Enfant, j'entendais mes parents parler d'un poète avec un nom qui sonnait bizarrement musical et dont le style onomatopique résonne encore à mes oreilles comme mon père imitait la poésie lettriste. Dans les années 50, Isidore Isou, comme Boris Vian, rédigeait des petits textes grivois pour une revue légère dont mon père s'occupait. Ni l'un ni l'autre ne signaient ces petites choses destinées à arrondir leurs fins de mois. Il est probable que les singeries musicales paternelles m'influencèrent plus tard dans mon goût pour les allitérations et la musique contemporaine !
Dans le volume 2 de l'Anthologie "Avant-garde" éditée en double dvd par Kino à partir de la collection Raymond Rohauer (édition américaine multizones lisible sur un lecteur dvd français, sous-titres anglais non optionnels), je découvre enfin le Traité de bave et d'éternité de l'inventeur du lettrisme, aux côtés d'un magnifique Paul Léni, Rebus-Film n°1, d'un des deux films de Jean Epstein que j'ai maintes fois mis en musique avec le Drame, La chute de la Maison Usher (l'autre, La glace à trois faces, figure avec Le tempestaire sur le Volume 1), du Pacific 231 de Mitry avec la musique d'Arthur Honegger, et de films de Willard Haas, Marie Menken, Sidney Peterson, James Broughton, Gregory J. Markopoulos, Dimitri Kirsanoff et Stan Brakhage que je n'ai pas encore eu le temps de regarder. Le volume 2 couvre la période 1928-1954.
Les deux premiers tiers du film de deux heures d'Isidore Isou (1951, une version expurgée de 78 minutes figure sur ubu.com) est une déambulation dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés tandis que le poète, devenu cinéaste pour l'occasion, déballe une loghorrée de provocations incisives et mégalomaniaques, critiques explosives du cinéma bourgeois anticipant le situationnisme de Debord, humour dévastateur qui trouve son apogée dans la dernière partie où les outrages graphiques à la pellicule sont enfin accompagnés de poésie lettriste. Le film fait partie de ces objets rares, culte pour certains, dont on a entendu parler, mais qui furent longtemps difficiles à voir ou entendre, comme Pour en finir avec jugement de dieu d'Antonin Artaud ou Radiophonie de Jacques Lacan, comme le film La dialectique peut-elle casser des briques ou maints chefs d'œuvre du cinéma expérimental.