70 octobre 2007 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mercredi 31 octobre 2007

faire ce que je ne sais pas faire


Aujourd’hui se tourne une page de ma vie musicale. Relier toutes les pages constituera peut-être un jour un livre. Le virage est plus intellectuel que factuel. J’ai terminé 18 pièces courtes pour le label Cézame. Si l’une d’elles leur plaît, je serai content. Les éditions KokaMedia ont été créées il y a déjà 25 ans par Frédéric Leibovitz qui m'a recontacté après ma participation à l'album Hommage à Moondog. La collection réunit thématiquement des œuvres contemporaines conçues pour illustrer des productions audiovisuelles. C’est la crème de l’illustration musicale. Denis Levaillant nous avait mis sur le coup il y a une dizaine d’années. Le Drame avait sorti deux titres sur la compilation L’étrange (tiens tiens !) et j’avais fait un solo de cythare inanga sur Ailleurs. Cela ne nous avait rien rapporté, mais on ne sait jamais, il suffit qu’un réalisateur s’entiche d’un morceau et que cela passe à la télé… Sur les derniers albums parus, je lis les noms de Parmegiani, Zanessi, Dupin, Didier Malherbe, Redolfi, Vanot, Musseau, Bosseur, Bjürstrom, Rocher, Letort, Hersant, Lasry… Les disques peuvent même s’écouter pour eux-mêmes. J’ai tout composé avec la Pâte à son et FluxTune, les boîtes à musique que j’ai inventées avec Frédéric Durieu. Il ne m’est pas toujours facile d’être sobre, monotone, et positif par dessus le marché ! Je suis trop friand de dialectique. Cette fois, je me suis cantonné à des choses très simples.


Une page se tourne chaque fois que je me sens désœuvré. Le travail ne manque pas, mais c’est la fin d’un cycle. L’écoute des entretiens de Varèse m’a confirmé mes choix récents. Je n’ai pas choisi de retourner aux sources, mais de repartir de là. La la la. La meilleure façon de se renouveler : retrouver la motivation de départ lorsque tout était à inventer. On cherche à faire du neuf, mais c’est en recommençant à zéro que l'air entre par la fenêtre... La rédaction de mon texte sur l’étincelle créatrice à paraître sur Poptronics a contribué à produire ce déclic après lequel je cours désespérément depuis une dizaine d’années, depuis que le Drame est en veilleuse. Établissement d’un ciel d’alternance a été enregistré en 96, le dernier album d’Un Drame Musical Instantané était Machiavel en 1998. Je ne crois pas que je referai des disques, il y en a suffisamment au catalogue GRRR et sur d’autres labels. Je voudrais faire un truc "impossible" en reprenant le travail de laboratoire. J’ai proposé à Franck Vigroux de composer ensemble un opéra, il a suggéré qu’il soit également vidéographique. C'est une façon de rencontrer du monde. Peu importe le temps que cela prendra, un an, deux ans, trois ans… J’ai besoin des voix pour donner du corps à la musique. Je réfléchis à ce qui me plaît lorsque je suis en studio : jouer avec mes cordes vocales, imaginer des bruits avec n’importe quoi, triturer le son, monter et bouger. Le geste instrumental est totalement jouissif. Dehors, j'écoute les bruits de la nature ou des machines. Je vais continuer à gérer le quotidien (musical) en me rendant utile avec mon travail "appliqué", mais j’ai autant besoin de déranger que de rêver. Il faut surtout que je recommence à faire ce que je ne sais pas faire.

mardi 30 octobre 2007

Des biscuits pour l'hiver


Nous sommes passés à l'heure d'hiver. Il pleut. Le métro est au sec. C'est un lundi à courses. Je mise sur le tiercé : récupérer mes lunettes en réparation, acquérir Leopard pour mon petit Mac et éventuellement jeté un coup d'œil aux nouvelles parutions disques-films-livres. Il faut bien dépenser son salaire. L'argent qui dort est immoral, comme celui qui naît de l'argent. Il faut que cela circule. Gagner du fric n'a aucun intérêt, si ce n'est pour le dépenser. Je ne regrette pas la période où je ne payais pas d'impôts, où je n'avais pas de toit à recouvrir. Il faut créer des trous d'air dans le compte courant pour qu'il ait la place de se remplir. La dépression appelle le plein. Je mise tout sur les courants d'air.
Lunettes donc. J'aime celles qui ne se voient pas lorsque je regarde avec, mais j'en cherche toujours des bizarroïdes. Elles ont hélas souvent les montures fragiles : les branches se cassent, les verres se dévissent. J'en laisse une paire quand j'en récupère une autre. Celles que je me suis fait faire en catastrophe à Séoul pour quelques euros (soit plus d'une centaine de milliers de wons) me sauvent d'une presbytie bigrement handicapante. Je louche sur une Mikli rouge et noire avant de m'enfouir sous terre pour dévorer les derniers chapitres du Jour des fourmis.
Dans le trou, le vendeur de Leopard me dit d'attendre la version familiale pour cinq ordinateurs, mais le représentant d'Apple a la sincérité de me confier que c'est une question légale et non technique. Je repars avec le nouveau système qui prendra deux heures à installer. C'est rigolo, un peu plus pratique, mais je ne suis pas renversé par les nouvelles fonctions. On en reparlera, à l'usage. Francis m'envoie un instantané de notre conversation de la veille. Tentative de transmission de pensée ? Prise de têtes ?
Les élucubrations du Drame me manquent depuis trop longtemps. Du contenu ! La moisson de films et de disques s'avère plus excitante que la glorification de la boîte à outils. Je cherchais Ceux de chez nous de Sacha Guitry depuis des lustres. En 1914 et 1915, il a l'intelligence de filmer les hommes célèbres qui vont mourir, et il les filme au travail : Rodin sculpte devant sa caméra, Renoir peint les mains perclues de rhumatismes avec le pinceau coincé dans ses bandages, Saint-Saëns (de face) fait semblant de diriger un orchestre avec seulement Alfred Cortot au piano hors champ... Tandis qu'il les immortalise, Guitry raconte de sublimes anecdotes sur Monet, Edmond Rostand, Degas, Sarah Bernardt, Mirbeau, Anatole France ou son père. N'ayant pas encore regardé le reste du coffret (LMLR), compléments dont je n'ai souvent jamais entendu parler, je pense y revenir...
Continuant ma chasse aux archives, j'attrape le volume 6 de l'incontournable collection Retour de flamme que poursuit Lobster. Je me demande si mon acquisition de La chinoise est motivée par l'intérêt qu'y porte Jonathan ou si j'ai vraiment envie de revoir le film de Godard. Je penche plutôt pour le plaisir de revoir l'ami Séméniako dans ses jeunes années.
Le sac que je porte sur le dos est aussi lourd que mon billet serait long si je détaillais aujourd'hui chaque petite merveille dégotée là. Disons que je reviendrai sur tout (pas) une fois pour toutes, histoire de ne pas bâcler leur compte-rendu : Du praxinoscope au cellulo, un demi-siècle de cinéma d'animation en France (1892-1948) avec 14 films en bonus DVD, le précédent volume de David A. Carter 2 Bleu, un Routard sur le Laos (j'ai une idée derrière la tête qui pourrait m'écarter un moment de cet intarissable blog) et trois disques de musique contemporaine étonnants.


On y arrive. Music for the Gift (elision fields) réunit quatre pièces des débuts de Terry Riley (entre 1960 et 1965) où le compositeur traite les instruments avec des magnétophones par réinjections et délais. Celle qui donne son titre à l'album a pour soliste le trompettiste Chet Baker, avec à ses côtés Luis Fuentes, George Solano, Luigi Trussardi et John Graham ! Je reconnais des similitudes avec le travail électroacoustique de Bernard. La Monte Young participe à la plus ancienne, Concert for Two Pianos and Five Tape Recorders. C'est roots, passionnant ! J'enchaîne avec Audiodrome (stradivarius), quatre pièces pour ensemble du génial Fausto Romitelli interprétées par l'Orchestre Symphonique de la RAI dirigé par Peter Rundel découvert lorsqu'il était à la tête de l'Ensemble Modern. Compositeur disparu le 27 juin 2004 à l'âge de 41 ans, Romitelli ne laisse pas quantité d'œuvres, qui méritent toutes plus d'un détour, ici Dead City Radio. Audiodrome, EnTrance, Flowing down too slow et The Nameless City. L'album Professor Bad Trip reste pourtant mon préféré, suivi de l'opéra avec vidéo An Index of Metals.


