70 février 2008 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 29 février 2008

Élucubration bissextile


Comment vit-on le bissexte lorsqu'on est né un 29 février ? Quel effet cela produit-il de sauter son anniversaire trois années de suite comme si l'on était tombé dans une faille du temps ? La plupart des natifs de cette journée ajoutée, qui ressemble plutôt à une omission, un saut dans l'espace, un trou noir, fêtent leur naissance la veille ou le lendemain, mais la question reste entière et se repose année après année. Recaler le calendrier avec la rotation de la Terre autour du soleil ne fut pas une mince affaire.
Le calendrier julien, qui avait cours avant le calendrier actuel, ne distinguait pas les fins de siècles (années divisibles par 100). Une année était bissextile tous les 4 ans, sans autre exception. Le calendrier julien avait ainsi une année moyenne de 365,25 jours, au lieu des 365, 2422 jours nécessaires au cycle terrestre. Ce qui a engendré l'accumulation d'une dizaine de jours de retard en quinze siècles.
L'instauration du calendrier grégorien a permis d'une part de rattraper le retard en supprimant des jours, et d'autre part de ralentir le rythme en supprimant 3 années bissextiles tous les 400 ans. Ce calendrier grégorien offre selon les règles énoncées une année moyenne de 365, 2425 jours, ce qui est encore un peu trop long, mais n'engendre qu'une erreur de 3 jours en 10 000 ans.
Depuis l'instauration du calendrier grégorien, sont donc bissextiles les années divisibles par 4 mais non divisibles par 100 ou divisibles par 400. (Wikipédia). Coup de soleil garanti.
On ne choisit pas son jour. Certains se sont pointés le Jour de l'An, à Noël ou le 1er avril. La date de naissance influe-t-elle sur l'histoire du sujet, comme le choix du prénom ou le nom du père ? Probablement. Il y a mille façons d'interpréter ce qui nous échappe, d'apprivoiser les signes pour accepter le réel et constituer le terreau de son imaginaire. Ainsi, le redoublement de mon J phonétiquement rapproché de mon nom (Jean-Jacques Birgé) justifie-t-il toute cette littérature à la première personne du singulier ? Les superstitions attachées à mes signes astrologiques influent-elles sur mon psychisme malgré mon incrédulité culturelle ? La poésie est-elle un excellent palliatif à l'absence du sacré, son ab-sens du ça-crée ? Lacan est-il autre chose qu'un outil amusant pour savoir où l'on est à tel instant, comme L'interprétation des rêves ou un brain storming ?
Le 29 février ressemble à une fleur rare et éphémère qui ne pousse que tous les quatre ans. Il rappelle que chaque jour est différent et que l'on ne peut en rater aucun, qu'importent la joie ou la douleur... Il montre l'importance d'être vivant tout en soulignant son côté dérisoire. L'absurde le confronte à la comédie et à la tragédie, mais, dès que l'on se penche sur son berceau, ce sont tous les autres jours qui posent problème, par leur banalité sans cesse mise à l'épreuve. Nous accumulons les stratagèmes pour aller à demain en gravant un bâton sur le mur de nos cellules.

jeudi 28 février 2008

Mutation et toupies utopiques de Nicolas Clauss


Par sa newsletter, Nicolas Clauss annonce un nouveau module mis en ligne sur le site historique FlyingPuppet sur lequel il fit ses premières armes. Il a composé le module interactif Side Effects (traduire, effets secondaires) pour Year01.com, collectif d'artistes canadiens, sur le thème du Vagus Nerve (en français le nerf vague). Jouant sincèrement la carte de la commande, Nicolas repère le nerf 10 qui intervient dans la dépression et l'épilepsie ainsi que la technologie américaine du VNS, le Vagus Nerve Stimulation, petit boîtier, sous-cutané comme un pacemaker, qui va stimuler ce nerf (des schémas de ce dispositif sont intégrés à l'œuvre interactive). Sur le site de la société qui le commercialise, il découvre une télé-conférence de ses cadres évoquant leurs objectifs. Fasciné par le style brutalement commercial de ces échanges, Nicolas Clauss en récupère la bande-son et poste ce commentaire au commissaire de l'exposition virtuelle : "Depression, a side effect of Capitalism ? VNS is a medical business for very deep depression treatment (La dépression, un effet de bord du capitalisme ? VNS est une affaire médicale pour le traitement des dépressions profondes)''. Panique à bord. Year01 préfère ne pas publier le module de l'artiste qui décide de le mettre sur son propre site.
À cette occasion, Nicolas en a reconsidéré l'ensemble, nouvelle interface qui ne conserve plus que les meilleurs modules créés depuis 2001, belles et grandes images pour cet index de 34 œuvres choisies. Vous retrouverez nombreuses de nos collaborations : Dark Matter, Chassé-croisé, Sorcière, Dervish Flowers, Dead Fish (avec Antoine Schmitt), Jazz, Trauma, Avant la nuit (avec Pascale Labbé et Jean Morières), Dans la gueule du loup, Pénélope, Jumeau Bar, Heritage, The Shower... Tandis que d'autres rejoignent l'obscurité de ses archives devenues secrètes.
Avec le temps, FlyingPuppet a intégré le site nicolasclauss.com où il a rejoint ses œuvres participatives qui font aujourd'hui la renommée du peintre de la Toile (Cinq ailleurs, J'ai dix ans, De l'art si je veux, L'ardoise, Les musiciens, et notre installation des Portes...).
Comme si cela ne suffisait pas, Un palpitant vient d'être couronné par le Prix de la Création Nouveaux Médias Vidéoformes 2008, prix que nos Somnambules avaient déjà reçu en 2004, déjà quatre ans.
Enfin, Or not toupie, sa dernière installation visuelle et sonore (voir billet) est présentée à la Cité du Livre d'Aix-en-Provence du 5 au 15 mars, et sera mise en ligne courant 2008 dans une version spécialement adaptée pour Internet sur le site d'Arte.TV
Ouf... De quoi vous faire tourner comme une toupie !

mercredi 27 février 2008

L'intercon s'encanaillerait-il ?


Musicacreation est "l'espace de découvertes et d'expression sur la musique contemporaine et les activités de l'Ensemble intercontemporain", en d'autres termes son blog. Parmi les thèmes proposés, on trouve Fou. L'intercon s'encanaillierait-il ? Il n'en fallait pas plus pour m'inciter à cliquer, révélant quelques savoureuses vidéos : Peter Aidu jouant seul à deux mains et deux pianos le Piano Phase de Steve Reich (vidéo ci-dessus), Einstein on the Beach de Philip Glass interprété par des personnages en Lego, une version télévisée de 4'33 de John Cage, un extrait du Quatuor pour hélicoptères de Karlheinz Stockhausen... Ailleurs, sous la thématique "Musiques actuelles et Musique contemporaine", Erik M n'est pas nommé pour sa prestation zappante vidéographiée tandis que le texte se limite à "Ce post a-t-il sa place sur ce blog ? À vous de répondre... Attention ça secoue !" Plus loin, Fausto Romitelli répondait en 2001 à Eric Denut : "À mon sens, la véritable distinction devrait se faire aujourd’hui entre une musique écrite et une musique non-écrite..."
Pendant des années, l'Ircam bouda tout ce qui venait des cultures populaires pour défendre les privilèges de classe des tenants de la musique classique contemporaine. Sa surdité se résumait au jeu de mots sur l'"Ensemble qu'entend plus rien" dirigé d'une main de fer par son chef Pierre Boule Quies. La pitoyable 4X finit par céder devant la modulation de fréquence et l'informatique domestique. Passé la programmation "Perspectives du XXème siècle", l'Institut eut bien du mal à produire des œuvres majeures sorties de ses studios face à ce qui commençait à se développer grâce aux home studios. En 1987, défendre avec acharnement les "100 fleurs" contre son monopole avait fait perdre la subvention accordée par la Direction de la Musique au grand orchestre du Drame. Mais l'auto-formation a aussi ses limites et de plus en plus de jeunes musiciens eurent envie d'apprendre d'autres techniques que les leurs. Le secteur pédagogique permit à l'Ircam de se régénérer, libre aux stagiaires de détourner les applications informatiques auxquelles ils ont dorénavant accès. Les écoles sont faites pour cela, ce sont de formidables outils qu'il serait imbécile de bouder, à condition de savoir s'en détacher ensuite très vite.

mardi 26 février 2008

Large Virage de Jean Morières


J'avais trouvé rébarbatives les précédentes couvertures des compact-discs de Jean Morières, peu représentatives de sa finesse musicale. Dans le "blog papier" du prochain Muziq qui sortira en avril, j'ai écrit quelques mots sur son nouvel album, mais je crains que cette fois la taille de sa pochette ne corresponde pas au format de la revue et l'empêche encore d'être reproduite en illustration de l'article. Pourtant, pour Large Virage Jean a mis les bouchées doubles. D'abord il s'est inscrit en faux par rapport au marché du disque en produisant un vinyle, vous savez cette chose noire qui tourne sur son axe à trente-trois tours par minute, avec une dynamique hors pair et des petits bruits de surface. Je ne sais pas si le son est vraiment meilleur en analogique qu'en numérique, c'est un disque de flûte solo, mais il est certain que c'est vraiment plus agréable à tenir entre ses doigts. Ensuite il en a fait presser seulement trois cents exemplaires, mais là où il a passé la vitesse supérieure, c'est en demandant à l'artiste-peintre Marie Warscotte de réaliser cinquante ?uvres originales, numérotées et signées, sur les deux faces de la pochette intérieure. On avait coutume d'appeler cela une pochette qui s'ouvre. C'est rudement beau ! On dirait du fusain et du crayon qu'elle a méticuleusement recouverts de ruban adhésif, brillant sur mat du meilleur effet. Le disque tout blanc coûte 15 euros, ça les vaut puisque la musique est originale, raffinée, variée, intelligente et tendre à la fois. Les cinquante exemplaires ornés d'une création originale de Marie Warscotte coûtent 300 euros, c'est cher pour un disque, rien de scandaleux pour une ?uvre picturale de cette taille (60x30cm). La vie des musiciens n'est pas facile, mais que dire de celle des plasticiens ? La reproduction que vous pouvez admirer est le numéro 17, l'année d'une révolution, naissance de mon papa. C'est une bonne idée pour lutter contre toutes sortes de monstres marins : le piratage, la mocheté des boîtiers en plastoc riquiquis, la stupide notion de progrès, le cloisonnement des genres, les rapports sclérosés des sons et des images, que sais-je ? On peut écouter ou regarder l'un sans l'autre, ou se faire la totale, commencer par la page blanche du recto, lire les notes de pochette au dos et se laisser porter par le dessin tout en se laissant bercer par la zavrila, cette flûte unique que Jean s'est construite sur mesures.

