L'oracle interrogé me renvoie évidemment à moi-même, nul besoin d'être devin ou psychanalyste pour le comprendre. Le vendredi 13 du mois qui se termine, je rappelais la phrase de Cocteau, Puisque ces mystères me dépassent, feignons d'en être l'organisateur... Un clou chasse l'autre. Je ne suis plus du tout comme un poisson dans l'eau, car je suis devenu muet devant les questions qui m'assaillent. Elles concernent le monde qui se transforme, et plus particulièrement celui qui m'anime, ni conspiration du bruit ni monde du silence, mais la musique, l'organisation des sons, son propos et sa raison d'être. La musique a le mérite de pouvoir absorber les deux autres. Je décide d'écrire un papier pour le Journal des Allumés qui sortira début octobre à partir de ces difficultés à décider de la direction à emprunter. J'en perds mon latin. Je l'illustrerais de films sortis en dvd pour le publier dans ma rubrique Sur l'écran noir de vos nuits blanches qui revêtira ainsi un sens inédit. Organiser le chaos mental. Je m'explique, du moins je vais essayer, pour éviter de boire la tasse.
Devant l'offensive contre l'intelligence et la culture dont la "droite décomplexée" se fait des gorges chaudes, pour combattre les options choisies par les multinationales sonnant la mort du disque, face à la mystique de la virtualité, je ne vois que deux chemins. On peut suivre la voie tracée par le progrès (c'est comme ça que l'on appelle le plus souvent l'incitation à la consommation) en fonçant sur le Net et ses multiples propositions : sites de téléchargement payant, réseau à la MySpace, illusion participative du Web 2.0, banques d'archives babylonienne, etc. Dans cette perspective, les indépendants devront inventer une façon de nager en eaux troubles, au milieu d'une flotte impériale plus puissante que jamais. Pourquoi pas ? Toutes les révolutions commencent par une étincelle (après la goutte d'eau qui...). On ne peut pas rester les bras croisés, condamnés à l'attentisme ou au suivisme.
Ou alors, on est très attaché à l'objet et l'on refuse que la dématérialisation des supports soit la seule option possible (les deux options ne semblent pas incompatibles), et là encore il faudra faire preuve d'invention pour ne pas être relégué à un fétichisme nostalgique. Aucun d'entre nous ne peut défendre la galette de plastique argentée comme support idéal de la reproduction musicale, pas plus que le vinyle ou la bande magnétique. On s'en fiche, seule la musique mérite qu'on la protège. Il faut que les œuvres circulent. À qualité égale, que regrettons-nous dans le remplacement de l'objet par sa diffusion hertzienne, satellite ou câblée ? Réponse : tout sauf la musique ! À savoir l'écrin qui l'accompagne et non le support qui l'accueille. Ce peut être un livret, des paroles, une analyse, des images, une création graphique, que sais-je ? Justement ! Quels objets pourraient accompagner la musique ? Est-ce que l'édition graphique, littéraire ou autre chose ? Doivent-ils être attachés ou séparés de l'objet porteur de musique ?
Avant la reproduction mécanique, la musique se consommait autrement. Par exemple, les passants achetaient les paroles, des petits formats, pour chanter dans la rue. Après (et le pétrole vint à manquer), on trouvera d'autres façons. Mais quelle musique restera-t-il à se mettre sous la dent ? Le capital misant tout sur la vitesse, il va nous falloir penser vite et agir dans la foulée si nous ne voulons pas être entraînés par une lame de fond qui pourrait tout emporter sur son passage pour ne conserver que ce qui est utile. Utile à quoi ? L'art ne peut répondre à cette notion, la musique parfois, ou mieux, son absence. Son inutilité de surface garantit notre bonne santé sitôt que nous sommes attirés dans les profondeurs. Il est ce dont les rêves sont faits...