J'ai gardé le meilleur pour la fin, depuis le temps que j'attends l'édition audio des Entretiens avec Edgard Varèse par Georges Charbonnier. Le livre édité en 1970 d'après les enregistrements de 1955 est une de mes bibles. Ses phrases m'ont marqué de manière indélébile, je les cite et les récite. Varèse avait tout rêvé, donc tout inventé. C'est d'une intelligence aussi prodigieuse que Le style et l'idée de Schönberg et les écrits de Glenn Gould ou John Cage. Mais c'est mon chouchou, mon grand-père dans l'histoire du récit puisque je dois ma "vocation" à Frank Zappa. Écoutez la voix du bourguignon, les flèches qu'il décoche, son amertume aussi de ne pas avoir été entendu, et le pire (ou le meilleur) est donné en bonus exceptionnel à la suite des deux heures d'entretien remarquables, le scandale de la création mondiale de Déserts au Théâtre des Champs Élysées le 2 décembre 1954 sous la direction d'Hermann Scherchen. La preuve est là, comme si on exhumait à son tour le scandale du Sacre, la première œuvre hybride pour bande magnétique et orchestre, huée, sifflée, acclamée aussi, la salle coupée en deux, bataille d'Hernani opposant la vieille vulgarité à une jeunesse renversée. On en pleurerait. Déserts est la première pièce que j'entendis de lui, elle révolutionna ma vie. Je n'eus de cesse de mélanger les sons instrumentaux avec les sons de synthèse et les manipulations électroacoustiques. Et puis il y a les Entretiens (INA). C'est terrible comme on peut se reconnaître dans la pensée d'Edgard Varèse et encore plus terrible de savoir qu'il est resté plus de vingt ans sans écrire et que toute son œuvre tient en 2 CD. Edgard Varèse est d'une intelligence prodigieuse, d'une humanité critique exemplaire. Son regard sur l'histoire de la musique est une leçon qui vaut des années de conservatoire. Le comble est qu'il est celui qui s'en est affranchi. Il a inventé la musique contemporaine. C'est un modèle, un modèle dramatique et visionnaire. Pour quiconque, quel que soit son art, espère être de son temps, passer à côté de Varèse est de l'ordre du renoncement.

lundi 29 octobre 2007

Françoise sur eBay


Françoise s'est évité un déménagement en vendant ses meubles de Barbès sur eBay. Bonnes affaires pour celles et ceux qui ont remporté les enchères. Le lit à baldaquin est parti à 2,50 euros ! Tout n'a pas été aussi catastrophique heureusement. Il reste encore quelques bibelots qu'elle brique avant de les placer sur le site marchand. Elle a un peu de mal à s'organiser pour éviter que les enchères se terminent un vendredi ou un samedi soir. Plus on laisse l'objet longtemps en exposition, plus l'enchère peut grimper, puisque le nombre des clients potentiels augmente sur la durée. Les prix de réserve dissuadent les acheteurs, alors souvent Françoise démarre à un euro. Elle fait des photos de tout cela sous tous les angles, et hop ! Le seul problème, c'est que son désir d'acheter est aussi fort que celui de vendre, délire partagé par de nombreux eBayeurs. Ceux qui se sont déplacés pour emporter leurs lots étaient tous au demeurant charmants.
Parfois il y a des anicroches, pas en ce qui la concerne, mais la Poste a perdu la magnifique paire de lunettes Matsuda que Bernard avait achetée à Donna en Floride. Vous avez alors soixante jours pour vous plaindre et régler le litige.

dimanche 28 octobre 2007

Un samedi comme les autres


C'est un samedi, un samedi comme tous les samedis, mais pas les miens. D'habitude, je n'en ai pas, des habitudes oui, des samedis connais pas. Sauf que j'évite de faire les courses le samedi après-midi et de sortir en auto le samedi soir. C'est l'avantage et l'inconvénient de travailler chez soi et à son compte. On ne sait pas s'arrêter.
Donc, c'est un samedi et nous allons au Puces de Montreuil chercher des douilles à baïonnette pour le lustre que Françoise a rapporté de Barbès et accroché dans la salle à manger. Les douilles actuelles n'ont plus le même diamètre, à croire que c'est exprès pour faire marcher le secteur quincailler. Sur le chemin, Françoise me force à m'inscrire à la médiathèque municipale. Les médiathèques recèlent des trésors cachés, des idées insoupçonnables, des évidences écartées, et leur accès est gratuit. Les Puces, c'est presque pareil. Si les trouvailles sont payantes, leur prix est souvent dérisoire. On trouve essentiellement de l'outillage, des bibelots et des vêtements. En pédalant pour remonter la côte, nous sommes attirés par les raïtas, les percussions et les youyous accompagnant un mariage à la sortie de la mairie... Au-dessus de la noce, on peut lire "Liberté Égalité Fraternité", derrière les musiciens une plaque à la mémoire de Salvador Allende. C'est gai et joyeux. C'est un samedi.
Je ne regrette pas d'être allé me promener. Comme chaque fois, je commence par dire non. Le contraire des mariés. Je réfléchis ensuite. Une minute plus tard, je reviens sur mon refus. Je ne peux tout de même pas dire non à tout. Réagissant toujours très (voire trop) vite, je me protège par la négative, pour pouvoir me donner le temps de peser le pour et le contre, et finalement me laisser convaincre. Je dis non d'abord, comme je commence toujours par les mauvaises nouvelles avant de me rassurer avec les bonnes. Je préfère aller du moins vers le plus plutôt que le contraire. Bien que je déteste les codas en musique, je garde toujours le meilleur pour la fin. Traînant les pieds de prime abord, j'enchaîne toujours de bon cœur, dès que je me suis fait à l'idée, une idée qui me dérange, car tout me dérange avant que je ne m'y plonge puisque je suis ailleurs immergé. Rien de reluisant, c'est l'expression de mon côté râleur. L'autre face est plus sympathique, me laissant surprendre par la vie avec d'autant plus d'entrain que je lui ai résisté. Mon refus a façonné mon imagination. Mais c'est tout de même d'abord non.

samedi 27 octobre 2007

L'œil sans queue ni tête


Les animaux se suivent, mais ne se ressemblent pas. Après les requins (du 20 heures), les lapins (wi-fi), le cygne (bâché), le chat (sur canapé), la vache (à coller), je me souviens de celui-là, mais pas de la manière dont je m'y suis pris pour qu'il n'ait pas peur. Œil pour œil, mais sans les dents. En y repensant, peut-être que la fixité exprime sa terreur ? Peut-être regarde-t-il nulle part. A-t-il fallu batailler pour l'alpaguer ? L'histoire de l'œil. Françoise le tenait-elle ? Le poil et la plume, enregistrée par le Drame avec Frank Royon Le Mée il y a vingt ans déjà, est notre pièce préférée pour récitant et orchestre. Le texte était extrait des Météores de Tournier. On m'avait reproché d'avoir choisi un auteur de droite. Qu'est-ce que j'ai pris lorsque j'ai travaillé avec Houellebecq ! Chaque animal a sa manière de voir, en couleurs ou monochrome, en relief ou à 360°, plus ou moins bien, de face ou de côté, et le cerveau recompose la réalité, mais combien de réalités coexistent ? Même les aveugles disent "je vois". Le bout de mon nez n'est pas bien loin. Loucher n'est pas la double vue. Il en faudrait un troisième au milieu du front. Trois pour la voyance, deux pour le relief, un pour le roi. Je n'en ferme jamais qu'un seul.
Il fut un temps où je portais des lunettes noires dans le métro pour voir sans être vu. La presbytie eut raison de cette obscurité frelatée. Un soir, dans un couloir de la station Arts et Métiers, sentant que je vais me faire agresser par un gars à la mine patibulaire, j'ôte mes lunettes noires pour éviter les plus gros dégâts. Le type ne comprend pas mon geste fataliste, et le traduit par un fatal "tu veux la bagarre, pas de problème, je retire mes lunettes". Détendu, j'étais seulement résigné à en prendre une. Arrivant à mon niveau, le méchant, impressionné, change de tronche et me fait "yeah, blues brother, man !". Nous sommes passés au travers grâce à une erreur d'interprétation. Les évènements rapides me donnent l'impression d'avoir croisé les corps comme des ectoplasmes, de les avoir traversés.

vendredi 26 octobre 2007

Bien timbré


Piégé sur une des ces portions d'autoroute ne présentant aucun danger si ce n'est celui d'être propice à l'installation d'un radar, je colle un timbre approprié à ma contravention pour avoir roulé à 105 au lieu de 90 km/h. Cela ne me redonnera pas un point au permis, mais on se soulage comme on peut.
Je trouve plus sympa ou rigolo d'affranchir toutes mes lettres et cartes postales avec des timbres de collection qui collent au contenu de mes missives. Ainsi, dans le tiroir de mon bureau, j'ai le choix pour mes enveloppes ne dépassant pas vingt grammes : Spirou ou Fantasio pour les gens pressés, Le Professeur Tournesol pour les savants qui travaillent du chapeau, Cubitus pour les stressés à déstresser, Le Chat de Geluck pour toutes sortes de raisons bien précises (il y a le choix, c'est une bande de dix timbres différents), un grand merci ou un cœur... L'année du cochon aurait pu aussi bien convenir pour accompagner mon chèque au Trésor Public, mais j'aurais risqué la censure qui a déjà touché Placid. Il reste encore les poulets, mais la Poste n'a édité aucun timbre à leur effigie, du moins ces derniers temps. Pour les plis plus chers, je possède une collection d'animaux et de plantes, le Parc de la Tête d'or, un Nicolas de Staël, une halle Baltard et je fais l'appoint avec des jeux vidéo et les éternels Marianne. Il me reste encore une bande à dix francs reproduisant la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, mais je n'arrive pas à m'en dessaisir. Il est important de savoir que l'on peut affranchir ses envois avec tous les timbres présents, passés et à venir, exceptés ceux imprimés par le gouvernement de Vichy, encore une bien maigre consolation.

