Les quatre jours de laboratoire nous ont permis de faire connaissance, d'apprécier nos similitudes et nos différences. Chacun repart avec une copie des enregistrements, libre de découper, monter, ajouter ce qui deviendra le premier mouvement d'une collaboration originale entre deux compositeurs. Notre prochaine rencontre sera certainement plus dirigée pour s'approcher de quelque chose que nous pressentons. Nous pensons à des voix, à des chansons, des guitares (cette fois, Franck Vigroux était venu sans), des documents sonores, reportages, événements dramatiques...
J'ai sorti mes synthétiseurs vintage comme le PPG et le DX7 que je n'avais pas utilisés depuis près de quinze ans. La première surprise est qu'ils fonctionnent encore. Je vais faire réparer le PPG dont les touches se bloquent et dont la mémoire est volatile. Heureusement, j'ai sauvé mes programmes sur un cd que je peux recharger à chaque rallumage. Le DX7 est équipé d'une carte Supermax qui multiplie incroyablement ses possibilités, le rendant, entre autres, multitimbral et lui adjoignant un puissant arpéggiateur. Franck détruit systématiquement leurs timbres avec ses filtres diaboliques. J'en ai commandé un en Allemagne. C'est une manière de leur donner un sacré coup de jeune. Le son crado, hard core, ne m'empêche pas de continuer à aimer la transparence du PPG, ses perspectives et ses lignes de fuite, mais ce n'est pas le style de la création que nous avons entamée. J'ai d'ailleurs utilisé des bandes que j'avais enregistrées entre 1965 et 1968, parmi mes premières œuvres électroniques, en les retraitant avec mon Eventide H3000.
Franck, qui de son côté voudrait recréer un orchestre symphonique, m'a demandé de souffler dans des instruments que j'ai également délaissés depuis trop longtemps : trompette, cornet, saxhorn, trombone, cor d'harmonie, hélicon, toute une section de cuivres. Même démarche avec les cordes, nous frottons violon, alto, violoncelle et contrebasse. La section de cordes est composée essentiellement d'instruments de la lutherie Vitet : le frein est une sorte de contrebasse à tension variable, l'alto est en laiton et plexiglas avec un manche à sillets, le violoncelle est un huitième, il n'y a que mon violon qui soit "normal" ! Je fais ce que je peux. Le montage fera le reste !
Nos voies sont enregistrées sur des canaux séparés. C'est une pâte sonore extrêmement riche, avec des distorsions si importantes que l'électronique retrouve une matière palpable. Des alliages inouïs, que nous n'aurions pas imaginés sans nous rencontrer, naissent de ce travail alchimique. J'attendrai quelques jours pour réécouter les trois heures (nous avons été raisonnables !) que nous avons mises de côté. Nous connaissons déjà le titre de l'œuvre à venir, mais chut ! Nous pourrions réveiller les démons qui dorment en chacun de nous... Une manière discrète de parler de "vous".