lundi 25 février 2008

L'hypothèse communiste


De quoi Sarkozy est-il le nom ? est un petit ouvrage salutaire écrit par un philosophe septuagénaire qui ne baisse pas les bras devant la peur (le moteur de la droite), ni devant la peur de la peur (celui des socialistes). Alain Badiou remet fondamentalement en question le concept démocratique, système n'ayant permis que d'accoucher d'une plus grande inégalité, voire d'un terrible totalitarisme. Pétain, Hitler, Bush, etc. ont d'ailleurs été élus démocratiquement. Rideau de fumée de la participation, la loi du plus grand nombre n'implique pas une sagesse des choix, et la guerre est un des facteurs de nos "démocraties". L'analyse de Badiou s'appuie à la fois sur l'actualité politique française dont les derniers avatars sont l'élection d'un président à l'image des collabos qui l'ont propulsé à sa place et sur les perspectives de résistance qui nous sont offertes, à nous tous, et non à la poignée de propriétaires qui ne pensent qu'à s'enrichir toujours plus, sur le dos de toute une population hypnotisée par des promesses démagogiques et populistes. Proposant une alternative à l'asthénie dépressive de ce qu'il était coutume de nommer la gauche, l'ex-maoïste et soixante-huitard revendique l'héritage révolutionnaire du communisme, en en précisant de nouvelles définitions correspondant au monde d'aujourd'hui et, si possible, de demain. Et si, comme l'évoque Jacques Lacan, "l'impossible est le réel", il suffit de s'y mettre, avec courage, sans ne jamais lâcher.
Ouvrage de vulgarisation écrit avec simplicité, De quoi Sarkozy est-il le nom ? est en train de devenir un best-seller parce que, non content de proposer une réflexion claire, tant politique que psychanalytique, sur ce qu'il appelle le "pétainisme transcendantal" propre à la France, il ouvre des portes vers ce que pourrait être le monde dans lequel nous vivons tous, nantis et exclus. "Un seul monde" où tous les ouvriers qui travaillent ici sont d'ici... Où l'art comme création est supérieur à la culture comme consommation... Où la science, intrinsèquement gratuite, l'emporte absolument sur la technique... Où l'amour doit être réinventé... Où tout malade doit être soigné le mieux possible, en réaffirmant le point d'Hippocrate... Où tout processus d'émancipation doit être tenu pour supérieur à toute nécessité de gestion... Où un journal qui appartient à de riches managers n'a pas à être lu par quelqu'un qui n'est ni manager ni riche... J'ai mis ces mots en italiques parce que je résume grossièrement les propos de l'auteur, voire les trahit probablement aussi. Que l'on adhère ou pas à ce que raconte Badiou, le petit livre, publié par les Éditions Lignes dans la collection Circonstances, donne bigrement à réfléchir. Et les camarades qui le feuillètent ont bien du mal à ne pas me le piquer pour l'emporter avec eux...

dimanche 24 février 2008

Chinatown (16)


Retour à la case départ, un mois plus tard. Sur ce Monopoly, dépenser 20000 bats s'avèrera heureusement impossible. Nous nous faisons un week-end shopping de folie en nous enfonçant à nouveau dans Chinatown, puis dans les shopping centers où s'exposent les jeunes créateurs. Vente en gros, trois robes très Courrège vendues dix euros les trois, des pantalons à trois euros, douze slips de garçon aux couleurs vives (introuvables où que ce soit ! J'avais fini par croire que c'était impossible) pour quatre euros le paquet, une valise orange qui se remarquera aisément sur le tapis roulant, etc. Nous la bourrons avec nos achats à concurrence de vingt kilos, jusqu'à ce que je me torde le poignet en la descendant du taxi en arrivant à l'aéroport de Suvarnabhumi, superbe réalisation dûe à l'architecte allemand Helmut Jahn. Des petits os ont bougé et je passe la nuit à me tenir le bras tant la douleur me fait souffrir.
Et puis, nous montons et descendons le fleuve, nous arrêtant à l'Hôtel Oriental. Sa navette vient nous chercher et nous ramène, mais je me sens toujours un peu mal lors de ces incrustes sauvages. Le sentiment d'usurpation ne me quitte pas. Comme dans une église, j'ai l'impression d'y être démasquable, alors que j'ai passé ma vie à noyer le poisson en battant les cartes. C'est le fardeau de tous les autodidactes qui ont réussi malgré tout. Françoise, elle, s'y meut comme un poisson dans l'eau.


Époustouflante mêlée des poissons-chats le soir le long de la Chao Phraya tandis que les enfants leur jettent du pain. Nous n'avons jamais vu autant d'animaux se ruant sur la nourriture avec cette voracité. Les bestioles sont énormes. Est-ce une façon de les engraisser avant de les pêcher ? Je filme le grouillement terrifiant avec mon appareil-photo...


Le matin de notre départ, tandis que nous descendons très tôt dans les soys de Chinatown pour acheter des chaussures, nous nous retrouvons face soit à un cortège célébrant la mort de la sœur du roi, soit à une répétition du nouvel an chinois qui se profile, soit à une autre fête que nos connaissances en chinois ne nous permettent pas d'identifier. Les enfants se coiffent des attributs du dragon, figures monstrueuses, corps ondulant ; les musiciens font sonner cuivres, flûtes, cordes et surtout percussions brillantes composées de cymbales crash, de gongs puissants, de métal éclatant...


Nous n'arriverons jamais à acheter les petites chaussures qu'a repérées Françoise, car les boutiques ne vendent qu'en gros ou demi-gros et les tractations avec les Chinois sont extrêmement difficiles. On a l'impression que cela les ennuie énormément de vendre à des étrangers. "T'achète ou pas, moi je m'en fiche !" est le leitmotiv de la matinée. Bon, bien alors, on s'en passera. Et nous repartons nous empifrer de quelque spécialité gastronomique dans une cantine populaire... Dommage que les règlements d'hygiène soient si contraignants sous nos latitudes ! Ces petites échoppes vont terriblement nous manquer. Au retour, nous apprendrons comment l'industrie agro-alimentaire a mis la main sur la restauration en imposant des lois absurdes. Ainsi, comme il est interdit d'utiliser des œufs frais, les restaurateurs doivent se fournir chez Metro pour acheter d'un côté les blancs, de l'autre les jaunes, sous vide ! Ce n'est qu'un exemple, mais seuls les restaurants gastronomiques ont l'autorisation de se servir de produits frais à condition de tout jeter chaque soir. Les fonds de sauce maison sont d'une autre époque, à moins de prendre le risque d'une très forte amende...


Retour à Bangkok, à sa fourmilière, à ses désirs de revenez-y. La suite se jouera chez Paris-Store, chez Tang ou dans les petites épiceries de Belleville... Le voyage est terminé, dernier épisode de la saison un.

samedi 23 février 2008

4 compositeurs américains filmés par Peter Greenaway


Je n’ai jamais été très amateur des films de Peter Greenaway, souvent ampoulés et prétentieux, si obsessionnels qu’ils en finirent par être franchement ennuyeux, mais je me souviens avoir adoré une exposition en plein air organisé en Suisse où le cinéaste avait (re)cadré la ville en installant des murs percés d’une ouverture pour obliger les passants à la regarder sous un certain angle, dans un cadre imposé. L’invitation à voir était suscitée par quelques marches à gravir jusqu’au point de vue choisi par l’artiste.
Les Films du Paradoxe ont publié un double dvd intitulé 4 American Composers, regroupant quatre films tournés à Londres par Greenaway en 1983. Philip Glass, Robert Asley, Meredith Monk, John Cage, quatre façons de filmer la musique en suivant le style de chaque compositeur. Les quatre documentaires de 55 minutes chacun ont été tournés un an après le prometteur Meurtre dans un Jardin Anglais. Comme pour la série Cinéma, de notre temps, où un cinéaste fait le portrait d’un autre en en adoptant certaines caractéristiques de style, Greenaway choisit chaque fois une forme cinématographique appropriée à l’univers du compositeur abordé.
Il survole l'Ensemble de Philip Glass en mouvements fluides, plongées et contre-plongées, pour ne pas distraire les musiciens interprétant en public cette musique acoustique amplifiée que l’on appelait répétitive avant qu’elle ne devienne « minimaliste ». Les œuvres de Glass m’ont souvent fait l’effet d’une variétisation de la musique répétitive, dont les rythmes s’opposaient à la narration, à la mélodie et à l’harmonie, mon intérêt se portant plutôt vers le virtuose Steve Reich. Pourtant, ici, Music in Similar Motion, Glassworks et Train/Spaceship, extrait du célèbre Einstein On The Beach qui m’avait emballé lors de sa création dix ans plus tôt, produisent un vertige contrebalançant les propos mercantiles de leur auteur.
Pour Robert Ashley, le cinéaste s’inspire de la forme de l’opéra télévisé Perfect Lives en insérant des cartons où s’inscrivent les mots dits lors des entretiens entrecoupant la prestation scénique et en disposant des écrans cathodiques autour des musiciens interviewés à la manière d’un Nam June Païk. Les deux acteurs, Jill Kroesen and David Van Tieghem, brodent autour de la voix d’Ashley ; les bandes préenregistrées de Peter Gordon assurent une immuabilité permettant au piano de « Blue » Gene Tyranny de s’envoler.
Meredith Monk alterne scènes de concert, ballets filmés et archives pour expliquer sa démarche vocale et théâtrale, seule et en groupe, mais le film le plus réussi est, de très loin, celui avec John Cage, véritable leçon de musique et d’écoute autour de son Musical Circus. Nous assistons à quarante ans compressés sur deux heures à l’occasion du 70ème anniversaire du compositeur dans une église désaffectée et arrangée pour l’évènement. Le film s’ouvre sur la destruction de la « rénovation » dont le bâtiment fut victime tandis que Cage lit un texte sur le son en voix off. Les douze œuvres sont jouées de façon aléatoire, parfois simultanément. Son voyage autobiographique, commenté par Cage lui-même, allie profondeur analytique, anecdotes humoristiques et sensibilité explosive, qu'il introduise chacune de ses œuvres majeures ou se livre au rite de l'entretien. On retrouve là les fondements de tout ce qui se fait aujourd’hui de subversion musicale et les fermants utopiques d’une alternative politique. C’est tout bonnement génial ! Une très grande leçon (tous niveaux).

vendredi 22 février 2008

Air Bangkok (15)




Nous arrivons au terme de notre voyage. Le Mékong et Paksé vus d'en haut. Il reste encore un billet à publier et ce sera de l'histoire ancienne. Nous avons voyagé dans l'espace, mais aussi dans le temps. Le Laos rappelle la Thaïlande d'il y a soixante ans. On m'a dit que cette chronique touristique en a ennuyé certains, enthousiasmé d'autres. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai entrecoupé les épisodes du récit de voyage par des billets plus conformes à ce blog, dans leur diversité de sujets et de tons... La loi des séries. J'avais pris des notes sur un petit carnet. Je les ai complétées au fur et à mesure, souvent en m'inspirant des images que j'avais choisies... J'ai attendu d'être rentré pour me mettre en baïonnette, le dos de traviole. Ce sont les séquelles de la descente de la Nam Ou sur le minuscule tabouret en bois. Les vingt six heures de car n'ont pas arrangé cela. Les heures d'avion non plus. En arrivant, je n'ai pas dormi. On ne peut pas rester debout à l'arrière de l'appareil tout le temps d'un vol. Depuis, je n'ai pas retrouvé le sommeil. Mon dos me réveille la nuit. Je ne sais pas quoi faire de mes bras. Les anti-inflammatoires auraient dû faire leur effet. Ça ne tient pas. Comment font les plus lourds que l'air sans étendre les bras ?

jeudi 21 février 2008

Les miettes du purgatoire


Formidable ! Des téléspectateurs ont enregistré le court-métrage que Françoise Romand avait réalisé pour Strip-Tease et l'ont mis en ligne, ce qu'elle ne pouvait se permettre. En effet, la nièce des deux jumeaux a demandé que Les miettes du purgatoire ne soit plus diffusé à la télévision. Or cette interdiction a fait plus de publicité au film que si il était resté un épisode parmi d'autres de la célèbre série. Il est, grâce à elle, devenu "culte" et Internet permet de découvrir ce petit joyau qui tranchait déjà avec le style de Strip-Tease. Car Françoise ne se moque pas de ses personnages, elle vibre en compassion avec eux comme dans toutes ses autres œuvres. Cette tendresse a chaque fois tissé une complicité avec celles et ceux qu'elle filmait, lui permettant de tourner comme personne.
Les deux parents sont aujourd'hui décédés, et seul reste en vie l'un des deux frères, Yves, qui ne voit d'ailleurs aucun inconvénient à ce que le film soit projeté. À la mort d'Alain, la famille aurait aimé brûler tous ses tableaux, effaçant ainsi ce qui pouvait sembler incorrect dans cette morale morbide qui compose le charme discret de la bourgeoisie.
Il est passionnant de mettre en relation Les miettes du purgatoire et le long-métrage Mix-Up ou Méli-Mélo que Françoise tourna sur deux bébés échangés à la naissance, jumelles à leur manière croisée. À propos de Mix-Up, voir le site DVDBeaver qui a récemment réalisé une page autour du film avec de belles captures d'écran.

mercredi 20 février 2008

Revue de presse : flicage des internautes


Dans Libération, Astrid Girardeau rapporte un article du journal économique Les échos en ces termes :

En mars 2006, un décret d’application sur la conservation des données de connexion était publié au Journal officiel. Un nouveau décret élargissant le nombre de données à conserver par les acteurs de l’Internet et et des mobiles serait sur le point d’être accepté, révèle aujourd’hui Les Echos.