jeudi 25 octobre 2007

Le rêve du chat


Dans le rêve du chat, je nage infatigablement vers Françoise qui me tourne le dos en serrant un cœur sous son bras. Les réflexions en abîme montrent d'autres rêves avec d'autres cœurs. Quant au miroir, il reproduit la scène dans un style abstrait réalisé avec des objets concrets. L'eau courante jaillit du sol, l'abat-jour est renversé pour dessiner un cœur, le visage porte un masque. Les autres cadres - une main indique les toilettes, des pinceaux forment tableau, la nuit envahit le lointain - ne font que légender l'action qu'un simple clic sur l'interrupteur suffirait à gommer. Surpris par ces représentations récurrentes, nous nous demandons si nous existons autrement que dans le rêve du chat qui squatte la conversation depuis que Françoise l'a rapportée de chez XXO.

mercredi 24 octobre 2007

600 pastilles noires


Avant la naissance d'Elsa, j'étais déjà branché par les livres animés dont les dessins se déplient lorsqu'on les ouvre et qu'on appelle des pop-ups. J'ai continué à en acheter, mais depuis qu'elle a grandi j'avais un peu arrêté de m'intéresser aux livres pour enfants, question d'opportunité bien qu'il m'arrive régulièrement de flasher sur un livre-objet qui me fait retomber en enfance. Depuis La maison hantée de Jan Pieńkowski, j'avais trouvé Drôles de singes, La parade des animaux, Les habitants du désert, Cache-cache... comme de nombreux livres d'anamorphoses, d'illusions d'optique ou de stéréoscopie. Il y a deux ans, Etienne m'avait fait saliver avec Un point rouge. Tandis que je le cherchais, bien qu'il soit depuis longtemps épuisé, je tombais sur le nouveau du même auteur, David A. Carter, 600 pastilles noires (Gallimard Jeunesse). Il aurait publié entre temps 2 Bleu dans le même esprit, des formes modernes très différentes des autres pop-ups souvent platement figuratifs. Je peux rester des heures à voir et revoir les mécanismes de papier qui s'animent. Pendant ces moments-là, au moins, je ne suis pas devant mon ordinateur !

mardi 23 octobre 2007

Clichés


Antoine m'épingle en blogueur entre deux représentations de Nabaz'mob. Jusqu'ici, j'ai toujours trouvé un endroit pour mettre en ligne, mais c'est parfois au prix de certaines gymnastiques. Pour conduire notre chœur de cent lapins, je m'étais encore habillé en carotte et Antoine en bâton. Face au public, j'anthropomorphise les petits robots, mais c'est surtout l'occasion de dire quelques mots, de mettre un visage sur nos noms. Nous ne représentons qu'une énième déclinaison du Dr Frankenstein. Les deux malles pleines de créatures sont reparties ce matin chez Violet. J'ai conservé un double des clefs.


Détendus, Françoise et moi passons notre dernière journée à Amsterdam à flâner et faire du shopping dans les petites rues qui coupent les canaux : alcool d'œuf et genièvre, gadgets design, bonbons écœurants, fromages hollandais... Françoise a également trouvé l'oreiller en duvet dont elle rêve depuis longtemps ! Pour les garçons, il existe encore ici des vespasiennes qui rendent la vie plus facile, surtout lorsque l'on marche longtemps (au thé chaud) et qu'il commence à faire frais. Pour les filles, il y a des coffee-shops un peu partout et des cafés plus traditionnels !


Face à notre hôtel, un architecte imagina six maisons chacune dans le style d'un pays différent, ici l'anglaise, l'hollandaise et la russe. Nous reprenons le tramway vers la gare nettement plus chargés qu'à l'aller. Il semble souvent plus simple de faire ses courses partout ailleurs qu'à Paris, comme si nos yeux se réveillaient d'une séance d'hypnose... Le Thalys traverse les Pays-Bas et la Belgique pour rejoindre la Gare du Nord en 4h11.

lundi 22 octobre 2007

Marathon discipline, marathon suicide


Une théorie récente veut que Van Gogh eut été atteint d'une maladie à l'oreille qui le faisait souffrir et transformait sa perception des couleurs. La version historique prétend que lors d'une altercation avec son ami Gauguin, il aurait retourné le couteau contre lui et se serait mutilé l'oreille. Tout s'est terminé par une balle dans la poitrine en 1890. À la librairie du musée, je rachète des reproductions du champ de blé avec corbeaux, du semeur, des deux tableaux japonisant inspirés d'Hiroshige, du crâne à la cigarette et d'une lettre à son frère Théo. À quelques pas de là, devant le Rijks, nous tombons sur le Marathon d'Amsterdam.
Cocteau disait que le fascisme ne pouvait pas prendre en France, parce que les Français sont trop indisciplinés, "c'est une cuve qui boue, qui boue, mais ne déborde pas." Nous aimons tant resquiller et désobéir ! Il est amusant de comparer l'autodiscipline des peuples lorsque l'on voyage. Ainsi avons-nous été confrontés à une situation absurde à nos yeux. Il était absolument interdit et impossible de traverser le marathon coupant la ville en deux. Maÿlis fut dans l'incapacité de récupérer sa valise à l'hôtel pour pouvoir repartir. Il aurait suffi d'attendre qu'il n'y ait aucun coureur et pousser une simple barrière pour franchir les dix mètres en question. Cette dérogation est ici impensable et c'est plus de deux kilomètres que les passants durent exécuter pour regagner le trottoir opposé, quatre pour aller chercher sa valise ! Une seule passerelle était posée devant le Rijks formant un embouteillage piéton, avec en option bicyclette à l'épaule. Les Amstellodamois s'autodisciplinent et les marathoniens défilent tordus, suant, crevés, devant le cygne affolé d'Asselijn.


Nous nous écroulons à notre tour, épuisés d'avoir tant sillonné de rues et de canaux, avant de repartir vers les rues rouges où la mise en scène des prostituées tient d'un théâtre renversé. Ce sont les filles qui frappent à leur propre porte, de l'intérieur, pour appeler les messieurs. Au chaud, elles regardent les badauds passer dans le froid. Elles ont parfois personnaliser la décoration de leur "chambre avec vue" comme le choix de leur bikini. Les vitrines éclairées en rouge sont aussi peu hypocrites que les cafés où l'on peut acheter de l'herbe ou du hasch sur un menu, comme on commande un petit alcool ou un chocolat. Mais la question est la même que partout : combien ? Dans le clocher, le carillon ne joue plus. Sans presqu'aucune automobile, la nuit est calme.

dimanche 21 octobre 2007

Cent lapins au pays des tulipes


Pas de carotte cette fois pour Nabaz'mob, mais une version nouvelle, plus dynamique et haute en couleurs. Nous avons disposé les bestioles directement sur le sol car la salle en gradins permet à tous les spectateurs d'apprécier le spectacle. Nous avons également changé de microphones, passant d'un système de plaques PZM à 24 micros sur pieds. Ainsi le public comprend que le son provient du ventre de chaque lapin, cent synthétiseurs, cent haut-parleurs. Le plus étonnant fut la qualité de concentration des bestioles qui ne jouèrent jamais aussi bien que ce soir !


Je rame un peu pour trouver une connexion Internet. L'ambiance est douce, comme toutes les villes où les bicyclettes ont imposé leur loi. Les gens sont aimables, certainement moins stressés par le trafic automobile quasi inexistant. Il faut seulement faire attention aux tramways qui débouchent sans crier gare. Nous terminons la soirée à de Rokerij avec de la Haze locale, dans un décor multicolore de lumières monochromes.

samedi 20 octobre 2007

Amsterdam à bon port


Après un peu de marche à pieds, nous avons réussi à attraper le Thalys malgré la grève. Certainement influencé par les prouesses masochistes de Bruce Willis, un abruti qui avait choisi de voyager en équilibre entre deux wagons du métro empêchait la rame de partir.
J'avais préparé des cataplasmes, sandwiches au jambon où l'on remplace le beurre par des rillettes, mais le personnel ferroviaire n'a pas arrêté de nous nourrir à la même fréquence qu'en avion. Cela ne nous a tout de même pas coupé l'appétit pour aller dîner au Tempo Doeloe, considéré comme le meilleur indonésien d'Amsterdam : un feu d'artifices de saveurs, 25 plats du plus doux au plus épicé, lente montée vers l'enfer (le 25ème de cette Rijsttafel Istemewa fut fatal, même pour un fanatique du piment comme moi) ! Nous étions allés digérer la ribambelle de repas de midi au Rijksmuseum. La lumière des Rembrandt est toujours aussi épatante et les trois Vermeer restent mes préférés de tout le musée. Je n'étais pas retourné à Amsterdam depuis une quinzaine d'années. Françoise retrouve l'original de l'énorme tableau qui est accroché le long du lit de la chambre bleue à La Ciotat, un portrait de vieille femme priant de Nicolaes Maes qu'elle attribuait erronément à Frans Hals. Tournant le dos au cheval cabré de Constable, je me retrouve en face du cygne en colère de Jan Asselijn dont j'ai souvent envoyé la reproduction en carte postale.


