Je n’ai jamais été très amateur des films de Peter Greenaway, souvent ampoulés et prétentieux, si obsessionnels qu’ils en finirent par être franchement ennuyeux, mais je me souviens avoir adoré une exposition en plein air organisé en Suisse où le cinéaste avait (re)cadré la ville en installant des murs percés d’une ouverture pour obliger les passants à la regarder sous un certain angle, dans un cadre imposé. L’invitation à voir était suscitée par quelques marches à gravir jusqu’au point de vue choisi par l’artiste.
Les Films du Paradoxe ont publié un double dvd intitulé 4 American Composers, regroupant quatre films tournés à Londres par Greenaway en 1983. Philip Glass, Robert Asley, Meredith Monk, John Cage, quatre façons de filmer la musique en suivant le style de chaque compositeur. Les quatre documentaires de 55 minutes chacun ont été tournés un an après le prometteur Meurtre dans un Jardin Anglais. Comme pour la série Cinéma, de notre temps, où un cinéaste fait le portrait d’un autre en en adoptant certaines caractéristiques de style, Greenaway choisit chaque fois une forme cinématographique appropriée à l’univers du compositeur abordé.
Il survole l'Ensemble de Philip Glass en mouvements fluides, plongées et contre-plongées, pour ne pas distraire les musiciens interprétant en public cette musique acoustique amplifiée que l’on appelait répétitive avant qu’elle ne devienne « minimaliste ». Les œuvres de Glass m’ont souvent fait l’effet d’une variétisation de la musique répétitive, dont les rythmes s’opposaient à la narration, à la mélodie et à l’harmonie, mon intérêt se portant plutôt vers le virtuose Steve Reich. Pourtant, ici, Music in Similar Motion, Glassworks et Train/Spaceship, extrait du célèbre Einstein On The Beach qui m’avait emballé lors de sa création dix ans plus tôt, produisent un vertige contrebalançant les propos mercantiles de leur auteur.
Pour Robert Ashley, le cinéaste s’inspire de la forme de l’opéra télévisé Perfect Lives en insérant des cartons où s’inscrivent les mots dits lors des entretiens entrecoupant la prestation scénique et en disposant des écrans cathodiques autour des musiciens interviewés à la manière d’un Nam June Païk. Les deux acteurs, Jill Kroesen and David Van Tieghem, brodent autour de la voix d’Ashley ; les bandes préenregistrées de Peter Gordon assurent une immuabilité permettant au piano de « Blue » Gene Tyranny de s’envoler.
Meredith Monk alterne scènes de concert, ballets filmés et archives pour expliquer sa démarche vocale et théâtrale, seule et en groupe, mais le film le plus réussi est, de très loin, celui avec John Cage, véritable leçon de musique et d’écoute autour de son Musical Circus. Nous assistons à quarante ans compressés sur deux heures à l’occasion du 70ème anniversaire du compositeur dans une église désaffectée et arrangée pour l’évènement. Le film s’ouvre sur la destruction de la « rénovation » dont le bâtiment fut victime tandis que Cage lit un texte sur le son en voix off. Les douze œuvres sont jouées de façon aléatoire, parfois simultanément. Son voyage autobiographique, commenté par Cage lui-même, allie profondeur analytique, anecdotes humoristiques et sensibilité explosive, qu'il introduise chacune de ses œuvres majeures ou se livre au rite de l'entretien. On retrouve là les fondements de tout ce qui se fait aujourd’hui de subversion musicale et les fermants utopiques d’une alternative politique. C’est tout bonnement génial ! Une très grande leçon (tous niveaux).