On se souvient que le premier texte, rédigé dans la cadre de la loi de lutte contre le terrorisme promulguée quatre ans plus tôt, avait soulevé de nombreuses critiques, notamment de la CNIL et du réseau IRIS (Imaginons un Réseau Internet Solidaire) qui parlait alors « d’une stratégie de contrôle toujours plus large de la population, dont la lutte contre le terrorisme ne constitue qu’un alibi. » Il oblige les opérateurs de communications électroniques à conserver durant un an un ensemble de données susceptibles d’identifier tout créateur de contenu en ligne « pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales ».

Selon le quotidien économique, qui s’est procuré le texte, le nouveau projet élargit le nombre de données qui devront être conservées. Cela ne concerne plus seulement des informations liées à la connexion, mais un ensemble de données plus vaste : adresse IP, mot de passe, login, pseudonyme, terminal utilisé, coordonnées de la personne, et identifiants de contenus. De plus, cette obligation ne s’adresserait plus seulement aux opérateurs de communication électroniques mais également aux hébergeurs de contenus tels que YouTube ou Priceminister.

Le texte aurait déjà été soumis aux divers organismes indépendants CNIL, Arcep, CNCIS et la CSSPPCE. Selon les Echos, la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications aurait rendu « un avis pour le moins réservé » et souligné « l’absence de lisibilité et de cohérence du périmètre des données à conserver ». Pour être publié au Journal Officiel, le décret doit maintenant recevoir l’avis du Conseil d’Etat puis les signatures de cinq ministres (Intérieur, Défense, Justice, Economie, Budget) et du Premier Ministre.

Est-il vraiment utile d'ajouter un comment taire ?
Je dois absolument relire le Guide pratique du Blogger et du cyberdissident publié par Reporters sans frontières.
La Réaction s'organise : fichage des internautes, suppression de la plupart des ECM (Etablissements Culture Multimédia), réduction de 50% à 100% de l'aide du Ministère de la Culture (ou ce qu'il en reste avant liquidation totale) à l'action culturelle (toutes les petites assoces qui sont sur le terrain, par exemple), cadenassage des échanges sous motif de protection des droits (comme s'il n'existait aucune autre solution que la répression), etc. Internet aurait-il déjà vécu son âge d'or ?
Nous risquons de nous retrouver encore noyés parmi la conspiration du bruit. On a le choix entre détourner le système en utilisant les mêmes outils ou investir d'autres lieux de subversion. La question se pose franchement et les réponses exigent plus d'imagination qu'une simple analyse politique.

mardi 19 février 2008

Deux fantaisies sonores : holophoniques et inaudibles


Il y a exactement vingt-cinq ans, j'avais acheté un petit livre passionnant intitulé "Musique et ordinateur", publié par l'Edition du Centre Expérimental du Spectacle. Un chapitre avait particulièrement attiré mon attention, "Les illusions auditives", rédigé par David Wessel et Jean-Claude Risset. L'objet était accompagné d'exemples sonores sur une cassette audio : sons montant indéfiniment, sons descendant de même, ou encore simultanément, paradoxes rythmiques, localisation auditive, etc. J'ai toujours adoré l'illusionnisme et les expériences optiques, collectionnant, modestement, les ouvrages d'anamorphoses ou de stéréogrammes, les livres animés et les expériences hallucinogènes.
Franck Vigroux, avec qui j'ai enregistré tout le week-end, évoqua deux situations amusantes. Nous avions été plongés dans l'écoute des messages du répondeur téléphonique que j'avais enregistrés entre 1980 et 1992, ainsi que dans les affres qu'il fit subir à mes vieux PPG et DX7-SuperMax pour des duos hardcore où ses goûts actuels le mènent depuis une année (prononcer an-née comme dans nouvel an). Nous avions donc besoin d'un peu de récréation au milieu de notre marathon stakhanoviste hypersonique.
J'ai donc été amusé de découvrir les sons en 3D dits holophoniques qui circulent sur la Toile depuis déjà un moment. S'il s'agit de simplement simuler une tête stéréo, il n'y a rien de très nouveau. En 1980, ne pouvant m'offrir la tête Neumann, j'équipai mes oreilles de deux micros miniatures Sony et réalisai des reportages merveilleux, comme si on y était ! J'ai souvent eu du mal à recréer la qualité que véhiculait mon cassettophone portable ainsi affublé, mais c'est encore ainsi que je préfère capter les ambiances. Les sons reproduits ci-dessous me semblent avoir bénéficié d'un traitement un peu plus savant ; la mise en ondes est agencée de façon à donner le son de référence suivi du traitement filtré de son timbre pour donner l'illusion gauche-droite, mais également les notions de haut et de bas, avant, arrière, et ce avec un simple casque stéréophonique.
Équipez-vous donc d'un casque, c'est indispensable, fermez les yeux et écoutez les deux exemples qui suivent (plus 40 mégas de mp3 en téléchargement si cela ne vous a pas suffi)... Rien à entendre avec le 5.1, tout se passe entre vos deux oreilles, et pourtant... L'expérience est étonnante. À vos casques !


La seconde fantaisie concerne les sonneries inaudibles que les jeunes gens entendent, mais pas les adultes ayant dépassé l'âge. Il est si pratique, en classe, de faire sonner son téléphone portable sans que le prof l'entende !

Vous pouvez aussi vous livrer à quelques tests d'écoute pour évaluer votre perte dans les aigus. Je n'ai, quant à moi, pas dépassé les 15000Hz.

L'illustration est une vue latérale de "Même dans les moments les plus calmes", peinture spatiale anamorphique de Louis Chacallis.
Côté images holographiques, vous pourrez jeter un œil aux défilés de mode de Diesel et Alexander McQueen qu'Étienne Mineur a justement mis hier en ligne...

lundi 18 février 2008

Les 4000 îles (14)


À Don Khône, nous avons trouvé le calme et la chaleur du sud, havre de paix dans un cadre idyllique où passer quelques jours avant l'effervescence de Bangkok et le vol du retour. Nous avons élu résidence sur un radeau.


Le bungalow flotte sur un des nombreux bras du Mékong qui serpentent au milieu d'une myriade de petites îles vertes. L'eau de la douche est chauffée par des capteurs solaires, mais le groupe électrogène ne ronronne qu'entre 18h et 23h. Les Laotiens se lèvent tôt, avec le soleil, et prennent très tôt leurs repas. Nous dormons à l'abri de moustiquaires, mais à cette saison les insectes vampires sont rares. Nous ne nous sommes d'ailleurs pas faits vacciner.


Il y a un petit patio pour la sieste et un balcon ouvert sur la rivière. Je regarde le ballet des libellules noires et la nuit j'écoute le chant des gekkos. Il y en a dans toutes les maisons, dans chaque pièce. Ces drôles de petits lézards sortent le soir lorsque tombe la nuit et qu'on allume les lumières, attirant les insectes volants.


Le gérant de la Sala Sae Guesthouse a acheté un gibbon à favoris blancs, espèce pourtant protégée, au marché de Paksé. La cage est trop petite, toutes les cages sont toujours trop petites. On se croirait au Jardin des Plantes. C'est triste.


Il est agréable de marcher pieds nus sur les planchers de teck. Partout, nous laissons nos sandales sur le seuil. Ayant attrapé mal à la gorge entre les mauvaises clims et les tuk-tuks ouverts, nous nous soignons au miel sauvage où nagent encore quelques grains de pollen rouge. Farniente.


Pas tout à fait. Nous avons fait plusieurs belles promenades à vélo au milieu des rizières et dans la forêt jusqu'aux chutes d'eau qui se révèlent ici et là... Pour rejoindre le village de pêcheurs de Ban Hang Khône, au fin fond de l'île de Don Khône, nous avons dû enjamber des ponts cassés en portant nos bicyclettes, marchant prudemment sur les traverses en métal oxydé de l'ancien chemin de fer colonial français et gravissant des pentes verticales terreuses.


Il reste encore une vieille locomotive du temps de la présence française, mais tout le monde a oublié. Le passé n'a pas d'importance, les asiatiques pensent l'avenir.


Comme nous partons tôt, nous ne rencontrons pratiquement personne sur les chemins. Juste quelques animaux apeurés entendus filer sous les feuilles mortes, elles-mêmes tombant des hautes branches comme des hélicoptères. Le long des berges cambodgiennes, nous sommes restés un moment sur un rocher au milieu de l'eau à regarder sauter les derniers dauphins d'eau douce, dits d'Irrawady, du nom du fleuve birman où l'on en trouve également.


Je prends des photos ringardes de coucher de soleil et le matin je me lève à 6h pour écouter la symphonie animale. Le soleil tape fort. Avec ma calvitie naissante je dois porter une casquette. Mon père l'avait au même endroit, mais il prétendait que c'était à force de lire assis dans le lit, la tête appuyée sur le mur ! Papa aurait aimé le Laos. Il aurait certainement plongé dans les eaux glauques comme les pêcheurs décrochant leurs filets et les femmes y lavant leur linge ou faisant leur toilette. Peu d'étrangers s'y risquent. Nous nous reposons enfin avant de remonter à Paksé pour nous envoler vers Bangkok où nous passerons nos deux derniers jours de vacances. Le mois est presque terminé.

dimanche 17 février 2008

Entretien avec un célèbre écrivain à propos du Président


Vous semblez vous tenir très informé de l’actualité politique française. Quel regard portez-vous sur notre nouveau président ?

L'écrivain : Depuis des mois, il s’étale ; il a harangué, triomphé, présidé des banquets, donné des bals, dansé, régné, paradé et fait la roue… Il a réussi. Il en résulte que les apothéoses ne lui manquent pas. Des panégyristes, il en a plus que Trajan. Une chose me frappe pourtant, c’est que dans toutes les qualités qu’on lui reconnaît, dans tous les éloges qu’on lui adresse, il n’y a pas un mot qui sorte de ceci : habilité, sang-froid, audace, adresse, affaire admirablement préparée et conduite, instant bien choisi, secret bien gardé, mesures bien prises. Fausses clés bien faites. Tout est là… Il ne reste pas un moment tranquille ; il sent autour de lui avec effroi la solitude et les ténèbres ; ceux qui ont peur la nuit chantent, lui il remue. Il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète.