Les rues sont calmes, envahies de vélos, nous marchons le long des canaux. Nous avons profité de l'après-midi pour goûter un délicieux space-cake au chocolat dans un coffee-shop psychédélique. L'âge des clients était étonnament étendu : petites jeunes filles, mamies, rastas trentenaires... Léger, aérien...
Mardi dernier, curieux de toutes les musiques, Robert Wyatt demande à ce que l'on n'éteigne surtout pas nos téléphones portables pendant sa conférence de presse. Cela tombe à pic : jusqu'au 3 février 2008, le projet sonicobject, label de sonneries contemporaines monté par Antoine Schmitt et Adrian Johnson, est exposé au festival video vortex, Nederlands Instituut voor Mediakunst. Nous sommes 18 compositeurs et compositrices à avoir participé à cette formidable expérience et le hasard veut que j'arrive à Amsterdam le jour du vernissage.
C'est notre fête. Après Nantes et Amiens, Nabaz'mob, l'opéra pour 100 lapins communicants, écrit avec Antoine, finit sa tournée de rentrée par trois représentations ce soir au Centre De Balie lors du symposium sur les impacts sociaux des RFID, Recalling RFID. Pour l'occasion, nous avons écourté légèrement le premier mouvement en réduisant les pauses entre les phrases et rajouté un intermède rythmique avant le second. J'ai hâte d'entendre le chœur anarchique des bestioles interpréter la nouvelle version.
Le matin, la lumière sur le Vondelpark est simplement hollandaise.

vendredi 19 octobre 2007

Les requins du 20 heures


La peur est mauvaise conseillère. Mathilde me signale ce petit mode d'emploi pour formater l'audience du 20 heures sur TF1 en composant un plagiat des ''Dents de la mer'' ! C'est avec ce genre de détails que l'on forge l'opinion. Du "cerveau humain disponible" ne se fabrique pas du jour ou lendemain. Le stress infantilise le spectateur en dramatisant l'information, mais de façon la plus anecdotique possible. Heureusement, la pub qui enchaîne derrière constitue une bouffée d'air dont il aura besoin pour se détendre. C'est simple, habile, efficace. La tension fragilise le téléspectateur (le 20 heures), la détente favorise sa disponibilité à ce qui suit (la pub), l'ensemble anesthésie toute faculté critique. L'abonné en redemande, il finira même par aller voter pour ses bourreaux. C'est un vieux programme que l'on servait déjà avant l'invention de l'électricité. La peur est complice de toutes les manipulations.

jeudi 18 octobre 2007

Chaud froid


Nous ne sommes pas grand chose. Il suffit d'un claquement de doigt pour que tout bascule. En bien comme en mal. C'est ce qui nous tient, cette alternance imperturbable de bonnes et de mauvaises nouvelles. Une amie tombe gravement malade. Deux petites sœurs perdues de vue depuis trente ans refont surface. L'amie est courageuse. Elle pense à nous. Je me suis écroulé. Jean s'est relevé pour écrire Assez. Toujours marcher. Je suis allé embrasser Alfie au Divan du Monde. Robert était en forme, les cheveux et la barbe taillés. Impossible de rester : je présentais FluxTune au Cube dans le cadre de Dorkbot, mais je n'avais pas trop le cœur à l'ouvrage. Le son n'y était pas. Le public semblait pourtant content. Le lendemain, c'était hier, je suis resté en peignoir toute la journée, mais j'ai enregistré 24 morceaux. Le soir, je suis allé écouter Fat Kid Wednesdays au Zèbre pour me changer les idées.


La danse de Saint-Gui de Michael Lewis lui permet de contrôler dynamiquement le volume de son saxophone. Le pied droit en dedans, le dos courbé vers le sol, il ne cesse d'avancer, reculer, comme il souffle, éructe, tantôt mat tantôt brillant, phrases délicates, langage transposé mélodiquement. Les sales gosses jouent les anciens avec la fougue juvénile que le free exige. C'est mercredi, y a pas école ! Je vois pourtant défiler Ayler et Ornette sortis droit du tombeau. Tombeau, c'est le nom d'un hommage en musique classique. Tombeau d'Albert Ayler. Tombeau d'Ornette Coleman. Mais qu'est-ce je raconte ? Si on a repêché Albert dans l'East River, Ornette vit toujours à New York. Pour une fois que le jazz me prend ! Même le solo de batterie de JT Bates sonne comme une chanson. Courbé, bossu, le batteur effleure à peine les peaux ou saute sur son siège comme un diable jaillit de sa boîte, Jack out of the Box ! Je n'avais pas non plus entendu de basse aussi ronde depuis Mingus, une nuit Fête de l'Huma : Adam Linz garde son flegme de bout en bout pendant que les deux autres garnements se trémoussent d'impatience contenue. C'est simple. Fat Kid Wednesdays laissent espérer des lendemains qui chantent.

mercredi 17 octobre 2007

Schönberg par Huillet et Straub


Les films de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub se prêtent bien à l'édition DVD. L’intimité sied bien au couple, tant ils paraissent toujours s’adresser à chacun individuellement, à l’endroit même où les questions prennent forment. Personnalités absolument complémentaires, Danièle disparue l’an passé, comment Jean-Marie continuera-t-il son chemin ? Lorsque j’étais jeune homme, j’appréciais leur gouaille à l’accent parigot et leur engagement. Leurs colères étaient à l’image de leur travail, ni dramatiques ni épiques, mais simplement rigoureuses, comme venues d’une longue tradition de résistance.
Les Éditions Montparnasse proposent le premier volume d’une intégrale qui paraîtra à raison de deux coffrets par an. À côté de leurs deux premières œuvres, Machorka-Muff et Non réconciliés (Nicht Versöhnt), voici une magnifique manière de découvrir Arnold Schönberg avec les trois films que Huillet et Straub consacrèrent au compositeur dodécaphoniste viennois. Machorka-Muff est "l’histoire d’un viol (viol d’un pays auquel on a réimposé une armée, alors qu’il était heureux d’en être débarrassé)." Non réconciliés est celle "d’une frustration (frustration - de la violence) – d’un peuple qui a raté sa révolution de 1849, et qui ne s’est pas libéré lui-même du fascisme".

Pour présenter Schönberg, Jean-Marie Straub scande "Danger menaçant, peur, catastrophe". Ce sont les seules notes que le compositeur a laissées pour sa Musique d'accompagnement pour une scène de film. Dans leur Introduction, les cinéastes filment un homme lire une lettre de Schönberg de 1929 à son ami Kandinsky pour s'insurger contre ses positions antisémites et contre le tournant terrible que va prendre l'histoire. Suivent un discours de Brecht de 1935 contre le fascisme, la photo des Communards dans leurs cercueils, un bombardier, un article sur Auschwitz. Pas de film. Juste la musique.
L'orchestre s'accorde d'abord, c'est le seul moment réussi dans un concert classique même lorsque le reste est raté ! Filmé à la Dreyer, D'aujourd'hui à demain est un opéra bouffe où le compositeur cherche à montrer "que ce qui n'est que moderne et à la mode ne vit que d'aujourd'hui à demain." Une femme récupère son mari en suscitant sa jalousie. Sous couvert d’une scène de ménage, Schönberg fait une critique sévère du monde de 1929, l’année de la lettre… Si Danièle Huillet est reconnue comme l'alter ego de Jean-Marie Straub, l'auteur du livret, sous le pseudonyme de Max Blonda, n'est autre que Gertrude Kolisch, seconde femme de Schönberg. Gertrude est le titre du dernier film de Dreyer. Les chefs d'œuvre se croisent, et parfois se rencontrent.
Le plat de Résistance est l’opéra Moïse et Aaron, combat essentiel de l’idée contre l’image, opposant le geste et la parole. Depuis trente ans, la photo des deux barbus trône au milieu des rares bibelots de ma bibliothèque. Si Wozzeck de Berg et Pelléas et Mélisande de Debussy m’ont fait comprendre et apprécier l’opéra, celui de Schönberg est le seul qui m’ait autant fait réfléchir. Les deux actes (le troisième est inachevé) reposent sur une seule série de douze sons et ses variations. L’orchestre dirigé par Michael Gielen est enregistré, mais les chanteurs sont en direct dans les lieux mêmes de l’action. Chef d’œuvre du cinéma, chef d’œuvre de la musique du XXème siècle, Moïse et Aaron est un des rares exemples où le film n’est pas une valeur ajoutée, mais l’analyse critique d’un processus, tant dans l’exposé de son argument que dans la musique.

mardi 16 octobre 2007

Gens de sac et de corde


Il faut parfois du temps pour que les informations nous parviennent. Hier s'amoncellaient dans ma boîte un paquet de mails concernant la visite de policiers à la Librairie Le Thé Troc, rue Jean-Pierre Timbaud dans le 11ème arrondissement de Paris, accusée d'avoir exposé un dessin les représentant arrêtant un type qui a peint sa maison en couleur alors que les autres de la rue sont grises. La chose est inquiétante après l'interdiction du livre de Placid, après la confiscation à la Librairie du Monte-en-l'air d'une affichette de soutien à Lamine Dieng mort dans un fourgon de police, après le scandaleux procès à La Rumeur et autres bavures culturelles qui rappellent les premiers indices d'une époque sinistre que certains croyaient, à tort, définitivement révolue. La moindre critique satirique portant atteinte à l'image de la police transforme ses auteurs en gibier de potence.
Au-delà de la sinistre farce jouée par les pandores, on peut s'interroger sur le fait que l'information en question fut publiée le 6 juillet dernier sur le site d'indymedia et qu'elle est présentée comme si cela s'était produit aujourd'hui. Si les résistants qui relaient ce genre d'annonce ne vérifient pas leurs sources, ils risquent de décrédibiliser l'outil que représente Internet pour lutter contre toute censure. Ce n'est pas la première fois que cela se produit, on se souvient des fausses déclarations de Le Pen qui aurait cité Hitler, par exemple. La presse professionnelle (qui oublie vite les panneaux dans lesquels elle tombe régulièrement) et le pouvoir (qui les a souvent commandités) sont trop heureux de montrer que ce n'est que rumeur pour étouffer la concurrence ou l'opposition sur un terrain qu'ils ne maîtrisent pas. Alors, vérifiez scrupuleusement les informations, faites des recoupements, avant de sonner l'alarme. Rappelez-vous ce que l'on nous répétait enfants : la prochaine fois, on ne te croira pas. C'est plus grave que cela n'en a l'air. Les affaires sont sérieuses. Et moi qui espérais repeindre ma maison en orange sanguine, j'entends déjà se dresser les gibets.

