Les films de Luis Buñuel ont longtemps représenté le modèle de ce que je rêvais de faire. Le journal d'une femme de chambre d'après Mirbeau m'avait impressionné par son humour, son sens critique, la crudité des rapports, l'ambiguïté des personnages, la lumière, le montage... "Je suis pour l'amour moi, Célestine, pour l'amour fou..." (Piccoli à Muni) Les deux films avec Catherine Deneuve, Belle de Jour (qu'y a-t-il à l'intérieur de la boîte du Coréen ?!) et Tristana (érotisme brutal des derniers plans avec le son des cloches à l'envers) conservaient le mystère d'une œuvre où le sacré était découpé comme sur un étal de boucherie. Mon préféré était La voie lactée parce que j'avais l'impression d'apprendre quelque chose sur la religion tout en jubilant des dissections abyssales que Buñuel lui faisait subir. N'ai-je pas toujours été un hérétique ! Mais je n'ai jamais eu de crise mystique, mon père ayant réglé définitivement la question lorsque j'étais très jeune en me répondant par une phrase de Georges Arnaud : "Si Dieu existait, ce serait un tel salaud qu'il ferait mieux de ne pas s'en vanter." Exit. Pas d'intermédiaire. Je devais négocier directement avec la mort.


Je les ai tous aimés, d'abord les derniers, Le charme discret de la bourgeoisie ("le lieutenant a un rêve très sympathique à vous raconter" fait Piéplu), Le fantôme de la liberté (la colique du miserere), Cet obscur objet du désir (les attentats terroristes ponctuent le film de façon bizarrement prémonitoire). J'appréciais les titres longs. J'aimerais revoir La mort en ce jardin. Jean-André Fieschi me fit connaître la période mexicaine, Don Quintin, La vie criminelle d'Archibald de la Cruz, Los Olvidados, El (j'adore la scène où l'aiguille à tricoter transperce le trou de serrure), L'ange exterminateur, il y en a trop, en fait jamais trop, je me répète les dialogues et jubile toujours autant devant n'importe lequel de ses films, comme s'il stimulait chez moi quelque partie du cerveau dédiée spécialement à son œuvre ! À la sortie de l'Idhec, j'aurais aimé être son assistant ou celui de Godard. Cela ne s'est pas fait, alors je n'ai pas continué la voie de l'assistanat. Sur le tournage, Don Luis allait se faire acheter des chemisettes à manches courtes ou du camembert. Il s'amusait à saouler ses interlocuteurs. Il connaissait les grands textes, Marx, Freud, la Bible... Il tournait juste ce dont il avait besoin, montait en quatre jours.


J'ai glissé trois films dans le billet. Le premier est le premier, Un chien andalou, cosigné avec Salvador Dali, le traître. Il y avait trois amis, Buñuel, Dali et Lorca. Federico Garcia Lorca a été assassiné par Franco, Dali adopta sa cause, Buñuel s'exila... C'est lui qui sonorisa le film avec un tango et Tristan et Iseult. Le second est L'âge d'or, financé par le Vicomte et la Vicomtesse de Noailles en même temps que Le sang d'un poète de Jean Cocteau, est aussi le second. Je me souviens de mon exaltation lorsque je le découvris sur l'écran de la Cinémathèque au Trocadéro. Il n'existe aucun cinéaste qui me procure autant de jubilation. Le troisième est le Cinéastes de notre temps tourné par Robert Valey, le premier, celui qui inaugura la série d'André Labarthe et Janine Bazin.

Très beau coffret de 9 DVD essentiellement de la dernière période chez Studio Canal. Collector Un chien andalou chez Montparnasse Multimedia. Nazarin vient de paraître chez G.C.T.H.V. et on en trouve d'autres dans des petites collections à bas prix.