Derrière cette folle ambition personnelle décelez-vous une vision politique de la France, telle qu’on est en droit de l’attendre d’un élu à la magistrature suprême ?

L'écrivain : Non, cet homme ne raisonne pas ; il a des besoins, il a des caprices, il faut qu’il les satisfasse. Ce sont des envies de dictateur. La toute-puissance serait fade si on ne l’assaisonnait de cette façon. Quand on mesure l’homme et qu’on le trouve si petit, et qu’ensuite on mesure le succès et qu’on le trouve si énorme, il est impossible que l’esprit n’éprouve quelque surprise. On se demande : comment a-t-il fait ? On décompose l’aventure et l’aventurier… On ne trouve au fond de l’homme et de son procédé que deux choses : la ruse et l’argent…Faites des affaires, gobergez-vous, prenez du ventre ; il n’est plus question d’être un grand peuple, d’être un puissant peuple, d’être une nation libre, d’être un foyer lumineux ; la France n’y voit plus clair. Voilà un succès.

Que penser de cette fascination pour les hommes d’affaires, ses proches ? Cette volonté de mener le pays comme on mène une grande entreprise ?

L'écrivain : Il a pour lui désormais l’argent, l’agio, la banque, la bourse, le comptoir, le coffre-fort et tous les hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y a à enjamber que la honte…Quelle misère que cette joie des intérêts et des cupidités… Ma foi, vivons, faisons des affaires, tripotons dans les actions de zinc ou de chemin de fer, gagnons de l’argent ; c’est ignoble, mais c’est excellent ; un scrupule en moins, un louis de plus ; vendons toute notre âme à ce taux ! On court, on se rue, on fait antichambre, on boit toute honte…une foule de dévouements intrépides assiègent l’Elysée et se groupent autour de l’homme… C’est un peu un brigand et beaucoup un coquin. On sent toujours en lui le pauvre prince d’industrie.

Et la liberté de la presse dans tout ça ?

L'écrivain (pouffant de rire): Et la liberté de la presse ! Qu’en dire ? N’est-il pas dérisoire seulement de prononcer ce mot ? Cette presse libre, honneur de l’esprit français, clarté de tous les points à la fois sur toutes les questions, éveil perpétuel de la nation, où est-elle ?

Ce texte m'a été adressé par mail par Henri Texier.
Toutes les réponses sont de Victor Hugo (ainsi que l'illustration) et proviennent de son ouvrage « Napoléon le Petit », le pamphlet républicain contre Napoléon III.

samedi 16 février 2008

La télé et le portable (13)


Il y a une dizaine d'années, lors d'un voyage au Népal, nous avons été surpris par la misère de Katmandou alors que les paysans qui vivaient dans la montagne mangeaient à leur faim. Attirés par la fée électricité, deux millions de montagnards sont descendus dans la vallée sans y trouver hélas le travail espéré, ni le courant électrique alors pour la plupart.
Au Laos, si le village est alimenté, la télévision hurle du matin au soir. L'écran trône au milieu du rien d'autre, parfois deux postes se font face avec deux programmes identiques ou différents, séries américaines débiles ou chaînes chinoises aussi navrantes. Les programmes sont affligeants de médiocrité. Le gouvernement "socialiste", pas plus ici qu'ailleurs, ne semble avoir saisi l'importance du média, ou bien, comme dans les prétendues "démocraties", se satisfait-il de cet abrutissement de masse.
L'autre appendice de la modernité est le téléphone portable. Si le Laotien ne possède rien d'autre qu'une télé, il est aussi un cellulaire greffé dans la paume. La télé et le portable auront bientôt remplacé la faucille et le marteau sur le drapeau. Tous les pays finissent par se ressembler dans leur absurdité morbide.

vendredi 15 février 2008

La dialectique peut-elle casser des briques ?


Sur la Toile, j'ai retrouvé par hasard le film néo-situationniste La dialectique peut-elle casser des briques ? que René Viénet réalisa en 1972 en détournant un film de Hong Kong de Doo Kwang Gee (parfois écrit Kuang-chi Tu). Il doubla les voix en réinventant des dialogues politiques qui mettaient en boîte le Capital et les bureaucrates communistes. Y prêtèrent leurs voix les acteurs Patrick Dewaere, Roland Giraud, Michèle Grellier, Dominique Morin, Jacques Thébault... L'objet amusera ceux qui ont connu les années 60 et 70 et leur effervescence "révolutionnaire", il intéressera peut-être les plus jeunes, d'autant que c'est le premier film de kung-fu dont on parla en France, donc par une version détournée ! Son succès me rappelle celui de la chanson des Inconnus, Auteuil Neuilly Passy, qui fut le premier gros succès de rap alors qu'il s'agissait d'un pastiche.


La sortie d'un dvd de René Viénet est annoncée pour avril 2008. En attendant, je vous livre deux autres extraits de ce drôle d'objet cinématographique, qui complète excellemment l'édition intégrale des films de Guy Debord en dvd.


Viénet se livra ensuite à d'autres détournements de films comme Les filles de Kamaré (1974) à partir d'un film pornographique japonais dont il imagina les sous-titres ou du documentaire férocement anti-maoïste Chinois, encore un effort pour être révolutionnaires, en anglais Peking Duck Soup (1977), deux films que l'on peut regarder, avec l'intégrale de La dialectique, sur le site remarquable ubu.com. Je n'ai hélas pu visionner Une petite culotte pour l’été...
Cet exercice, devenu, depuis, un genre à part entière, fut repris en 1992 sur Canal Plus par Michel Hazanavicius et Dominique Mezerette, qui firent doubler un montage d'extraits de séries télévisées pour composer l'hilarant Derrick Contre Superman : Eine Grosse Fünf.


Suivirent Ça détourne : le triomphe de Bali-Balo et Le grand détournement : La classe américaine, encore plus laborieux et potaches. En 1966, Woody Allen avait lui-même réalisé What's Up, Tiger Lily? à partir d'un film japonais d'espionnage en reconstruisant intégralement la bande-son, insérant de nouveaux plans et réorganisant le montage général. Le détournement fut souvent pratiqué pour désamorcer une pensée en en renversant les valeurs. Ainsi, je me souviens que mon père possédait un livre publié au début de la guerre, intitulé Mein Rampf, qui commençait ainsi : " - Heil Hitler ! - Hitler who ? - It'll amuse you..."

jeudi 14 février 2008

Le chant de la nature (12)


Je regrette de ne pas avoir acheté un petit enregistreur de poche comme celui d'Olivier pour capter les sons des gibbons le matin dans la brume de la jungle, la coquaphonie d'Houeisai, la descente de la rivière, la symphonie nocturne de Nong Khiaw ou des îles du sud. On ne sait pas toujours si ce sont des insectes, des batraciens ou des oiseaux de nuit, mais je reconnais les sons qu'imitent les instruments que j'ai rapportés de mes précédents voyages. Je pourrais m'en délecter pendant des heures. La nature a inspiré la lutherie de tout le sud-est asiatique : crapaud-guiro, castagnettes, rhombes, crécelles...
J'adore la musique qui se joue au loin dans les villages. J'apprécie moins le sirop américanisé que nous imposent des heures durant les conducteurs de bus ou le saxophone gerbant diffusé dans certains bars de Bangkok. Le tempo est immuable, chanson après chanson, la variation semble affecter seulement les paroles qui nous échappent.

Un orchestre typique thaï nous accueille à l'entrée du Mango Tree, sorte de gamelan composé d'un clavier de lames, d'un instrument à cordes frottées, d'un hautbois et d'un tambour. Ici, c'est un ensemble du Laos.

Nulle part je n'entendrai de khen, l'orgue à bouche dont la musique fait irrésistiblement penser à Steve Reich. Je trouve quelques VCD délirants dont un karaoké sur la guerre Laos/Vietnam avec des images d'archives et un autre chanté par des enfants pour le Nouvel An du Rat. Les percussions en métal y explosent... J'achète quelques disques de musique traditionnelle et du rap lao, l'éclate !

Un joueur de hou-kin, le violon monocorde (en fait l'archet est coincé entre deux cordes), fait la manche devant un temple. On entend assez peu de musique pendant tout le voyage. Essentiellement résonne partout le son de la télévision qui ne s'arrête qu'au moment de dormir.

mercredi 13 février 2008

Les parents terribles


Maman a remis ça. La totale. J'ai l'impression de vivre une scène de la pièce de Cocteau entre Yvonne et Michel. Nous espérions une soirée tendre, retrouvailles après plusieurs semaines d'absence, mais non, il a fallu qu'elle déverse sa bile une fois de plus sur le reste de l'humanité. Personne n'a grâce à ses yeux. Elle ne peut plus discuter de rien sans marquer de son mépris chaque mot qu'elle m'adresse, usant de la mauvaise foi comme un enfant pris en faute, se contredisant d'une minute sur l'autre, n'écoutant aucune phrase jusqu'au bout, accumulant les opprobres à la cadence d'une mitraillette. On s'y perd. Tous ceux qui ne sont pas de son avis sont "des connards" ; difficile d'adhérer... Je sais bien qu'elle m'aime, qu'elle est toujours restée fière de "son petit garçon", mais elle a l'insulte aux lèvres et n'accepte pas que j'ai grandi, que je me sois écarté du moule où elle m'avait glissé.
Aurait-il mieux valu se taire, silence de mort devant cette déferlante de haine ? Comment est-il possible de parler de quoi que ce soit dans ces conditions, doit-on faire semblant comme s'il s'agissait seulement d'une forme de sénilité, montrer patience et abnégation ? Je ne sais pas. Je ne sais rien. Maman revendique de dire à haute voix tout ce qu'elle pense, comme si elle possédait la science infuse, comme si la vérité sortait de sa bouche puisque rien n'est retraité, tout est livré brut. Quelle brutalité ! Elle refuse d'ailleurs aussi la retraite... En ma présence, elle exprime le contraire de ce qu'elle pense à mon égard. Rejet de toute réflexion psychanalytique qu'elle assimile à une croyance mystique ou à une faiblesse, refoulant le passé, réécrivant l'histoire, répétant inlassablement les mêmes idioties comme si aucun démenti n'y avait été apporté, cent fois déjà, depuis vingt ans. Comment doit réagir le fils que je suis lorsqu'elle affirme culpabiliser de ne nous avoir mis au monde, ma sœur et moi ? Elle ne m'a posé aucune question sur mon voyage ou mes activités. Elle ne souhaite pas connaître celui que je suis devenu. Elle se moque de ce que j'écris, parce qu'elle n'a "rien à faire de savoir que je me suis acheté une paire de nouvelles chaussures" ! Je lui ai échappé. Les vieux sont des cons. Les jeunes sont des cons. Il n'y a de sagesse nulle part dans sa bouche. Comment endiguer le flot de son amertume ?
Elle menace encore une fois de se jeter par la fenêtre. Je comprends mieux les scènes atroces que j'ai longtemps reproduites et fait subir à mon entourage. J'ai tant souffert des engueulades qu'elle avait avec mon père lorsque j'étais enfant. Rien ne peut l'arrêter. On finit par hurler pour la faire taire. À s'en casser la voix. La disparition de Papa l'a déséquilibrée. Son optimisme la modérait. Je regrette qu'il ne soit plus là pour répondre à nos questions. Tant de pièces manquent au puzzle. Je tente de comprendre ce qui se jouait entre eux, et comment cela nous a marqués, ma sœur et moi. Maman s'est retrouvée seule face à sa dépression. Pourquoi se déteste-t-elle autant ? Elle concède avoir souffert d'être "une binoclarde". Mais elle ne veut rien savoir de son passé, ne désire surtout pas chercher pourquoi elle et ses deux sœurs ont tant de problèmes pour se mouvoir, tant de souffrance... Cela nous rendrait pourtant service à tous, toutes générations confondues. On fera avec ce qu'on a. Pas le choix.
Je souffre à mon tour de ne pouvoir l'aider lorsque je la vois si triste, aigrie par une paresse qui la poursuit. Elle s'ennuie, forcément, jugeant, faute de faire l'effort d'écouter. Le rejet semble demander moins d'effort que l'acceptation. Elle ne sait pas que son inconscient travaille à sa place, qu'il bout à lui en faire péter les plombs. Elle crache sur tous ceux et toutes celles qui l'aiment et lui résistent. Les autres n'en ont rien à faire, ils la laissent dégoiser à longueur de journée. Je lui dis que c'est grâce à elle que je suis devenu ce que je suis et que j'ai pu m'épanouir, parce qu'elle m'a donné les armes pour réfléchir. Elle attaque aujourd'hui les plus belles choses qu'elle me confia. Je ne reconnais pas la maman qui m'a élevé. Elle répond que je pense trop, que je me masturbe le ciboulot au lieu de travailler. Elle veut croire que je suis coupé du réel, que je ne lis aucun journal, que j'ignore ce qui se passe dans le monde, que je critique ce dont je profite, que ce que je défends n'est qu'entreprise de destruction, là où je ne fais que construire, et peut-être, je le comprends aujourd'hui, de reconstruire.
Je n'ai d'autre choix que de mettre des distances. Je me protège et je ne veux surtout pas reproduire avec ma fille ce qui se joue devant elle. Espérons que l'exemple lui sera profitable, qu'elle saura l'analyser et en user productivement, pour améliorer sa vie, s'épanouir. Un jour après l'autre. Elle doit comprendre qu'elle n'est qu'elle-même, que l'héritage n'est pas à accepter ni à refuser en bloc. Il y a à prendre et à laisser. Mais nous avons besoin de comprendre ce qui, en nous, nous a fait souffrir, l'écho des histoires de famille, pour être capables de nous en débarrasser. Nous avons la nécessité d'interroger le passé pour ne pas en être de simples victimes. L'avenir nous appartient. Un peu moins, chaque minute qui s'approche de la mort. Justement. Ne pas laisser le temps nous jouer des tours, ne pas griller les étapes, ne pas se laisser endormir. Le modèle social est pervers. La manipulation des cerveaux est universelle. Il faut nous tourner vers les plus jeunes pour assimiler les mutations. Refuser de nous figer dans une analyse qui date même si elle a fait date. Je préfère vivre dans l'avenir plutôt que mourir dans le passé.