lundi 15 octobre 2007

Vue d'une chambre de bonne


Il n'y a plus de bonnes, rien que des familles d'immigrés, avec ou sans papiers. Ils vivent souvent nombreux dans une petite pièce. On ne sait pas qui est le frère, qui est le père, qui est la tante ou la voisine. Les liens du sang sont élastiques, on peut être cousins à la mode de Bretagne. On dit "mon frère" en parlant à un ami, "ma sœur" à une fille que l'on drague. Mon père me dit un jour que la famille n'est rien, qu'il faut choisir ses proches en fonction de leurs idées et de leurs actes. Dans Mischka, Jean-François Stévenin raconte qu'il y a la famille que l'on a et celle que l'on se choisit. L'une subit le passé, l'autre prépare l'avenir. Sans amour, c'est un concept vide. Le reste concerne les gènes, mais là nous sommes hors du coup, réduits à jouer notre rôle de véhicule, un point c'est tout. Les tests ADN peuvent répondre à une question intime, mais aucune loi ne peut les justifier. Le secret est une bombe à retardement avec laquelle chacun peut jouer au risque d'y perdre son âme. Si l'État s'en mêle en ajoutant des quotas, c'est l'horreur la plus abjecte qui se dévoile. Combien de nègres tiennent dans un wagon à bestiaux ? Combien de Boings pour faire le vide ? Combien d'envols assassins pour que les voisins se réveillent ? Combien de temps avant que cela soit mon tour ?
Du haut de la chambre de bonne, on peut admirer le Sacré-Cœur, monument élevé pour célébrer la chute de la Commune. Thiers aurait aimé Sarkozy. Au premier plan, un autre siège, celui d'une banque. On continue le pano vers le bas. Hors-champ, Barbès. L'arc-en-ciel des peuples laisse espérer des lendemains colorés qui nous feront peut-être oublier notre époque grise, couleur de l'argent. Comble du goût poulbot, le soleil laisse traîner quelques rayons d'or sur la basilique de merde qui continue de jouer les immaculées. "Ah ça non... Tout de même !" s'exclame Brialy dans Le fantôme de la liberté. Si j'avais tourné la tête à gauche, j'aurais vu la Tour Eiffel et mon billet aurait été tout autre.

dimanche 14 octobre 2007

Résurrection de Scott Walker


Scott Walker est-il en phase avec son époque ou appartient-il à cette catégorie d'artistes qu'on dit en avance sur son temps parce que le monde autour traîne paresseusement les pieds ? La vitesse et le temps dépendent toujours du système de repères choisi. On les dits relatifs, depuis qu'un violoniste a posé que l'énergie est égale au produit de la masse par la vitesse au carré. La masse s'abat sur la caisse en bois de plus d'un mètre d'arête comme les poings frappent le quartier de viande de toute leur énergie sans oublier le temps qui file. Chaque son, millimétré, frappe le corps et l'imagination parce qu'ils répondent au propos d'un artiste qui a refusé de vendre son âme au diable. Les violons partagent leurs âmes avec les sons électroniques et les effets électroacoustiques du laboratoire. Leur concepteur est un être hypersensible et critique qui n'a pas voulu joué le rôle de pop-star qu'on lui offrait du temps des Walker Brothers. The Sun Ain't Gonna Shine Anymore. Aucun d'eux ne s'appelait Walker, aucun n'était frère. L'argent n'éatit pas son moteur. Comme Zappa rêvait de composer pour orchestre symphonique et gagnait sa vie avec des chansons pour teen-agers en rebellion, Noel Scott Engel (son vrai nom) passa des succès sucrés de boys band des années 60 aux adaptations amères de Jacques Brel pour aboutir aux diamants noirs Tilt et The Drift que j'évoquais il y a quelques jours.
30th Century Man, le film de Stephen Kijak retrace la vie étonannte de cet intellectuel américain, amateur d'Ingmar Bergman dont il chanta Le septième sceau, qui émigra dans le Swinging London pour fuir la guerre du Vietnam et parce qu'il était fan des comédiens Margaret Rutherford et Terry-Thomas. Il resta un passionné de cinéma dont on retrouve maintes citations dans son œuvre de Dreyer à Godard en passant par Bresson, Jancso, Pasolini, Visconti, Fassbinder, mais aussi de littérature, Kafka, Camus, Beckett, comme de politique. Ce ne sont pas des alibis. Les chansons de Scott Walker sont traversées d'images et d'émotions fortes, de réflexions sur le monde, de poésie sombre et binaire. Ne cherchez pas le groove ni le swing, nous dit-il. C'est un compositeur européen, inspiré par les classiques et les modernes, par leurs orchestrations inventives et majestueuses. Si sa voix est unique, ses timbres orchestraux le sont aussi. Regardez-le enregistrer The Drift, couché à plat ventre sous le cube géant.

Cette biographie de deux heures (DVD Verve) est produite par David Bowie qui s'est toujours réclamé de Scott Walker. Y témoignent également Radiohead, Jarvis Cocker (Pulp), Brian Eno, Damon Albarn (Blur, Gorillaz), Neil Hannon (The Divine Comedy), Marc Almond, Alison Goldfrapp, Sting, Dot Allison, Simon Raymonde (Cocteau Twins), Richard Hawley, Rob Ellis, Johnny Marr (The Smiths/Modest Mouse), Gavin Friday, Lulu, Peter Olliff, Angela Morley, Ute Lemper, Ed Bicknell, Evan Parker, Hector Zazou, Mo Foster, Phil Sheppard, Pete Walsh... Les extraits sont magnifiques, l'aventure étonnante, la musique envoûtante. Les séances d'enregistrement de la musique de Pola X de Leos Carax convoquent je ne sais combien de guitaristes et de batteurs dans un immense entrepôt. Électrique. Comment, crooner baryton de variétés adolescent, devient-on cet artiste réfléchi de 63 ans construisant un monde inouï qu'il faudra encore au moins dix ans au public pour apprécier ? Ses propos rappellent ceux d'un autre outsider écœuré par les réactions du public, le pianiste Glenn Gould. Quelles souffrances dut-il endurer ? Quel silence l'habita longtemps ? Quel avenir nous prépare-t-il ? Vous le saurez peut-être lors d'un prochain épisode...

samedi 13 octobre 2007

Second Life, le monde impossible



Je suis allé hier soir au Théâtre Paris-Villette pour la soirée de lancement du livre présenté par Agnès de Cayeux, "Second Life un monde possible", dont Poptronics livre quelques extraits en pdf. Comme le phénomène m'était resté hermétique, j'ai essayé de comprendre l'intérêt de cet univers persistant (évoluant en l'absence des joueurs), en ligne et en 3D, qui fait les gorges chaudes de toutes les communautés branchées, avides de nouveaux territoires pour échanger ou spéculer. On m'avait déjà expliqué que le "génie" de ce nouvel artefact était d'avoir inventé une monnaie qui manquait aux mondes précédemment créés sur un modèle proche comme l'Habbo Hotel. Le Linden Dollar est échangeable contre de véritables dollars US, et même indexé dessus ! Il n'est pas de mon ressort de décrire comment les Residents font évoluer Second Life, comment ils se construisent un avatar, acquièrent une parcelle, construisent une maison, etc. Le site lui-même (version française) ou Wikipedia sont là pour promouvoir l'objet. Je note seulement que la prostitution et les jeux d'argent font florès sur "Second Life", qui fonctionne comme l'écho virtuel du monde réel. La spéculation immobilière en est encore à ses balbutiements et il est tout de même possible de "jouer" sans argent, bien que tous reconnaissent que c'est plus sympa d'en avoir ! Les pauvres, principalement issus de l'Asie du Sud-Est, campent, faute de pouvoir se construire une maison d'architecte, jouant le rôle de métayer ou de gardien des propriétaires en titre qui peuvent ou non laisser entrer les visiteurs dans leurs demeures. Sur Second Life, il y a même une prison. L'intérêt de cet univers fantôme où l'exploitation de l'homme par l'homme acquiert de nouvelles lettres de noblesse est d'anticiper un modèle de commerce et d'échange à venir. Si la chose est expérimentale, elle ne manque pas d'intéresser en France les partis politiques, le Front National en premier, suivi par les Socialistes et les autres, comme par la BNP-Paribas qui y investit des sommes importantes. Chacun peut la façonner selon ses souhaits, mais l'heure et les saisons, communs à tous, sont évidemment celles de la Californie et l'arbitre se nomme Lindon Lab.
En dehors du fait que c'est d'une laideur achevée, Second Life m'apparaît comme une vision utopiste des plus réactionnaires où l'argent, la propriété, la spéculation, les communautés tribales et bien d'autres éléments dont j'aurais plutôt rêver me débarrasser dans le meilleur des mondes, dessinent une seconde vie des plus morbides.

