri Chopin, Emmet Williams, Alain Kremski, Jean-Yves Bosseur, Riopelle, Jean Tardieu jalonnent son œuvre. Il n'empêche qu'ici, il enfile un chapelet de nanas dans les scènes coupées de la version soft ! Ce n'était pas un pro du X pour autant. Dans une scène où l'actrice lui déplaisait profondément, il exige trente grenouilles autour d'eux pendant qu'ils officient. Hélas, en novembre, les batraciens hibernent. Je sauve la production, arrêtée, en rapportant deux crapauds africains trouvés sur les quais. Dans une autre scène, ses moyens lui faisant défaut, le producteur prend la place du réalisateur, fait sortir presque toute l'équipe et éteindre les projecteurs. Lorsque notre héros sent que ça vient, le producteur (que j'ai fait pleurer le premier jour de tournage au cimetière de Montmartre en réclamant mon dû !) lance un Lumière ! suivi de Moteur ! C'est la débandade. Il finira par se faire doubler par un pro.
En regardant les 3 dvd de l'édition anglophone hollandaise (attention, la bande-annonce est nulle), nous sommes surpris par le naturel des interviewés. Les bonus ne nous ont pas habitués à tant de sincérité (X occulté mis à part !). Si les producteurs étaient infects, l'équipe était marrante et sympa. Les entretiens montrent des personnages étonnants. Je me demande ce qu'est devenu le compositeur, Didier William Lepauw, dont la musique est intelligente et inventive. Était-ce un pseudonyme ? Très belle lumière également, ce genre de film offrant à Jean-François Robin le soin de réaliser un travail original et particulièrement soigné. Les scènes tournées à Paris sont très émouvantes, elles montrent des quartiers détruits comme l'immense chantier de Belleville ou le vieil Aquarium du Trocadéro. Jean Rollin incarne tout un pan souvent ignoré du cinématographe, amateur de rêves, de jolies filles et de beaux décors. C'est à leurs yeux une transposition de la poésie à l'écran.
Ayant été louveteau de 8 à 11 ans (mon côté couteau suisse) et n'ayant aucune envie de devenir psy, je passai de l'assistanat à la réalisation au montage. Après onze jours sur La baby-sitter de René Clément où je supervise l'enregistrement de la musique de Francis Lai dirigée par Christian Gaubert et suis payé au tarif de stagiaire tandis que je totalise 40 heures supplémentaires en une semaine, mes revendications n'aboutissent qu'à mon départ précipité. Je suis remplacé par Tony Meyer qui sera enfin correctement rémunéré ! Avec mon travail d'assistant sur un documentaire sur la Sonacotra de Coline Serreau, voilà donc l'intégralité de ma carrière de technicien du film. La composition musicale et la création de partitions sonores me donnent, à vingt-trois ans, un statut social plus enviable et épanouissant !

jeudi 1 mars 2007

Notre petite cuisine


Les blogs ont une fin. Le graphiste Paul Cox a tenu le sien à l'occasion de l'exposition Jeu de construction, à la Galerie des enfants du Centre Pompidou, du 16 février au 9 mai 2005. Mais son blog semble n'avoir duré que seulement quelques jours, quelques jours bien remplis.

J'ai déjeuné hier avec Bernard (Vitet) au New Nïoulaville à Belleville. Ça n'a pas trop changé, sauf qu'il n'y a plus un chat, un poisson-chat peut-être, c'est sinistre. Nous avons commandé ce que nous prenions lorsque c'était notre cantine, il y a plus de dix ans maintenant. Bernard a craqué pour sa salade de méduse pimentée, j'ai jeté mon dévolu sur la soupe de poisson cambodgienne au lait de coco et nous avons partagé des tripes aux haricots noirs et des pattes de poulet, le tout cuit à la vapeur. Nous pensions aller nous repaître d'un Phô', mais Dong Huong (14 rue Louis Bonnet, une des meilleures soupes Phô' à Paris) était en congés.
Bernard n'a pas arrêté de me contredire, mais avec tant de gentillesse et de délicatesse que c'en est un plaisir. Si jamais je suis d'accord avec lui, il semble contrarié. Il use très bien du paradoxe et nous ne cessons d'argumenter. La discussion porte sur l'humanisme, sorte de struggle for life originelle, donc sur la mégalanthropie envers les animaux (je ne vous ai pas conté un récent dîner où étaient également conviés Virginie Rochetti et Jacques Rebotier ; Bernard avait enfin trouvé des amis, des bêtes, des amis des bêtes) ou sur les élections pièges à cons ("Votez dur, votez mou, mais votez dans le trou !" Tiens c'est le second en deux jours à me rappeler ce slogan de 69). Il souhaiterait savoir comment j'imagine l'avenir, mais je ne peux qu'esquisser un "Pas différent du passé". Je fais toujours les mêmes rêves auxquels répondent toujours les mêmes cauchemars. Mes rêves me sont propres, mais j'ai la tristesse de partager mes cauchemars avec le reste de l'humanité. Les choses n'ont aucune raison de s'arranger. Il faudra attendre une grosse catastrophe. L'histoire se répète sans que l'on en tire les leçons. Dommage ! J'explique à mon ami que le confort dans lequel nous vivons est resté fragile. Je ne travaille ni plus ni moins qu'avant, c'est beaucoup, certes, certainement trop, mais j'aime ça. Et puis je ne crois pas avoir le choix.
Sur le chemin du retour, j'achète du riz : du thaï, du gluant et du rond japonais. Françoise a amélioré la recette de Donghee et mélange les trois pour trouver la consistance parfaite. Rappel du billet du 10 août 2005 (Paul Cox avait déjà arrêté son blog) : "... On peut mélanger 2/3 de riz rond japonais (Shinode chez Tang par exemple) et 1/3 de riz gluant. Le laver trois ou quatre fois. Rajouter de l'eau jusqu'à un peu moins d'une phalange au-dessus du riz. À feu vif jusqu'à ce que la vapeur s'échappe des bords du couvercle, puis 10 minutes à feu très doux. Laisser reposer. Texture parfaite !"