Mak Phèt (11)


Pour manger, nous avons appris à éviter les restaurants où la nourriture est quelque peu édulcorée pour plaire aux touristes. Nous ne déjeunons et dînons que sur des bancs de fortune, dans la rue, dans des échoppes essentiellement fréquentées par les locaux. Je me souviendrai toujours du petit déjeuner où nous avons élu cette soupe de tripes à la noix de coco relevée à souhait. Pour épicé, on dit mak phèt. J'en abuse avec légèreté. Le second jour à Luang Prabang, nous avons trouvé un hôtel dans un quartier charmant, semi-campagnard. Des petites venelles quadrillent des jardins fleuris. L'ambiance est gaie. Nous nous sommes écartés des endroits rupins, tout près du marché hmong où nous dégustons soupes de nouilles, petits rouleaux de toutes sortes, sucrés et salés, poissons et viandes grillés, herbes parfumées... Le café lao est absolument renversant. On verse dans le fond du verre du lait concentré sucré, puis le café noir, pâte épaisse succulente, l'eau bouillante, et le résultat ressemble à du chocolat épais, sauf que c'est du café, un des meilleurs au monde !
Nous buvons de l'eau minérale ou de l'eau filtrée mise en bouteilles, de la bière locale, la célèbre Beer Lao dont nous apercevrons les brasseries, ou des sodas américains. En Thaïlande comme au Laos, on mange avec une cuillère et une fourchette, sauf chez les Chinois où l'on se sert de baguettes. Jamais un couteau. Parfois les doigts.
La fréquentation des quartiers chinois de Paris nous permet de mieux appréhender la cuisine et les usages rencontrés en Thaïlande et au Laos. Nous retrouvons les phò vietnamiens, la cuisine du sud de la Chine, la noix de coco et les cacahuètes thaïs. Mais ici, ce sont des produits frais. Le lait de soja est pressé devant nous, les rouleaux confectionnés au fur et à mesure, les pâtes dénouées, les noix de coco cueillies et attaquées aussitôt à la machette pour en boire le jus et savourer la chair tendre. Souvent nous regardons ce que les Laotiens ajoutent à leur bol afin de les imiter. Au restaurant, les mets sont rarement chauds, car il est d'usage de les servir tous en même temps et d'attendre qu'ils soient tous sur la table avant d'attaquer le repas. Même chose avec le thé servi d'office, tiède la plupart du temps, ou les verres d'eau que nous ne touchons pas de peur d'attraper quelque maladie intestinale. Nous passerons au travers de la tourista, mais nous nous retrouverons chacun avec un mal de gorge carabiné qui se transformera en toux, un classique du pays, semble-t-il à l'écoute de la bande-son.

mardi 12 février 2008

Kokopelli condamné pour avoir défendu la biodiversité


Qu'il en soit de politique, de culture comme d'agriculture, le pluralisme des sources protège les sociétés et ceux qui les composent de maintes catastrophes programmées inconsciemment, cyniquement ou simplement naturelles. L'unicité a fait ses preuves : "ein Reich, ein Volk, ein Führer !" scandaient les Nazis (Un état, un peuple, un chef !). L'Allemagne se remet à peine d'avoir détruit ou exclu la plupart de ce qui composait sa richesse, la multitude de ses origines. Voulant assurer sa suprématie en imposant un système unique et une prétendue race supérieure, elle a détruit ce qui assurait sa puissance intellectuelle et culturelle depuis des siècles, la biodiversité des êtres qui la composaient. La comparaison peut paraître abusive, mais quelle différence y a-t-il entre les hommes et ce qui les alimente ?
L'association Kokopelli rassemble un catalogue unique de près de 1200 variétés de semences anciennes, produites en agrobiologie, et mène son combat pour la biodiversité depuis une dizaine d'années. Allez jeter un coup d'œil à leur catalogue, cela fait saliver. On a tant perdu le goût des aliments à force de consommer en toutes saisons des fruits et légumes cultivés en batterie, piqués de je ne sais combien de produits conservateurs, conservés dans d'immenses frigidaires, standardisés, calibrés, homogénéisés...
L'industrie agro-alimentaire qui veut imposer ses brevets sur les semences et ses clones génétiques a gagné son procès contre l'association Kokopelli entraînant l'état français dans son combat absurde et criminel. Depuis 15 ans, Kokopelli protège la diversité de nos jardins, de nos champs, de nos assiettes, tout en essayant de faire évoluer le cadre juridique vers une reconnaissance de la valeur agronomique et culturelle des variétés reproductibles... Aujourd’hui, la disparition potentielle de Kokopelli ouvre un boulevard à l’uniformisation culturelle et productiviste agricole. La disparition de la « vraie » biodiversité basée sur la variabilité génétique d’une multitude de variétés locales ne sera jamais, et de très loin, compensée par la multiplicité de quelques variétés clonées... L’association propose aux jardiniers, aux paysans, d’être autonomes et responsables, face au vivant. Dans notre société du tout marchandise, c’est intolérable. Le plus grand grief (sous-jacent) fait aux semences anciennes ou de pays, est d’être reproductibles et qui plus est adaptables à de très nombreuses conditions de cultures, sans le soutien de l’agrochimie. Voilà la faute de Kokopelli : conserver le levain des savoirs populaires, agronomiques et génétiques. À l’heure où l’on veut nous faire croire que le tout hybride, OGM, chimique, énergie fossile, sont les seules possibilités d’assurer notre alimentation, propager l’autonomie semencière par l’exemple est devenu répréhensible. Ce qu’il faut retenir de ces condamnations, c’est la volonté affichée d'éradiquer les alternatives techniques et semencières autonomes.
Malgré les directives européennes, les avis de l’ONU, du Sénat, de scientifiques, d’agronomes affirmant l’urgence de sauvegarder la biodiversité végétale alimentaire, l’état français refuse de libérer l’accès aux semences anciennes pour tout un chacun. C’est ce qui permet aujourd’hui aux magistrats d’infliger ces lourdes peines à l’association Kokopelli... Les semences qui ont nourri nos grands-parents et qui servent à nous nourrir aujourd’hui par le jeu des croisements, seraient donc devenues illégales et dangereuses. Pourquoi condamner une association qui sauvegarde, avec ses adhérents et ses sympathisants, plus de 2500 variétés en risque de disparition ? Pourquoi condamner ces semences dont la FAO (Food and Agriculture Organization for United Nations) reconnaît qu’elles sont une des solutions pour assurer la souveraineté alimentaire, face aux dérèglements climatiques et à l’augmentation de la population mondiale ? Pourquoi les mêmes variétés, selon qu’elles sont vendues par Kokopelli ou d’autres opérateurs entraînent condamnation ou mansuétude ? Pourquoi les grandes surfaces vendent des fruits et légumes issus des variétés interdites à Kokopelli, en toute impunité ? La FNPSP a obtenu du tribunal une confirmation de la condamnation de Kokopelli... Cette fédération des sociétés de la semence potagère regroupe des petites maisons semencières mais aussi et surtout les grandes multinationales qui ont pris l'agriculture et les agriculteurs en otage : Limagrain, Syngenta (le grand ténor de l'agriculture toxique) et Monsanto, le n° 1 mondial de la semence sous tous aspects et le n°1 mondial de la semences potagère.
Après avoir tenté d'interdire le purin d'ortie, engrais naturel, extrêmement efficace, quasi gratuit, l'industrie agro-alimentaire fait jouer ses lobbys pour imposer ses semences manipulées et faire interdire ce qui devrait être labellisé "patrimoine de l'humanité", et l'état français, une fois de plus, se rend complice de la main mise de l'industrie sur ce qui appartient à tous, notre véritable héritage.

lundi 11 février 2008

Le revers d'un patrimoine de l'humanité (10)


Le label "Patrimone de l'humanité" par l'Unesco a un revers à sa médaille. L'ancienne capitale coloniale au confluent du Mékong et de la Nam Kane, magnifiquement conservée, devient un centre touristique où seuls les temples sont encore préservés des marchands. Il y en a partout. Des marchands, certes, et des temples, à tous les coins de rue. Leurs ors et leurs couleurs vives sont aussi kitsch qu'ils apportent calme et sérénité. Les jeunes bonzes jouent au football ou s'affèrent autour des points d'eau. Du haut du Mont Phosi, la vue est à tomber.


Le second soir, nous nous plions au rituel de la population à laquelle nous appartenons tout en la fuyant autant que nous pouvons : nous achetons des T-shirts de toutes les couleurs au motif de la faucille et du marteau, des pantalons thaïs (ceux de Changmai étaient de bien meilleure qualité), des bijoux de pacotille, cuillères en bambou, du thé, du café, des algues de la rivière séchées et parsemées de petites graines de sésame... Nous marchandons en riant avec les vendeuses hmong qui tentent toujours de vendre le double, mais ici les prix sont si ridicules en regard de notre train de vie habituel d'occidental que nous pouvons nous poser la question de la justesse de notre démarche : faut-il payer ce que l'on nous demande sans sourciller comme des Américains ou jouer le jeu des us et coutumes en négociant le prix de chaque chose ? Si la loi de l'offre et de la demande est la même partout, nous risquons de faire grimper les prix en les rendant prohibitifs pour des populations dont l'économie n'a rien de commun avec la nôtre.