vendredi 12 octobre 2007

Radar


Je devrais me réjouir d'être submergé de travail, mais je déteste me retrouver sous pression. Je me passerais volontiers de certains aspects de la pré- ou post-production. Impossible de composer les jours où l'administration m'envahit. J'arrive à écrire, mais un billet me prenant vingt minutes minimum (c'est plus proche de deux ou trois heures), je n'ai actuellement pas le temps de rédiger les articles que je souhaiterais sérieusement aborder. D'autant que je termine des chroniques pour le futur Muziq et prépare déjà le n°21 des Allumés. En outre, un arbre s'étant abattu dans le jardin, j'ai dû passer une matinée à débiter des mètres cube de branchages au lieu d'avancer sur ce que j'avais à faire.
Du côté de Nabaztag, les enregistrements reprennent avec l'anglais et l'allemand d'un nouveau service, le gourou, déjà bouclé dans les autres langues avant l'été : vous lui posez une question et il répond ! J'ai composé de nouveaux jingles pour un autre service tout neuf à base de RFID, à l'intention des enfants, mais chut, c'est une surprise. J'adore les surprises. Celle-ci est de taille puisqu'il les emmènera dans des contrées interactives. Le protocole midi me pose plein de problèmes, car les timbres sont reproduits de façon variée selon les synthétiseurs qui les jouent, et je n'ai pas encore de simulateur instrumental pour celui qui est abrité dans l'estomac du lapin. Le midi permet d'envoyer les notes (hauteur, rythme, durée, volume), mais l'instrument peut être très approximatif, surtout pour les percussions (programme polytimbral du canal 10) qui collent bien à ce projet. J'abandonne provisoirement les sons cristallins du glockenspiel pour une flûte très mélodique.
Avant de filer (je fais attention de ne pas dépasser la vitesse limite et de garder les yeux grands ouverts), je vous livre trois adresses, la première est celle du site Arrêt sur images qui fait suite à l'émission déprogrammée sur France 3. L'équipe de Daniel Schneidermann, hébergée par Riff, est sur tous les fronts de l'actualité étouffée par les médias dominants. Vous pouvez également vous connecter à Rue89, site réalisé par trois anciens de Libé, fonctionnant avec l'aide des internautes qui envoient articles, photos, vidéos, etc.
Pour terminer, un peu de distraction avec Neon Bible, un clip interactif réalisé par Vincent Morisset pour le groupe Arcade Fire (site sympa), signalé par Étienne Mineur dont je suis le blog avec la plus grande assiduité.
Bientôt dans cette colonne, l'homme du trentième siècle et six cents points noirs !

jeudi 11 octobre 2007

Heroes, l'impossible c'est le réel


"Comment peux-tu acheter des trucs pareils ? Toutes mes copines regardent ça ! Cela m'étonne de toi ?" Euh, ben, justement, il faut souvent mieux aller voir par soi-même pour savoir de quoi ça retourne. J'ai bien regardé dix minutes de Loft, un Journal de 20 heures chaque année (pas en entier, j'ai craqué avant la fin), quelques spots de pub tous les trois ans, j'ai même lu une rumeur sur la femme de Napoléon IV jusqu'au bout... Alors ! Les grosses machines qui font de l'audience ne sont évidemment pas toutes du produit formaté et le cinéma d'art et d'essai recèle plus d'une boursoufflure prétentieuse. Il fut un temps où le cinéma populaire et le cinéma d'auteur n'étaient pas parqués chacun dans son pré, mais fusionnaient allègrement pour le bonheur de tous. Les découvertes sont passionnantes tant que la critique peut s'exercer, elles sont même recommandées.
Les vingt trois épisodes de la saison 1 de Heroes (site français), d'une durée totale de plus de quinze heures, constituent un des meilleurs films de science-fiction qu'il m'ait été donné de voir, probablement parce qu'il ne se cantonne pas au genre, mais croise références psychanalytiques, mise en garde politique et rêves de paranormalité de l'adolescence. La qualité exceptionnelle du scénario évoluant au fil des chapitres nous plonge dans un monde où l'impossible est le réel. Notre actualité brutale et ignominieuse montre que plus le mensonge est gros, mieux ça passe dans l'opinion : la vérité est intolérable ! En faisant attention de ne rien dévoiler du scénario, je suggérerai seulement que la multiplication des personnages est intrinsèque, qu'aucun d'eux n'est entièrement ni bon ni mauvais, que les liens filiaux sont le nerf de la guerre et que la génétique expliquerait bien des choses. Les effets spéciaux n'étouffent en rien le propos et la bande dessinée y gagne de belles lettres de noblesse. Heroes, feuilleton stupéfiant et addictif, propose suffisamment de niveaux de lecture pour plaire à des spectateurs très variés, même si le message est clair : sauvez le monde ! Avec en bémol des références explicites au complot qui perd chaque jour son statut de théorie, comme l'exprimaient déjà les scénaristes de la cinquième saison de 24 heures chrono. Méfiez-vous des puissants qui prétendent sauver le monde ! Ils le détraquent souvent pour prétendre venir à son secours ensuite... Vieille tactique...

Notes :
La musique est signée par Wendy Melvoin et Lisa Coleman, les Wendy et Lisa qui accompagnaient Prince, et Linderman est joué par Malcolm McDowell qui tenait le rôle principal d'Orange mécanique.
La seconde saison est actuellement diffusée en V.O.D. par TF1 le lendemain de la diffusion américaine de chaque épisode, mais j'attendrai le coffret DVD, plus agréable à suivre tant l'intrigue est parfois complexe...

mercredi 10 octobre 2007

Le droit de rêve


Hier, dans les pages Rebonds du quotidien Libération, Franz Vasseur, avocat au Barreau de Paris, spécialiste en droit de la propriété intellectuelle et en droit des affaires, titrait Vive la grève par gratuité !. Il révèle une solution astucieuse, suggérée et espérée depuis des lustres, pour faire pression sur le patronat sans ennuyer les usagers, à savoir la gratuité des services les jours de grève. Ou comment redonner aux mouvements sociaux leur popularité perdue sous les coups de butoir du Capital qui a réussi à faire oublier ce qu'était la solidarité interprofessionnelle ? Jusqu'ici, il m'avait été répondu que la grève par gratuité était interdite pour des raisons de sécurité et d'assurances. L'arrêté de la Cour Européenne du 17 juillet dernier est le camouflet le plus cinglant au service minimum de Sarkozy qu'il enterre ipso facto. Service complet donc, sans avoir besoin de débourser un sou pour les usagers des transports en commun. Les détenteurs de la carte orange n'y verront que du feu, mais les autres apprécieront la forme de cette nouvelle grève. Quant à la SNCF, c'est le droit de rêve qui retrouve sa place : tous à la mer et à la campagne, à moins qu'on aille simplement manifester sa solidarité avec les guichetiers et les contrôleurs ! "Les conditions édictées par la Cour pour la grève par gratuité semblent être les suivantes : 1) une action collective relevant de l’exercice des droits syndicaux, 2) décidée et organisée par un syndicat et 3) avec l’information préalable des autorités (et, en France, préavis à l’employeur)." Ces jours-là, plus de "chtonk le billet", si ce n'est ceux du patronat...

mardi 9 octobre 2007

Scott Walker : Orphée ou Cerbère ?


Il y a quelques temps, Benoît Hické relatait, sur le blog de Poptronics, la sortie du dernier cd de Scott Walker et d'un dvd qui lui est consacré. J'avais évoqué ici-même deux albums absolument sublimes de cet ex-Walker Brothers (The Sun Ain't Gonna Shine Anymore) passé par l'adaptation de Brel en anglais pour arriver aux aussi brillants que lugubres Tilt (1995) et surtout The Drift (2006), recueils de chansons innommables tant par sa manière de chanter et la gravité de ses textes que par l'invention instrumentale.
Le fourreau sombre, à peine lisible, granuleuse surface lunaire de pierre volcanique, donne le ton. L'intérieur du digipack en papier recyclé fait renaître le toucher de façon presque maladive, comme caresser de la laine de verre. And Who Shall Go To The Ball ? And What Shall Go To The Ball ? est une pièce purement instrumentale composée pour un étrange ballet (la Candoco Dance Company comprend des danseurs handicapés) de Rafael Bonachela qui, lors de ses précédentes créations, a travaillé avec Kylie Minogue. Quelques sons électroacoustiques, le London Sinfonietta, des plaques de métal : la partition oscille entre un minimalisme ardent et une marche bancale qui n'avance que par à-coups. L'œuvre ne dure pas plus de 25 minutes, mais l'énergie qu'elle requiert suffit à vous donner envie de le remettre encore une fois sur la platine. Avec ce gros point d'interrogation, Scott Walker affirme sa démarche de compositeur résolument contemporain déjà présente sous sa voix de baryton atonal dans son chef d'œuvre précédent. The Drift (site à visiter) n'est pourtant pas à mettre en toutes les mains, car il risque de faire flipper pas mal de monde, comme jadis Captain Beefheart avec Trout Mask Replica. C'est trop lugubre, trop visionnaire, trop personnel pour que cela plaise aujourd'hui. On préférera généralement oublier la brutalité de l'époque dans une insipidité festive et une ivresse de surface. Il faudra probablement attendre pas mal d'années pour que son travail soit apprécié à sa juste valeur. Le trouble qu'il procure me rappelle aussi Pier Paolo Pasolini ou Joel Peter Witkin.
J'attends d'un jour à l'autre le dvd 30th Century Man commandé sur amazon.co.uk

