La parution dans Libération de Persepolis, la bande dessinée de Marjane Satrapi, ne m'avait pas du tout accroché. Peut-être était-ce sa place dans le journal, la qualité du papier ou les à-coups du feuilleton, mais je n'avais rien pressenti de sa qualité tant scénaristique que graphique. Tandis que je fais mon marché au Monte-en-l'air, rue des Pannoyaux, l'un des fournisseurs du magasin de BD me raconte qu'il l'a relue d'une traite la veille et que l'œuvre en a pris toute sa dimension. Je me laisse convaincre, mais je commence par un Blutch, un Clowes et un Sfar (voilà 15 ans que je suis largué rayon BD), avant d'attaquer le pavé de Satrapi. Et bien, je l'ai dévoré sans pouvoir le lâcher tant l'épopée iranienne est passionnante, à l'image du Maus d'Art Spiegelman. De plus, l'à-plat noir et blanc est parfaitement adapté à son sujet. Marjane, apprenant à dessiner des nus contrôlés par les barbus au pouvoir, a d'abord été réduite à se faire la main sur les drapés du voile. Elle en a acquis sa maîtrise, une économie de moyens pour un maximum d'informations et d'émotion. Le roman en images est depuis devenu un film d'animation réalisé en collaboration avec Vincent Parronnaud, Prix du Jury à Cannes (sortie en salles le 27 juin). L'excellent éditeur L'association publie les 4 tomes parus séparément entre 2000 et 2003 en un seul volume, décuplant sa puissance évocatrice. L'histoire se déroule entre 1980 et 1994 à Téhéran, avec une incartade autrichienne tout aussi édifiante que le compte-rendu de la "révolution" islamique. À travers sa propre histoire et son épopée familiale, la petite fille traverse le régime des mollahs, la guerre Iran-Irak, celle du Koweit, etc. Elle en ressortira grandie, adulte, pour une "success story" qui n'a rien de lénifiant. Comme Maus, Persepolis est une bande dessinée qui peut plaire à des lecteurs peu friands de bandes dessinées, mais qui aiment les histoires vécues, les romans épiques et les témoignages incontournables. Pour les autres, il y aussi le style, le trait, un monde en soi.