Nous changerons trois fois d'hôtel. La première chambre située dans un hôtel chic du quartier huppé est chère et n'a pas de fenêtre. La seconde a le désagrément de côtoyer une machine bizarre que nous serons incapables d'identifier, mais qui n'aura de cesse de s'enclencher et de s'arrêter toute la nuit, clic, shhhhh, clic, shhhhhh. Nous trouvons enfin notre bonheur à la Nock Noy Guesthouse, grande chambre lumineuse avec parquet et vue dégagée sur le bleu du ciel. Hélas, nous devons repartir le lendemain matin aux aurores.


D'ici là, nous découvrons le grand marché couvert à l'extérieur de la ville. Sa localisation sur le plan du Routard est totalement erronée et nous marchons une heure et demie de trop, mais, encore une fois, nos efforts sont récompensés. Nous sillonnons systématiquement toutes les allées, hébétés devant tant de choses que nous sommes bien en mal d'identifier, par les prix dérisoires, la beauté ou l'astuce de certains objets. Le secteur nourriture est évidemment mon préféré ! Nous ne rencontrons jamais aucun occidental dans ces marchés où les poissons nagent sur la tranche dans des cuvettes, la viande ne ressemble à aucune des nôtres à cause de la coupe sauvage, les fruits et légumes forment d'énormes tas sur des bâches à même le sol et les petits traiteurs proposent des sandwiches laos, des brochettes de porc et de poulet, des soupes toujours, same same, but different. Nous trouvons des paquets de thé lao joliment enveloppés et le thé vert "1" que nous avons découvert pendant notre séjour dans les arbres à Bokeo et que l'on sert avec les "poissons", les lèvres jouant leur rôle de passoire. Plus loin, les bijoutiers proposent l'or et l'argent, un or parfois très jaune, de la couleur des temples aveuglants de soleil.



Sur la route, nous sommes surpris qu'ils s'en construisent autant de neufs. Les drapeaux rouges cohabitent avec les insignes du bouddhisme. Nous percevons le mépris étouffé des Laos pour les tribus animistes qui vénèrent les phis, sortes de dinités fantômatiques qui hantent les rêves, mais que les autres Laotiens ne négligent pas pour autant. Dans la jungle de Bokeo, nous en avons invoqué un qui avait pris l'apparence d'un arbre aux racines noueuses, comme des cordes s'enfonçant dans la terre humide. Le résultat ne fut pas brillant, puisque s'en suivirent un accident et l'apparition effrayante des serpents verts, ce qui fit bien rire notre guide Songkeo. Lorsque les laotiens construisent une maison, ils commencent souvent par élever un petit temple sur le terrain. De même, la statue se dresse au milieu du chantier, avant que le bâtiment administratif ait vu poser sa première pierre.



Françoise achète des petites bananes pour le voyage de demain, vingt six heures plein sud, jusqu'aux "4000 îles".

dimanche 10 février 2008

Bernard Stiegler, la musique est la première technique du désir [archive]


Nous avons rencontré le philosophe Bernard Stiegler dans la cadre d'une enquête sur la fonction de la musique aujourd'hui, que Jean Rochard et moi réalisons pour le Journal des Allumés.
Il est agréable d'interviewer quelqu'un qui se préoccupe d'abord de ses deux interlocuteurs et du médium à qui il s'adresse et que nous représentons. Bien que nous nous souvenions très bien, et avec plaisir, de son frère Dominique lorsqu'il était journaliste à Révolution, nous ignorions l'attachement au jazz de l'ancien directeur de l'Ircam, de sa passion absolue pour cette musique jusqu'à son emprisonnement pour vol à main armée en 1978. Stiegler eut la sagesse de faire son coming out sur ses activités délinquantes et écrivit Passer à l'acte en 2003 sur ce qui lui permit d'entrer en philosophie. La lecture d'un article passionnant sur la perte de la libido, conséquence de l'uniformisation, écrit pour Le Monde Diplomatique, nous donna envie de l'interroger sur les changements sociaux que la musique peut produire et comment sa fonction se transforme aux mains d'une industrie dont le moteur "essentiel" est le marketing.
Nous sommes surpris par son "optimisme" quant à l'avenir des nouvelles technologies lorsqu'il ne peut imaginer autre chose que l'écroulement d'un système qui a poussé la manipulation jusqu'à l'absurde, par sa désincarnation morbide et ses tentatives d'uniformisation des consciences. Il appelle "s'accaparer" ce que je nomme "pervertir", mais nous sommes d'accord sur la position à adopter face aux machines. Pour lui, l'objet est pervers et nous sommes en charge de le dé-pervertir en trouvant une façon positive de le détourner au profit de l'intelligence, de le pousser vers l'échange. Ainsi, en tapant ces lignes, j'écoute les conférences d'Ars Industrialis au format mp3. Rien ne sert de diaboliser les soubresauts technologiques, il vaut mieux apprendre à s'en servir, tout en restant vigilant sur les dérives de contrôle qu'elles risquent de générer. Le poids de Google est, par exemple, de plus en plus inquiétant.
Bernard Stiegler, actuellement directeur du département du développement culturel au Centre Georges-Pompidou, dirige également l'Institut de Recherche et d'Innovation (IRI) où il nous reçoit. Notre entretien abordera bien des sujets que nous révèlerons dans le Journal qui sortira début avril. Jean se charge de relever et synthétiser l'enregistrement pour l'adjoindre au dossier que nous réunissons. La veille à Ivry, dans le cadre de Sons d'Hiver, eut lieu un débat sur la question : la musique vaut-elle encore le dérangement ? qui figurera aussi, entre autres, dans ce numéro 21. Pour patienter, le plus sage est de vous abonner en envoyant vos nom et adresse aux Allumés du Jazz, all.jazz@wanadoo.fr, pour recevoir directement le Journal chez vous, gratuitement !
Les précédents numéros sont téléchargeables sur le site au format pdf.
Vous pouvez aussi lire les deux derniers livres de Stiegler : Économie de l'hypermatériel et psychopouvoir (entretiens chez Fayard) et Prendre soin (gros bouquin sur la jeunesse à paraître dans quelques jours chez Flammarion).

samedi 9 février 2008

La descente de la Nam Ou (9)


Le matin, la brume envahit la vallée pour se dissiper ensuite avec le soleil qui apparaît au-dessus des crêtes. Le troisième jour, nous reprenons notre périple, aujourd'hui par la rivière, sur une de ces pirogues effilées dites à longue queue. C'est un voyage merveilleux au fil de l'eau. Nous admirons la nature omniprésente, mais aussi les villages. Les paysans pêchent à la main, à la nasse ou au filet, les enfants arborant avec fierté un masque et un tuba. Partout ils nous font signe. Jamais, dans aucun pays, on nous aura autant salués. Nous ne sommes pas en reste de "Sabaïdi", le bonjour en lao.


À chaque rapide qu'il doit affronter le capitaine baisse le régime du moteur au ralenti et son équipier évite les rochers avec une longue tige en bambou, passant par le toit pour courir de la poupe à la proue et de babord à tribord. La consigne est de ne pas broncher pour ne pas faire chavirer le frêle esquif. Nous sommes tout de même une quinzaine à bord sans compter les bagages. Chacun retient son souffle, aspergé par les embruns que fait naître le clapotis des vagues sur la proue. Le capitaine zigzague avec zèle au milieu des milliers de récifs dont la plupart sont immergés. Inquiet, il nous demandera de descendre une première fois et de marcher un quart d'heure le long des berges lorsque les rapides seront trop turbulents et le lit de la rivière beaucoup trop proche. Plus tard, ayant raclé le fond sur les cailloux il devra plonger sous le bateau pour changer la vis du gouvernail qu'il a cassée.


Juste avant que la Nam Ou se jette dans le Mekong, à proximité des grottes de Pakou, nous nous échouons brutalement sur un banc de sable que le soleil de face a rendu invisible. Nous voilà tous à l'eau pour pousser l'embarcation et rejoindre notre port.


Nous traversons des paysages insensés, surmontés d'énormes pains de sucre envahis de végétation luxuriante. Sur la rive se baignent des buffles. Des jardins sont encerclés de barrières en bambou pour que les porcs ne viennent pas dévorer les rares plantations. Les arbres sont gigantesques, le paysage préhistorique.


Mon plaisir est un peu gâché par l'état de mon coccyx. Sept heures sur une chaise en bois ne me réussit guère. Nous arrivons enfin dans l'ancienne capitale coloniale, Luang Prabang, tandis que le soleil se couche. Je me trompe de direction en débarquant et nous nous retrouvons dans le quartier huppé de la ville. Les hôtels sont hors de prix et les rues encombrées de tant de vendeuses de souvenirs que l'on se croirait sur la Butte Montmartre. Leurs étals posés à même le sol nous permettent à peine de faire glisser nos bagages alors que tombe la nuit. Désertée, la ville reprendra forme humaine le matin.

vendredi 8 février 2008

Le paradis de Nong Khiaw (8)


Le voyage vers Nong Khiaw est épique : tuk-tuk jusqu'à la station de bus à quelques kilomètres du centre ville (à l'allée, nous refusions de descendre du bus, croyant qu'on était en train de nous larguer en plein no man's land), puis direction Oudomxai. Lors d'une halte sur une route de montagne, le bus s'arrête dans un village où de vieilles femmes vendent du gibier à côté de pousses de bambou et de tubercules : gros rats gris, chauve-souris dépecées, oiseaux multicolores, écureuils... Ces derniers faisant certainement partie d'une espèce protégée, la paysanne les cache derrière son dos pour éviter que je les prenne en photo.


Nous remonterons dans un nouveau tuk-tuk (petite camionnette "pick-up" à l'air libre et recouverte d'un toit) où nous sommes serrés comme des sardines jusqu'à Lapmong. Nous serons jusqu'à vingt-sept, sans compter le demi-cochon qui s'écroule sur nos sandales dans les tournants. Trois passagers se tiennent debout à l'arrière du véhicule surchargé.


L'arrivée à Nong Khiaw est magique. Le Routard écrivait "tous les matins du monde". Le coucher de soleil sur les montagnes qui bordent la rivière Nam Ou est à couper le souffle. Nous nous offrons un somptueux bungalow sur pilotis avec terrasse surplombant le ballet de bateaux à longue queue qui montent et descendent la rivière.


Sur place, j'ai de plus en plus de mal à écrire le récit de nos aventures, entraîné dans le flot des événements comme sur la pirogue qui affronte les rapides de la Nam Ou, sept heures durant, de Nong Khiaw à Luang Prabang. Mais avant cela, nous nous reposons dans le cadre enchanteur du Riverside. Nous avons aussi découvert un petit restaurant en aval dont la terrasse nous permet d'être à hauteur de la cime des arbres, à portée de main des papayes, bananes et noix de coco qui les couronnent. Les enfants les cueillent avec de longues perches en bambou. Tout ici est fait de bambou, les maisons comme les échafaudages qui les soutiennent...

jeudi 7 février 2008

Luang Nam Tha (7)


Nous faisons d'agréables rencontres, seulement d'autres voyageurs. La barrière de la langue nous empêche d'avoir des discussions profondes avec les autochtones. Mon laotien est aussi primitif que leur anglais. Nous évitons soigneusement les Français qui ont presque toujours l'âge de la retraite tandis que les autres (Australiens, Allemands, Hollandais, Américains...) sont en général beaucoup plus jeunes. Nombreux partent pour plusieurs mois dans le sud-est asiatique : Vietnam, Cambodge, Laos, Thaïlande, parfois la Birmanie ou la Chine, jusqu'à l'Inde ou l'Indonésie. Les manières de certains touristes ignorant les coutumes locales nous choquent ou nous révoltent. À Luang Nam Tha, nous croisons plusieurs fois un couple d'Allemands de notre âge, très sympathique, avec qui nous partageons nos choix culinaires et populaires.