lundi 8 octobre 2007

Symbiose lagomorphe


Le Petit Robert, accessoire indispensable dans sa version CD-Rom, indique que lagomorphe décrit "l'ordre des mammifères herbivores comprenant les lièvres et les lapins", possédant une paire d'incisives de plus que les rongeurs. Le dictionnaire révèle surtout que symbiose vient du grec sumbiôsis, de sumbioun « vivre (bioun) ensemble (sun) ». Il exprime "l'association durable et réciproquement profitable entre deux organismes vivants."
En ce qui nous concerne, il s'agit de cent lapins Nabaztag de première génération et de deux artistes manipulateurs. Nous parlons à l'oreille des bestioles pendant les répétitions, mais sur scène nous leur communiquons les ordres via wi-fi. Je fournis les carottes et ils nous nourrissent. Samedi soir, la Nuit Blanche amiénoise fut l'occasion de retrouvailles émouvantes, car c'était la première fois depuis un an que la partition était jouée telle que nous l'avions écrite, avec ses zones d'ombre et ses évidences lumineuses. Les représentations nantaises avaient donné lieu à une interprétation passionnante, mais non conforme à nos désirs de compositeurs. La lenteur des routeurs avaient produit d'intéressants glissements et un score en tuilage qui n'avaient rien à voir ni à entendre avec l'original. Grâce aux ombrelles d'Ozone, la structure émergea enfin du chaos, l'harmonie reprit ses marques, le délai imposé se recala sur les dix secondes prévues initialement, le silence réintégra la partition et les carottes plurent comme au premier jour. En comparaison des martellements électro et des excitations urbaines de la Nuit Blanche (JDA du 3/10), le public trouva notre opéra cool et apaisant, ce qui ne manqua pas de contrarier Antoine qui souhaite produire d'inquiétantes interrogations que l'absence de véritable création lumière, fut-elle très sobre, nous interdit samedi soir, mais qui était, par contre, réussie au Festival Scopitone. Les prochaines représentations auront lieu à Amsterdam le 20 octobre pour Recalling RFID au Centre culturel et politique De Balie en collaboration avec l'Institut des Cultures en Réseau.


Le voyage à Amiens, organisé par numeriscausa, nous donna l'occasion de revoir Yacine qui présentait Ex-îles, réalisé avec Naziha, dont les reflets inondaient la voûte gigantesque de la cathédrale médiévale, et de rencontrer Miguel Chevalier dont les Surnatures projetées sur une façade se pliaient au gré des déplacements turbulents de la jeunesse énervée par la douceur de la nuit.

dimanche 7 octobre 2007

Boîte à fantasmes


Les signes dispersés dans une photo me plaisent lorsque sa lecture révèle progressivement des surprises, certaines plus lisibles que d'autres. L'orage fait peur, il fascine. L'orage fait toujours rêver. Lorsqu'il donne son nom à une "Boîte à fantasmes", c'est carrément orgiaque. Hélas, ce n'est pas pas un train fantôme ni une baraque de foire, mais seulement un club échangiste de Montréal qui a élu domicile dans une ancienne banque d'épargne. En regardant leur site, on constate que la réalité est plus crue, voire sordide. N'est-ce pas le lot de la plupart des fantasmes ? Le désir s'estompe à mesure que s'approche le passage à l'acte. Il n'y a que l'orage, impossible à enregistrer ni à filmer, dont la réalité dépasse l'imagination.

samedi 6 octobre 2007

Nabaz'mob à Amiens pour la Nuit Blanche


Nous partons ce matin à Amiens pour présenter Nabaz'mob, notre opéra pour 100 lapins communicants. La ville a adhéré à cet évènement initialement parisien, qui s'est en outre étendu à plusieurs capitales étrangères. Antoine et moi dirigerons la meute de ces coquins à 21h et 23h à l'Auditorium Dutilleux. En dehors des œuvres ou des spectacles, la Nuit Blanche est une occasion de sortir et de parfois découvrir des lieux alternatifs dans son quartier. L'année dernière, nous avons eu la surprise de constater un nombre incroyable d'initiatives dans le nôtre, une nuit off en marge de la programmation officielle ! La Nuit Blanche proprement dite est une opportunité pour nombreux artistes de toucher un large public avec des installations artistiques ambitieuses, difficiles à monter dans des conditions ordinaires.
Ce n'est pas le cas de nos 100 lapins qui ont commencé à gambader de ville en ville, s'échappant de la tâche domestique pour laquelle ils ont été initialement programmés. 100 rebelles parmi 200 000 Nabaztag vendus à ce jour ne peuvent mettre en péril le succès de la petite bête. Chacun sait pourtant que les révolutionnaires constituent une force dynamique qui permet au système de perdurer en l'empêchant de s'endormir sur ses acquis.
Pour ne pas reproduire les problèmes de synchro, donc de tempo, rencontrés à Nantes (interprétation au demeurant fort intéressante !), nous emportons trois routeurs beaucoup plus puissants, des ombrelles, comme à New York. Sur le site de l'opéra, nous avons récemment ajouté les derniers articles de presse (Le Monde, Libération, 20minutes...) et le court reportage tourné par France 3. La caméra d'Antoine s'étant enrayée à Nantes, nous comptons filmer le spectacle cette fois-ci. Nous savons que le film de Françoise a été déterminant dans la tournée de Nabaz'mob. Antoine me raconte que, lors d'une création d'Atau, il a vu débarquer une équipe de télé au complet pour pouvoir ensuite vendre la performance à des festivals. Il n'y a rien de plus convaincant qu'une vidéo.
Lorsque nous dirigions le grand orchestre d'Un Drame Musical Instantané (1981-1986), Youenn Le Berre et Didier Petit m'avaient reproché d'éditer systématiquement l'enregistrement des premières représentations qui étaient fatalement moins au point que les suivantes. Pour des petites structures comme les nôtres, si nous n'avions pas produit le disque de la première, il n'y aurait probablement pas eu de seconde. Vingt ans plus tard, je rééditerais bien les enregistrements originaux augmentés de quelques captations plus tardives.
En ce qui concerne Nabaz'mob, nous n'avons pas eu ce problème, même si chaque représentation s'avère différente, selon les conditions techniques (phénomènes aléatoires de la programmation) et scéniques (disposition et sonorisation variables). Nous attendons chaque nouvelle interprétation de nos petits robots avec la plus grande joie et curiosité.

vendredi 5 octobre 2007

Speedy Gonzalès


Trop affairé, je ne fais que passer.
Pas de regret, je vous offre de revenir sur les billets que vous auriez manqués, plus de 700 depuis 4 août 2005. Courage !

jeudi 4 octobre 2007

L'enclume


Je bosse, je bosse. Le pop'lab que je me suis engagé à écrire pour Poptronics, le site dirigé par Annick Rivoire, me donne du fil à retordre. Ma contribution en pdf, qui s'intitule provisoirement "L'étincelle" (hommage à Iskra ?), aborde l'instant fugitif où naît l'idée créatrice. Je me suis lancé dans une impro sans plan prélable en choisissant de compléter le texte, dans un second temps, par des extraits audio en mp3, des liens vers des sites, des images, ainsi qu'une playlist généraliste ; le tout sera mis en forme par Toffe. Lors de la soirée de lancement du site le 8 décembre prochain au Théâtre Paris-Villette, j'interviendrai en solo, musique et image, parmi d'autres convives qui ont souvent déjà publié leur pop'lab : Nicolas Frespech, David Guez, Pierre Giner et Doki Doki, Vincent Elka, peut-être Agnès de Cayeux... Rien d'officiel encore, mais je compte bien m'y amuser.
On croit toujours en avoir terminé, et puis un coup de fil suffit pour que l'on doive reprendre le mixage du clip Europa. Cette fois, la troisième, il faut supprimer le son de deux bouchons de Champagne, mais cela exige évidemment de tout remixer. L'automatisation et la sauvegarde des données sont, dans ce cas précis, fort appréciables. Je coupe, je mixe, j'exporte, je compresse, et le fichier son se retrouve sur mon site ftp pour que Bruxelles puisse le caler sur l'image avant de l'envoyer en fabrication.
La une, très claire, d'Efix fait respirer le n°20 du Journal des Allumés que je suis allé chercher à l'imprimerie "Rouge". Sa sortie sera fêtée en "fanfare" (façon de parler, c'est la deuxième soirée des Allumés du solo, et ils seront sept ce 18 octobre à Brest) lors du festival Penn Ar Jazz.
Le reste est un puzzle de petites choses qui prennent beaucoup de temps lorsqu'on les additionne, courrier (à lire et à poster), mails (je réponds à tous), téléphones (je laisse parfois sonner, mais celui de Jac Berrocal m'a fait très plaisir, cela faisait bien dix ans que nous ne nous étions pas parlé), travaux (la municipalité installe des barres pour parquer les deux roues devant chez nous), échanges en milieu le plus tempéré possible, etc. J'accompagne le tout avec les albums d'Hélène Labarrière (les temps changent qui vient de sortir chez Émouvance, en compagnie de Corneloup, Poulsen et Marguet), de Robert Wyatt (comicopera) qui a signé les notes de pochette d'Hélène, des premiers Brigitte Fontaine (chez Saravah) et d'un ancien album des Recedents (chez nato)... ainsi que d'un délicieux porcelet rôti qui vient du magasin portugais de Montreuil (première sortie à droite sur l'autoroute A3).