Françoise m'entraîne souvent sur les marchés où nous nous refaisons une garde-robe pour trois francs six sous et j'arpente, avec envie et le désespoir de ne pouvoir tout goûter, les allées de nourriture où des femmes proposent la véritable cuisine laotienne ou originaire de la trentaine de tribus qui peuplent les montagnes. Je glane quelques idées pour mes futures soupes et j'essaie d'identifier les herbes que je retrouverai à Belleville ou dans le XIIIème.


Le second jour, nous louons des vélos pour découvrir la campagne, rizières et villages des différentes ethnies, rivières et petits ponts de bambou... Le soir, nous nous couchons vers 21 heures comme tout le monde...


Je prends à la fois peu de notes et de photos. Il faut choisir entre vivre au présent ou récolter des souvenirs. J'essaie de déconnecter d'avec mes "mauvaises" habitudes. Les instants magiques sont fugaces. Mon vieil appareil-photo est trop lent pour les saisir. Le délai d'une seconde ne me permet pas de faire des portraits, je me cantonne aux paysages et aux vues fixes ou figées.


Les maisons sont plus souvent construites sur pilotis pour éviter les animaux et plus certainement les inondations en période de mousson. La période que nous avons choisie est idéale : pratiquement aucun moustique, donc inutile de se faire vacciner, température agréable de la saison sèche, tourisme réduit puisque ce n'est pas une période de vacances scolaires.


Certains paysages me rappellent mon voyage au Vietnam il y a une dizaine d'années. On raconte que ce pays a beaucoup changé, que les touristes y sont considérés comme des portefeuilles sur pattes, tranchant avec l'amabilité des Laotiens.

mercredi 6 février 2008

Toilettes à la laotienne (6)


Comme dans le Maghreb les toilettes ne sont pas prévues pour digérer le papier hygiénique. On se lave en s'aspergeant d'eau avec un tuyau ou une casserole que l'on plonge dans une cuve. C'est très propre, pas toujours pratique et on se rhabille avec le derrière mouillé.


À l'usage, on se rend compte que cette technique est plus hygiénique puisqu'on se lave, et plus écologique puisque l'on ne gaspille pas de papier et qu'on n'encombre pas la planète avec toute cette cellulose. Question d'habitude ! En haut des arbres de la réserve de Bokeo, c'est évidemment encore plus acrobatique et il ne faut mieux pas avoir le vertige, mais la vue est imprenable...


L'eau arrivait d'une source et l'évacuation se faisait par un tuyau qui éjectait tout cela dans la nature, loin du chemin évidemment. Sur l'image, on voit qu'ici le siège agrémenté d'un cône en métal, dépasse de la rambarde de la maison. À trente mètres au-dessus de la forêt, j'avoue avoir eu un peu la trouille lorsque je m'asseyais !


Même dans la meilleure auberge de Nong Khiaw dont les luxueux bungalows surplombent la rivière Nam Ou, le système est le même, et la douche asperge, inonde et nettoie toujours la salle d'eau. Mais nous n'y sommes pas encore. C'est pour le prochain épisode. Sur la route qui nous y mène, comme des lampadaires éclairant le chemin, flottent partout des drapeaux rouges ornés d'une faucille et d'un marteau. La vitesse et les chaos de la route ne me permettent pas de prendre de photo...

La musique vaut-elle encore le dérangement ?


Demain jeudi à 17h, débat public proposé par le Festival Sons d'Hiver et Les Allumés du Jazz : "La musique vaut-elle encore le dérangement ?"

"Mort du disque annoncée", "culte de l'Audimat" sont des principes qui envahissent les débats publics en France sur la musique. Il est urgent d'analyser ces notions idéologiques et médiatiques, d'en percevoir la nature et les enjeux réels, pour ne pas subir cette crise, mais devenir les acteurs d'un véritable changement. Et revenir à la question fondamentale : "pourquoi et comment faire circuler la musique aujourd'hui ?"
Interventions de musiciens, représentants de maisons de disques, programmateurs de concerts et autres acteurs de la vie musicale.
Les débats sont ouverts à tous. Venez participer et réfléchissons ensemble.
À lire : "Crise du disque, pourquoi tant de haine" par Olivier Gasnier dans le numéro 20 du Journal des Allumés du Jazz. En illustration, la une d'Efix.

Entrée libre.
Théâtre d'Ivry-sur-Seine Antoine Vitez
1 rue Simon Dereure 94200 Ivry-sur-Seine
Métro : Mairie d'Ivry (ligne 7) Terminus
tél à Sons d'Hiver : Armelle ou Émilie 01 41 73 11 65

Trois petits films dans la jungle de Bokeo (5)


Je me suis résigné à mettre en ligne ces trois vidéos malgré leur déplorable qualité. C'est le première fois que j'utilisais mon vieil appareil-photo numérique pour réaliser trois petits plans sur les câbles du Gibbons Experience. Les films d'origine ne sont pas si mauvais, mais YouTube refuse leur format natif, aussi suis-je obligé de les réexporter dans QuickTime en les compressant et le résultat n'est pas brillant. Cela donne tout de même une vague idée de l'aventure. Vous pouvez toutefois regarder d'autres séquences tournées par divers participants en tapant Gibbons Experience ou Gibbonx dans YouTube.


La première séquence "montre" Françoise quittant la Maison 4 où nous avons passé la première nuit. Dans la seconde, j'arrive de la Maison 5 où nous avons été confrontés aux cinq reptiles géants vert fluo. Dans la dernière, on voit Françoise terminer la glissage en s'aidant avec les bras.


Heureusement, nous avions acheté des gants de laine en face de l'agence pour protéger nos mains ! Au début, la tendance est souvent de se coincer les doigts dans la poulie, mais on apprend très vite... Et puis nous nous surveillons les uns les autres pour ne pas prendre de risque idiot. L'important est surtout d'attendre que le précédent soit arrivé avant de s'élancer. Même à un kilomètre de distance on sent parfaitement les vibrations du câble quand on le touche, que ce soit la poulie ou le choc des mains qui se hissent. La seule faille est l'absence de vibration si quelqu'un s'est malencontreusement arrêté en route, aussi nous crions "ok !" (deux syllabes) ou "non !" (une syllabe) aux injonctions des impatients ou des inquiets. Hélas, certains répondent par un "not ok !" dont la distance et l'écho de la forêt avalent obligatoirement la négation, risquant de provoquer des accidents.

mardi 5 février 2008

Mon Tenori-on me ravit


Depuis le temps que je cherchais un nouvel instrument bien loufdingue, je suis servi avec le Tenori-on conçu par Toshio Iwai, le créateur d'Electroplankton, et construit par Yamaha. J'ai toujours aimé ces objets bizarres dont l'interface ne ressemble à aucune autre. Lorsque j'avais acquis mon synthétiseur ARP2600 en 1974, l'aspect "central téléphonique" m'avait excité, mais j'ai aussi bien apprécié le Stylophone dont je viens de racheter un exemplaire, les AirFX et AirSynth d'Alesis ou le Theremin reconstruit Robert Moog qui se jouent sans qu'on les touche. Cette fois, le Tenori-on se joue avec les pouces ou tous les doigts, sur piles ou sur secteur, c'est intuitif et très amusant. J'en ignore encore les capacités et les limites, mais je vais m'employer à le pousser dans ses retranchements, comme chaque fois que je programme un de ces instruments industriels afin de me l'approprier. Il ressemble aussi beaucoup aux machines virtuelles que j'ai inventées avec Frédéric Durieu, modules interactifs depuis ''Alphabet'' jusqu'à ceux du CielEstBleu (les trois de Time, la Pâte à Son, FluxTune que Fred dit qu'il terminera enfin avec la nouvelle version de Director) ou les projets avec Antoine Schmitt et Nicolas Clauss, mais là, chut !... Pour l'instant, avec l'un comme avec l'autre, c'est top secret ! Le Tenori-on n'étant distribué qu'en Grande-Bretagne, je l'ai simplement commandé sur Internet et reçu trois jours plus tard. Je me demande ce que cela donnera lorsque je le commuterai avec d'autres appareils comme le M-Resonator de Jomox ou l'Eventide H3000... Et je compte bien en jouer dès mes prochains concerts, le 13 mars au Triton (Les Lilas) avec les filles de Donkey Monkey (réservez déjà vos places, même si une partie du show sera retransmis sur France Musique !), et le lendemain à L'échangeur petite prestation avec les images de Nicolas.

lundi 4 février 2008

Snake Experience (4)


Tout a commencé de travers. Les Hmong qui devaient nous accompagner dans la forêt avaient changé la date de leur nouvel an sans prévenir et aucun guide n'était prêt à sacrifier trois jour de libations pour une poignée de touristes. S'ajoutait une réunion de chefs par-dessus le marché ! Personne ne voulait manquer ça, Hmong Politics... Les jeunes filles qui avaient enfilé leurs costumes de fête s'entraînaient à se lancer des balles en vue de leurs mariages proches. C'est ainsi que l'on se choisit un conjoint pour la vie. Le chef des guides était furieux. Aucun des guides ne cédant, nous avons entamé notre marche précédés d'un seul guide, Songkeo, qui, Lao, n'avait rien à faire du nouvel an hmong. Après trois heures à s'enfoncer dans la forêt vierge, les huit inscrits à la Waterfall Experience atteignirent la chute d'eau annoncée.


Nous avons bien besoin de ce bain glacé pour évacuer la fatigue et la sueur. Françoise et moi choisîmes de passer la nuit seuls en Maison 4 tandis que les six autres, deux Allemands, deux Hollandais et un couple de Californiens se partageaient la 6, dernière construite avec tout le confort moderne, soit une douche et des toilettes. Notre maison, située tout en haut d'un arbre à trente mètres au-dessus du sol, ne nous offrait pas ce luxe et je craignais devoir emprunter un des câbles qui surplombent le vide si une envie nocturne pressante se faisait sentir.


Les six maisons perchées chacune en haut d'un immense arbre sont toutes accessibles par des câbles sur lesquels nous glissons, équipés d'un harnais sur lequel est fixé une poulie. Rien de plus excitant que de fendre l'air pour regagner l'autre flanc des vallées que nous surplombons. Le plus long câble mesure 1 kilomètre à 150 mètres au-dessus du sol. Le plus effrayant est de se lancer dans le vide. Ensuite, cela glisse tout seul. Si l'on va trop vite, on appuie sur le frein en pneu qui entoure la poulie. Si l'on n'atteint pas la plate-forme opposée, les gants de laine que nous avons acheté à Houeisai nous permettent de la rejoindre à la force des bras, ce qui n'est pas toujours très agréable, mais chacun s'en sort plutôt bien, même Françoise qui est la plus légère et doit souvent terminer les derniers mètres suspendue au-dessus du vide, en jouant de ses biceps et de ses abdominaux.