mercredi 3 octobre 2007

Comicopera de Robert Wyatt


Robert Wyatt sort Comicopera, recueil de chansons "pop" formant trilogie avec les deux précédents Shleep et Cuckooland. Frédéric Goaty et Anne Ramade m'ayant demandé d'interviewer Robert pour Muziq, je suis allé chercher un exemplaire presse chez P.I.A.S. qui le distribue afin d'en discuter avec lui.
Que ce soit lui ou moi qui appelle, je me laisse chaque fois impressionner par le timbre inimitable de sa voix. Il dit ne pas en être conscient. Il chantait des cantiques de Noël lorsqu'il était petit, mais rien ni personne ne lui laissait penser que son grain, sa couleur avaient quoi que ce soit de spécial. La voix de Robert Wyatt est comme la trompette de Miles Davis, il suffit d'une seconde pour l'identifier et vous faire chavirer. Craignant qu'il ne soit bientôt gavé par la tournée de promotion qui commence, je préfère le joindre rapidement. C'est lui qui décroche, la voix blanche et haut perchée avec léger zozotement, en pleine forme, heureux d'assumer enfin le rôle de producteur indépendant (chez Domino) et d'avoir négocié des contrats qui protègent correctement ses œuvres.
Pas question de déflorer ici la teneur de notre entretien qui sera publié un de ces jours dans Muziq, mais juste quelques mots pour annoncer le nouvel opus qui ravira ses fans, de plus en plus nombreux. Dans le dossier de presse, Robert explique que comicopera' se réfère à la comédie qui concerne les hommes en opposition à la tragédie qui se rapporte aux dieux. L'album se découpe en trois actes, le premier, lost in noise, est très tendre, le second, the here and the row, s'engage plus ardemment tandis que le troisième, away with the fairies, reprend des titres déjà enregistrés sur des petits labels étrangers que Robert souhaitait voir réintégrer le corpus mieux distribué internationalement et en proposer un remix : Del Mondo découvert sur un CD de Maurizio Camardi que l'on retrouve sur Hasta Siempre Comandante figurant à l'origine sur l'excellente compilation-hommage The Different You, le poème de Lorca Cancion de Julieta auquel tient tant Alfie, sa compagne, auteur de la majorité des textes et sans qui rien n'existerait ici, et remarquablement accompagné par Chucho Merchan au violon basse...
Les autres musiciens sont réunis dans un ensemble imaginaire, un orchestre idéal qui n'existe que dans la tête de l'auteur, puisqu'il n'a enregistré avec eux qu'un par un : Brian Eno (clavier), Annie Whitehead (trombone), Paul Weller (guitare), les israéliens Yaron Stavi (violon basse) et Gilad Atzmon (vents), ainsi que David Sinclair (piano), Phil Manzanera (guitare ; la majorité des prises ont été faites dans son studio), Del Bartle (guitare), Orphy Robinson (steel pan et vibraphone), Beverley Chadwick (sax baryton), Jamie Johnson (l'ingénieur du son joue de la basse) et, pour finir, Alfonso Santimone (claviers), Alessandro Fedrigo (basse), Paolo Vidaich (percussion), Gianni Bertoncini (batterie). Last but not least, le chanteur s'est entouré d'autres voix que les siennes, superbes, comment pouvait-il en être autrement ? Celle de la Hong-Kongaise Seaming To ressemble à un Theremin sur le premier morceau signé Anja Garbarek, Stay Tuned. Il forme un duo avec la Brésilienne Monica Vasconcelos pour le second, Just as You Are, et Fragment, et échantillonne tous ces gosiers pour en jouer avec son karenotron (Karen Mantler), son monicatron ou son enotron, lorsqu'il n'accumule pas les rôles, jouant de la trompette, des claviers, de la guitare, de la percussion évidemment, renversant le sens de lecture... Robert me raconte comment il compose, comment il enregistre, comment il improvise enfin. Il continue à rêver, malgré une époque brutale qui l'a poussé à aller encore manifester contre l'implication de la Grande-Bretagne en Irak. Il a besoin des chansons en italien ou en espagnol pour l'entraîner loin de l'hégémonie anglo-saxonne, l'Englandry abhorrée. Comme d'habitude, l'homme, la musique, la voix, tout est simple, limpide, et d'une incroyable richesse, parce qu'il laisse la place à l'émotion de chacun. Une légèreté qui ouvre l'appétit, celui de l'imagination.

Photo d'Alfreda Benge.

mardi 2 octobre 2007

L.F. Céline swingue


En introduction de son entretien avec Louis Ferdinand Céline, Louis Pauwels annonce d'emblée l'ambiguïté de l'écrivain, pitoyable chantre de l'antisémitisme dans Bagatelles pour un massacre, mais romancier de génie dès son Voyage au bout de la nuit. Car Céline, c'est le style, le style qui ne s'acquiert pas sans mal, sans un long travail acharné ! Il fait passer le langage parlé dans une écriture qui swingue littéralement, et ses "grands entretiens" enregistrés de 1957 à 1961 sont de fascinants témoignages de l'originalité de l'artiste, ici un groove quasi jazzy, comprendre une manière unique de phraser, à la fois précise et balbutiante, presque bègue. Il est peu de voix qui emportent par leur musique (Godard, Lacan, Cocteau...), celle de Céline nous entraîne dans le chaos fait homme.
On connaissait son Anthologie en double cd parue chez Frémeaux, exceptionnel témoignage de son art. Michel Simon, Pierre Brasseur (Voyage au bout de la nuit) et Arletty (Mort à Crédit) y lisent des extraits de ses livres, tandis que Céline lui-même chante deux chansons qu'il a écrites.
Le premier des deux dvd du coffret Céline vivant, à paraître le 16 octobre, offre trois entretiens bouleversants de chacun 19 minutes, dans leur intégralité, auxquels s'ajoutent un enregistrement sonore inédit de Céline corrigeant un extrait de Nord, le seul où il lit un de ses textes. Le second dvd comprend un témoignage d'Elizabeth Craig, grand amour de Céline et dédicataire du Voyage au bout de la nuit, et surtout le long documentaire D'un Céline, l'autre de Yannick Bellon et Michel Polac où figurent Lucette Destouches (la femme de Céline), Michel Simon, le Dr Villemin (son médecin), René Barjavel, Michel Audiard, Jean Renoir, Pierre Lazareff… Un fascicule de 38 pages rédigé par Émile Brami accompagne le tout.
La diction de l'auteur est si absorbante, sa franchise si rare, son amertume si douloureuse, ses intentions si claires, que l'ensemble s'avale d'un trait, jusqu'à plus soif, sauf celle de le lire ou le relire. À Pierre Dumayet, il confie son désir de retourner à la médecine ; à André Parinaud, il déclare « avoir décidé d’écrire pour acheter son appartement », à Louis Pauwels, entre ses chiens et son perroquet, à son bureau sur lequel sont posés ses 80 000 feuillets qu’il assemble avec des pinces à linge, il affirme : « Je serai content quand je mourrai, je ne suis pas un être de joie ».

Les Éditions Montparnasse poursuivent ainsi leur collection "Regards" entamée avec l'indispensable "Abécédaire de Gilles Deleuze", "Edgar Morin, regard sur Edgar" et d'autres sur et avec Jean-Paul Sartre, Norman Mailer, Raymon Aron, René Girard, Claude Lévi-Strauss, etc. Dans leur planning de sortie, je note le coffret Danièle Huillet et Jean-Marie Straub, premier volume où figurent outre les premiers Machorka-Muff et Non réconciliés, tous les films inspirés directement par la musique d'Arnold Schönberg : d'abord l'époustouflant opéra Moïse et Aaron dirigé par Michael Gielen et tourné dans le désert avec les chanteurs en direct, l'Introduction à la Musique d'accompagnement pour une scène de film et le second opéra Von Heute auf morgen. En novembre, paraîtra un coffret Fernand Deligny avec, entre autres, Le moindre geste qui conte la fugue de deux adolescents évadés d'un asile psychiatrique, un film d'une sensibilité rare où s'entendent les bruits de la vie.

lundi 1 octobre 2007

Cubee me distrait de nos lapins


En voyant les Cubee que Rafi avait rapportés du Moma, j'ai craqué pour ces jouets japonais qui jouent de petits airs idiots lorsqu'ils sont seuls et accompagnent celui du haut lorsqu'ils sont plusieurs. C'est une combinatoire amusante. Il y a six animaux cubiques en tout, qui chantent en faisant claquer leurs petits clapets. Derrière la porte qui leur sert de visage se cachent deux petites bêtes gigognes, mais je n'ai pas encore saisi comment les utiliser ! Chacun a sa propre voix, le poussin piaille, le chat miaule, le chien aboie, etc. Dans les moments de spleen, quelques secondes chorales et mon sourire reprend sa place.
Si vous voulez les voir bouger et chanter, je vous laisse regarder les pubs japonaises que j'ai trouvées sur YouTube !

J'ai commandé les miens chez Any Toys en Grande Bretagne, mais il y a peut-être des magasins moins chers...