Nous avons beau être équipés de lampes frontales le cas échéant, l'idée de nous lancer seuls, de nuit, sur un de ces câbles, avec une envie de chier incontournable, ne nous inspirait pas vraiment et nous eumes la chance de pouvoir attendre le matin humide, trempé de la rosée de la cascade au pied de l'arbre. La brume monte d'abord avec le jour pour se dissiper ensuite avec le soleil.


Notre guide nous avait apporté à dîner, mais le groupe nous rejoint avec trois heures de retard le matin suivant. Un accident est arrivé. Marin filmant sa glissade et voulant arrêter sa caméra est reparti en arrière tandis que Brian n'attend pas le signal et s'élance sur le fil. Le choc des corps est brutal. Le premier s'en sort avec maintes contusions et une canne, mais l'Américain ne peut plus bouger. Songkeo le hisse avec une corde jusqu'en Maison 6 où sa compagne le rejoint. Nous n'étions plus que six à reprendre la marche pour rejoindre la 5, puisque nous devons échanger nos habitats avec un autre groupe. Bien que nous ayons pris du retard et marchions à l'heure la plus chaude, SongKeo nous propose d'aller visiter la Maison 3 dont la vue ur les montagnes est exceptionnelle. Nouveaux câbles enchanteurs, rêves de tarzan, végétation grandiose, mais peu de faune. Avec mes jumelles, nous admirons quelques volatiles colorés, petits zoziaux vert et jaune, bleu électrique, rose fuschia ou grands oiseaux noirs à longue queue. Seul le silence habite vraiment la forêt où nous ne verrons jamais les gibbons qui donne leur nom à cette belle expérience, mais nous les entendrons le matin suivant avec beaucoup d'émotion. Il aura fallu dix ans à Jeff et son équipe pour mettre sur pieds le projet d'écotourisme, convertissant les braconniers en gardes forestiers. Le Gibbons Experience n'étant dans aucun guide, le bouche à oreille risque seulement de rendre plus long le temps d'attente des réservations.


Nous venions d'arriver en Maison 3 lorsque notre guide se mit à hurler "Snake ! Snake ! Snake !" Un immense serpent vert rampait à un mètre de nous sur une branche de l'arbre qui soutenait la plate-forme. Panique à bord, mais pas au point de manquer la photo, et les toursistes que nous sommes de demander à Songkeo d'attendre une seconde avant de tuer le dangereux reptile. Il l'assomme d'un coup de planche sur l'échine, mais le serpent remonte. L'autre guide pète les plombs et jette par dessus bord en direction de l'animal tout ce qu'il trouve, un banc, des tasses en métal, le peu de meubles présents qui vont s'écraser quelques dizaines de mètres plus bas. Je fais bouillir de l'eau que nous versons dans l'arbre creux, mais un second serpent de trois mètres surgit. Et un troisième animal, et de quatre, et de cinq ! C'est incroyable. Tous sont aussi longs les uns que les autres et particulièrement agressifs face aux assauts dont ils sont victimes. Comprenez que nous sommes suspendus au-dessus du sol avec tout cet équipage. Songkeo réussit à en tuer quatre, coupant le dernier à la machette. Le sang a beau être froid, il est bien rouge. Nous désertons la Maison 3 accompagnés de ses quatre pensionnaires dont une jeune fille qui tremble comme une feuille.


Nous nous serrons donc en Maison 5, puisque de huit nous étions passés à six pour devenir dix par la force des choses qui rampent et crachent comme des malades. La seconde nuit est plus calme, sans les petits rats qui avaient piétiné nos camarades la nuit précédente, présence expliquant probablement celle des reptiles, elle-même due à un mauvais rangement ou nettoyage des miettes des repas. Encore une fois, Françoise et moi, nettement plus âgés que la plupart, faisons chambre à part en squattant l'étage supérieur de ce nouveau nid avec vue à 360° sur la forêt qui nous entoure et se réveille. Nous prendrons le chemin du retour et attraperons de justesse le car qui nous amènera jusqu'à Luang Nam Tha. Il suffit de lui faire signe sur le bord de la route, il s'arrête, à condition qu'il y ait de la place à bord. Nous n'avons pas très envie de rester au bord de la route. Les ballots s'empilent dans la travée centrale. Voyages épiques où les Laos crachent et vomissent tant qu'ils peuvent, secoués par les routes chaotiques en épingles à cheveux, au son de rap lao tonitruant. Les voyageurs disent qu'en Chine ils n'emportent pas de petits sacs en plastique avec eux ! Françoise s'inquiète que le vent rabatte les miasmes vers les fenêtres...

dimanche 3 février 2008

L'arnaque


La Bourse est la plus grande escroquerie que le Capital ait inventée pour arnaquer les petits au profit des plus gros. Lorsque la Société Générale vend des actions pour éponger ses pertes, il y a bien à l'autre bout quelqu'un qui les achète ! Si nombreux furent ruinés par la Crise de 1929, d'autres s'y enrichirent. Émile Zola relate très bien les mécanismes boursiers dans son chef d'œuvre L'argent et, plus schématiquement, Oliver Stone dans son film Wall Street en explique la manipulation. Les fluctuations du marché sont générées par le volume des ventes et des achats. Or seuls les gros actionnaires peuvent influer sur les cours puisqu'ils sont les seuls en mesure de produire des flux suffisants pour provoquer hausses et baisses. Les petits porteurs ne peuvent que suivre, ou pas...
Ainsi, un gros actionnaire qui vend en masse, évidemment au taux le plus haut, provoque une chute des cours. La panique que produit cette baisse pousse les petits épargnants à vendre à leur tour, mais cette fois à la baisse. Leur nombre fait encore baisser le cours, et lorsque l'action s'est suffisamment cassée la figure, le gros rachète en masse à un taux ridiculement bas, et l'affaire est dans le sac. Il a vendu au taux le plus haut et tout racheté au taux le plus bas. Les petits, eux, ont vendu dans la panique à un taux bien inférieur à celui auquel ils avaient acheté. La Bourse est donc simplement un système élaboré pour piquer les sous des petits épargnants au profit des plus gros.
Les banques se présentent à leurs clients comme des entreprises de services. En réalité ils jouent avec l'épargne de tous. Ne pouvant conserver ses liasses, même minimes, sous l'oreiller, chacun est quasiment obligé de posséder un compte en banque. Le banquier fait du profit avec toutes ces sommes, placées ou pas, et ponctionne même des frais de gestion, ce qui est d'un cynisme achevé. Non contente de faire du profit avec nos portefeuilles, elle nous en fait payer les frais ! Comprenez bien qu'il ne s'agit pas du guichetier ou du chargé de clientèle, ceux qui font partie du "back office" ni même les traders à l'adrénaline excédentaire qui forment le front office, mais ceux qui les emploient. Le système bancaire est une arnaque aussi élaborée que la Bourse comme la plus-value sur le travail des salariés. Personne ne semble s'en émouvoir. C'est le Système ! Il s'agit d'une gigantesque entreprise de fraude caractérisée, légale, universelle, et chacun d'entre nous en est la victime, quelle que soit la valeur de son compte en banque.

samedi 2 février 2008

Coquaphonie (3)


Lorsqu'à 3h55 une centaine de coqs entamèrent leurs vocalises enrouées, je compris l'expression "se coucher avec les poules". Le soir, à neuf heures, le village est éteint, livré aux cigales et aux grenouilles. Le silence de la nuit nous change des pétarades citadines. Du moins l'ai-je cru jusqu'à ce que les gallinacés s'animent. Quatre heures plus tard, ils n'avaient toujours pas terminé de sonner leur réveil infernal. La nuit suivante, le tintamarre débute à minuit ! Je rêve de Crazy Squirrel dans le film de Tex Avery où il tente de faire la peau d'un de ces emplumés. Je sais maintenant que je n'ai pas emporté de boules Quies pour des prunes. Conserve-t-il autant de coqs pour des combats ? Nous avons vu des ados parier plus loin à Luang Prabang. Les poules sont sans cesse assaillies par les mâles. C'est la viande la plus tendre, le porc est trop coriace et le canard est un animal mythique, présent sur tous les menus, mais jamais disponible. Ici, pas d'élevage en batterie...


Houeisai est un village frontière laotien sur le Mékong, une longue rue principale où s'alignent commerces, guesthouses, petits restaurants de fortune où l'on mange pour trois francs six sous, 15000 kips laotiens ou 30 baths thaïs. En échange de 300 euros, le changeur m'a remis une liasse de cinq centimètres d'épaisseur avec trois millions de kips. Pour acheter une voiture, il doit falloir une brouette.


Le soir, les enfants qui rentrent de l'école nous adressent de souriants "Sabaïdii". Nous leur rendons ce mignon bonjour. Les Laotiens sont particulièrement aimables. Personne ne nous alpague. De l'avion qui nous amenait à Changmai, nous sommes passés au VIP Bus à un car plus rudimentaire pour rejoindre la frontière, un tuk-tuk pour traverser Changkong et la pirogue enfin. Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Les autochtones passent leur temps à cracher par la fenêtre du bus. Mieux vaut s'asseoir à l'avant, d'autant qu'ils sont souvent malades à cause des routes qui tournent et vomissent tant qu'ils peuvent. Chacun a une dizaine de petits sacs en plastique qu'il jette au fur et à mesure par la fenêtre... Si le confort hôtelier semble de plus en plus spartiate, ce n'est qu'en apparence. Notre chambre à Changrai avait l'allure d'un vaste panier de riz gluant tressé, celle de Houeisai donne sur le Mékong et les collines sauvages de la province de Bokeo.


Nous marchons jusqu'au marché du matin, le talatsao, situé plus loin à l'intérieur du village. Au coucher du soleil, nous grimpons jusqu'à la pagode où de jeunes bonzes jouent avec de l'eau. L'un d'eux fait le mur. Nous évitons soigneusement les touristes français qui se comportent comme des cuistres pour se faire photographier avec les moines. Nous essayons de nous conformer aux usages locaux pour ne pas choquer nos hôtes, ce qui embête un peu Françoise qui aurait préféré porter des shorts plutôt que des pantalons. S'il fait chaud dans la journée, les nuits sont très fraîches.


Nous avons réservé les dates de notre trek au Gibbons Experience depuis Paris. Ce projet d'écotourisme a été initié par des Français qui ont converti les braconniers en gardes forestiers pour protéger le saccage de la forêt primaire. Ils ont construit six maisons dans les arbres et tendu de longs câbles pour les atteindre ou traverser les vallées. Les places sont évidemment limitées. Ils ne font aucune publicité, mais le bouche à oreille risque de rendre les délais de réservation de plus en plus longs. Nous sommes impatients de rejoindre la jungle et de nous élancer dans les airs comme des Tarzan...

vendredi 1 février 2008

Antoine Schmitt s'affiche en ville


Antoine Schmitt travaille sur une nouvelle installation intitulée Facade Life dont la première eut lieu à Bruxelles en octobre dernier à l'initiative d'Yves Bernard. Sur son site, Antoine diffuse une vidéo qui vaut toutes les explications et laisse rêver des prochaines déclinaisons de cette rencontre entre une façade de maison et une entité artificielle. La nuée de pixels longeant les gouttières, tournant autour des fenêtres, explosant sur le mur, se joue des aspérités comme un animal sensuel et bienveillant. Dans le futur, ces lucioles pourront devenir interactives dans des lieux où circulent passants et automobiles. Façade Life fait partie des objets comportementaux programmés par Antoine que je préfère parce que sa danse est des plus élégantes, presque érotique, si souple, qu'elle génère un mystère, comme jadis sa Vénus ou ses premiers modules avec tact.